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Date : 20090224

Dossier : IMM‑3547‑08

Référence : 2009 CF 191

Ottawa (Ontario), le 24 février 2009

En présence de monsieur le juge Zinn

 

 

ENTRE :

 

BABLO TUSHAR,

ISRATH JAHAN, LAVINA JAHAN

 

demandeurs

et

 

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire visant un examen des risques avant renvoi (ERAR) portant que les demandeurs ne seraient pas exposés à un risque de persécution, de torture ou de peines cruelles et inusitées s’ils retournaient au Bangladesh, leur pays d’origine. Pour les motifs qui vont suivre, je conclus que la décision de l’agente d’ERAR était raisonnable. La Cour rejette donc la demande de contrôle judiciaire des demandeurs.

 

Contexte

[2]               Les demandeurs sont des ressortissants du Bangladesh. Bablo Tushar est le demandeur principal. Les autres demandeurs sont son épouse, Ishrat Jahan, ainsi que leur fille Lavina Jahan, âgée de dix‑neuf ans. La famille a quitté le Bangladesh et est arrivée aux États‑Unis d’Amérique le 10 août 2003. Les demandeurs sont entrés au Canada le 1er octobre 2003 et ils y ont demandé l’asile. Ils ont soutenu que le Parti national du Bangladesh (PNB), prenait pour cible et menaçait M. Tushar en raison de ses activités politiques au sein de la Ligue Awami (la Ligue). Le 7 décembre 2004, la Section de la protection des réfugiés a rejeté les demandes d’asile des demandeurs pour manque de crédibilité et insuffisance de preuve. Une demande d’autorisation en vue du contrôle judiciaire de cette décision a été rejetée.

 

[3]               En juin 2005, les demandeurs ont soumis une demande en vue d’être dispensés, pour des considérations humanitaires, de l’obligation prévue par la loi de présenter à l’étranger leur demande de résidence permanente (demande CH). Le 3 février 2006, ils ont présenté des demandes d’ERAR. La demande CH a été rejetée par décision datée du 12 juin 2008, et la demande d’ERAR a été rejetée quatre jours plus tard par la même agente.

 

[4]               Le 30 juillet 2008, l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) a informé les demandeurs que la date de leur renvoi vers les États‑Unis était fixée au 21 août 2008. L’ASFC a par la suite reporté le renvoi au 18 septembre 2008, pour permettre à Israth Jahan de se présenter à un rendez‑vous chez le médecin lié à sa grossesse. Puis malgré que M. Tushar ait volontairement acheté des billets d’avion pour un vol le 19 septembre à destination du Bangladesh (plutôt que des États‑Unis), la Cour, à la demande des demandeurs, a consenti à suspendre l’exécution de la mesure de renvoi dont ils faisaient l’objet en attendant que soit tranchée la présente demande de contrôle judiciaire.

 

[5]               L’examen des risques contesté est consigné dans un document de six pages, où l’agente a décrit le risque allégué par les demandeurs. Bien qu’il s’agisse du même risque que celui précédemment allégué au soutien de la demande d’asile rejetée des demandeurs, ces derniers ont présenté de nouveaux éléments de preuve dans le cadre de l’ERAR. L’agente a jugé que certains des nouveaux éléments de preuve auraient pu être présentés en 2004, à la SPR dans le cadre de la demande d’asile, de sorte qu’elle a refusé de les prendre en compte.

 

[6]               L’agente a reconnu peu de valeur probante à des lettres provenant du président et du secrétaire général de la Ligue à Dacca ainsi que d’un ancien parlementaire, également de la Ligue, au motif que les assertions de leurs auteurs selon lesquelles les autorités gouvernementales ou les partisans du PNB risquaient de causer du tort au demandeur avaient un caractère hypothétique et n’étaient corroborées par aucune preuve objective. L’agente a en outre relevé qu’aucun des auteurs de lettres n’avait révélé avoir lui‑même fait l’objet dans le passé de harcèlement ou de persécution en raison de ses propres activités politiques.

 

[7]               Faisant allusion à une lettre de l’avocat bangladais du demandeur laissant entendre que ce dernier était une personne recherchée et que le PNB au pouvoir s’autorisait de la Special Powers Act de 1974 pour placer les opposants politiques en détention indéterminée, l’agente d’ERAR a signalé que, selon la documentation de la CISR, pareilles assertions relatives à cette loi sont habituellement dénuées de crédibilité et faciles à obtenir. L’agente en a conclu que la lettre de l’avocat n’avait qu’une faible valeur probante. L’agente a de même accordé peu de poids à un article paru en 2006 dans un journal, le Daily Sabuj Desh, qui mentionnait nommément le demandeur et rapportait que ce dernier avait été victime de harcèlement après les élections de 2001. L’agente a fait remarquer à cet égard que, selon un rapport de la Banque mondiale cité en référence dans la documentation de la CISR, il était très vraisemblable que des journalistes bangladais demandent ou acceptent de l’argent pour rapporter des nouvelles, et que l’article en cause ne faisait état d’aucun nouvel élément dans la situation du demandeur dont il aurait été justifié de faire rapport.

