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Federal Court

 

Cour fédérale

 


Date : 20090225

Dossiers : T-372-07

T-991-07

T-1395-07

 

Référence : 2009 CF 146

 

 

Dossier : T‑372‑07

 

ENTRE :

 

LUNDBECK CANADA INC.

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA SANTÉ ET

GENPHARM ULC

défendeurs

et

 

H. LUNDBECK A/S

défenderesse/brevetée

 

 

Dossier : T‑991‑07

 

ET ENTRE :

 

LUNDBECK CANADA INC.

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA SANTÉ ET

APOTEX INC.

défendeurs

et

 

H. LUNDBECK A/S

défenderesse/brevetée


Dossier : T‑1395‑07

 

ET ENTRE :

 

LUNDBECK CANADA INC.

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA SANTÉ ET

COBALT PHARMACEUTICALS INC.

défendeurs

et

 

H. LUNDBECK A/S

défenderesse/brevetée

 

 

VERSION PUBLIQUE DES MOTIFS DES ORDONNANCES

(Identique aux motifs confidentiels des ordonnances rendues le 12 février 2009)

 

LE JUGE HARRINGTON

[1]               Ces trois demandes concernent deux mots dont l’utilisation est inusitée : énantiomère et mélange racémique. Le brevet en litige concerne le citalopram (+), qui est un énantiomère du citalopram. Le citalopram, objet d’un brevet expiré depuis des années, est un composé racémique contenant le citalopram (+) et le citalopram (‑) en quantité égale. Ce composé s’est révélé utile comme antidépresseur. Lundbeck prétend que le citalopram(+), qui est connu comme étant l’escitalopram, joue aussi un rôle utile comme antidépresseur.

 

[2]               Les demandes visent l’obtention d’une ordonnance interdisant au ministre d’autoriser Genpharm, Apotex et Cobalt (ci‑après les défenderesses) à fabriquer et à vendre leurs versions génériques de l’escitalopram jusqu’à ce que le brevet expire en 2014, le tout en vertu du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité).

 

[3]               L’escitalopram est visé par le brevet canadien numéro 1,339,452 qui a fait l’objet d’une demande en juin 1989 sur le fondement d’une date de priorité britannique fixée au mois de juin 1988. Ce brevet a été délivré en 1997 et il expire en 2014. C’est la Loi sur les brevets dans sa version en vigueur immédiatement avant le 1er octobre 1989 qui s’applique. Le brevet est détenu par H. Lundbeck A/S du Danemark. L’escitalopram est vendu au Canada par sa filiale canadienne, Lundbeck Canada Inc., en vertu d’un avis de conformité obtenu de Santé Canada. Lundbeck Canada Inc. a aussi réussi à faire inscrire le brevet au registre tenu par le ministre en vertu du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité). « Lundbeck » s’entend ci‑après de la société danoise ou de la société canadienne, selon ce qu’exige le contexte.

 

[4]               À moins que les obstacles incorporés au Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) ne soient surmontés, le ministre est privé du pouvoir de permettre aux défenderesses de mettre en marché leurs versions génériques de l’escitalopram jusqu’à ce que le brevet expire. Ce règlement a donné lieu à de nombreux litiges, et il n’est pas nécessaire de l’analyser en détail ici. Voir les arrêts de la Cour suprême dans Merck Frosst Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien‑être social), [1998] 2 R.C.S. 193, 80 C.P.R. (3d) 368; Bristol‑Myers Squibb Co. c. Canada (Procureur général), 2005 CSC 26, 39 C.P.R. (4th) 449, aux paragraphes 5‑24 (Biolyse), et Apotex Inc. c. Sanofi‑Synthelabo Canada Inc., 2008 CSC 61, 69 C.P.R. (4th) 251, aux paragraphes 7 et 12‑17, ainsi que la décision du juge Hughes dans Ferring Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), 2007 CF 300, 55 C.P.R. (4th) 271.

 

[5]               Non contentes d’attendre l’expiration du brevet, chacune des trois défenderesses a signifié à Lundbeck un « avis d’allégation », affirmant essentiellement dans chacun des cas que le brevet 452 est invalide. Lundbeck a réagi en déposant ces trois demandes d’ordonnance d’interdiction. À titre de demanderesse, Lundbeck a le fardeau général de persuader la Cour que les fondements factuel et juridique des allégations ne sont pas justifiés. Cependant, puisque seule l’invalidité est en litige, je dois tenir compte de la présomption simple de droit selon laquelle le brevet est valide. Cette présomption est faible, mais elle oblige les défendeurs à produire à tout le moins suffisamment d’éléments de preuve pour « mettre en jeu » la validité. (Abbott Laboratories c. Canada (Ministre de la Santé), 2007 CAF 153, 59 C.P.R. (4th) 30, et Pfizer Canada Inc. c. Apotex Inc., 2007 CF 971, 61 C.P.R. (4th) 305, le juge Mosley, aux paragraphes 44‑51).

 

QUESTIONS À TRANCHER

[6]               En dernier ressort, la seule question à trancher est celle de savoir si le ministre devrait ou non se voir interdire de délivrer un avis de conformité à l’une, certaine ou l’ensemble des défenderesses. L’avant‑dernière étape du processus consiste à déterminer si Lundbeck a persuadé ou non la Cour, selon la prépondérance des probabilités, que les allégations d’invalidité ne sont pas justifiées. Dans certains cas, mais non dans les présentes espèces, la conclusion que les allégations ne sont pas justifiées ne mène pas à une ordonnance d’interdiction. Par exemple, une telle ordonnance peut être refusée à une partie pour cause d’abus de procédure (Sanofi‑Aventis Canada Inc. c. Novopharm Ltd., 2007 CAF 163, 59 C.P.R. (4th) 416, et Sanofi‑Aventis Inc. c. Laboratoire Riva Inc., 2007 CF 532, 58 C.P.R. (4th) 109).

 

[7]               Les défenderesses allèguent toutes trois que le brevet en cause est un brevet de sélection choisi à partir d’un brevet américain antérieur et qu’il est invalide parce qu’il ne satisfait pas aux critères applicables. La Cour suprême a traité des brevets de sélection tout récemment dans l’arrêt Sanofi‑Synthelabo, précité. Je désignerai ci‑après cet arrêt sous le nom de « Plavix », soit le nom du composé dont il était question dans cette affaire, afin de distinguer cet arrêt des autres décisions citées dans les présents motifs dont l’intitulé comporte le nom de Sanofi ou d’Apotex. Lundbeck affirme que l’escitalopram n’est pas un brevet de sélection; c’est un brevet en soi relatif à l’escitalopram lui‑même. Cependant, si je conclus qu’il s’agit d’un brevet de sélection, alors il satisfait à toutes les exigences applicables à ce type de brevet. Je considère que cette question est fondamentale. Si l’escitalopram est un brevet de sélection invalide, il n’est pas nécessaire de traiter des autres allégations d’invalidité.

 

[8]               Bien qu’elles l’expriment en des termes quelque peu différents, les trois défenderesses allèguent en outre qu’en tout état de cause, Lundbeck n’a rien inventé qui mérite un brevet. Une ou plusieurs allèguent que l’escitalopram n’est pas nouveau, qu’il est antériorisé, qu’il était évident et qu’il n’est pas utile. Enfin, des motifs plus techniques d’invalidité sont invoqués, comme l’insuffisance du mémoire descriptif et de la divulgation, une revendication excessive ou des revendications dépourvues de pertinence, l’absence de prédiction valable, l’ambigüité et le manque de franchise ainsi que des omissions volontaires contraires à l’article 53 de la Loi.

 

DÉCISION

[9]               Bien qu’elles n’aient pas réussi sur tous les points, je suis d’avis que chacune des défenderesses a produit suffisamment d’éléments de preuve pour « mettre en jeu » la validité. Cependant, je suis arrivé à la conclusion que Lundbeck a établi que les allégations ne sont pas justifiées dans le cadre de chacune des trois demandes, et des ordonnances d’interdiction seront donc prononcées.

 

NATURE DE L’INSTANCE

[10]           Il est bien établi que les demandes en vertu du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) se veulent des instances sommaires et qu’elles ne lient pas les parties en dernier ressort quant à la validité ou à la contrefaçon. Il est loisible aux parties de débattre de ces questions dans le cadre d’une action en règle, de même que d’autres revendications de brevets non visées par le Règlement comme les revendications relatives à un procédé. Lundbeck n’a qu’à réfuter les allégations énoncées dans chacun des avis d’allégation. En conséquence, le résultat pourrait différer d’une demande à l’autre. L’absence de contrefaçon n’a pas été soulevée du tout, et je ne suis donc pas saisi de cette question. La présente instance ne débouche sur aucune décision en matière de validité ou de contrefaçon.

 

[11]           Les avantages d’une action par opposition à une demande sont bien connus. Figurent parmi ces avantages : la divulgation complète des documents sur le fondement d’affidavits dans lesquels tout doit être divulgué, et non uniquement les documents invoqués; les interrogatoires préalables oraux; des experts qualifiés comme tels par la Cour avant de témoigner; un procès au cours duquel des témoins sont entendus; et la possibilité pour le juge de poser des questions pour obtenir des clarifications. Dans le cadre d’une demande, la preuve est produite en dehors de l’enceinte du tribunal par voie d’affidavits et de contre‑interrogatoires sur affidavits. Les transcriptions, de par leur nature même, sont stériles. Par exemple, dans Janssen‑Ortho Inc. c. Novopharm Ltd., 2004 CF 1631, (2005), 35 C.P.R. (4th) 353, le juge Mosley a statué, dans le contexte d’une demande en vertu du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), qu’un brevet était invalide pour cause d’évidence. Janssen‑Ortho a par la suite intenté une action en contrefaçon de brevet et, à la suite d’une instruction complète, elle a obtenu gain de cause devant le juge Hughes (Janssen‑Ortho Inc. c. Novopharm Ltd., 2006 CF 1234, 57 C.P.R. (4th) 6, conf. par 2007 CAF 217, 59 C.P.R. (4th) 116, autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée, [2007] A.C.S.C. no 442 (QL)).

 

[12]           Je trouve important d’insister sur la valeur limitée de la présente décision parce que les brevets visant directement l’escitalopram ont été attaqués dans plusieurs ressorts.

 

[13]           Au terme d’un procès au Royaume‑Uni, la cour a jugé que les revendications 1 et 3 étaient invalides pour cause d’insuffisance parce qu’elles avaient pour objet l’énantiomère quel que soit son procédé de fabrication, mais le mémoire descriptif ne divulguait que deux façons de le fabriquer. (Generics (U.K.) Ltd. & Ors. c. H. Lundbeck A/S, [2007] EWHC 1040 (Pat), 2007 R.P.C. 32) Cependant, la Cour d’appel a infirmé la décision de la Cour des brevets dans H. Lundbeck A/S c. Generics (U.K.) Ltd. & Ors., [2008] EWCA Civ 311, [2008] R.P.C. 19. J’ai été informé pendant les plaidoiries que la cause était portée en appel devant la Chambre des lords sur la question de l’insuffisance.

 

[14]           Aux États‑Unis, la version américaine du brevet a été maintenue tant en première instance qu’en appel. J’ai été informé que la décision d’appel était définitive. (Forest Labs., Inc. c. Ivax Pharms., Inc. 438 F. Supp. 2d 479 (D. Del., 2006), conf. par 501 F.3d 1263 (Fed. Cir. 2007)).

 

[15]           Le brevet australien a été jugé valide en première instance dans Alphapharm Pty Ltd. v. H. Lundbeck A/S, [2008] FCA 559. Cette décision aurait été portée en appel.

 

[16]           Cependant, en Allemagne, la Cour fédérale des brevets a jugé que le brevet était invalide au motif que l’objet de l’invention alléguée n’était pas nouveau et n’était pas fondé sur une étape inventive. La nature de l’instance était quelque peu différente d’un procès en common law. Aucun témoin n’a été entendu, et le juge a été secondé de trois autres ayant une expertise dans le domaine. Cette décision aurait elle aussi été portée en appel.

