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Date : 20090304

Dossier : IMM-908-08

Référence : 2009 CF 231

Toronto (Ontario), le 4 mars 2009

En présence de madame la juge Heneghan

 

 

ENTRE :

BERNICE MAY WATSON

demanderesse

 

et

 

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

 (AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA)

et LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeurs

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Mme Bernice May Watson (la demanderesse) demande le contrôle judiciaire de la décision d’une agente de renvoi de l’Agence des services frontaliers du Canada (l’agente), rendue le 25 février 2008. Dans cette décision, l’agente a rejeté la demande de sursis à l’exécution de la mesure de renvoi du Canada prise contre la demanderesse, laquelle exécution devait avoir lieu le 29 février 2008.

 

[2]               Dans une ordonnance rendue le 25 février 2008, le juge Kelen a accordé un sursis à l’exécution de la mesure de renvoi. Il a conclu que le refus de l’agente était fondé sur une conclusion manifestement déraisonnable, soit la conclusion selon laquelle aucune preuve n’avait été présentée au sujet du fait que l’époux de la demanderesse était incapable ou refusait de s’occuper de ses fils ou de trouver quelqu’un qui s’en occuperait. De plus, il existait une demande en instance, fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, au sujet de la réadaptation de la demanderesse après qu’elle a été déclarée coupable de possession de narcotiques et de fraude de plus de 5 000 $, et au sujet de la garde de ses enfants nés au Canada.

 

[3]               La demanderesse, une citoyenne de la Jamaïque, est venue au Canada en septembre 1986. En août 1991, une mesure de renvoi a été prise contre elle.

 

[4]               En mars 1998, la demanderesse a été déclarée coupable de possession de narcotiques. En avril 2001, elle a été déclarée coupable de fraude de plus de 5 000 $. En mai 2002, sa première demande présentée pour des motifs d’ordre humanitaire (demande CH) a été rejetée au motif de criminalité.

 

[5]               En juin 2006, la demanderesse a présenté une demande d’examen des risques avant renvoi (l’ERAR). En février, on lui a dit de se présenter pour son renvoi le 1er mars 2007. Elle ne s’est pas présentée pour le renvoi et elle s’est cachée. Elle a été arrêtée le 18 janvier 2008 et placée dans un centre de détention de l’immigration.

 

[6]               Le 16 mars 2007, la demanderesse a présenté une deuxième demande CH.

 

[7]               En avril 2007, la demande d’ERAR de la demanderesse a été rejetée.

 

[8]               On a de nouveau demandé à la demanderesse de se présenter pour son renvoi le 29 février 2008. Le 25 février 2008, l’agente a rejeté la demande de sursis à l’exécution de la mesure de renvoi présentée par la demanderesse. Dans sa décision, l’agente a noté qu’il n’y avait aucune preuve au sujet de l’incapacité ou du refus de l’époux de la demanderesse de prendre soin de leurs enfants nés au Canada.

 

[9]               La demanderesse a demandé l’autorisation de déposer un autre affidavit en réponse au mémoire supplémentaire du ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (le défendeur). Dans cet affidavit, qu’elle a produit avec l’autorisation de la Cour, la demanderesse soutient qu’elle a maintenant un permis de travail qui lui a été délivré le 4 avril 2008 et qui lui permet de travailler jusqu’au 3 avril 2009.

 

[10]           La demande soulève deux questions. Premièrement, la demande est-elle théorique et, le cas échéant, la Cour devrait-elle exercer son pouvoir discrétionnaire pour entendre le bien‑fondé de la demande? Deuxièmement, si la Cour entend le bien‑fondé de l’affaire, l’agente a-t-elle commis une erreur susceptible de révision?

 

[11]           Les deux parties ont traité de la question du caractère théorique. Je note en particulier l’observation du défendeur selon laquelle la Cour devrait exercer son pouvoir discrétionnaire pour entendre l’affaire en fonction du critère énoncé dans l’arrêt Borowski c. Canada (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 342.

 

[12]           Le défendeur a soutenu que les parties ont toujours un rapport d’opposition, que la Cour a déjà dépensé des ressources, qu’une date d’audience a déjà été prévue et que des observations ont été présentées. Une décision sur le fond éviterait la reprise du cycle de dates de renvoi, de requêtes en sursis et de contrôles judiciaires. De plus, une décision dans la présente affaire ne soulèverait aucune préoccupation quant au rôle de la Cour en matière de décision parce que les arguments sont limités. Une décision pourrait servir de guide aux agents de renvoi à l’avenir en ce qui a trait à l’exercice de leur pouvoir discrétionnaire limité en matière de sursis aux renvois.

 

[13]           Le défendeur fait valoir que la décision de l’agente de renvoi est raisonnable.