 

[8]               Dans ses motifs, l’agente a ensuite pris en considération des rapports de diverses sources (Home Office du R.‑U., BBC, Département d’État des É.‑U.) sur la situation générale dans le pays pour conclure que, même s’il y avait une preuve quant à la persistance de la violence politique au Bangladesh et à la prise pour cible de personnalités en vue, le demandeur principal n’avait présenté aucune preuve montrant qu’il était lui‑même une éminente personnalité politique ou que son profil faisait de lui une personne d’intérêt pour les autorités. Il n’y avait aucune preuve, d’ailleurs, de la moindre participation du demandeur aux activités d’un parti au Bangladesh depuis fort longtemps.

 

[9]               L’agente a conclu, pour ces motifs, que les demandeurs n’avaient pas démontré qu’il y avait « plus qu’une simple possibilité » qu’ils seraient persécutés s’ils devaient retourner au Bangladesh, et qu’il n’y avait pas de motifs importants ou raisonnables de croire que les demandeurs y seraient exposés à un risque de torture ou de traitements ou peines cruels et inusités, ou encore à une menace à leur vie.

 

Questions en litige

[10]           Les demandeurs font valoir les deux questions qui suivent comme motifs d’annulation de la décision de l’agente.

a.                La question de savoir si l’agente a commis une erreur en exigeant qu’une preuve corrobore les déclarations non contredites figurant dans les lettres du président et du secrétaire général de la Ligue à Dacca, ainsi que dans la lettre d’un ancien parlementaire.

b.                La question de savoir si l’agente a commis une erreur en tirant des conclusions ne reposant pas sur la preuve, parce qu’elle s’est appuyée de manière sélective sur le document de la CISR traitant de la Special Powers Act, et qu’elle n’a pas compris que l’avocat bangladais avait dit que M. Tushar se retrouvait sur une liste de suspects en raison d’abus liés non pas à la Special Powers Act, mais plutôt au Criminal Procedure Code.

 

Analyse

            Exigence d’une preuve corroborante

[11]           Dans chacune des trois lettres provenant du Bangladesh soumises par le demandeur, on a conclu que si le demandeur retournait au Bangladesh il y serait arrêté et menacé soit par les autorités gouvernementales, soit par les partisans du PNB. Selon les demandeurs, comme l’agente d’ERAR n’a pas conclu que ces lettres n’étaient pas authentiques, la preuve qui y figure n’a pas été contredite. Les demandeurs soutiennent que l’agente a commis une erreur en exigeant d’eux que des éléments de preuve corroborent cette preuve, et qu’elle leur a de la sorte imposé une norme de preuve plus sévère que celle requise. Les demandeurs prétendent, subsidiairement, que si une preuve corroborante était effectivement requise, celle‑ci se trouvait au dossier dont l’agente était saisie, mais que cette dernière n’en a pas tenu compte.

 

[12]           Le défendeur soutient pour sa part qu’il était raisonnable pour l’agente de conclure que les lettres attestant le risque couru par M. Tushar n’avaient guère de valeur probante. Il ajoute que l’agente n’a pu conclure, malgré la preuve présentée de violations des droits de la personne par les autorités gouvernementales au Bangladesh, que M. Tushar était personnellement exposé à un risque.

 

[13]           Après avoir examiné les commentaires de l’agente relatifs à la preuve corroborante, en tenant compte de la décision dans son ensemble, je ne suis pas convaincu qu’elle a appliqué un critère erroné, ni qu’elle a imposé un fardeau trop lourd aux demandeurs ou quant à la preuve produite par eux.

 

[14]           Dans sa décision, l’agente a commencé par relever que la demande d’asile avait été rejetée pour manque de crédibilité. Elle a noté que la SPR avait également conclu que M. Tushar n’avait pas un profil pouvant faire de lui une personne d’intérêt pour le PNB ou ses partisans. Ce qu’on a opposé à cette conclusion tirée par la SPR dans une décision à l’égard de laquelle la Cour a rejeté une demande d’autorisation en vue du contrôle judiciaire, c’est la preuve figurant dans trois lettres. L’agente a souligné à cet égard que les auteurs des lettres avaient déclaré avoir appris [traduction] « de diverses sources fiables » que la police recherchait M. Tushar en vue de son arrestation. L’agente s’est alors demandé [traduction] « quelle preuve v[enait] étayer cette assertion », et elle a conclu qu’il n’y en avait aucune. L’agente a également pris en compte l’absence de preuve quant au fait que les auteurs des lettres, bien qu’ils aient joué des rôles plus importants que M. Tushar au sein de la Ligue, auraient eux‑mêmes été la cible de harcèlement, d’intimidation ou de menaces. L’agente en est venue à la conclusion que les assertions des auteurs des lettres quant aux risques courus par M. Tushar avaient un caractère hypothétique, et qu’il fallait ne leur reconnaître qu’une faible valeur probante.

