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Date : 20090225

Dossier : IMM-2200-08

Référence : 2009 CF 200

Ottawa (Ontario), le 25 février 2009

En présence de monsieur le juge Barnes

 

 

ENTRE :

JAMES WAJARAS

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               M. James Wajaras sollicite en l’espèce l’annulation d’une décision de la Section de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) qui a conclu qu’il était interdit de territoire pour grande criminalité en application de l’alinéa 36(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR).

 

I.                   Le contexte

[2]               M. Wajaras est un citoyen du Soudan. En 1997, il est arrivé au Canada en provenance de l’Érythrée en tant que réfugié au sens de la Convention, et le statut de résident permanent lui a été accordé à cette époque. Le 10 septembre 2001, M. Wajaras a perpétré des voies de fait graves sur une femme qu’il connaissait. Plus tard cette année‑là, il a été accusé d’une infraction criminelle et, le 7 octobre 2005, il a été condamné à une peine de trois ans d’emprisonnement.

 

[3]               Le 18 novembre 2005, l’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC) a établi un rapport d’interdiction de territoire qu’elle a transmis au ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration en vertu du paragraphe 44(1) de la LIPR, dans lequel elle conseillait de déclarer M. Wajaras interdit de territoire au Canada en raison de sa déclaration de culpabilité. Par suite de ce rapport, l’affaire a été déférée à la Commission pour enquête en vertu du paragraphe 44(2) de la LIPR.

 

[4]               Le 6 avril 2006, l’ASFC a avisé M. Wajaras de son intention de le faire déclarer danger pour le public. Malgré le statut de réfugié de M. Wajaras, une telle déclaration aurait permis son retour au Soudan s’il avait également été déclaré interdit de territoire. Le 8 janvier 2008, le ministre a conclu que M. Wajaras ne constituait pas un danger pour le public. Par conséquent, M. Wajaras ne peut pas maintenant être renvoyé au Soudan, et ce, même s’il a été déclaré interdit de territoire et s’il fait l’objet de la mesure de renvoi qui en découle.

 

[5]               Le seul argument de fond présenté par M. Wajaras à la Commission était le suivant : constitue un abus de procédure le fait que le ministre sollicite une mesure de renvoi contre lui – ce qui aurait pour effet de lui faire perdre son statut de résident permanent – alors qu’il serait illégal d’exécuter la mesure de renvoi.

 

La décision de la Commission

[6]               La Commission a rejeté l’argument portant sur l’abus de procédure et a conclu que M. Wajaras était interdit de territoire. La Commission a affirmé que, en raison de cette conclusion, elle n’avait d’autre choix que d’ordonner l’expulsion de M. Wajaras du Canada. La Commission a examiné l’argument portant sur l’abus de procédure dans le passage suivant de sa décision orale :

Le ministre a été saisi de cette question et il a rendu une décision selon laquelle vous ne constituez pas un danger pour le public. Ainsi, même si nous prenions maintenant contre vous une mesure d’expulsion, cette mesure ne pourrait pas être exécutée, au motif que vous ne pouvez pas être renvoyé dans votre pays d’origine, car vous risqueriez d’y être persécuté. Selon votre conseil, la tenue de la présente audience équivaut à un abus de procédure. Pour lui – selon lui – le ministre demande la prise d’une mesure d’expulsion simplement pour que vous sentiez l’épée de Damoclès au-dessus de votre tête et que vous ayez une conduite impeccable ultérieurement [...] pour que vous marchiez droit et que votre conduite ne lui donne pas de motifs justifiant qu’il revienne sur sa décision et lui permettant de conclure que vous constituez un danger pour le [...] pour le public et qu’il y a lieu de vous renvoyer du Canada.

 

 

J’ai examiné cette possibilité avec soin et, je le dis humblement, je ne suis pas d’accord avec votre conseil. Je ne crois pas que nous soyons en présence de circonstances qui équivalent à un abus de procédure. Il me semble que, pour établir qu’il y a abus de procédure, il faudrait […] il faudrait prouver que le geste posé dénote une certaine animosité ou malice à votre égard, et je ne constate rien de tout cela en l’espèce.

 

Certes, si vous êtes frappé d’une mesure de renvoi, vous ne pourrez certes pas être renvoyé dans votre pays, votre ancien pays de citoyenneté, où vous risqueriez d’être persécuté. Cependant, vous pourriez être renvoyé dans un autre pays. Le ministre n’a peut-être pas trouvé un pays vers lequel vous renvoyer, mais cela ne signifie pas pour autant qu’il ne pourrait pas, ultérieurement, trouver un autre pays que votre pays de citoyenneté vers lequel vous renvoyer. C’est une possibilité réelle. Cela est quelque peu hypothétique, j’en conviens, mais pas plus que la tenue d’une audience dans le but de prendre une mesure d’expulsion contre vous, alors que vous ne pourriez pas être renvoyé vers votre pays de citoyenneté, ne constitue un abus de procédure.