 

[14]           Quant à elle, la demanderesse soutient qu’en demandant à la Cour de trancher l’affaire, le défendeur démontre son intention continue de la renvoyer, malgré le fait qu’elle détient maintenant un permis de travail temporaire valide. Elle fait valoir que ce permis signifie qu’elle a maintenant un statut au Canada.

 

[15]           De toute façon, la demanderesse soutient aussi que la décision de l’agente est déraisonnable. Elle fait valoir que la conclusion de l’agente selon laquelle il n’existe aucune preuve de l’incapacité ou du refus du père de prendre soin de ses enfants est contraire à la preuve qui a été présentée lors de la demande de sursis.

 

[16]           De plus, la demanderesse soutient que l’agente a manqué aux exigences en matière d’équité procédurale parce qu’elle n’a pas adéquatement motivé sa décision.

 

Analyse et dispositif

[17]           L’affaire est théorique parce que la date de renvoi est passée. À ce sujet, voir Baron c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile) (2008), 69 Imm. L.R. (3d) 293 (C.F.). La mesure de renvoi reste en vigueur, ce n’est que l’exécution de celle-ci qui a été retardée en raison de l’ordonnance de sursis rendue le 28 février 2008.

 

[18]           Dans la décision Weekes c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 73 Imm. L.R. (3d) 294 (C.F.), aux paragraphes 33 à 35, j’ai expliqué le fondement de l’exercice du pouvoir discrétionnaire lorsqu’une affaire est théorique, compte tenu des principes énoncés dans Borowksi.

 

[19]           J’accepte les observations du défendeur au sujet de l’exercice de mon pouvoir discrétionnaire. Le facteur principal à ce sujet est le fait que les agents de renvoi pourraient profiter d’un contrôle judiciaire portant sur leur pouvoir discrétionnaire limité en matière de sursis à l’exécution de mesures de renvoi, mesures prévues au paragraphe 48(2) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, qui établit ce qui suit :

Conséquence

48.(2) L’étranger visé par la mesure de renvoi exécutoire doit immédiatement quitter le territoire du Canada, la mesure devant être appliquée dès que les circonstances le permettent.

Effect

48.(2) If a removal order is enforceable, the foreign national against whom it was made must leave Canada immediately and it must be enforced as soon as is reasonably practicable.

 

[20]           Je suis convaincue que je dois entendre l’affaire et trancher le bien‑fondé de la décision de l’agente. Compte tenu de la jurisprudence portant sur la norme de contrôle applicable à une décision défavorable en matière de sursis, je me fie aux instructions de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190. À mon avis, la norme de contrôle applicable est la raisonnabilité.

 

[21]           La déclaration suivante est tirée de la décision de l’agente :

 

[traduction]

Aucune preuve présentée au sujet de l’incapacité ou du refus de M. Hanslip de prendre soin de ses fils ou de trouver quelqu’un qui en prendra soin.

 

[22]           Cette déclaration est déraisonnable. Elle n’est pas fondée sur la preuve. La preuve prête à interprétation et l’agente ne l’a pas interprétée. La tâche de l’agente est de déterminer, de façon limitée, le poids de la preuve. Une déclaration générale selon laquelle il n’y a [traduction] « aucune preuve », alors que le dossier révèle le contraire, est déraisonnable et ne fait qu’entraîner des procédures devant la Cour qui auraient pu être évitées.

 

[23]           Bien que ma conclusion au sujet de la raisonnabilité de la décision de l’agente soit suffisante pour accueillir la demande, je souhaite faire une observation au sujet des observations de la demanderesse portant sur son statut au Canada.

 

[24]           Le fait qu’elle a obtenu un permis de travail temporaire ne donne aucun statut au Canada à la demanderesse. L’article 202 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés est clair à ce sujet :

Statut de résident temporaire

202. L’étranger qui se voit délivrer un permis de travail au titre de l’article 206 ou des alinéas 207c) ou d) ne devient pas, de ce seul fait, résident temporaire.

Temporary resident status

202. A foreign national who is issued a work permit under section 206 or paragraph 207(c) or (d) does not, by reason only of being issued a work permit, become a temporary resident

 

 

 

[25]           Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est accueillie et la décision de l’agente est annulée. Il n’y a aucune question à certifier.

 

 

 

 


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie et que la décision de l’agente rendue le 25 février 2008 soit annulée. Il n’y a aucune question à certifier.

 

 

« E. Heneghan »

Juge

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-908-08

 

INTITULÉ :                                       BERNICE MAY WATSON c.

                                                            LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE (AGENCES DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA) et LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 4 février 2009

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LA JUGE HENEGHAN

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 4 mars 2009

 

 

COMPARUTIONS :

 

Joy-Ann Cohen

 

POUR LA DEMANDERESSE

Manuel Mendelzon

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Joy-Ann Cohen

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

 

 

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