 

[17]           Évidemment, je ne suis lié par aucune de ces décisions, ni en ce qui a trait aux constatations de fait, ni en ce qui a trait aux conclusions de droit. Naturellement, cela ne veut pas dire que le raisonnement qui sous‑tend ces décisions ne peut pas être persuasif.

 

[18]           En outre, on m’a dit que des procédures étaient en instance dans plusieurs autres ressorts.

 

[19]           Il s’agit en l’espèce de trois demandes distinctes qui, bien qu’elles aient été entendues l’une à la suite de l’autre, n’ont jamais été jointes. Les éléments de preuve de Lundbeck sont quelque peu adaptées en fonction des différents avis d’allégation, mais les affidavits de ses témoins des faits et de ses témoins experts sont essentiellement les mêmes. Cependant, ces témoins ont été contre‑interrogés à trois occasions distinctes. À l’exception de M. Newton, appelé par Genpharm et Cobalt, les témoins des défenderesses sont différents, bien que leurs témoignages se recoupent dans une large mesure.

 

[20]           Dans chaque instance, Lundbeck a obtenu une ordonnance de non‑divulgation qui a eu comme conséquence qu’une bonne part des renseignements dans le cadre de chacune des demandes sont demeurés confidentiels. Ils ont été gardés absolument distincts et séparés jusqu’à peu avant les audiences, lorsqu’à la suite d’une conférence de gestion de l’instance, il a été convenu que les avocats des défenderesses pourraient assister aux trois audiences sans que l’on doive procéder à huis clos. Des mémoires des faits et du droit ont aussi été échangés dans le cadre des trois demandes.

 

[21]           Les dossiers de demande, sans compter les copies de jurisprudence, totalisent plus de 29 000 pages. Les plaidoiries concernant la validité de trois revendications d’un brevet ont duré treize jours. Étant donné que les trois demandes ont beaucoup plus d’aspects identiques que d’aspects distinctifs, j’ai décidé de rendre un seul ensemble de motifs, en précisant, le cas échéant, les points en litige qui n’avaient pas été soulevés par les trois défenderesses.

 

INTRODUCTION À LA CHIMIE ORGANIQUE

[22]           Comme je l'ai signalé au tout début, le citalopram est ce qu’on appelle un mélange racémique, et l’escitalopram est l’un des deux énantiomères du mélange en question. Les parties m’ont assuré que tous les étudiants de chimie organique du premier cycle à l’université, sans parler du destinataire versé dans l’art s’appliquant au brevet, savent et savaient, pendant toutes les périodes en cause, que les molécules ayant pour centre un atome de carbone présentent une structure tridimensionnelle. Si cet atome de carbone est lié à quatre atomes ou groupes d’atomes différents (comme dans le cas qui nous concerne), on dit que la molécule possède un centre asymétrique. Ces composés sont identiques, mais ils existent sous deux formes spatiales appelées « énantiomères ». Il s’agit d’images spéculaires l’une de l’autre, non superposables. Ces molécules asymétriques sont dites « chirales », du mot grec qui signifie main, puisque la main gauche est l’image spéculaire de la main droite et vice versa, et qu’on ne peut pas superposer les deux mains. Lors de la synthèse ou de la fabrication de beaucoup de médicaments, on obtient un mélange égal de deux énantiomères. Ce mélange est appelé « mélange racémique » ou « racémate ».

 

[23]           Bien que, dans un mélange racémique, les énantiomères ne diffèrent pas par leurs propriétés chimiques ou physiques (et peuvent donc être difficiles à séparer ou à dédoubler), les énantiomères peuvent, comme l’a fait remarquer le professeur Jenner, un témoin appelé par Apotex, réagir dans le corps humain de différentes façons avec des biomolécules, comme les protéines, qui présentent également une structure tridimensionnelle. « […] La meilleure analogie à utiliser est celle de la clé et la serrure […] Par conséquent, ils peuvent avoir différentes propriétés pharmacologiques [...] »

 

[24]           Les énantiomères forment un sous‑groupe faisant partie des stéréoisomères, ces derniers étant une sous‑classe d’isomères. Les isomères sont des molécules ayant la même formule chimique, mais dont la disposition des atomes est différente. Les stéréoisomères sont des isomères ayant la même connectivité des atomes, mais la disposition de leurs atomes dans l’espace varie. Les énantiomères sont des stéréoisomères qui, comme je l’ai déjà dit, sont des images spéculaires l’un de l’autre et ne sont pas superposables. Ces molécules qui ne possèdent qu’un centre chiral se distinguent des diastéréoisomères, lesquels sont des stéréoisomères qui ne sont pas des images spéculaires l’un de l’autre et qui peuvent présenter plus d’un centre chiral. Cette distinction est importante au moment de séparer ou de dédoubler un mélange racémique.

 

[25]           Deux types de nomenclature non apparentés s’appliquent aux énantiomères. Un énantiomère est capable de faire dévier le plan de polarisation de la lumière polarisée dans un sens ou l’autre. Si le plan est tourné dans le sens horaire, soit vers la droite, l’énantiomère est dit (+), d ou dextrogyre. Si le plan est tourné dans le sens antihoraire, l’énantiomère est dit (‑), l ou lévogyre.

 

[26]           La deuxième nomenclature dérive de la convention de Cahn‑Ingold‑Prelog, qui précise la configuration absolue. Les substituants situés autour du centre chiral sont « évalués selon leur taille », soit selon leur numéro atomique. Si la rotation du substituant ayant le numéro atomique le plus grand au substituant ayant le numéro atomique le plus petit se fait dans le sens horaire, alors on dit que la molécule est rectus ou R. Si la rotation se fait dans le sens antihoraire, la molécule est sinister ou S.

 

[27]           Il n’existe pas de lien entre la nomenclature plus et moins, et S et R. Il a d’abord été établi que l’escitalopram était (+) ou dextrogyre, puis sinister.

 

[28]           Bien que cette information soit tirée d’affidavits du professeur Stephen Davies, appelé par Lundbeck, et de M. Frank Newton, appelé à la fois par Genpharm et Cobalt, je n’ai constaté aucune divergence dans les propos des différents spécialistes en ce qui a trait aux principes fondamentaux de chimie en cause et aucun désaccord à propos du fait que le mélange racémique et chacun de ses deux énantiomères peuvent se comporter différemment dans l’organisme.

 

INTERPRÉTATION DES BREVETS

[29]           Au cœur de tout litige concernant un brevet se trouve la question de sa signification. Les principes sont bien établis, et la Cour suprême les a clairement énoncés dans Free World Trust c. Électro Santé Inc., 2000 CSC 66, 9 C.P.R. (4th) 168, et Whirlpool Corp. c. Camco Inc., 2000 CSC 67, 9 C.P.R. (4th) 129. Voici ceux de ces principes qui s’appliquent aux demandes en l’espèce :

a.       La Loi exige que la demande de brevet renferme un mémoire descriptif et se termine par une ou plusieurs revendications « définissant distinctement et en des termes explicites l'objet de l'invention dont le demandeur revendique la propriété ou le privilège exclusif » . Le mémoire descriptif doit être rédigé en des termes complets, clairs, concis et exacts « qui permettent à toute personne versée dans l'art ou la science dont relève l'invention, ou dans l'art ou la science qui s'en rapproche le plus, de confectionner, construire, composer ou utiliser l'invention ». (Loi sur les brevets, avant le 1er octobre 1989, article 34.)

b.      Le brevet s'adresse, en théorie, à une personne versée dans l'art ou la science dont relève l'invention et doit recevoir l'interprétation que cette personne lui aurait donnée lorsqu'il a été rendu public.

c.       Les revendications doivent être interprétées de façon éclairée et en fonction de l'objet pour assurer le respect de l'équité et la prévisibilité, et pour cerner les limites du monopole.

d.      La partie du mémoire descriptif du brevet dans laquelle figurent les revendications prévaut sur la partie dans laquelle la divulgation est effectuée, c'est‑à‑dire que l'on se servira de la divulgation pour comprendre le sens d'un mot utilisé dans les revendications « mais non pour élargir ou restreindre la portée de la revendication telle qu'elle [est] écrite et, ainsi, interprétée ». (Whirlpool, au paragraphe 52.)

e.       Il est fatal de revendiquer plus que nécessaire. Par ailleurs, si les revendications de l'inventeur sont d'une portée trop limitée, le tribunal ne pourra pas accroître l'étendue du monopole en invoquant « l'esprit de l'invention ».

f.        Un brevet n’est pas un document ordinaire. Il correspond à la définition de « règlement » énoncée à la Loi d’interprétation, et il doit être lu de manière à assurer la réalisation de ses objets. « [L]’interprétation des revendications est une question de droit qu’il appartient au juge de trancher, et celui‑ci avait parfaitement le droit de donner aux revendications une interprétation différente de celle préconisée par les parties. » (Whirlpool, au paragraphe 61.)

(Voir aussi Biovail Pharmaceuticals Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien‑être social), 2005 CF 9, 37 C.P.R. (4th) 487, au paragraphe 15.)

 

[30]           En vertu de l’article 27 de la Loi sur les brevets, dans sa version en vigueur avant le 1er octobre 1989, un inventeur ou son représentant juridique peut obtenir un brevet relativement à :

[…] une invention qui

 

a) n'était pas connue ou utilisée par une autre personne avant que lui‑même l'ait faite,

 

b) n'était pas décrite dans quelque brevet ou dans quelque publication imprimée au Canada ou dans tout autre pays plus de deux ans avant la présentation de la pétition ci‑après mentionnée, et

 

c) n'était pas en usage public ou en vente au Canada plus de deux ans avant le dépôt de sa demande au Canada

 

 

…an invention that was

 

(a) not known or used by any other person before he invented it,

 

 

(b) not described in any patent or in any publication printed in Canada or in any other country more than two years before presentation of the petition hereunder mentioned, and

 

(c) not in public use or on sale in Canada for more than two years prior to his application in Canada.

[31]           L’article 2 définissait comme suit une invention :

[…] Toute réalisation, tout procédé, toute machine, fabrication ou composition de matières, ainsi que tout perfectionnement de l'un d'eux, présentant le caractère de la nouveauté et de l'utilité.

… any new and useful art, process, machine, manufacture or composition of matter, or any new and useful improvement in any art, process, machine, manufacture or composition of matter

 

DESTINATAIRE VERSÉ DANS L’ART

[32]           Les qualités de la personne à qui s’adresse un brevet ont été analysées dans Whirlpool, précité. Au paragraphe 70, le juge Binnie a cité le juge Dickson dans Consolboard Inc. c. MacMillan Bloedel (Saskatchewan) Ltd., [1981] 1 R.C.S. 504, à la page 523, 56 C.P.R. (2d) 145, citant H.G. Fox, Canadian Law and Practice Relating to Letter Patent for Invention, 4th ed. (Toronto : Carswell, 1969), à la page 204 :

[traduction]

Les personnes à qui le mémoire descriptif s’adresse sont « des travailleurs moyens » doués d’habiletés moyennes dans l’art dont l’invention relève et possédant les connaissances générales moyennes qu’ont les gens de ce domaine d’activité précis. On arrive à la bonne interprétation du brevet en tenant compte de ce qu’un ouvrier habile qui aurait lu le mémoire descriptif à l’époque aurait jugé divulgué et revendiqué par le mémoire.