 

[15]           À mon avis, l’analyse de ces éléments de preuve par l’agente était raisonnable, compte tenu du reste de la preuve, et ne doit pas être écartée pour les motifs invoqués par les demandeurs. Étant donné que le rejet antérieur de la demande d’asile constituait en fait un rejet de l’assertion des demandeurs selon laquelle la vie de M. Tushar était en danger en raison de sa participation aux activités de la Ligue, on ne peut considérer que l’agente a commis une erreur, le même risque étant allégué en l’espèce, en exigeant une preuve claire et convaincante du risque couru en cas de retour au Bangladesh. Des lettres de personnes jouant des rôles plus importants que le demandeur principal au sein de la Ligue ne constituent pas, en l’absence de preuve qu’ils aient eux‑mêmes été pris pour cible, une preuve claire et convaincante.

 

[16]           Les demandeurs ont désigné, parmi la preuve figurant au dossier certifié du tribunal, des éléments qui corroboraient selon eux la preuve émanant des lettres. Ces éléments ne corroborent toutefois pas, en fait, les allégations fondamentales formulées, allégations voulant que les autorités gouvernementales seraient à la recherche de M. Tushar en vue de l’arrêter et de le détenir et que les hommes de main du PNB voudraient également mettre la main sur lui. Ces éléments corroborent plutôt des faits comme le recours à la Special Powers Act et l’arrestation sans mandat de personnes au Bangladesh. En l’absence de preuve que M. Tushar constitue bel et bien une cible, il ne peut être conclu qu’il courrait un plus grand risque, advenant son retour, que tout autre citoyen du Bangladesh. Il n’y avait donc pas matière suffisante pour conclure que M. Tushar et sa famille seraient exposés à un risque s’ils étaient renvoyés dans leur pays d’origine.

 

Omission de prendre en compte la preuve concernant la Special Powers Act

[17]           Les demandeurs ont produit une lettre dans laquelle un avocat bangladais donnait des précisions sur le recours à mauvais escient par les responsables du PNB à la Special Powers Act, et déclarait que le nom de M. Tushar figurait sur une liste d’activistes politiques qui pourraient être arrêtés par la police par recours abusif à l’article 54 du Code of Criminal Procedure, puis être détenus pour une période indéterminée sous le régime de la Special Powers Act. L’agente a conclu que cette lettre [traduction] « a[vait] une faible valeur probante et [était] de nature intéressée ». Elle a particulièrement cité à cet égard le passage suivant de la Réponse aux demandes d’information BDG101313.EF : « [Les] lettres signées par des avocats […] affirmant qu’une personne est recherchée en vertu de la SPA [la Special Powers Act] ne sont pas crédibles si elles ne mentionnent pas le numéro de dossier du tribunal, le numéro de dossier de la police et le numéro du mandat d’arrestation […] »

 

[18]           Les demandeurs soulignent à juste titre que leur avocat bangladais n’a pas affirmé que M. Tushar était recherché sous le régime de la Special Powers Act. Cela, affirment‑ils, explique l’absence de tout numéro de dossier ou de mandat d’arrestation. Toutefois, les motifs pour lesquels l’agente n’a reconnu qu’une faible valeur probante à la lettre n’ont rien à voir avec l’absence de numéro de dossier ou de mandat d’arrestation. Si l’agente a fait peu de cas des affirmations de l’avocat bangladais c’est plutôt parce qu’elles n’étaient corroborées par aucune preuve.

 

[19]           Premièrement, l’avocat a écrit qu’il s’était rendu à divers postes de police et tribunaux, sans y trouver la moindre trace d’une plainte portée contre M. Tushar, [traduction] « un agent au poste de police local [l’ayant] toutefois informé que [son] nom figur[ait] sur une liste d’activistes politiques de l’opposition » et que les personnes inscrites sur cette liste seraient arrêtées. Cette déclaration méritait à juste titre de ne se voir reconnaître qu’une faible voire aucune valeur probante, compte tenu du fait que les auteurs des trois autres lettres, tous des activistes politiques au rôle plus important que M. Tushar, n’avaient jamais été arrêtés. Deuxièmement, l’avocat a également écrit que sa source de renseignements quant au fait que M. Tushar était recherché par des partisans du PNB, c’était des membres de la famille de M. Tushar. Mis à part le fait que l’élément de preuve émanait de parties intéressées, l’agente a fait remarquer que l’avocat n’avait pas précisé dans sa lettre comment ces membres de la famille de M. Tushar avaient eux‑mêmes obtenu leurs renseignements. Compte tenu de toutes ces circonstances, on ne peut dire qu’était déraisonnable la décision de l’agente de ne reconnaître qu’une faible valeur probante à la lettre de l’avocat.

 

[20]           Par conséquent et pour les motifs ici énoncés, il y a lieu de rejeter la présente demande. Ni l’une ni l’autre partie n’a proposé de question à certifier.

 


 

JUGEMENT

LA COUR STATUE :

1.                  La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.                  Aucune question n’est certifiée.

 

« Russel W. Zinn »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM‑3547‑08

 

INTITULÉ :                                       BABLO TUSHAR ET AL. c.

                                                            LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

                                                            ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 16 février 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge Zinn

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       Le 24 février 2009

 

 

COMPARUTIONS :

 

Rezaur Rahman

POUR LES DEMANDEURS

 

 

Talitha A. Nabbali

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Rezaur Rahman

Avocat

Ottawa (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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