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Date : 20090306

Dossier : IMM-4011-08

Référence : 2009 CF 243

 

ENTRE :

UWADIAE OSAGHAE

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

 

LE JUGE HARRINGTON

[1]               Dans le cas de M. Osaghae, il est très difficile de distinguer la réalité de la fiction. À son arrivée au pays en 2006, il a demandé l’asile, alléguant avoir fui son pays d’origine, le Nigéria, pour deux raisons en quelque sorte étroitement liées. Sa mère a été tuée en 2002 dans un litige au sujet d’une terre et, selon le demandeur, il avait raison de craindre que ses assassins lui réservent le même sort. L’autre raison est qu’il est bisexuel. L’homosexualité est illégale au Nigéria. Les hommes mêlés au litige relatif à la terre se sont présentés à son bureau et ont dévoilé son homosexualité, entraînant de l’ostracisme social. Il a également affirmé avoir était tenu prisonnier par les Américains durant une bonne partie de 2003 jusqu’en 2005 inclusivement.

 

[2]               Contrairement à cette affirmation, le demandeur a indiqué dans son Formulaire de renseignements personnels déposé à l’appui de sa demande d’asile, qu’il se trouvait au Nigéria de 2000 à 2006 inclusivement, et il a même donné le nom de son employeur. Cependant, dans les deux instances, il a affirmé qu’il se trouvait au Nigéria en 2002 lorsque sa mère aurait été tuée. Sa demande d’asile a été déclarée abandonnée, et la Cour a refusé de lui accorder sa demande d’autorisation de contrôle judiciaire.

 

[3]               Ensuite, le demandeur a été déclaré interdit de territoire pour grande criminalité. Il a été déclaré coupable, à l’extérieur du Canada, d’une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction qui pourrait être punissable d’un emprisonnement maximal égal ou supérieur à dix ans. Il avait encore droit à un ERAR, mais limité à un examen des risques au regard de l’article 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, et non au regard de l’article 96.

 

[4]               L’agente d’ERAR a conclu que le demandeur ne serait pas exposé au risque d’être soumis à la torture, à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités du fait de son orientation sexuelle s’il retournait au Nigéria. Bien que la sodomie constitue une infraction criminelle, l’agente a fait une analyse détaillée qui ne peut être jugée déraisonnable et ne devrait pas être modifiée.

 

[5]               En ce qui concerne le litige au sujet de la terre, l’agente a souligné que la relocalisation interne pour éviter de subir des mauvais traitements par des agents non étatiques est presque toujours une option au Nigéria. Elle a de plus conclu que rien dans la preuve n’indiquait que quiconque serait intéressé à retracer le demandeur s’il retournait au Nigéria et que le fait qu’il était rejeté par sa famille était non pertinent. Cette conclusion est également raisonnable et la demande de contrôle judiciaire sera donc rejetée.

 

[6]               Bien que les raisons susmentionnées soient suffisantes pour statuer sur la demande, le ministre a invoqué deux motifs pour lesquels je n’aurais pas dû examiner le contrôle judiciaire au fond, à savoir la doctrine en equity des « mains nettes » et le caractère théorique. Dans Thanabalasingham c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CAF 14, 51 Imm. L.R. (3d) 1, la Cour d’appel n’a pas approuvé la proposition du ministre selon laquelle, lorsqu’un demandeur ne s’est pas présenté devant la Cour les mains nettes, la Cour doit refuser de juger la demande au fond ou de l’accorder. S’exprimant au nom de la Cour, le juge Evans a indiqué que la Cour peut rejeter la demande sans la juger au fond ou, même ayant conclu à l’existence d’une erreur sujette à révision, elle peut refuser d’accorder la réparation sollicitée [non souligné dans l’original.] Il a écrit :

[10] Dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, la Cour doit s’efforcer de mettre en balance d’une part l’impératif de préserver l’intégrité de la procédure judiciaire et administrative et d’empêcher les abus de procédure, et d’autre part l’intérêt public dans la légalité des actes de l’administration et dans la protection des droits fondamentaux de la personne. Les facteurs à prendre en compte dans cet exercice sont les suivants : la gravité de l’inconduite du demandeur et la mesure dans laquelle cette inconduite menace la procédure en cause, la nécessité d’une dissuasion à l’égard d’une conduite semblable, la nature de l’acte prétendument illégal de l’administration et la solidité apparente du dossier, l’importance des droits individuels concernés, enfin les conséquences probables pour le demandeur si la validité de l’acte administratif contesté est confirmée.