 

 

[33]           Le juge Binnie a ajouté au paragraphe 71 : « Le caractère moyen varie évidemment selon l’objet du brevet. Les brevets en matière de technologie aérospatiale ne sont compréhensibles que par les spécialistes du domaine. »

 

[34]           Des détails considérables ont été exposés dans les différents affidavits relativement à l’identité de cette personne, ou de ce groupe de personnes, en particulier quant aux connaissances générales courantes qui existaient à l’époque et à l’étendue des recherches qu’une telle personne devrait effectuer au sujet de l’état de la technique. Cette préoccupation découle du fait qu’au paragraphe 70 de Whirlpool, le juge Binnie a aussi cité un extrait de l’arrêt Beloit Technologies Inc. c. Valmet Paper Machinery Inc., [1997] EWCA Civ 993, [1997] R.P.C. 489, où le lord juge Aldous a dit à la page 494 :

[traduction]

Le destinataire fictif versé dans l’art est la personne ordinaire qui ne bénéficie peut‑être pas des avantages dont peuvent jouir certains employés de grandes sociétés. L’information figurant dans un mémoire descriptif s’adresse à cette personne et doit contenir suffisamment de détails pour qu’elle puisse comprendre et utiliser l’invention. L’aspect inventif ne sera absent que si l’invention est évidente pour cette personne. [Non souligné dans l’original.]

 

 

[35]           Je doute fort qu’à l’époque, un pareil destinataire ait disposé des outils analytiques pour trouver tous et chacun des documents publiés concernant les racémates et les énantiomères, et ait été enclin à tous les lire et à en maîtriser le contenu, comme c’est le cas de la société pharmaceutique moderne qui, grâce à des ordinateurs et à des engins de recherche plus sophistiqués, est portée à constituer une encyclopédie sur l’état de la technique dans son avis d’allégation lorsqu’elle ne peut pas commercialiser son produit parce que le brevet s’y rapportant est « mis en attente ». M. Newton, par exemple, disposait de plus de documents sur l’état de la technique dans le cadre des présentes demandes que lors du procès au Royaume‑Uni. Cependant, cela importe peu, puisque je suis persuadé que la séparation du citalopram par quelque méthode que ce soit n’était pas évidente même pour un destinataire qui aurait été parfait à tous égards.

 

[36]           Qu’il suffise de dire que le brevet s’adresse à une équipe constituée autour d’un chimiste médical qui est secondé par des collaborateurs possédant d’autres ensembles de compétences tels que des chimistes analystes et des psychiatres. Il n’est pas nécessaire de tirer une conclusion définitive quant à la proportion de formation académique et d’expérience de laboratoire de l’équipe, que ce soit au sein d’une université ou d’une société pharmaceutique. Une connaissance théorique et une expérience pratique des méthodes de séparation de racémates sont essentielles.

 

BREVETS DE SÉLECTION

[37]           Le terme « brevet de sélection » n’apparaît nulle part dans la Loi sur les brevets, ni dans sa version actuelle ni dans sa version antérieure. Il s’agit d’un produit de la jurisprudence anglaise. Dans E.I. Du Pont de Nemours & Co. (Witsiepe’s) Application, [1982] F.S.R. 303 (C.L.), lord Wilberforce a affirmé à la page 309 : [traduction] « […] [l]a difficulté surgit lorsqu’est divulgué un groupe ou une catégorie de substances relativement auxquelles un certain avantage est revendiqué, et que l’on découvre plus tard qu’une ou plusieurs des substances de ce groupe ou de cette catégorie procure des avantages spéciaux que ne procurent pas les autres substances du groupe ou de la catégorie et qui n’avaient pas été identifiés auparavant. […] »

 

[38]           Depuis l’arrêt Plavix, précité, de la Cour suprême, il ne fait aucun doute que ces brevets sont en principe valides au Canada. Le juge Rothstein s’est inspiré de la jurisprudence anglaise, plus particulièrement de l’arrêt de principe du juge Maugham In re I.G. Farbenindustrie A.G.’s Patents (1930), 47 R.P.C. 289 (Ch.D), et il a affirmé au paragraphe 9 :

[…] le juge Maugham explique à la p. 321 que les brevets portant sur des produits chimiques (dont bien sûr les composés pharmaceutiques) se divisent souvent en deux [traduction] « catégories nettement distinctes ». La première, celle des brevets d’origine, formée des brevets protégeant une invention source, à savoir la découverte d’une nouvelle réaction ou d’un nouveau composé. La seconde catégorie, celle des brevets visant une sélection des composés décrits en termes généraux et revendiqués dans le brevet d’origine. Le juge Maugham précise que les composés sélectionnés ne doivent pas avoir été réalisés auparavant, sinon le brevet de sélection [traduction] « ne satisfait pas à l’exigence de nouveauté ». Cependant, le composé sélectionné qui est « nouveau » et qui « possède une propriété particulière imprévue » remplit l’exigence de l’étape inventive. Le juge Maugham ajoute à la p. 322 que le brevet de sélection [traduction] « ne diffère pas en soi de tout autre brevet ».

 

Le plavix était un énantiomère revendiqué expressément dans le brevet d’origine ou de genre.

 

[39]           Le brevet de genre dans Plavix décrivait seulement une catégorie générale regroupant plus de 250 000 composés, racémates autant qu’énantiomères, en des termes généraux. Pour découvrir les qualités spéciales du plavix, un racémate devait être séparé. C’était là l’étape inventive, selon ce qu’a conclu le juge Shore en première instance (2005 CF 390, 39 C.P.R. (4th) 202), une conclusion qui a été confirmée en appel (2006 CAF 421, 59 C.P.R. (4th) 46).

 

[40]           Bien qu’il puisse sembler quelque peu singulier, et contraire à l’alinéa 34(1)b) de la Loi, que si une personne revendique un groupe de composé, elle puisse ne devoir donner que quelques exemples de comment quelques‑uns des composés du groupe sont fabriqués, il faut garder à l’esprit que le brevet de genre peut revendiquer littéralement des millions de composés différents. Dans May & Baker Limited and Others c. Boots Pure Drug Company Limited, [1950] UKHL 1, [1950] R.P.C. 23, pas moins de 97 millions de composés avaient été revendiqués.

 

BREVET 452

[41]           Dans le brevet 452, intitulé « Énantiomères du citalopram et de ses dérivés », il est mentionné dans le résumé du mémoire descriptif que l’invention porte sur deux nouveaux énantiomères du citalopram et sur leur utilisation comme composés antidépresseurs. On affirme qu’il s’agit de sels pharmaceutiquement acceptables. Après avoir constaté que les tentatives antérieures de séparation du citalopram (on a souligné qu’elles avaient été précédemment divulguées dans le brevet américain numéro 4,136,193, qui a été déposé en janvier 1977) par une cristallisation des sels diastéréoisomères du citalopram avaient échoué, on a découvert qu’un précurseur du citalopram, un diol divulgué dans le brevet américain numéro 4,650,884, déposé en août 1985, et intitulé « Nouvel intermédiaire et nouvelle méthode de préparation » (qui est aussi un mélange racémique), pouvait aussi être séparé en ses énantiomères et, de manière stéréosélective, converti en énantiomères du citalopram. Le brevet 452 décrit deux mécanismes de réaction par lesquels on peut obtenir l’énantiomère (+) du citalopram. Sur les 11 revendications, seules les revendications 1, 3 et 5, dans la mesure où elle dépend de 3, sont en litige. Les revendications sont les suivantes :

‑ 1 ‑

Un composé retenu à partir de (+)‑1‑(3‑diméthylaminopropyl)‑1‑ (4‑fluorophényl)‑1, 3‑dihydroisobenzofuran‑5‑carbonitrile essentiellement pur et ses sels d’addition acides non toxiques.

 

[…]

‑ 3 ‑

Une formulation pharmaceutique sous une forme posologique unitaire utile comme antidépresseur comprenant un diluant ou un adjuvant pharmaceutiquement acceptable et, en tant qu’ingrédient actif, une quantité efficace du composé défini dans la revendication 1.

 

[…]

‑ 5 ‑

Une formulation pharmaceutique sous une forme posologique unitaire, utile comme antidépresseur selon la revendication 3 ou 4, dans laquelle la quantité de l’ingrédient actif présent varie de 0,1 à 100 milligrammes par dose unitaire.

 

[42]           Les brevets américains 193 et 884 ou au moins le brevet 193 sont connus comme étant les brevets à partir desquels on a retenu la brevet canadien 452. Le brevet 193 divulgue une formule qui pourrait produire quelques centaines de composés différents. Le citalopram a été expressément revendiqué. Aucun des deux brevets américains ne traite de stéréochimie en général, ou des énantiomères du citalopram en particulier, et comporte encore moins des revendications à leur propos.

 

L’escitalopram est‑il spécial?

 

[43]           L’interprétation la plus favorable du brevet 452, contestée par certains défendeurs, est la suivante : l’escitalopram est environ 1,6 fois plus puissant que le citalopram. Puisqu’il est possible qu’une grande partie, et de fait, parfois l’ensemble, de l’activité biologique désirée du mélange racémique réside dans un énantiomère plutôt que l’autre, la découverte de la possibilité que l’escitalopram comporte davantage de bienfaits que le citalopram ne serait pas surprenante. De fait, si toute l’activité désirée résidait dans l’escitalopram, celui‑ci serait seulement deux fois plus puissant que le citalopram, ce qui ne serait pas suffisamment inattendu pour tenir lieu de fondement à un brevet de sélection (GlaxoSmithKline c. Pharmascience Inc., 2008 CF 593). Les surprises étaient d’un autre ordre. Rien n’indique que l’escitalopram présente d’autres caractéristiques désirables ou étonnantes comme une moins grande toxicité ou une augmentation inattendue et considérable de la solubilité, de la stabilité, des propriétés liées à la manipulation, de l’aptitude au traitement ou de son profil d’effets indésirables. Par conséquent, si l’escitalopram est l’objet d’un brevet de sélection, ce dernier est invalide.

 

[44]           Cependant, je suis convaincu que l’escitalopram n’est pas un brevet de sélection. Dans Plavix, la Cour suprême a précisé les circonstances dans lesquelles un brevet, de sélection ou autre, peut être invalidé pour cause d’antériorité. En première instance, le juge Shore a cité Free World, précité, qui approuvait le critère de l’antériorité énoncé par le juge Hugessen dans Beloit Canada Ltd. et al c. Valmet Oy (1986), 8 C.P.R. (3d) 289 (C.A.F.) à la page 297 :

[…] Il faut en effet pouvoir s’en remettre à une seule publication antérieure et y trouver tous les renseignements nécessaires, en pratique, à la production de l’invention revendiquée sans l’exercice de quelque génie inventif. Les instructions contenues dans la publication antérieure doivent être d’une clarté telle qu’une personne au fait de l’art qui en prend connaissance et s’y conforme arrivera infailliblement à l’invention revendiquée. […] [Souligné par M. le juge Shore.]

 

Cependant, et en s’inspirant de la décision de lord Hoffmann dans Synthon B.V. c. SmithKline Beecham plc, [2005] UKHL 59, [2006] 1 All E.R. 685, [2006] R.P.C. 10, le juge Rothstein a statué que l’antériorité comportait deux volets : la divulgation antérieure et le caractère réalisable. « […] [S]uivant l’exigence de la divulgation antérieure, le brevet antérieur doit divulguer ce qui, une fois réalisé, contreferait nécessairement le brevet […] » (paragraphe 25).

 

[45]           Les essais successifs sont exclus à l’étape de la divulgation, mais de tels essais sont permis pour les besoins du caractère réalisable (paragraphe 27). Il a été jugé que la décision du juge Hugessen s’appliquait seulement à l’étape de la divulgation.

 

[46]           Il ressort clairement des éléments de preuve que, si l’un ou l’autre des brevets américains antérieurs était exploité, le résultat serait un racémate, et non un énantiomère. Par conséquent, le brevet 452 ne peut être considéré comme faisant partie de l’un ou l’autre des brevets américains antérieurs, et l’argument du brevet de sélection échoue donc pour cause d’absence de divulgation antérieure. (Voir Abbott Laboratories c. Canada (Ministre de la Santé), 2008 CF 1359, au paragraphe 75.)

