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Date : 20090223

Dossier : IMM‑2619‑08

Référence : 2009 CF 189

Ottawa (Ontario), le 23 février 2009

En présence de monsieur le juge Beaudry

 

 

ENTRE :

JOYTIKA DAS

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande, présentée en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), visant la décision du 21 mars 2008 par laquelle l’agente S. Pelletier (l’agente), du service des visas de l’ambassade du Canada à Singapour, a statué que Joytika Das (la demanderesse) ne possédait pas les qualités requises pour qu’on la considère comme une parente.

 

[2]               L’agente a statué que le mariage de la demanderesse avec son époux, Picklu Das, n’était pas authentique ou visait principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège aux termes de la Loi, conformément à l’article 4 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 (le Règlement) (dossier du tribunal, à la page 10).

 

Question en litige

[3]               L’agente a‑t‑elle commis une erreur en concluant que le mariage de la demanderesse avec M. Picklu Das n’était pas authentique et visait principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège au sens de l’article 4 du Règlement?

 

[4]               Pour les motifs qui vont suivre, la présente demande de contrôle judiciaire sera accueillie.

 

Contexte

[5]               La demanderesse est une citoyenne du Bangladesh et elle et son époux sont membres de la minorité hindoue de ce pays.

 

[6]               En septembre 2000, Picklu Das, l’époux de la demanderesse, est arrivé au Canada en provenance du Bangladesh et il y a demandé l’asile à titre de réfugié au sens de la Convention. Dès son arrivée, il a affirmé qu’il avait au Bangladesh une épouse portant le même nom et ayant la même date de naissance que la demanderesse. Il a précisé que son épouse et lui s’étaient mariés le 24 mars 1996, soit plus de quatre ans avant son arrivée au Canada (dossier du demandeur, à la page 13, et dossier du tribunal, à la page 28).

 

[7]               En 2006, l’époux de la demanderesse s’est vu reconnaître la qualité de personne à protéger à l’issue d’un examen des risques avant renvoi lié à son renvoi prévu vers le Bangladesh. Il a ensuite présenté une demande de résidence permanente au Canada, en y incluant son épouse à titre de parente.

 

[8]               On a convoqué la demanderesse à une entrevue, fixée au 28 novembre 2007 au Haut‑commissariat du Canada à Dacca, au Bangladesh.

 

[9]               L’agente des visas a fait passer l’entrevue avec l’assistance d’un interprète. Pendant l’entrevue, qui a duré 45 minutes, l’agente a examiné les documents présentés par la demanderesse.

 

[10]           Avant l’entrevue, l’agente a découvert que la demanderesse avait soumis en 2003 une demande de visa de résidence temporaire. Dans cette demande, la demanderesse avait déclaré qu’elle était mariée à un homme d’affaires et qu’elle souhaitait rendre visite à son frère et à sa belle‑sœur au Canada, parce que cette dernière était enceinte et avait besoin de son aide. Elle n’avait pas déclaré que son époux, avec lequel elle aurait été mariée depuis 1996, se trouvait alors au Canada et que la demande d’asile de celui‑ci y était à l’étude. La demande de la demanderesse a été rejetée parce que la demanderesse n’avait présenté aucun document se rapportant à son époux.

 

Décision à l’étude

[11]           L’agente a rejeté la demande de la demanderesse en se fondant sur les documents et les réponses fournies par celle‑ci à l’entrevue. L’agente a conclu que la relation évoquée n’était pas authentique ou visait principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège aux termes de la Loi.

 

[12]           La demanderesse n’a pas convaincu l’agente pendant l’entrevue qu’il y avait entre elle et M. Picklu Das une relation authentique pour les diverses raisons qui vont suivre.

a)         La demanderesse n’a pas présenté une preuve convaincante de communication. Les deux factures téléphoniques et les quelques courriels produits n’ont pas convaincu l’agente de l’existence d’une relation maritale entre la demanderesse et M. Das.

b)         La demanderesse n’a présenté aucune preuve crédible concernant le mariage prétendu.

c)         Certaines sommes d’argent avaient été versées dans le compte de banque de la demanderesse, mais celle‑ci n’a présenté aucune preuve quant à leur provenance. Deux reçus de virements de fonds seulement ont été soumis, ce qui n’a pas convaincu l’agente que M. Das subvenait aux besoins financiers de la demanderesse.

d)         Le mariage a été enregistré après le départ de M. Picklu Das pour le Canada. La demanderesse n’a présenté aucune preuve crédible montrant que le mariage avait été contracté avant ce départ, si ce n’est un certificat de mariage intéressé sans document à l’appui.

e)         La demanderesse n’a pas mentionné son époux dans sa demande de visa de résidence temporaire soumise en mars 2003, et elle a maintenu à l’entrevue qu’elle allait rendre visite à son beau‑frère. La demanderesse a continué à faire de nombreuses fausses déclarations à l’entrevue lorsqu’on l’a interrogée relativement à sa demande de visa de résidence temporaire. L’agente n’a pas jugé crédible les explications données par la demanderesse sur cette question.

f)          M. Picklu Das est au Canada depuis l’an 2000. Cela fait donc sept ans; or aucun document ne vient étayer l’existence de la relation, ce qui mine la crédibilité de la demanderesse et n’est pas cohérent avec l’existence d’une relation maritale authentique.

g)         La demanderesse a semblé ne pas bien connaître son prétendu époux. Elle ne savait pas, par exemple, où travaillait M. Picklu. Cela est très inhabituel lorsqu’il y a entre deux personnes une relation maritale.