 

II.        La question en litige

[7]               La Commission a‑t‑elle commis une erreur en rejetant l’argument portant sur l’abus de procédure présenté par le demandeur?

 

III.       Analyse

[8]               M. Matas a raison d’affirmer que la Commission a commis une erreur de droit en affirmant que la doctrine de l’abus de procédure exige que l’on fasse la preuve qu’il y a malice ou malveillance. Malgré cette erreur, la Cour doit tout de même déterminer si l’argument portant sur l’abus de procédure peut être retenu en l’espèce. À mon avis, cet argument ne peut pas être retenu, et l’erreur de la Commission ne porte donc aucunement à conséquence.

 

[9]               M. Wajaras soutient que le ministre était tenu de mettre fin à la procédure relative à l’interdiction de territoire une fois que le ministre avait conclu qu’il ne constituait pas un danger pour le public. Selon M. Wajaras, ne pas mettre fin à cette procédure constitue un abus de procédure parce que M. Wajaras se retrouve sans aucune forme reconnue de statut de résidence. Il est encore un réfugié, mais il n’est plus un résident permanent. Même si dorénavant il ne peut pas être renvoyé du Canada, il affirme faire face à de nombreux obstacles lorsqu’il essaie d’avoir accès aux services du gouvernement. Il ne peut pas travailler ou voyager à l’étranger sans une autorisation spéciale du ministre. Il est très peu probable qu’il pourra régulariser son statut au Canada ou obtenir la citoyenneté. En fait, il est dans une impasse d’un point de vue administratif, situation qui, selon M. Matas, est éthiquement contraire à l’objet de la LIPR. Il s’agit là du fondement de l’argument portant sur l’abus de procédure. Pour les besoins de la discussion, je suis prêt à examiner cette question et à choisir comme norme de contrôle la décision correcte.

 

[10]           Il convient tout d’abord de souligner qu’il n’y a aucune preuve selon laquelle la décision prise par le ministre, à savoir essayer de faire déclarer M. Wajaras interdit de territoire, était illégitimement motivée. La procédure a été régulièrement engagée peu de temps après que M. Wajaras a été déclaré coupable en octobre 2005 et elle s’est conclue avec la décision rendue le 30 avril 2008 par la Commission. Il n’y avait donc aucune preuve sur laquelle la Commission aurait pu se fonder pour remettre en question la motivation du ministre de solliciter la mesure d’expulsion contre M. Wajaras.

 

[11]           La jurisprudence révèle que, dans le cadre de la procédure portant sur la question de savoir si un résident permanent est interdit de territoire, ce n’est que lors de la préparation du rapport d’interdiction de territoire établi en vertu du paragraphe 44(1) de la LIPR ou que lorsque le ministre défère une affaire à la Section de l’immigration en vertu du paragraphe 44(2) de la LIPR qu’il existe quelque pouvoir discrétionnaire que ce soit qui permet l’examen des facteurs atténuants ou aggravants ou bien des motifs d’ordre humanitaire : voir Hernandez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 429, 271 F.T.R. 257. Malgré cela, je me demande s’il existe un pouvoir discrétionnaire quelconque, à la lumière des commentaires de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Cha c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CAF 126, [2007] 1 R.C.F. 409. Cependant, de toute façon, dès que la Section de l’immigration est saisie de l’affaire, la seule question qu’elle doit trancher est de savoir si la personne est interdite de territoire pour grande criminalité. L’enquête de la Section de l’immigration n’est pas l’occasion d’effectuer un examen des motifs d’ordre humanitaire ou d’examiner l’équité ou bien la proportionnalité des conséquences qui découlent de la mesure d’expulsion. Ces conséquences résultent inévitablement de l’application de la loi, et la Section de l’immigration n’a aucun pouvoir discrétionnaire de les atténuer. Dans l’examen approfondi de ces mêmes dispositions de la LIPR dans la décision Hernandez, précitée, la juge Judith Snider a tenu le même raisonnement au paragraphe 47 :

47    Cependant, la Section de l'immigration effectuant l'enquête prévue au paragraphe 44(2) en matière de grande criminalité ne dispose pas de beaucoup d'options. L'alinéa 45d) énonce qu'elle prend « la mesure de renvoi applicable contre [...] le résident permanent sur preuve qu'il est interdit de territoire ». Comme nous l'avons déjà signalé, le demandeur est interdit de territoire par application du paragraphe 36(1) de la LIPR; aucune autre conclusion n'est possible. Lorsqu'il y a renvoi pour enquête devant la Section de l'immigration en vertu du paragraphe 44(2), je ne vois que la mesure de renvoi comme issue. Et les personnes dans la situation du demandeur n'ont plus droit d'appel devant la SAI. Par conséquent, le pouvoir d'empêcher le renvoi du demandeur reposait entre les mains de l'agent d'immigration et du représentant du ministre. Ce n'est que si l'un ou l'autre de ces fonctionnaires avait décidé de ne pas poursuivre le dossier que le demandeur aurait pu éviter la prise de la mesure de renvoi sous le régime du paragraphe 45d).

