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Date : 20090304

Dossier : T-1150-08

Référence : 2009 CF 222

Ottawa (Ontario), ce 4e jour de mars 2009

En présence de l’honorable Orville Frenette

ENTRE :

MONSIEUR EI MOUATASSIM BELGHAZI

Demandeur

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

Défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]          Il s’agit ici d’un appel interjeté en vertu du paragraphe 14(5) de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. (1985), ch. C-29, (la Loi) à l’encontre de la décision rendue le 30 mai 2008 par la juge de la Citoyenneté Gordana Caricevic-Rakovich, refusant la demande de citoyenneté canadienne présentée par le demandeur parce que la preuve qu’il a produite ne démontre pas qu’il remplissait les exigences de résidence prévues à l’alinéa 5(1)c) de la Loi.

 

Le contexte factuel

[2]          Le demandeur est né le 6 mars 1969 au Maroc. Il est entré au Canada le 12 avril 2001 avec son épouse et ses trois enfants. Le 23 août 2004 il déposait sa demande de citoyenneté canadienne.

 

[3]          La période de référence applicable de quatre ans ou de 1 460 jours précédant sa demande de citoyenneté s’étend du 23 août 2000 au 23 août 2004 (la période de référence).

 

[4]          Le demandeur allègue s’être absenté du Canada pendant 90 jours au total suite à son arrivée au Canada le 12 avril 2001. Ces 90 jours consistent en deux voyages au Maroc, dont un de 77 jours pour visiter sa famille et un autre pour des vacances de 13 jours.

 

[5]          En novembre 2004, il décidait de retourner en France afin de finaliser des études de doctorat en sciences administratives et économiques. Il amenait alors son épouse et ses enfants avec lui en France mais, à la fin de l’année 2004, celle-ci et les enfants retournent résider au Maroc.

 

[6]          Le demandeur avait acquis une maison d’habitation à Notre-Dame-de-la-Merci, province de Québec, en 1998. Il soutient qu’ils se sont intégrés à la communauté locale entre 2001 et 2004.

 

[7]          Le 5 février 2008, le demandeur se présentait devant la juge de la Citoyenneté suite à une convocation pour une entrevue.

 

[8]          Dans son affidavit du 22 août 2008, signé à Rabat, Maroc, le demandeur écrivait, au paragraphe 45 :

Lors de l’entrevue, je n’étais pas en mesure de saisir la substance et la portée de certaines questions du juge de la citoyenneté en ce qu’elle recherchait certaines informations bien spécifiques aux questions pour lesquelles j’avais des réponses précises, mais qui m’ont échappé en raison du stress;

 

 

 

[9]          Les avis de cotisations fiscales canadiennes pour les années 2001, 2002, 2003 et 2004 révèlent que le demandeur n’a pas bénéficié de revenus taxables au Canada pendant ces années.

 

La décision en litige

[10]      La juge de la Citoyenneté, dans sa décision rendue le 30 mai 2008, rejeta la demande de citoyenneté du demandeur. Elle élabore qu’entre le 12 avril 2001 et le 23 août 2004, le demandeur avait accumulé 1 138 jours de présence physique au Canada; il aurait passé 90 jours hors du Canada pendant la même période. Elle analysa la preuve produite par le demandeur, soit l’acquisition d’une maison d’habitation, ses déclarations fiscales, ses relevés bancaires et ses comptes téléphoniques. Elle considéra que malgré les prétentions du demandeur qu’il était économiste consultant indépendant, il n’avait pas présenté de preuve tangible d’activités professionnelles pendant son séjour au Canada.

 

[11]      Les activités au compte bancaire ouvert au nom du demandeur et d’un dénommé Jean Lavoie, démontrent peu de transactions. Les relevés de ses factures de téléphone indiquent de longues périodes sans communications téléphoniques. L’absence de revenus taxables pendant les quatre années impliquées fut aussi considérée par la juge de la Citoyenneté.

 

[12]      Dans sa décision, la juge a conclu que le demandeur n’avait pas rempli les conditions de résidence au Canada, tel qu’exigé par l’alinéa 5(1)c) de la Loi.

 

La norme de contrôle applicable

[13]      La norme de contrôle judiciaire applicable aux décisions d’un juge de la Citoyenneté en ce qui concerne la résidence d’un demandeur, est une question de faits ou mixte de droit et de faits, assujettie à la norme d’une décision raisonnable (Chen c. ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2006 CF 85; Zhao c. ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2006 CF 1536; Pourzand c. ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2008 CF 395, au paragraphe 19).

 

[14]      L’évaluation de la juge de la Citoyenneté quant à la connaissance suffisante du Canada, est une pure question de fait à l’égard de laquelle la Cour doit faire preuve de grande retenue (Arif c. ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2007 CF 557; Huang c. ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2005 CF 861; Wang c. ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2008 CF 391; So c. ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2001 CFPI 733).