 

Dispositions législatives pertinentes

[13]           Selon l’article 4 du Règlement, l’étranger n’est pas considéré comme étant l’époux d’une personne si le mariage n’est pas authentique et vise principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège aux termes de la Loi.

4.  Pour l’application du présent règlement, l’étranger n’est pas considéré comme étant l’époux, le conjoint de fait, le partenaire conjugal ou l’enfant adoptif d’une personne si le mariage, la relation des conjoints de fait ou des partenaires conjugaux ou l’adoption n’est pas authentique et vise principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège aux termes de la Loi.

4.  For the purposes of these Regulations, a foreign national shall not be considered a spouse, a common‑law partner, a conjugal partner or an adopted child of a person if the marriage, common‑law partnership, conjugal partnership or adoption is not genuine and was entered into primarily for the purpose of acquiring any status or privilege under the Act.

 

 

[14]           Le paragraphe 12(3) de la Loi traite pour sa part de la sélection comme résidents permanents des personnes ayant qualité de réfugiés.

12. (3) La sélection de l’étranger, qu’il soit au Canada ou non, s’effectue, conformément à la tradition humanitaire du Canada à l’égard des personnes déplacées ou persécutées, selon qu’il a la qualité, au titre de la présente loi, de réfugié ou de personne en situation semblable.

 

12. (3) A foreign national, inside or outside Canada, may be selected as a person who under this Act is a Convention refugee or as a person in similar circumstances, taking into account Canada’s humanitarian tradition with respect to the displaced and the persecuted.

 

Norme de contrôle judiciaire

[15]           La détermination de l’authenticité du mariage est une question mixte de fait et de droit puisqu’il s’agit d’une application des faits aux exigences du Règlement. La norme de contrôle applicable est donc la décision raisonnable simpliciter (Nadon c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 59, 158 A.C.W.S. (3d) 470; Mohamed c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 696, 296 F.T.R. 73, au paragraphe 39).

 

[16]           Dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, au paragraphe 51, la Cour suprême a déclaré ce qui suit :

[…] [E]n présence d’une question touchant aux faits, au pouvoir discrétionnaire ou à la politique, et lorsque le droit et les faits ne peuvent être aisément dissociés, la norme de la raisonnabilité s’applique généralement.  De nombreuses questions de droit commandent l’application de la norme de la décision correcte, mais certaines d’entre elles sont assujetties à la norme plus déférente de la raisonnabilité.

 

[17]           Les questions de droit sont assujetties à la norme de la décision correcte.

 

Analyse

[18]           L’article 4 du Règlement énonce le critère à deux volets en fonction duquel on considérera qu’un demandeur n’est pas un époux :

1.         le mariage n’est pas authentique, et

2.         le mariage vise principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège aux termes de la Loi.

 

[19]           L’emploi du mot « et » au paragraphe 4 du Règlement fait voir que, pour que la disposition s’applique, les deux conditions doivent être réunies; l’appelant débouté n’a toutefois qu’à démontrer qu’une des conditions n’a pas été satisfaite pour échapper à l’exclusion prévue.

 

[20]           En l’espèce, l’agente a statué dans sa décision que le mariage de la demanderesse n’était pas authentique ou visait principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège aux termes de la Loi (dossier du tribunal, aux pages 10 et 11). Le défendeur concède que la lettre du 31 mars 2008 transmise à la demanderesse était entachée d’une erreur du fait qu’on y disait [traduction] « […] si le mariage n’est pas authentique ou […] » plutôt que [traduction] « […] si le mariage n’est pas authentique et […] ». Selon le défendeur, la Cour devrait prendre connaissance de la page 7 du dossier du tribunal qui indique ce qui suit : [traduction] « […] Je suis convaincue que cette relation n’est pas authentique pour les motifs qui vont suivre et qu’elle vise à faciliter l’immigration de [Mme Das] au Canada […] ». L’agente a donc appliqué le critère approprié, et l’effet de l’énonciation incorrecte du critère peut être annulé si celui‑ci, comme en l’espèce, est appliqué comme il convient (Kadiosha c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2000), 194 F.T.R. 153 (C.F.)).

 

[21]           J’ai lu les notes du Système de traitement informatisé des dossiers d’immigration (STIDI) et je n’y ai relevé aucune analyse ni aucun raisonnement permettant de conclure que le mariage visait principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège aux termes de la Loi. Par conséquent, je suis d’avis que l’agente a commis une erreur susceptible de contrôle en n’analysant pas les éléments pertinents au regard du critère énoncé à l’article 4 du Règlement (Ouk c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 891, [2007] A.C.F. n° 1157 (QL)).

 


 

JUGEMENT

LA COUR ORDONNE :

1.         La demande de contrôle judiciaire est accueillie. L’affaire est renvoyée à un agent nouvellement désigné pour qu’il statue à nouveau sur celle‑ci.

 

 

 

« Michel Beaudry »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                       IMM‑2619‑08

 

INTITULÉ :                                      JOYTIKA DAS

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :              Le 12 février 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                             Le juge Beaudry

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                      Le 23 février 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

David Chalk                                                                             POUR LA DEMANDERESSE

 

Zoé Richard                                                                             POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

David Chalk                                                                             POUR LA DEMANDERESSE

Montréal (Québec)

 

John H. Sims, c.r.                                                                     POUR LE DÉFENDEUR

Sous‑procureur général du Canada

Montréal (Québec)

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