 

[47]           Il a été soutenu devant moi qu’à la suite de l’arrêt Plavix, la divulgation et la revendication d’un racémate dans un brevet antérieur valait en soi divulgation et revendication des énantiomères. Il ne saurait en être ainsi. Il ne suffit pas de dire que tout le monde savait que le citalopram comportait deux énantiomères. Cela ne vaut pas mieux que de dire que tout étudiant de premier cycle en chimie organique aurait pu lire la formule et s’apercevoir que le citalopram contient un atome de carbone lié à quatre composantes distinctes. Je ne trouve rien dans l’arrêt Plavix qui étaye la prétention selon laquelle la revendication d’un racémate vaut ipso facto revendication de ses deux énantiomères. Puisqu’il est fatal de revendiquer plus que nécessaire, et vu qu’il était impossible de connaître les qualités exactes des énantiomères, c.‑à‑d., lequel, le cas échéant, serait utile pour traiter la dépression, je ne puis retenir l’interprétation du brevet que proposent les défenderesses. En fait, au paragraphe 19, le juge Rothstein a dit :

[…] [Apotex] laisse […] entendre que l’interprétation actuelle du critère rend trop difficile la preuve de l’antériorité et que l’existence d’un système de brevets de genre et de sélection implique nécessairement l’antériorité, du moins dans la présente affaire, et partant, l’invalidité. Je rejette un argument aussi général. […]

 

 

[48]           Comme nous le verrons plus loin dans les présents motifs, l’utilité de l’escitalopram ne pouvait pas être déterminée avant que l’on ait obtenu suffisamment de citalopram par séparation pour permettre la réalisation d’essais. Avant l’obtention des résultats, tout ce qu’on pouvait affirmer était que l’escitalopram pouvait être associé à plus de bienfaits que le citalopram, ou moins de bienfaits, ou était plus toxique ou inutile. Les experts s’accordaient tous pour affirmer que certains énantiomères sont toxiques ou inutiles. Si, pour revendiquer l’utilité d’un mélange racémique pour le traitement de la dépression, il faut revendiquer la même utilité pour chacun des deux énantiomères, alors, dans ces circonstances, l’inventeur aurait revendiqué plus que nécessaire et cela lui aurait été fatal. Le brevet américain 193 n’est pas un brevet qui contient des revendications distinctes par couches successives, si bien que, si la revendication portant sur un énantiomère tombe, la revendication portant sur l’autre pourrait demeurer. L’énantiomère R présente une certaine activité, mais rien n’indique qu’il est utile dans le traitement de la dépression.

 

[49]           J’examinerai maintenant la question de savoir si Lundbeck a établi, selon la prépondérance des probabilités, que les autres allégations ne sont pas justifiées, ou que les défenderesses n’ont pas produit suffisamment d’éléments de preuve pour « mettre en jeu » certaines d’entre elles.

 

ANTÉRIORITÉ

[50]           Il n’est pas nécessaire que le seul document prévu par l’article 27 de la Loi et publié pas moins de deux ans avant la demande du brevet 452, qui pourrait décrire le produit revendiqué ultérieurement dans une invention, soit un brevet. Mis à part les brevets américains, les défenderesses se fondaient sur chacun des deux articles de D.F. Smith publiés en 1985 et en 1986, qui portent sur la dépression et les médicaments qui inhibent la recapture de la sérotonine. Il avait aussi conçu un modèle et a écrit que « […] Bien que les effets des énantiomères du citalopram pris individuellement n’ont jamais été étudiés, en se basant sur le modèle, on prévoit que l’énantiomère (R) […] est beaucoup plus puissant que l’énantiomère (S) en tant qu’inhibiteur de la recapture du 5‑HT […] Par conséquent, on peut mettre le présent modèle à l’épreuve pour établir si ces prévisions sont justes. » La prévision n’était pas juste puisque les événements ultérieurs au brevet 452 patent ont révélé que l’énantiomère (S) était de loin le plus puissant.

 

[51]           Cela a amené, par exemple, M. McClelland, un chimiste appelé par Apotex, à dire : [traduction] « Dans ces deux textes, M. Smith a clairement divulgué les deux énantiomères du citalopram. » Cela ne peut être exact. Le destinataire du brevet, tout comme les étudiants de premier cycle en chimie organique d’ailleurs, savaient que le citalopram comportait deux énantiomères. Bien qu’il ne soit peut‑être pas surprenant que l’un puisse être plus actif que l’autre, je conviens avec le professeur Stephen Davies, appelé par Lundbeck, qu’il était impossible de connaître les qualités des deux énantiomères sans les séparer et les mettre à l’essai.

 

[52]           Comme l’a souligné le juge Lindgren de la Cour fédérale d’Australie dans Alphapharm, précité, les articles de Smith nous éloignent de l’invention visée par le brevet 452. Les articles de Smith ne divulguent pas l’escitalopram en tant que composé utile pour le traitement de la dépression et n’indiquent nullement comment réaliser l’invention. Pas plus que l’article de 1983 de Waldmeier cité par Cobalt.

 

ÉVIDENCE

[53]           L’arrêt Plavix de la Cour suprême a aussi précisé l’application de Beloit, précité, à l’invalidité pour cause d’évidence. Le juge Hugessen avait dit à la page 294 :

Pour établir si une invention est évidente, il ne s’agit pas de se demander ce que des inventeurs compétents ont ou auraient fait pour solutionner le problème. Un inventeur est par définition inventif. La pierre de touche classique de l’évidence de l’invention est le technicien versé dans son art mais qui ne possède aucune étincelle d’esprit inventif ou d’imagination; un parangon de déduction et de dextérité complètement dépourvu d’intuition; un triomphe de l’hémisphère gauche sur le droit. Il s’agit de se demander si, compte tenu de l’état de la technique et des connaissances générales courantes qui existaient au moment où l’invention aurait été faite, cette créature mythique (monsieur tout‑le‑monde du domaine des brevets) serait directement et facilement arrivée à la solution que préconise le brevet. C’est un critère auquel il est très difficile de satisfaire.

 

[54]           Le destinataire versé dans l’art peut maintenant faire preuve d’une certaine imagination et d’une certaine intuition. Après avoir examiné les développements aux États‑Unis et au Royaume‑Uni, le juge Rothstein a statué au paragraphe 68 qu’il y a des circonstances qui permettent un élément d’« essai allant de soi ». Il s’est dit d’accord avec l’état du droit au Royaume‑Uni résumé par lord Hoffman de la Cour d’appel relativement à cette même invention de l’escitalopram (Generics (U.K.), précité). Lord Hoffman avait quant à lui approuvé, au paragraphe 24, l’exposé de l’état du droit fait en première instance par le juge Kitchin :

[traduction]

[…] L’évidence doit s’apprécier selon les faits de l’espèce. La cour doit considérer l’importance de tout facteur à la lumière des circonstances pertinentes, dont la motivation derrière la recherche d’une solution au problème qui sous‑tend le brevet, le nombre et l’étendue des recherches possibles, les efforts requis par elles et les chances de réussite.

 

 

[55]           Le juge Rothstein a ensuite appliqué la démarche en quatre étapes décrite au Royaume‑Uni dans Windsurfing International Inc. c. Tabur Marine (Great Britain) Ltd., [1985] R.P.C. 59 (C.A.), et dans Pozzoli Spa c. BDMO SA, [2007] EWCA Civ 588. Le lord juge Jacob énonce comme suit cette démarche dans Pozzoli :

[traduction]

[…] Par conséquent, je reformulerais comme suit la démarche préconisée dans l’arrêt Windsurfing :

(1)  a)   Identifier la « personne versée dans l’art ».

       b)   Déterminer les connaissances générales pertinentes que possède cette personne.

(2) Définir l’idée originale de la revendication en cause, au besoin par voie d’interprétation.

(3) Recenser les différences, s’il en est, entre ce qui ferait partie de « l’état de la technique » et l’idée originale qui sous‑tend la revendication ou son interprétation;

(4) Abstraction faite de toute connaissance de l’invention revendiquée, ces différences constituent‑elles des étapes évidentes pour la personne versée dans l’art ou dénotent‑elles quelque inventivité?

 

[56]           Le juge Rothstein a noté que c’est à la quatrième étape que se posera la question de l’« essai allant de soi ». Aux paragraphes 69 et 70, il dresse une liste non exhaustive de quatre facteurs qui peuvent être pris en compte :

a)      Est‑il plus ou moins évident que l’essai sera fructueux?

 

b)      Quels efforts — leur nature et leur ampleur — sont requis pour réaliser l’invention?

 

c)      L’antériorité fournit‑elle un motif de rechercher la solution au problème qui sous‑tend le brevet?

 

d)      Les mesures concrètes ayant mené à l’invention.

 

[57]           Cela ne veut pas dire que d’autres facteurs, comme ceux qu’à énumérés la Cour d’appel dans Novopharm Inc. c. Janssen‑Ortho Inc., 2007 CAF 217, 59 C.P.R. (4th) 116, ne peuvent pas être pertinents aussi. En plus de la motivation, la Cour d’appel évoque au paragraphe 25 « [l]e climat régnant dans le domaine en question à l’époque où l’invention supposée a été faite » et, comme facteurs secondaires, le succès commercial et les prix et autres récompenses.

 

[58]           Au regard de l’arrêt Pozzoli, j’ai déjà identifié la « personne [fictive] versée dans l’art » comme étant une équipe constituée autour d’un chimiste médical, et qui compterait aussi des chimistes analystes.

 

[59]           L’interprétation des revendications ne présente pas de difficultés. La revendication 1 porte sur l’escitalopram essentiellement pur et ses sels d’addition acides non toxiques. La revendication 3 porte sur la composition chimique d’une forme posologique unitaire jouant un rôle d’antidépresseur, et la revendication 5, dans la mesure où elle dépend de la revendication 3, porte sur la forme posologique unitaire dans laquelle la quantité d’ingrédient actif varie entre 0,1 et 100 milligrammes par dose unitaire. Les inventeurs ne prétendent pas que l’escitalopram est meilleur que le citalopram, en dépit d’une certaine exagération à ce sujet dans la divulgation.

 

[60]           La différence entre l’antériorité et le concept inventif de l’invention est celle‑ci : l’antériorité divulgue l’utilité du mélange racémique de citalopram en tant qu’antidépresseur, mais elle ne divulgue pas que les énantiomères pourraient servir d’antidépresseurs, ne permet pas ou même ne prévoit pas que l’un des deux pourrait servir d’antidépresseur. L’antériorité ne permet pas à un destinataire versé dans l’art « d’arriver directement et sans difficulté à la solution présentée dans le brevet », c.‑à‑d. la séparation du mélange racémique en quantités suffisamment grandes pour permettre l’analyse mentionnée dans le brevet. Selon moi, la séparation constitue une étape inventive. Une fois que l’on a obtenu une quantité suffisante du produit, l’analyse permettant de prévoir que l’escitalopram peut jouer un rôle en tant qu’antidépresseur devient triviale. Il s’agit du même essai que celui qui est utilisé pour le citalopram.

 

[61]           La question qui subsiste est celle de savoir si, lorsque considérées sans la connaissance de l’invention de l’escitalopram, les différences entre celle‑ci et l’état de la technique, combinées aux connaissances générales courantes, constitueraient des étapes évidentes pour la personne versée dans l’art, ou si elles exigeraient un certain degré d’inventivité.

 

[62]           L’évidence doit être appréciée à la date de l’invention. Lundbeck affirme que l’escitalopram a été inventé le 21 avril 1988. La position de repli est la demande de brevet britannique déposée le 14 juin 1988. Parmi les défenderesses, Apotex soutenait au départ que la date de priorité britannique était inappropriée en raison de différences entre les textes des demandes de brevet britannique et canadienne. Cependant, lors des plaidoiries, elle a dit qu’elle admettrait la position de Lundbeck. En tout état de cause, tous s’accordent à dire qu’il n’y a aucune différence dans l’état de la technique et les connaissances générales courantes entre les deux dates.