 

[11] Ces facteurs ne prétendent pas être limitatifs, et tous ne sont pas nécessairement applicables dans chaque cas. Ce pouvoir discrétionnaire doit être exercé avec discernement, mais une juridiction d’appel ne devrait pas intervenir à la légère dans la manière dont le juge de première instance a exercé le large pouvoir discrétionnaire qui lui est conféré dans les procédures et recours de droit public. […]

 

[7]               Les faits à l’origine des arguments relatifs à la doctrine des « mains nettes » et au caractère théorique se sont produits après que la décision d’ERAR défavorable eut été rendue. Lors de l’arrestation de M. Osaghae en vue de son renvoi, on a découvert qu’il vivait en fait avec une femme et qu’il était le père de ses deux enfants. M. Osaghae a demandé et a obtenu l’autorisation d’instituer le présent contrôle judiciaire. Cette décision n’a pas eu pour effet de différer son renvoi et il a donc demandé un sursis à l’exécution de la mesure de renvoi en attendant l’issue du présent contrôle judiciaire.

 

[8]               Sa demande de sursis a été entendue par le juge Hughes. Le ministre a allégué que M. Osaghae a menti au sujet du pays où il se trouvait pendant la période de 2003 à 2005, en plus de son orientation sexuelle. Une preuve émanant des États-Unis a été produite semblant indiquer qu’il avait été en prison dans ce pays, comme il l’avait effectivement affirmé lorsqu’il est entrée pour la première fois au Canada. Cependant, il a ensuite été soumis que sa première déclaration n’a pas été fournie à l’agente d’ERAR. L’avocat de M. Osaghae a obtenu un ajournement pour demander des instructions sur ce point, mais aucun affidavit clair n’a été obtenu.

 

[9]               Le juge Hughes a refusé d’accorder un sursis. Il a déclaré :

[traduction]

 

[…]

 

ET ATTENDU QUE la Cour a statué que le demandeur a induit le défendeur en erreur, qu’il n’a pas été franc quant à son incarcération aux États-Unis et quant à la période de 2003 à 2005, et qu’il vivait avec une femme dans une relation hétérosexuelle, et non un mode de vie homosexuel;

 

ET ATTENDU QUE la Cour a conclu que le demandeur ne s’est pas présenté devant elle les mains nettes […]

 

[…] la requête en sursis est rejetée.

 

[10]           Ensuite, l’avocate du ministre a rétracté sa prétention selon laquelle les notes prises au point d’entrée n’avaient pas été fournies à l’agente d’ERAR et a ensuite produit un affidavit dans lequel l’agente indiquait sous serment que, bien que l’information figurait au dossier, elle n’y avait pas prêté attention. Cela écarte la présomption selon laquelle un agent est censé avoir lu tout le dossier (Florea c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 598 (QL)).

 

[11]           Cela a amené l’avocat de M. Osaghae à invoquer une autre maxime d’equity : « Quiconque cherche l’équité doit agir à l’avenant. » Le refus du juge Hughes d’accorder un sursis à l’exécution de la mesure de renvoi était fondé sur des normes très différentes de celles applicables aux contrôles judiciaires. Dans RJR-MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1995] 3 R.C.S. 199, 187 N.R. 1, la Cour suprême a clairement indiqué que les juges des requêtes sont souvent appelés à rendre des ordonnances interlocutoires dans le feu de l’action, et ce, sans disposer de l’ensemble du dossier. Il me suffit de dire que je ne pense pas que les circonstances de la présente affaire justifient le refus d’examiner la demande au fond au motif que M. Osaghae ne s’est pas présenté devant la Cour les mains nettes.