 

[15]      L’explication du demandeur quant à ses réponses, est peu convaincante.

 

La législation applicable

[16]      L’alinéa 5(1)c) de la Loi se lit comme suit :

  5. (1) Le ministre attribue la citoyenneté à toute personne qui, à la fois :

 

[. . .]

 

 

c) est un résident permanent au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et a, dans les quatre ans qui ont précédé la date de sa demande, résidé au Canada pendant au moins trois ans en tout, la durée de sa résidence étant calculée de la manière suivante :

     (i) un demi-jour pour chaque jour de résidence au Canada avant son admission à titre de résident permanent;

     (ii) un jour pour chaque jour de résidence au Canada après son admission à titre de résident permanent;

 

  5. (1) The Minister shall grant citizenship to any person who

 

[. . .]

 

 

(c) is a permanent resident within the meaning of subsection 2(1) of the Immigration and Refugee Protection Act, and has, within the four years immediately preceding the date of his or her application, accumulated at least three years of residence in Canada calculated in the following manner:

     (i) for every day during which the person was resident in Canada before his lawful admission to Canada for permanent residence the person shall be deemed to have accumulated one-half of a day of residence, and

     (ii) for every day during which the person was resident in Canada after his lawful admission to Canada for permanent residence the person shall be deemed to have accumulated one day of residence;

 

 

[17]      L’article 15 du Règlement sur la citoyenneté, 1993, DORS/93-246, se lit comme suit :

  15. Une personne possède une connaissance suffisante du Canada et des responsabilités et privilèges attachés à la citoyenneté si elle comprend de façon générale des questions orales simples basées sur les renseignements figurant dans des documents d’auto-apprentissage approuvés par le ministre et présentés aux aspirants à la citoyenneté et si elle peut y répondre correctement. Les questions portent sur :

 

a) le droit de vote aux élections fédérales, provinciales et municipales et le droit de se porter candidat à une charge élective;

b) les formalités liées au recensement électoral et au vote;

c) l’un des sujets suivants, à la discrétion de la personne chargée d’interroger le demandeur :

     (i) les principales caractéristiques de l’histoire sociale et culturelle du Canada,

     (ii) les principales caractéristiques de l’histoire politique du Canada,

     (iii) les principales caractéristiques de la géographie physique et politique du Canada,

     (iv) les responsabilités et privilèges attachés à la citoyenneté autres que ceux visés aux alinéas a) et b).

 

  15. The criteria for determining whether a person has an adequate knowledge of Canada and of the responsibilities and privileges of citizenship are that the person has a general understanding of and can answer correctly simple oral questions based on the information contained in self-instructional materials approved by the Minister and presented to applicants for the grant of citizenship respecting

 

(a) the right to vote in federal, provincial and municipal elections and the right to run for elected office;

(b) enumerating and voting procedures related to elections; and

(c) one of the following topics, to be chosen by the person questioning the applicant, namely,

     (i) the chief characteristics of Canadian social and cultural history,

     (ii) the chief characteristics of Canadian political history,

     (iii) the chief characteristics of Canadian physical and political geography, or

 

     (iv) the responsibilities and privileges of citizenship, other than those referred to in paragraphs (a) and (b).

 

 

[18]      Les questions prévues aux paragraphes 15a) et b) sont obligatoires (Wang, ci-dessus, au paragraphe 9).

 

[19]      Le demandeur a le fardeau de la preuve d’établir, selon le poids des probabilités, que les conditions exigées par la Loi ont été remplies (Maharatnam c. ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, [2000] A.C.F. no 405 (1re inst.) (QL); Malevsky c. ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2002 CFPI 1148).

 

[20]      La résidence a le sens ordinaire du mot (In re la Loi sur la citoyenneté et in re Papadogiorgakis, [1978] 2 C.F. 208; Koo (Re), [1993] 1 C.F. 286).

 

[21]      Le juge de la Citoyenneté a l’option de choisir l’une des méthodes préconisées par la jurisprudence pour décider de la « résidence » et s’il applique une de ces méthodes dans le contexte de chaque affaire, sa décision sera considérée valide (Lam c. Canada (M.C.I.) (1999), 164 F.T.R. 177, au paragraphe 14).

 

[22]      Selon la jurisprudence, si le demandeur démontre qu’il a été physiquement au Canada 1 095 jours pendant la période de référence, il satisfait à cette exigence de la Loi (So, ci-dessus, au paragraphe 32).

 

[23]      Dans le dossier en l’espèce, la juge a favorisé la méthode mise de l’avant dans l’arrêt Pourghasemi (Re), [1993] A.C.F. no 232 (1re inst.) (QL).