 

TÉMOINS EXPERTS

[63]           Parmi les experts que les parties ont fait comparaître figurent plusieurs chimistes qui ont donné leur opinion sur la façon dont le brevet pourrait être interprété par les destinataires, les connaissances générales communes, l’état de l’antériorité de l’époque, les motifs, le cas échéant, justifiant la séparation d’un mélange racémique en général et le citalopram en particulier, et surtout, les méthodes de séparation du citalopram existants, de même que la question de savoir si ces méthodes étaient considérées comme courantes.

 

[64]           Lundbeck a fait comparaître les professeurs Stephen Davies et Brian J. Clark. Le professeur Davies, directeur du Département de chimie de l’Université d’Oxford et consultant pour des sociétés pharmaceutiques pendant des années, a fondé en 1989 une entreprise spécialisée dans la résolution de problèmes concernant les molécules asymétriques, et est toujours rédacteur en chef de Tetrahedron Asymmetry, un périodique qui fait état des avancées touchant tous les aspects de la stéréochimie. Il affirme posséder des connaissances générales sur les mélanges racémiques, leurs méthodes de séparation et les motivations de l’époque.

 

[65]           Le professeur Clark est doyen associé de la Recherche et de l’Innovation à l’École des sciences de la vie et enseigne à l’École de pharmacie de l’Université de Bradford, au Royaume‑Uni. Le professeur Clark est un spécialiste de l’une des méthodes de séparation des mélanges racémiques : le HPLC (chromatographie liquide à haute performance) chiral.

 

[66]           Les sociétés Genpharm et Cobalt ont fait comparaître M. Roger Newton, Ph. D., qui a travaillé pour Glaxo au Royaume‑Uni de 1971 à 1996 en tant que chimiste médical, a été le PDG d’une petite entreprise effectuant la conception et la synthèse de molécules organiques spécialisées issues de la recherche pour le compte du secteur pharmaceutique, a été consultant pour des sociétés pharmaceutiques et a été chimiste médical invité au Département de chimie de l’Université de Cambridge de 1996 à 2005. À l’instar du professeur Davies, il possède une connaissance approfondie du sujet et des diverses méthodes de séparation des mélanges racémiques.

 

[67]           Genpharm a fait comparaître le professeur Michael Chong, de l’Université de Waterloo et directeur du Centre Guelph/Waterloo sur les travaux en chimie des cycles supérieurs. Il a également donné son opinion à propos des méthodes existantes de l’époque permettant la séparation des mélanges racémiques et la facilité avec laquelle elles peuvent être utilisées.

 

[68]           Genpharm a aussi fait comparaître M. Roland Collicott, Ph. D., qui a consacré presque toute sa carrière à la recherche et au développement dans le milieu pharmaceutique du Royaume‑Uni et s’est spécialisé en analyse chirale, en analyse des polymorphes, et en séparation chirale. Il utilise des colonnes de HPLC chirale depuis 1982.

 

[69]           M. John Keana, Ph. D., a été appelé à comparaître par Apotex. À part son séjour de la fin des années 1990 dans le secteur privé où il a travaillé sur la découverte de médicaments, M. Keana a travaillé dans le milieu universitaire et a été professeur associé ou professeur à l’Université de l’Oregon de 1965 à 2003. Il est aujourd’hui professeur émérite à cet endroit et travaille comme consultant pour plusieurs sociétés pharmaceutiques. Il étudie les méthodes de séparation du citalopram et est d’avis que ces méthodes étaient courantes à l’époque.

 

[70]           Le professeur Timothy Ward, qui a été appelé à témoigner par Apotex, a d’abord travaillé avec le professeur Daniel Armstrong, concepteur de l’une des colonnes HPLC chirale utilisées pour séparer les mélanges racémiques. Après avoir travaillé dans le secteur privé pendant plusieurs années, il enseigne maintenant au Millsaps College, où il est directeur du Département de chimie et doyen de la Faculté des sciences. Il est un spécialiste de la chromatographie chirale.

 

[71]           Robert McClelland, Ph. D., a aussi été appelé à témoigner par Apotex. Il a été professeur de chimie à l’Université de Toronto pendant de nombreuses années et est maintenant professeur émérite. Il détient de vastes connaissances en chimie organique, bioorganique et médicinale. Il a donné son opinion sur les sujets mentionnés précédemment.

 

[72]           Outre M. Newton, Ph. D., Cobalt a fait comparaître M. Peter Kissinger, Ph. D., qui a été professeur de chimie analytique à l’Université de Purdue pendant bon nombre d’années. Ses travaux de recherche sont axés sur les techniques de chromatographie en phase liquide. Il a fondé une entreprise en 1974, qui fabrique des instruments et conçoit des logiciels, et a réalisé de la recherche sous contrat pour des sociétés pharmaceutiques et biotechnologiques. Il détient des connaissances dans bon nombre des domaines de spécialité de M. Collicott.

 

[73]           Tous ces experts sont qualifiés pour aider la Cour. Je serais même porté à dire que certains d’entre eux, sinon tous, sont surqualifiés. Ils ne sont certainement pas des « travailleurs moyens » (Consolboard, précité).

 

[74]           Lundbeck a attaqué de manière particulièrement musclée l’objectivité de certains des experts appelés par les défenderesses. Les avocats devraient comprendre qu’il est difficile d’apprécier ces allégations puisque les experts ne sont même pas des « têtes parlantes ». Ils ne sont que des mots sur des feuilles de papier. Une telle attaque provoque des représailles, comme ce fut le cas en l’espèce, ce qui n’a été d’aucune utilité pour la Cour. Il est difficile, voire impossible, d’apprécier ces allégations sur le fondement de transcriptions de contre‑interrogatoire. La critique de M. McClelland est particulièrement digne de mention. Elle était axée sur le fait que celui‑ci avait été appelé par Apotex plus de 20 fois au cours d’une carrière s’étalant sur 30 ans. L’on voudrait que j’en déduise qu’il est prêt à défendre n’importe quelle cause. Cependant, je n’étais pas au courant qu’il y avait une limite au nombre de fois qu’un témoin pouvait comparaître. Il se peut bien qu’Apotex en soit venue à se fier à son avis. Il se peut bien qu’il soit arrivé que des avis d’allégations n’aient pas été produits parce qu’il a exprimé l’avis que le brevet était valide, ou que la méthode d’Apotex mènerait à une contrefaçon, selon sa compréhension des connaissances générales courantes et de l’état de la technique. Une lecture de l’intégralité de son contre‑interrogatoire, et non uniquement de différents extraits montés en épingle, démontre son objectivité en l’espèce. Aucune conclusion défavorable ne devrait être tirée du fait que j’en suis venu à préférer le témoignage du professeur Davies.

 

[75]           M. Kissinger s’est retrouvé dans une situation embarrassante dont il n’était pas entièrement responsable. Une bonne part de son affidavit a été rédigée par les avocats qui, à son insu, se sont largement inspirés d’un affidavit souscrit par M. Collicott dans l’affaire britannique. Cela ne veut pas dire que M. Kissinger ne croyait pas personnellement ce qui était dit dans son affidavit. La prochaine fois, M. Kissinger et les avocats garderont sans doute à l’esprit que le témoignage que l'expert donne devant la Cour devrait être le fruit d'un travail effectué par cette personne à l'abri de toute influence quant à la forme ou au contenu du procès et que ce témoignage devrait être perçu ainsi. Le rôle du témoin expert consiste à éclairer la Cour en donnant un avis objectif et impartial (Merck & Co. c. Apotex Inc., 2004 CF 567, (2004) 32 C.P.R. (4th) 203, citant National Justice Compania Riviera S.A. c. Prudential Assurance Co. (« the Ikarian Reefer »), [1993] 2 Lloyd’s Rep. 68, infirmé sur un autre point, [1995] 1 Lloyd’d Rep. 455).

 

[76]           Bien que je doute que la personne versée dans l’art aurait été aussi savante que l’ont donné à entendre les experts appelés par les défenderesses et qu’elle aurait effectué les recherches sur l’état de la technique qu’ont effectuées les défenderesses près de 20 ans plus tard (ou aurait été capable de le faire), je doute aussi que cette personne aurait été aussi « moyenne » que l’ont donné à entendre les professeurs Davies et Clark. Cependant, en dernier ressort, cette divergence d’opinions importe peu en l’espèce.

 

Motivation

[77]           La motivation est un des facteurs pris en compte pour évaluer si une invention alléguée était évidente. Il s’agit d’une question parmi plusieurs relativement à laquelle toutes les parties, sans exception, ont emprunté des chemins inattendus. Les défenderesses allèguent que l’industrie pharmaceutique dans son ensemble était motivée à séparer le citalopram, une allégation que nie Lundbeck. Lundbeck soutient que la séparation était le projet de prédilection de son M. Klaus Bøgesø, un co‑inventeur du citalopram, puis de l’escitalopram. On se serait plutôt attendu à ce que Lundbeck affirme que l’ensemble de l’industrie tentait de séparer le citalopram et que, puisqu’elle avait été la première à y réussir, elle devrait être récompensée par l’obtention du brevet s’y rapportant; on se serait aussi attendu à ce que les défenderesses soutiennent que, s’il y avait eu un intérêt quelconque à séparer le citalopram, c’aurait été fait sans difficultés en recourant à l’une ou l’autre des différentes méthodes envisageables.

 

[78]           Cette démarche axée sur les résultats est le résultat de la jurisprudence. Aux paragraphes 57 et 58 de Plavix, le juge Rothstein cite le jugement de la Cour suprême des États‑Unis dans KSR Intern. Co. c. Teleflex Inc., 127 S.Ct. 1727 (2007). À la page 1742, le juge Kennedy a dit :

[…] Lorsqu’un besoin précis ou la pression du marché incite à résoudre un problème et qu’il existe un nombre limité de solutions connues et prévisibles, la personne dotée de compétences usuelles a une bonne raison d’opter pour celles qui, parmi ces solutions, sont techniquement à sa portée. Si le résultat escompté est obtenu, il est sans doute attribuable à des compétences usuelles et au bon sens, et non à l’innovation. […]

 

Cependant, le juge Rothstein a aussi cité le passage des motifs du juge Kennedy où celui‑ci exprime l’avis que la jurisprudence américaine antérieure « préconise en effet un examen de large portée et invite les tribunaux, lorsque l’affaire s’y prête, à tenir compte de toute considération accessoire pouvant se révéler éclairante. » [Non souligné dans l’original.]

 

[79]           Les motivations n’ont pas été d’un grand secours dans le présent cas. Les spécialistes se sont basés sur des documents de la Food and Drug Administration des États‑Unis, le premier datant de 1987, et l’autre, de 1992, de même que sur des commentaires japonais et européens qui indiquent que les organismes de réglementation voulaient connaître les caractéristiques des énantiomères composant les mélanges racémiques. La preuve en ce qui concerne la publication de la FDA de 1987 est effroyablement mince. Les spécialistes retenus par les défenderesses semblent y faire référence uniquement parce qu’elle figurait parmi l’antériorité citée par les défenderesses. De fait, l’exemplaire déposé en cour semble avoir été tiré d’un cours donné en 1994, qui permet de conclure à la possibilité qu’avant cette date, ce n’était qu’un document interne non publié. Quoi qu’il en soit, aucun organisme de réglementation n’a exigé que les autorisations de commercialisation soient délivrées à condition de fournir des détails sur les énantiomères, en dépit du cas de la thalidomide, un médicament souvent cité, qui aurait été commercialisé sous la forme d’un mélange racémique, dont un énantiomère était utile pour traiter les nausées, et l’autre, a causé de terribles anomalies congénitales. Cependant, même sur ce point, la preuve est vraiment anecdotique. Le professeur Davies est d’avis que le problème pourrait résider dans le fait que le bon énantiomère redevient spontanément le mélange racémique.

 

[80]           Des éléments de preuve indiquent que certains médicaments de la classe du citalopram ont été commercialisés sous la forme d’un mélange racémique, et d’autres, sous la forme d’énantiomères.

