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Date : 20090304

Dossier : IMM-3470-08

Référence : 2009 CF 218

Montréal (Québec), le 4 mars 2009

En présence de l'honorable Maurice E. Lagacé

 

ENTRE :

RUTH SOIMIN

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          Introduction

 

[1]               La demanderesse sollicite en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (Loi), la révision judiciaire de la décision rendue le 10 juillet 2008 par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (SPR) de ne pas lui reconnaître la qualité de « réfugiée », ni celle de « personne à protéger » conformément au sens des articles 96 et 97 de la Loi, et en conséquence de rejeter sa demande d’asile, et ce, au motif que sa demande d’asile n’avait aucun lien avec un des motifs de la Convention et que la crainte de la demanderesse selon laquelle elle pourrait être la cible d’enlèvements ou de viol était de l’ordre d’un risque généralisé.

 

II.        Les faits

 

[2]               La demanderesse, citoyenne d’Haïti, allègue craindre en tant que femme, d’être victime de viol dans son pays. Elle allègue aussi qu’elle serait ciblée personnellement en raison du fait qu’elle a voyagé à l’extérieur de son pays et qu’elle serait perçue en raison de ce fait comme une personne riche.

 

[3]               Après un voyage au Canada en 2002, pour accompagner une tante de citoyenne canadienne trop âgée pour voyager seule, la demanderesse serait retournée à Haïti, pour constater avoir été victime d’un vol à domicile.

 

[4]               La demanderesse aurait quitté Haïti avec sa tante une fois de plus pour le Canada le 11 juin 2003, pour y demeurer depuis.

 

[5]               Elle allègue avoir appris en novembre 2006, l’enlèvement d’une de ses voisines en Haïti en échange de rançon, et celle-ci aurait été violée avant d’être tuée. Ce lointain évènement l’aurait incitée à revendiquer le statut de réfugiée au Canada seulement le 22 février 2007, au motif qu’elle dit craindre, en tant que femme, d’être victime de viol dans son pays. Elle allègue de plus qu’elle serait particulièrement ciblée en raison de son séjour à l’extérieur du pays et de la perception qu’elle a ainsi crée d’être une personne riche.

 

III.       Décision attaquée

 

[6]               En rejetant la demande d’asile, la SPR conclut que celle-ci n’a « aucun lien avec un des cinq motifs de la Convention et la crainte de la demanderesse, selon laquelle elle pourrait être la cible d’enlèvements (était) de l’ordre d’un risque généralisé » et non pas d’un risque auquel elle serait personnellement exposée.

 

IV.       Question en litige

 

[7]               La SPR commet-elle une erreur déraisonnable en concluant que la demanderesse ne se qualifie pas comme « personne à protéger » sous la Loi?

 

V.        Analyse

Norme de contrôle

[8]               Considérant que le présent litige soulève une question mixte de fait et de droit, la Cour appliquera à son analyse la norme de la décision raisonnable énoncée par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9), et ce, malgré les prétentions de la demanderesse à l’effet que la norme de contrôle applicable en l’espèce soit celle de la décision correcte.

 

Prétentions de la demanderesse

[9]               La demanderesse dit craindre l’enlèvement, le viol et la torture advenant son retour en Haïti en raison de la criminalité et de la violence généralisée qui règne dans son pays d’origine.

 

[10]           La demanderesse ne conteste pas la conclusion de la SPR à l’effet que sa crainte d’être ciblée par des criminels en raison de la perception qu’elle serait une personne riche ne satisfait pas les critères de la SPR.

 

[11]           Elle soutient par contre que le tribunal commet une erreur de droit en omettant de reconnaître comme groupe les femmes en Haïti pouvant être ciblées par des criminels en raison de leur sexe, groupe qui satisfait selon elle les critères d’un groupe social selon les termes de la Convention.

 

[12]           Essentiellement, les prétentions de la demanderesse reviennent à dire que toutes les femmes d’Haïti, incluant elle-même, feraient partie de ce groupe du seul fait d’être des victimes potentielles d’actes criminels propres à leur sexe, soit le viol.

 

Bien-fondé de la décision

[13]           La SPR a bien analysé et compris les prétentions de la demanderesse sur cet aspect de sa demande même si elle ne peut conclure qu’en l’espèce sa crainte de persécution résulte de son sexe. La SPR fonde essentiellement sa décision sur les observations suivantes:

a.       L’origine première de la crainte alléguée par la demanderesse « se trouve non pas dans le fait que la demanderesse soit une femme mais bien plutôt dans la situation d’insécurité qui règne en Haïti et qui repose sur une criminalité endémique sur tout le territoire ».

b.      De plus, la demanderesse ne craint pas une personne ou un groupe en particulier. Elle « ne connaît pas l’identité de ses agresseurs potentiels. Elle craint tous les criminels pouvant sévir en Haïti ».

c.       En Haïti « faire l’objet de délits criminels n’est pas de l’apanage exclusif des femmes ». Au contraire dans ce « pays où la criminalité est endémique … les femmes autant que les hommes sont susceptibles d’être victimes de criminalité ».

 

[14]           La violence crainte par la demanderesse résulte de l’activité criminelle généralisée ayant cours en Haïti et non pas d’un ciblage discriminatoire des femmes en particulier. Le préjudice craint est de nature criminelle sans aucun lien avec la définition de réfugié au sens de la Convention. Il faut distinguer le risque généralisé d’une situation dans un pays et le risque probable d’une personne en raison d’une situation qui lui est propre.

 

[15]           Lors de l’audition, la demanderesse a reconnu elle-même qu’en « Haïti, tout le monde a peur » et qu’on ne s’attaque pas plus particulièrement aux gens qui comme elle parte en voyage au Canada ou parce qu’elles sont femmes; la crainte d’enlèvement et de viol, convient-elle, est ressentie par tous les Haïtiens et Haïtiennes.

 

[16]           Le risque que la demanderesse allègue est un risque aléatoire auquel font face indistinctement de façon générale toutes les personnes vivant dans son pays; il ne vise pas la demanderesse de façon personnelle ou particulière. La situation à laquelle la demanderesse craint d’être exposée ne diffère pas de celle des autres personnes originaires de son pays; elle ne se qualifie donc pas comme une personne à protéger, selon ce que prévoit le sous alinéa 97(1)b)(ii) de la Loi.

 

[17]           La Cour après une analyse des faits mis en preuve et de la décision attaquée se doit de conclure que la SPR conclut correctement en décidant que la demanderesse ne s’est pas déchargée de son fardeau de démontrer qu’elle était dans la situation d’une personne à protéger selon les termes des articles 96 et 97 de la Loi. La décision de la SPR se mérite toute la déférence que cette Cour lui doit.

 

V.        Conclusion

 

[18]           La décision de la SPR est justifiée tant par les faits mis en preuve que le droit s’y rapportant; il s’agit donc d’une décision raisonnable qui ne justifie pas l’intervention de la Cour. La demande sera donc rejetée.

 

[19]           Aucune question importante de portée générale n’ayant été proposée, aucune question ne sera certifiée.


 

JUGEMENT

 

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

 

REJETTE la demande de contrôle judiciaire.

 

 

 

« Maurice E.Lagacé »

Juge suppléant


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-3470-08

 

INTITULÉ :                                       RUTH SOIMIN c. MCI

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 4 février 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LAGACÉ J.S.

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 4 mars 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

 

Stéphanie Valois

Montréal (Québec)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Suzanne Trudel

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Stéphanie Valois

Montréal (Québec)

POUR LA DEMANDERESSE

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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