 

 

[12]           En outre, rien ne permet de faire une distinction entre la présente affaire et les décisions Kalombo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 460, 231 F.T.R. 267, ou Argueles c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1477, [2004] A.C.F. no 1777. L’affaire Kalombo portait sur une situation semblable, où un résident permanent avait été déclaré interdit de territoire pour grande criminalité. Malgré qu’aucun avis de danger n’avait été sollicité, le demandeur ne pouvait pas être expulsé, en raison d’un moratoire sur les renvois vers la République démocratique du Congo. Le demandeur soutenait que la conduite du ministre, qui avait sollicité une mesure de renvoi, était motivée par un objectif illégal ou irrégulier. Il s’agit essentiellement du même argument présenté en l’espèce par M. Wajaras. Cet argument a été rejeté par le juge Luc Martineau, qui a conclu que la mesure de renvoi découlait de l’application de la loi suivant l’établissement d’un certain degré de criminalité. On peut au moins inférer implicitement de cette conclusion qu’il n’était pas loisible à la Commission de se pencher sur les raisons ou les motifs pour lesquels elle avait été saisie de l’affaire.

 

[13]           La décision Kalombo a été suivie dans la décision Argueles où la Cour a convenu que la validité d’une mesure de renvoi n’est pas subordonnée à son caractère exécutoire (voir le paragraphe 23). De façon semblable, la validité de la mesure de renvoi prise contre M. Wajaras n’est pas subordonnée à la question de savoir si la mesure pourra un jour être exécutée. En plaidant que le ministre aurait dû mettre fin à la procédure relative à l’interdiction de territoire dès qu’il avait conclu que M. Wajaras ne constituait pas un danger pour le public au Canada, M. Wajaras tente en fait de lier les deux questions. Il n’existe aucun fondement juridique pour un tel argument et la Commission était justifiée de le rejeter.

 

[14]           La réponse courte à la plainte de M. Wajaras est qu’il a été l’artisan de son propre malheur. La LIPR prévoit des conséquences pour les résidents permanents qui sont déclarés coupables de grande criminalité. N’eût été le principe de non‑refoulement reconnu par le Canada, M. Wajaras aurait été expulsé en raison du crime qu’il avait commis. Les conséquences auxquelles doivent faire face les personnes qui ont abusé du privilège de pouvoir résider au Canada ne constituent pas un secret. Elles sont, en fait, prévues par la loi et, par conséquent, leur application dans une affaire comme l’espèce ne peut pas constituer un abus de procédure. M. Wajaras n’est pas victime du manque de considération d’une bureaucratie insensible. Il est plutôt le seul responsable de la situation dans laquelle il se retrouve maintenant. Cependant, M. Wajaras n’est pas nécessairement dépourvu de tout recours. Si des décisions administratives vont illégalement à l’encontre de ses intérêts, notamment quant à la possibilité de travailler, M. Wajaras a le droit de solliciter une réparation auprès d’un tribunal. S’il ne commet aucune infraction, accroît son degré d’établissement au Canada et continue d’apporter une contribution sociale et économique positive, il pourra alors un jour présenter une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire en vertu de l’article 25 de la LIPR : voir Hernandez, précitée, paragraphe 59.

 

[15]           Je ne crois pas non plus qu’un argument portant sur l’abus de procédure puisse reposer sur une sélection intéressée des objectifs de la LIPR. La LIPR a de nombreux objectifs, notamment et non le moindre, la protection de la population canadienne par l’imposition de conséquences aux quelques immigrants qui commentent des crimes.

 

IV.       Conclusion

[16]           Je ne peux trouver aucune erreur dans la décision de la Commission, et la présente demande sera donc rejetée.

 

[17]           M. Matas a fait savoir qu’il souhaitait rédiger une question certifiée. Même s’il m’a fait part de quelques idées à ce sujet, je lui accorde 7 jours supplémentaires pour rédiger toute question qu’il croit être conforme aux présents motifs. Si M. Matas présente une question certifiée, j’accorderai 7 jours supplémentaires au défendeur pour qu’il puisse y répondre.

JUGEMENT

 

            LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. 

 

 

« R. L. Barnes »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jean-François Martin, LL.B., M.A.Trad.jur.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-2200-08

 

INTITULÉ :                                                   Wajaras

                                                                        c.

                                                                        MCI

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Winnipeg (Manitoba)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 12 janvier 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          Le juge Barnes

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 25 février 2009

 

 

COMPARUTIONS :

 

David Matas

204-944-1831

Télécopieur : 204-942-1494

 

POUR LE DEMANDEUR

Nalini Reddy

204-983-3860

Télécopieur : 204-984-8495

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

David Matas

Avocat

Winnipeg (Manitoba)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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