 

[81]           Apotex est allée jusqu’à formuler l’allégation, dénuée de tout fondement, selon laquelle les autorités américaines et japonaises avaient exigé que Lundbeck fournisse des preuves relativement aux énantiomères du citalopram, une allégation que le directeur des Brevets et des Marques de commerce de Lundbeck, John Meidahl Petersen, a réussi à réfuter.

 

[82]           En revanche, Lundbeck minimise son intérêt à séparer le citalopram. Non seulement M. Bøgesø avait‑il recruté d’autres scientifiques de chez Lundbeck, dont un a par la suite fait appel à un laboratoire externe, mais des documents internes divulgués publiquement au procès australien, qui considéraient que l’escitalopram étendrait le monopole conféré par le brevet du citalopram, a amené Cobalt, en particulier, à soutenir que Lundbeck manquait de franchise. Cependant, comme je l’ai dit plus tôt, une demande n’exige pas une divulgation complète de documents. Personne n’a demandé une ordonnance de production de documents additionnels comme le permettait l’article 313 des Règles des Cours fédérales.

 

[83]           Il y a aussi des éléments de preuve produits par M. Newton dans le cadre des demandes mettant en cause Genpharm et Cobalt selon lesquels les sociétés pharmaceutiques ne souhaitaient pas particulièrement séparer des racémates qui étaient visés par un brevet délivré à une concurrente. Il n’y avait pas de bonhomie à cela. Non seulement la brevetée aurait‑elle une longueur d’avance pour ce qui est de séparer le racémate, mais au mieux on aboutirait à des contrats de licence croisés. Si un concurrent produisait l’escitalopram, il ne pourrait probablement pas l’utiliser parce qu’il contreferait le brevet du citalopram. En revanche, Lundbeck ne pourrait pas utiliser l’escitalopram. Les activités de recherche et de développement ont fort bien pu se concentrer sur d’autres molécules, comme l’a donné à entendre le professeur Davies. Qu’il suffise de dire que je ne trouve pas utiles les éléments de preuve relatifs à la motivation pour déterminer si l’invention de l’escitalopram était évidente.

 

Séparation du citalopram

[84]           Bien que le professeur Davies ait affirmé qu’il existait 13 méthodes de séparation des mélanges racémiques à l’époque, certaines mieux connues que d’autres, le nombre de méthodes auxquelles tous les chimistes s’intéressaient était limité. Qu’est‑ce qui pouvait être séparé et par quelle méthode? Outre la séparation du citalopram lui‑même, le procédé pourrait s’amorcer avec un précurseur, par exemple un diol, la formation de liens covalents ou la modification d’une molécule. Puis l’une de ces deux méthodes serait mise en œuvre : la méthode classique bien établie de cristallisation fractionnée ou la méthode par HPLC chirale.

 

[85]           Comme M. McClelland l’a expliqué, la méthode classique tire profit de la différence entre les énantiomères et les diastéréoisomères et remonte à Pasteur. Puisque les deux énantiomères présentent les mêmes propriétés physiques, la séparation fondée sur les techniques usuelles ne fonctionnera pas. Par conséquent, on fait réagir le mélange racémique avec une deuxième substance, qui peut aussi exister sous la forme d’une paire d’énantiomères. Cependant, seul l’un des énantiomères de la deuxième substance est employé. Il s’agit de l’agent de séparation. Le produit de cette réaction est constitué d’un mélange de stéréoisomères dans une proportion 50/50. Comme ces derniers présentent des propriétés physiques différentes, ils peuvent être séparés en fonction de ces différences, par exemple la solubilité, le point d’ébullition ou le temps de rétention dans une colonne de chromatographie. Une fois que ces diastéréoisomères sont séparés, l’agent de séparation est retiré ou clivé. La plus ancienne méthode de séparation des énantiomères d’une amine racémique, comme le citalopram, repose sur la formation de sels diastéréoisomères, qui sont alors séparés par cristallisation fractionnée. En raison de leur différence de solubilité, un sel cristallise, tandis que l’autre demeure en solution.

 

[86]           Le brevet 452 mentionne que les précédentes tentatives de cristallisation des sels diastéréoisomères des énantiomères du citalopram avaient échouées. De toute évidence, les efforts de Lundbeck se sont soldés par un échec; rien n’indique même que quelqu’un a essayé de séparer le citalopram par une quelconque méthode. On obtient un succès, non pas en utilisant le citalopram, mais plutôt un de ses précurseurs ou intermédiaires, le diol, lequel a été divulgué dans le brevet américain 854. Les diols sont des molécules portant deux groupes hydroxyle (OH) distincts. Or, le diol du citalopram est aussi un mélange racémique. Le diol a donc été séparé en ses énantiomères. Chaque énantiomère a ensuite été soumis à une réaction appelée cyclisation, qui aboutit à un énantiomère du citalopram.

 

[87]           Deux voies ou mécanismes de réaction ont été fournis, tous deux comprenant la séparation du diol du citalopram, ou d’un ester de celui‑ci, suivie de la conversion de la molécule séparée en l’énantiomère (+) du citalopram à l’aide de conditions et de réactifs précis. Le mécanisme 1 comprend une réaction entre le diol et la forme (+) ou (–) d’un agent appelé réactif de Mosher (chlorure d’acide) pour former des esters diastéréoisomères sur l’alcool primaire qui peuvent être séparés par HPLC non chirale, suivie de la fermeture du cyle à basse température au moyen d’une base forte. Le mécanisme 2 fait appel à deux méthodes. Après avoir produit les sels diastéréoisomères du diol racémique, la fermeture du cycle fait intervenir une étape ultérieure pendant laquelle est produit un ester labile avec l’alcool primaire, suivie de la fermeture sélective du cycle à basse température au moyen d’une base faible.

 

[88]           L’autre méthode de séparation citée par les spécialistes était la HPLC chirale. Comme M. Kissinger l’a expliqué, la chromatographie renvoie à un ensemble de techniques utilisées pour séparer les composés sur la base de leur vitesse de migration, qui est différente. Le mélange à séparer est d’abord dissous dans une phase liquide mobile, puis est entraîné le long d’une phase stationnaire absorbante qui remplit la colonne. Aux environ de 1970, on a conçu des particules de plus petit diamètre destinées à la phase stationnaire. Ces particules de la phase stationnaire nécessitent une plus grande pression pour que la phase mobile puisse percoler à travers le lit. Donc, le HPLC nécessite le recours à des systèmes de pompes à pression élevée, des vannes d’injection, des colonnes pouvant supporter une pression élevée et des détecteurs capables de déceler l’effluent sortant de la colonne. Ces phases non chirales ne permettent pas de séparer les énantiomères. Cependant, les phases stationnaires chirales contiennent de petites molécules ou un polymère capable de reconnaître les molécules chirales. Les énantiomères sont séparés par rétention stéréosélective puisqu’un énantiomère peut interagir plus fortement avec la phase stationnaire chirale et est, par conséquent, retenu pendant une période plus longue.

 

[89]           Toutefois, pour ce qui est de la cristallisation fractionnées ou celle des sels diastéréoisomères et de la HPLC chirale, tout est dans les détails.

 

CE QUE LUNDBECK A RÉALISÉ

[90]           On peut consulter la preuve de Lundbeck dans les affidavits de M. Klaus Bøgesø, Ph. D, et de M. Klaus Gundertofte ainsi que dans les contre‑interrogatoires portant sur le sujet. On a critiqué Lundbeck parce que la société n’a pas fourni le témoignage par affidavit de l’autre co‑inventeur de l’escitalopram, M. Perregaard, Ph. D., qui est maintenant à la retraite, et parce que certaines expériences ayant échouées mentionnées dans les affidavits n’ont pas été consignées intégralement. Cependant, selon moi, la preuve est suffisante et l’emporte sur les allégations d'invalidité. Il n’y a aucune raison de douter de ce qui s’est passé. Il ne s’agit pas d’un test sur la consignation des données.

 

[91]           L’histoire commence en 1971. Lundbeck disposait de plusieurs projets visant à produire des produits pharmaceutiques traitant de manière efficace la dépression. Un des projets portait sur des composés qui pourraient inhiber sélectivement la recapture de la sérotonine. Quelque 60 composés ont été synthétisés. Parmi ces composés, le premier fabriqué en 1972 est devenu le citalopram.

 

[92]           En 1980, M. Bøgesø s’est lancé dans la séparation directe du citalopram à l’aide d’acides chiraux, puis a cristallisé l’un des sels diastéréoismères de la solution (ce que M. McClelland a décrit en termes généraux). Ses tentatives à l’aide de divers agents de séparation ont échoué. Modifier le rapport molaire de l’acide utilisé comme agent de séparation était une autre technique utilisée pour induire la cristallisation; cette technique n’a pas donné de résultats non plus.

 

[93]           Par ailleurs, comme il a été expliqué dans son affidavit, les solutions et les huiles des réactions ont été conservées à température ambiante, dans un réfrigérateur ou dans un congélateur pendant de longues périodes, des anti‑solvants ont été utilisés, et les solvants se sont évaporés, pour ne citer que ces exemples.

 

[94]           À la fin de 1983, il a suivi un cours donné par le professeur Collet, l’une des sommités en séparation des mélanges racémiques. Grâce au cours, il a appris l’existence d’un nouvel agent de séparation, l’acide bis naphthyl phosphorique (l’ABNPP), qui, contrairement à la grande majorité des agents de séparation, ne contient pas un atome de carbone chiral. Comme l’ABNPP n’était pas vendu dans le commerce, il l’a synthétisé, mais ses tentatives de séparation n’ont une fois de plus pas abouti. Il a alors examiné des publications, notamment un livre édité par un monsieur Newman, qui a fourni des centaines d’exemples de séparations réussies, tirés d’articles scientifiques.

 

[95]           Il a alors porté son attention sur les dérivés du citalopram et sur la conversion de ces dérivés en énantiomères individuels du citalopram après la séparation. L’une des solutions proposées était de modifier la forme et la fonction de la molécule. Chez Lundbeck, on a discuté des façon de séparer le diol. Les gens étaient préoccupés par la possibilité d’obtenir un mélange racémique.

 

[96]           À l’automne de 1986, M. Bøgesø a élaboré une stratégie consistant à raccourcir la distance entre le groupe formant le sel et l’atome de carbone chiral. L’utilisation de ce dérivé de l’acide bromo/carboxylique fut sans succès, tout comme les autres stratégies.

 

[97]           Enfin, à la fin de l’année 1987, M. Bøgesø et M. Perregaard ont examiné une fois de plus la voie du diol. M. Perregaard a tenté de synthétiser un ester du diol à l’aide du réactif de Mosher et y a réussi. Cette méthode était inhabituelle, car le réactif de Mosher n’était pas connu et utilisé comme un agent chiral, mais plutôt comme un réactif pour la résonance magnétique nucléaire. Dans un schéma de la formule du citalopram et de ses énantiomères, on peut voir que l’une des liaisons partant du carbone du centre forme un pentagone. Cependant, dans le diol, l’un des cinq côtés est ouvert. Le mélange réactionnel devait être gardé au froid, et il aurait été difficile de conserver l’ester suffisamment longtemps pour permettre sa séparation par HPLC non chirale. Si le cycle avait été fermé avant la séparation, le résultat aurait été le citalopram, et non un énantiomère. L’équipe a réussi à obtenir un faible rendement du diol‑ester, lequel a été séparé par HPLC non chirale. Les purifications ultérieures ont été réalisées par une technique « d’affinement des pics (peak shaving) », qui a produit des énantiomères purs du diol‑ester. Par la suite, M. Perregaard a fermé le cycle du diol‑ester à l’aide d’une base forte. Il s’agit du mécanisme 1 décrit dans le brevet.

 

[98]           Cette réaction de fermeture du cycle a aussi permis la synthèse du citalopram par une autre méthode. On a procédé ultérieurement à des travaux visant la séparation des sels diastéréoisomères du diol. On a formé des cristaux et le sel de l’énantiomère (‑) du diol. Puis, à l’aide du même mécanisme fermant le cycle, les scientifiques l’ont converti en énantiomère (+) du citalopram par l’entremise d’un ester. Cette réaction est le mécanisme 2.