 

Analyse

[24]      La juge de la Citoyenneté a constaté que le demandeur était au Canada comme résident permanent à compter du 12 avril 2001. Il a présenté une demande de citoyenneté le 23 août 2004; ainsi sa période de référence applicable de quatre ans précédant sa demande s’étend du 23 août 2000 au 23 août 2004.

 

[25]      Selon le demandeur, il aurait été résident au Canada pendant 1 138 jours pendant la période de référence (excluant les 90 jours qu’il admet avoir séjourné hors du Canada durant cette période).

 

[26]      Le demandeur conteste la décision négative pour les motifs suivants.

 

[27]      La juge a pris pour acquis qu’il avait accumulé 1 138 jours à titre de résident permanent durant la période de référence, donc il satisfaisait aux exigences de la Loi. Le défendeur, quant à lui, répond que si la décision semble ambiguë quant à la problématique des 1 138 jours, il ne s’agissait que d’une mention introductive de nature ambivalente et que les motifs subséquents ont clairement démontré le ratio decidendi de la décision.

 

[28]      Les notes de la juge (qui font légalement partie de la décision), démontrent clairement qu’elle n’a pas été convaincue que le demandeur avait réellement été présent au Canada pendant 1 095 jours durant la période de référence. Elle élabore les quatre motifs suivants pour justifier sa décision.

[29]      Premièrement, le demandeur n’a pas fourni au tribunal son passeport lequel aurait démontré ses entrées et sorties du Canada. Le demandeur répond qu’il avait dû laisser son passeport aux autorités marocaines. Par ailleurs, il n’a pas expliqué pourquoi il n’avait pas pu en obtenir une copie et la produire au tribunal.

 

[30]      Deuxièmement, le compte bancaire démontre de longues périodes d’inactivité (jusqu’à six mois), ce qui tend à démontrer qu’il pouvait alors se trouver en dehors du Canada. Il détenait ce compte de banque conjointement avec Jean Lavoie, un courtier immobilier, mais qui n’avait aucune procuration pour effectuer des transactions – une explication difficile à comprendre.

 

[31]      Troisièmement, les factures téléphoniques révèlent de longues périodes sans communications téléphoniques, correspondant grosso modo aux périodes d’inactivité du compte bancaire. Le demandeur soutient que durant ces périodes il s’affairait à réparer ou à rénover sa maison et produisit des comptes ou reçus émanant de ces activités. Cependant, ces écrits ne prouvent pas que le demandeur était au Canada à l’époque indiquée sur ceux-ci.

 

[32]      Enfin, la juge souligne que le demandeur n’a pas présenté de preuve quant aux activités professionnelles ou de consultation qu’il aurait exercées durant son séjour au Canada. Le demandeur a tenté, dans son affidavit, d’expliquer ses occupations mais sans vraiment réussir à modifier ce motif.

 

[33]      Finalement, le défendeur a démontré que l’épouse du demandeur s’était procuré des billets d’avion le 24 décembre 2003, ce qui ne correspond pas aux périodes d’absence du Canada que le demandeur a identifiées, soit du 1er septembre au 18 novembre 2003 et du 1er au 14 août 2004. La preuve révèle aussi que depuis le 24 août 2004, le demandeur n’a séjourné au Canada que quelques mois jusqu’en 2008.

 

Conclusion

[34]      À la lumière des éléments de preuve au dossier, la juge de la Citoyenneté était fondée de croire que le demandeur n’avait pas présenté d’éléments de preuve suffisants établissant sa résidence au Canada durant la période de référence et, par conséquent, il ne répondait pas aux exigences de l’alinéa 5(1)c) de la Loi. Cette conclusion n’est pas déraisonnable. Elle se situe à l’intérieur de la gamme d’inférences que la juge pouvait tirer des faits et de la Loi, tel qu’énoncé par la Cour suprême du Canada dans Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190.

 

[35]      Pour ces motifs, la Cour ordonne que l’appel du demandeur soit rejeté.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

JUGEMENT

 

          L’appel de la décision rendue le 30 mai 2008 par la juge de la Citoyenneté Gordana Caricevic-Rakovich, refusant la demande de citoyenneté canadienne présentée par le demandeur parce que la preuve qu’il a produite ne démontre pas qu’il remplissait les exigences de l’alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. (1985), ch. C-29, est rejeté.

 

 

« Orville Frenette »

Juge suppléant

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-1150-08

 

INTITULÉ :                                       MONSIEUR EI MOUATASSIM BELGHAZI c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 24 févier 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge suppléant Frenette

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 4 mars 2009

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Patrick-Claude Caron

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Me Alain Langlois

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Caron Avocats, S.E.N.C.

Montréal (Québec)

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

 

POUR LE DEMANDEUR

 

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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