 

[12]           L’argument du caractère théorique est fondé sur un certain nombre de décisions de la Cour. L’objet d’un ERAR est d’évaluer les risques que court un demandeur avant son renvoi vers son pays d’origine, et non après. Le fait est que M. Osaghae a été renvoyé contre son gré vers le Nigéria en décembre 2008. Ces décisions sont examinées par le juge Martineau dans Perez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 663, 328 F.T.R. 290. Bien qu’une demande d’ERAR donne normalement lieu, selon le Règlement, à un sursis à l’exécution de la mesure de renvoi jusqu’à ce qu’il soit statué sur elle, l’article 232 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés prévoit quelques exceptions. Compte tenu de son interdiction pour grande criminalité, l’une des exceptions énumérées, M. Osaghae n’a jamais eu droit à un sursis comme le Règlement le prévoit. D’autres demandeurs ont perdu leur droit à un sursis en vertu du Règlement  à cause d’une infraction qui n’était pas plus grave que celle pour un cabinet d’avocats de ne pas avoir déposé sa demande à temps (Chukwudebe c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2009 CF 211).

 

[13]           Les articles 160 et suivants dudit Règlement prévoient que le demandeur a néanmoins droit à un ERAR. L’avocat de M. Osaghae soutient que la décision Perez, précitée, et la jurisprudence antérieure, sont soit erronées ou soit qu’elles se distinguent quant aux faits. Par exemple, Perez ne porte pas sur les articles 160 et suivants du Règlement. À quoi cela sert de déclarer expressément qu’une personne a droit à un ERAR, s’il n’y a pas de sursis prévu par la loi et qu’une partie a le droit de demander l’autorisation d’obtenir la révision d’une décision défavorable en vertu de la LIPR et de la Loi sur les Cours fédérales? Ces droits peuvent-ils devenir théoriques par la décision d’un agent d’exécution, en application de l’article 48 de la LIPR, de renvoyer la personne concernée?

 

[14]           Dans Perez, précitée, le juge Martineau a certifié les questions suivantes pour donner matière à un appel devant la Cour d’appel fédérale :

[traduction]

 

a)      Une demande de contrôle judiciaire d’une décision relative à un examen des risques avant renvoi est-elle théorique lorsque la personne visée par la décision a été renvoyée du Canada ou l’a quitté à la suite du rejet d’une demande de sursis à l’exécution du renvoi?

 

b)      Quels facteurs ou critères, s’ils diffèrent ou s’ajoutent à ceux qui se dégagent de l’arrêt Borowski c. Canada (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 342, aux pages 358 à 363, la Cour devrait-elle prendre en compte dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire qui lui est accordé d’entendre une demande de contrôle judiciaire qui est devenue théorique?

 

c)      Si le contrôle judiciaire d’une décision relative à un examen des risques avant renvoi est accueilli lorsque le demandeur a été renvoyé du Canada ou l’a quitté, la Cour a‑t‑elle le pouvoir d’ordonner au ministre de ramener le demandeur au Canada en attendant qu’une nouvelle décision soit rendue et, selon le cas, aux frais du gouvernement?

 

 

L’appel devrait être entendu le 26 mai 2009 à Montréal.

 

[15]           Quelle que soit la décision en appel, si la question est théorique, j’ai toujours le pouvoir discrétionnaire de l’entendre, et c’est ce que j’ai fait. Puisque trois questions distinctes ont été soulevées, à savoir celles du bien-fondé, de la doctrine des mains nettes et du caractère théorique, j’ai informé les parties que je rendrais mes motifs avant l’ordonnance de manière à donner à la partie déboutée la possibilité de poser une question grave de portée générale. M. Osaghae a jusqu’au mardi 17 mars 2009 pour soumettre une telle question au greffe de Toronto et le ministre a jusqu’au lundi 23 mars 2009 pour y répondre.

 

 

 

« Sean Harrington »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Caroline Tardif, LL.B., B.A. Trad.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-4011-08

 

INTITULÉ :                                       Uwadiae Osaghae c. MCI

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 25 février 2009

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :  Le juge Harrington

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 6 mars 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Kingsley I. Jesuorobo

 

  POUR LE DEMANDEUR

Amina Riaz

 

                              POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Kingsley I. Jesuorobo

Avocat

North York (Ontario)

 

                              POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

                            POUR LE DÉFENDEUR

 

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