 

[99]           Outre la cristallisation fractionnée du citalopram ou d’un dérivé, Lundbeck a aussi tenté de séparer le citalopram par HPLC chirale. Le choix de colonnes était nombreux dans ce domaine aux avancées rapides. Klaus Gundertofte, un autre chimiste, qui avait de l’expérience en HPLC, a essayé sans succès de séparer le citalopram en essayant différentes colonnes HPLC chirales. M. Gundertofte s’est joint à Lundbeck en 1982. À l’époque, il détenait une maîtrise en chimie et en biologie. Sa thèse portait notamment sur l’utilisation de la chromatographie liquide à haute performance. Il a acquis une expérience considérable dans le laboratoire consacré à la HPLC, séparant des centaines de mélanges. Mis à part le choix de la colonne, d’autres paramètres comme le choix des solvants, la température, le débit d’écoulement, la pression, le pH et la phase stationnaire avaient leur importance. Son expérience était si vaste qu’après une présentation à l’Université technique du Danemark, il a rédigé un article publié dans Dansk Kemi (Chimie danoise), qui porte sur les aspects théoriques et pratiques entourant le HPLC.

 

[100]       Il a fait tout son possible pour séparer le citalopram au moyen de différentes colonnes analytiques. Une colonne analytique permet de déterminer les composés et les impuretés présents dans un mélange réactionnel donné, mais contrairement à la HPLC préparative, ne peut servir à obtenir une grande quantité du composé désiré.

 

[101]       En 1988, il existait plus de 30 colonnes chirales sur le marché, mais tout le monde s’accordait pour dire qu’on pouvait les classer selon cinq types. M. Gundertofte en a utilisé quatre. Par ailleurs, en 1987 ou vers cette époque, il a retenu les services de l’École royale danoise de pharmacie, qui possédait une colonne de HPLC chirale en triacétate de cellulose microcristalline. Lundbeck ne disposait pas de ce type de colonne à cette époque puisqu’on ne pouvait pas s’en procurer dans le commerce. L’université a déclaré qu’elle n’avait pas réussi à séparer le citalopram.

 

[102]       Pour reprendre l’exemple utilisé par monsieur le juge Rothstein au paragraphe 71 de Plavix, les inventeurs et leur équipe ne sont pas arrivés à « …l’invention rapidement, facilement, directement et à relativement peu de frais, compte tenu de l’antériorité et des connaissances générales courantes, [ce qui n’étaye pas] une conclusion d’évidence […] » Genpharm laisse entendre que Lundbeck a été une victime de ses précédents succès avec le citalopram, que M. Bøgesø était biaisé à cause de cette expérience et qu’il n’était donc pas ouvert à toutes les possibilités, puisqu’il était évident qu’il aurait dû concentrer ses efforts sur le diol. Apotex, quant à elle, avance que les scientifiques de Lundbeck n’étaient pas suffisamment compétents. J’estime que la preuve de M. Bøgesø, de M. Gundertofte, de même que celle des spécialistes appelés par Lundbeck réfutent ces allégations.

 

[103]       Même s’il était évident de tenter de séparer le citalopram, ou son diol, il n’allait certainement pas de soi que les tentatives entreprises allaient aboutir. Dans son commentaire sur cette approche, comme monsieur le juge Marc Noël l’a récemment fait remarquer dans Plavix, « […] Suivant ce critère, une invention n'est pas rendue évidente par le fait que l'état de la technique aurait éveillé la personne versée dans l'art à la possibilité que quelque chose valait d'être tenté. L'invention doit aller plus ou moins de soi. […] » (Apotex Inv. c. Pfizer Canada Inc. et al., 2009 CAF 8, au paragraphe 29). En cristallisation fractionnée, le point de départ logique était le citalopram lui‑même. En cas d’échec, on pouvait alors essayer de séparer d’autres molécules comme le diol. Les spécialistes retenus par les défenderesses n’ont pas suffisamment pris leurs distances par rapport aux connaissances qu’ils détenaient de l’invention alléguée revendiquée. Pourquoi avoir choisi le diol du brevet 884 au lieu des cinq précurseurs du brevet 183? Sans entrer dans les détails de chimie, qui ont été l’objet de débats intenses, il est clair que la fermeture du cycle du diol et le moment de cette réaction étaient déterminants, ce qui a entraîné des discussions sur les réactions SN1 et SN2. En outre, il existait un nombre presque infini de réactifs et de conditions possibles.

 

[104]       Bien qu’il concerne l’antériorité découlant d’une publication, le passage suivant des motifs du juge Binnie dans Free World Trust, précité, au paragraphe 25, est à propos : « […] Il faut peu d’ingéniosité pour constituer un dossier d’antériorité lorsqu’on dispose du recul nécessaire. […] »

 

[105]       Puisqu’il s’agit d’un brevet en soi revendiquant l’escitalopram quel que soit son procédé de fabrication, s’il avait été évident de séparer le citalopram, directement ou indirectement, avec l’aide d’une colonne de HPLC chirale, le brevet serait invalide. Comme je l’ai déjà dit, il y avait plus de 30 modèles commerciaux disponibles, se répartissant en cinq groupes généraux. Encore une fois, les paramètres étaient presqu’infinis : le choix de la colonne, la phase mobile, la phase stationnaire, la pression, la température, et ainsi de suite. Lundbeck a réalisé ou fait réaliser des travaux au moyen de cinq colonnes différentes. La critique selon laquelle ces travaux auraient été couronnés de succès s’il n’y avait pas été mis fin en 1987 et s’ils s’étaient plutôt poursuivis en 1988 n’est tout simplement pas justifiée.

 

[106]       Tous les chimistes appelés par les défenderesses sont naturellement imbus d’un sens de fierté professionnelle, et à juste titre. Si on leur avait demandé avant juin 1988 de séparer le citalopram, ils croient qu’ils auraient pu le faire sans problème, ou à tout le moins donner des instructions convenables à des techniciens de laboratoire sur la façon d’y parvenir. En vérité, aucun d’entre eux n’avait jamais tenté de séparer le citalopram, et il s’agit maintenant d’une tâche relativement aisée.

 

[107]       Ces experts n’ont pas réussi à se dépouiller de leurs 20 années de connaissances acquises à posteriori et à retourner à l’époque de leur relative jeunesse. Bien que le poème décrive un juge, les juges et les chimistes ont suffisamment de points en commun pour qu’il vaille la peine de citer ce que Whittier disait dans Maud Muller :

[…]

 

              [traduction]

Dieu, ayez pitié de tous deux! Et pitié de nous tous,

Qui évoquons en vain nos rêves de jeunesse;

 

De tous les mots que l’on puisse écrire ou dire,

Les plus tristes sont : « Ça aurait pu! »

 

 

[108]       Les experts auraient peut‑être pu séparer le citalopram. Je crois cependant qu’ils en auraient été incapables sans faire preuve d’inventivité.

 

[109]       Les experts appelés par les défenderesses voudraient nous faire croire qu’un travail routinier systématique fondé soit sur la cristallisation fractionnelle ou sur la HPLC chirale aurait été couronné de succès. En vérité, certains racémates étaient faciles à séparer à l’époque tandis que d’autres étaient extrêmement difficiles, sinon impossibles, à séparer. M. Newton l’a certainement reconnu. Dans l’ensemble, je préfère les témoignages livrés par les professeurs Davies et Clark concernant les difficultés. Mes commentaires au sujet du professeur Davies sont éparpillés dans les présents motifs.

 

[110]       Il n’y a aucune raison de croire que dans le cadre d’essais de routine, l’acide de Mosher, qui était connu comme un réactif de déplacement, serait utilisé dans une solution préparative et jouerait un rôle majeur dans la réaction de fermeture du cycle. Cela ne participait pas des connaissances générales courantes ni de l’état de la technique. Bien que les propos qui suivent aient été tenus dans le contexte de la revendication d’un procédé dans Ciba Limited c. Commissioner of Patents, [1956‑1960] Ex.C.R.142, 27 C.P.R. 82, le président Thorson a affirmé à la page 152 :

[traduction]

[L]orsqu’un procédé consiste en l’application d’une méthode connue à des matériaux connus mais qu’elle ne leur a pas été appliquée auparavant et qu’il en résulte la production d’une substance qui non seulement est nouvelle, mais qui a aussi une valeur du fait de ses qualités utiles non évidentes, le procédé qui permet de produire cette substance est brevetable.

 

 

En rejetant l’appel, monsieur le juge Martland a ajouté à [1959] S.C.R. 378, à la page 383 :

[traduction]

[…] La méthode peut être connue et les substances aussi, mais l’idée de les appliquer l’une à l’autre pour produire un composé nouveau et utile peut être nouvelle et, en l’espèce, je crois qu’elle l’était.

 

 

[111]       Le professeur Clarke a traité de la HPLC chirale, qui n’était pas la méthode de séparation divulguée dans le brevet. J’ai trouvé que son analyse des difficultés était bien équilibrée. En particulier, il a pris soin de distinguer ce qui était connu et disponible en 1988 par opposition aux développements ultérieurs, notamment de nouvelles générations de colonnes, de meilleurs matériaux d’emballage qui amélioraient la capacité de séparation et de meilleures balances préparatoires. Il a expliqué que ces améliorations avaient permis la séparation de quantités suffisantes de matière pour permettre des essais biologiques et non uniquement de la détection.

 

Rochat

[112]       Après 1988, il a également été fait mention de deux textes de Rochat publiés en 1995, d’expériences de laboratoire que Lundbeck avait fait réaliser en 2002, d’un texte d’Elati et al., en 2007, et Apotex a retenu les services d’un certain M. Kellogg pour tenter de séparer le citalopram en 2007. Ces textes et ces travaux ne peuvent être considérés comme l’état de la technique. Les défenderesses affirment toutefois qu’il s’agit d’exemples de ce qui aurait aussi pu être fait en 1988. Il est vrai que Rochat a réussi une certaine séparation du citalopram en 1995 au moyen d’une colonne de HPLC analytique. Cependant, il y a trois raisons pour lesquelles on ne peut pas se fier à Rochat. La première est qu’une colonne analytique ne donnera tout au plus qu’une très petite quantité du produit recherché. Pour obtenir une quantité suffisante afin de réaliser des essais, il faudrait utiliser la colonne quelque 40 000 fois et la colonne perdrait de son efficacité de séparation. La deuxième raison est qu’il n’y a aucun élément de preuve indiquant que le type de colonne employé par Rochat était disponible en 1988. Il est clair que même de petits changements pourraient faire une énorme différence au plan de la séparation. La troisième raison est que Rochat n’a pas obtenu du citalopram essentiellement pur, encore que cette difficulté aurait peut‑être pu être surmontée, mais on se retrouverait littéralement avec une piscine de solvant afin d’obtenir quelques milligrammes.

 

[113]       Assurément, en s’appuyant sur Rochat, l’expérimentation aurait été prolongée et ardue et n’aurait pas eu un caractère routinier.

 

Rhodia ChiRex Inc.

[114]       En 2002, Lundbeck a retenu les services de Rhodia ChiRex Inc. pour séparer le citalopram et ses diols précurseurs. L’entreprise a acheté 77 agents de séparation différents au total et testé les mélanges racémiques respectifs pour favoriser la formation de sels diastéréoisomères, en espérant trouver un agent qui permettrait une séparation par HPLC chirale. Comme on n’a pas obtenu de véritable succès, on a conclu que la séparation n’était possible qu’avec les diols précurseurs. L’étude ne permettait qu’une sélection préliminaire. Il aurait été nécessaire par la suite de procéder à une optimisation du procédé avec des meilleurs agents trouvés.

 

[115]       Il va sans dire que les défenderesses n’ont pas accepté de bonne grâce les résultats de cette étude. Il est intéressant de noter que l’un des agents de séparation a été utilisé ultérieurement par M. Elati. M. Chong, entre autres, fait aussi la remarque que, dans l’étude, on s’est uniquement servi de l’éthanol et de l’acétone comme solvants. Il a affirmé : [traduction] « […] Je me serais attendu à ce qu’une personne versée dans l’art qui souhaite réussir à séparer directement le citalopram ne se limite pas à deux solvants, mais réalise méthodiquement une sélection préalable des solvants réagissant avec les sels pour former des cristaux […] » Cela démontre seulement qu’il existait d’innombrables possibilités et que l’utilisation de l’acide de Mosher était fortuit.

 

Elati

[116]       En janvier 2007, Elati et ses collaborateurs ont publié un article dans Organic Process Research & Development portant sur la séparation du citalopram à l’aide de l’acide di‑p‑toluoyltartrique. Cet article est invoqué par les défenderesses, car cet acide était offert sur le marché en 1988. Lundbeck a demandé l’autorisation de déposer des éléments de preuve additionnels dans Genpharm et Apotex, mais a été débouté devant le protonotaire Morneau, en appel devant la Cour d’appel fédérale, et dans Apotex, en appel devant la Cour d’appel. Le protonotaire Morneau a justifié sa décision en mentionnant que, à moins de circonstances exceptionnelles, ces questions devraient être laissées au juge qui instruit l’affaire sur le fond.

 

[117]       Peu avant l’audition de l’affaire sur le fond, Lundbeck a présenté de nouvelles requêtes dans les trois instances pour tenter de porter à mon attention le fait que des articles subséquents publiés dans la même revue avaient remis en question les conclusions d’Elati et qu’Elati lui‑même avait admis une erreur. Ces requêtes ont été vigoureusement contestées.

 

[118]       À mon avis, il me serait loisible d’admettre de nouveaux éléments de preuve, en particulier puisque l’admission d’Elati était très récente. D’ailleurs, dans Kent Trade and Finance Inc. c. JP Morgan Chase Bank, 2008 CAF 399, la Cour d’appel fédérale a admis de nouvelles preuves d’expert en appel. Cependant, les requêtes sont sans intérêt pratique en l’espèce puisque je n’accorde aucun poids à l’article d’Elati. Une contre‑preuve n’aiderait pas la Cour (Atlantic Engraving Ltd. c. Lapointe Rosenstein, 2002 CAF 503, (2002), 23 C.P.R. (4th) 5).

 

[119]       L’article énumère différentes façon de séparer des racémates. Il n’y a aucune mention de quelque article publié avant 1990, et Elati revendique même un brevet relativement à son procédé. Les affirmations des experts appelés par les défenderesses selon lesquelles cela aurait pu être réalisé en 1988 ne sont que cela : des affirmations. Il n’est certainement pas évident qu’une telle mesure aurait été prise ou que le procédé d’Elati aurait été utilisé. Même si le solvant en question était disponible en 1988, il s’agissait simplement d’un solvant parmi de nombreux autres, et aucun élément de preuve convaincant n’a été présenté quant à savoir pourquoi il aurait été évident en 1988 d’utiliser celui‑là plutôt qu’un des nombreux autres. En tout état de cause, l’article d’Elati comportait des failles, comme l’ont admis MM. Newton et McClelland.

 

M. RICHARD KELLOGG

[120]       M. Richard Kellogg a été retenu par les avocats d’Apotex (et non les avocats inscrits au dossier), et on lui a donné le mandat de séparer le citalopram. Toutefois, il a comparu en qualité de témoin des faits. Le rapport préparé par l’équipe de son laboratoire aux Pays‑Bas fait état de la séparation du diol précurseur du citalopram avec l’agent de séparation appelé phencyphos, de même que la séparation du citalopram au moyen d’une colonne de HPLC chirale, soit la colonne chiralcelOD‑H. Comme le rapport de M. Kellogg a été publié après le dépôt de l’avis d’allégation d’Apotex, ni le texte de l’allégation ni les documents publiés cités n’en font mention. Apotex avait prétendu que [traduction] « les résultats des essais ont confirmé que la séparation du citalopram à l’aide des techniques classiques (décrites dans la présente) existant avant le 13 juin 1987 a donné du citalopram (+) essentiellement pur ».

 

[121]       Lundbeck a demandé, par voie de requête, la radiation de l’affidavit de M. Kellogg ainsi que des parties d’autres affidavits qui y faisaient référence ou, subsidiairement, d’être autorisée à produire une contre‑preuve. Le protonotaire Morneau a rejeté cette requête, mais en appel, j’ai radié l’intégralité de l’affidavit ainsi que les parties des autres affidavits qui faisaient référence au rapport de laboratoire. La Cour d’appel a ensuite rétabli la décision du protonotaire Morneau, ce qui a laissé la question au juges des requêtes, qui se trouve à être moi. Si les requêtes interlocutoires sont abordées avec circonspection, c’est notamment parce que ces questions peuvent être résolues de manière satisfaisante par contre‑interrogatoire et qu’en tout état de cause, le juge des requêtes, après avoir entendu toute la cause, est mieux placé pour apprécier la pertinence et rendre une décision.

 

[122]       Apparemment, M. Kellogg entendait réaliser ses expériences comme s’il était en 1988. Il s’agit là d’une tâche très difficile. Son rapport rate la cible et n’établit pas qu’il est plus ou moins évident que la séparation aurait dû fonctionner en 1988. Je trouve dommage que M. Kellogg ait été appelé à titre de témoin des faits plutôt que de témoin expert étant donné que lui et sa société ont réalisé ce type de travail. Cela a limité le contre‑interrogatoire.

 

[123]       Le mandat que M. Kellogg a reçu à la fin de 2006 était de séparer le diol précurseur du citalopram. On constate d’emblée que plusieurs autres molécules de départ possibles ont été éliminées. Bien que le phencyphos existait avant 1988, dans le seul article pertinent publié, celui de Wolter ten Hoeve et Hans Wynberg, il n’a pas été établi que cet agent était un candidat possible. On ne sait pas pourquoi le phencyphos a été choisi. Lors du contre‑interrogatoire, M. McClelland a admis qu’il n’avait pas utilisé le phencyphos avant 1988, et que cet agent n’était pas vendu par les plus grands fournisseurs de ce type de composés avant 1995. En ce qui concerne la séparation par colonne HPLC chirale, la colonne utilisée, soit chiralcel OD‑H, est arrivée sur le marché après l’an 2000. C’est la petite taille des particules qui, comme l’a reconnu M. Ward, a une incidence directe sur la capacité de séparation. M. Kellogg n’a pas réussi à recréer ce qui serait survenu en 1988.

 

[124]       Pour conclure sur ce point, la séparation du citalopram n’était pas évidente. Il n’était pas plus ou moins évident que la séparation devrait fonctionner. Il y avait un nombre presqu’infini de paramètres connus des personnes versées dans l’art. Les seuls essais effectués jusqu’en 1988 l’ont été par Lundbeck. Ils n’avaient certainement pas un caractère routinier. Ils étaient prolongés et ardus. Ils ont permis d’inventer l’escitalopram.

 

ANTÉRIORITÉ FONDÉE SUR L’UTILISATION ANTÉRIEURE

[125]       Outre l’antériorité découlant d’une publication antérieure, toutes les défenderesses ont allégué dans leurs avis d’allégation que l’escitalopram avait été utilisé auparavant. La théorie sur laquelle repose cette allégation est la suivante : l’organisme sépare lui‑même le citalopram en ses deux énantiomères. Ni Cobalt ni Apotex n’ont invoqué cette allégation. Comme le professeur Jenner l’a mentionné au paragraphe 23 de son affidavit pour le compte d’Apotex, « […] les énantiomères ne sont pas séparés physiquement après ingestion, mais interagissent différemment avec des molécules du corps à la manière d’une serrure et d’une clé […] ». Toutefois, cet élément de preuve ne fait pas partie de la demande de Genpharm.

 

[126]       M. Newton, en tant que témoin appelé par Genpharm, était d’avis que, lorsqu’un médicament racémique, comme le citalopram, est ingéré, les deux énantiomères existent sous la forme de deux composés séparés en solution. Dans l’organisme, ils réagissent avec les récepteurs à des vitesses différentes. Seul l’énantiomère biologiquement actif se liera au récepteur pour produire un complexe médicament‑récepteur et une réponse biologique. L’énantiomère inactif, le citalopram (R), a peu ou pas du tout d’affinité avec le récepteur et ne se fixe pas à lui.

 

[127]       Du point de vue juridique, cette hypothèse s’inspire de l’arrêt de la Chambre des lords dans Merrell Dow Pharmaceuticals Inc. c. N.H. Norton and Co. Ltd., [1996] UKHL 14, [1996] R.P.C. 76. Dans cette affaire, Merrell Dow avait obtenu un brevet pour le terfénadine, un anti‑histaminique. Après l’expiration du brevet, d’autres sociétés se sont mises à fabriquer et à commercialiser une version générique. Cependant, Merrell Dow a découvert qu’après le passage dans l’estomac, le médicament est métabolisé dans le foie. Merell Dow a analysé la composition chimique du métabolite acide formé dans le foie, l’a breveté, puis a allégué que les versions génériques du terfénadine violaient le brevet.

 

[128]       Esentiellement, on a conclu que les connaissances concernant le métabolite acide étaient accessibles au public dans le mémoire de description de la terfénadine en ces termes « une partie des réactions chimiques de l’organisme induites par l’ingestion de terfénadine et ayant un effet anti‑histaminique ». Techniquement, il a été reconnu qu’il y avait antériorité en raison du mémoire descriptif, et non antériorité en raison d’une utilisation.

 

[129]       Dans la présente affaire, la preuve n’est pas une preuve du tout; il s’agit d’une pure conjecture. On ne connaît pas précisément la configuration des récepteurs de la molécule dans l’organisme, et il n’existe aucune raison de croire que l’énantiomère (R) est complètement inactif. Les tests divulgués dans le brevet 452 donnent à penser que l’énantiomère (R) présente une certaine activité, mais même si c’était le cas, il est 60 à 130 fois moins puissant que l’escitalopram. En outre, Rochat a obtenu le citalopram partiellement séparé en prélevant des échantillons de sang humain, ce qui indique que l’organisme ne sépare pas le citalopram en escitalopram et en citalopram (R) essentiellement purs. La différence entre conjecture et inférence revêt la plus grande importance. Dans l’arrêt Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c. Satiacum (1989), 99 N.R. 171 (C.A.F.), aux paragraphes 34 et 35, monsieur le juge MacGuigan a écrit :

La différence entre une déduction justifiée et une simple hypothèse est reconnue depuis longtemps en common law. Lord Macmillan fait la distinction suivante dans l'arrêt Jones v. Great Western Railway Co. (1930), 47 T.L.R. 39, à la p. 45, 144 L.T. 194, à la p. 202 (H.L.) :

 

[TRADUCTION]

Il est souvent très difficile de faire la distinction entre une hypothèse et une déduction. Une hypothèse peut être plausible mais elle n'a aucune valeur en droit puisqu'il s'agit d'une simple supposition. Par contre, une déduction au sens juridique est une déduction tirée de la preuve et si elle est justifiée, elle pourra avoir une valeur probante.

 

 

AMBIGUÏTÉ

[130]       La Loi sur les brevets précise que le mémoire descriptif doit fournir une description correcte et complète de l’invention. Cependant, il doit être interprété par une personne bien disposée à comprendre, et non par une personne tatillonne, et ne doit pas être écarté en raison d’un simple détail technique. On a allégué que le brevet est ambigu parce que la revendication 1 concerne directement le citalopram (+) essentiellement pur, un terme non défini. Or, il n’y pas d’ambigüité. Les exemples fournis indiquent une pureté de plus de 99 %, et selon le professeur Davies, « essentiellement pur » signifie au moins pur à 95 %, puisque les méthodes courantes de mesure de la pureté ne peuvent déceler les impuretés que si elles sont présentes à un taux supérieur à 5 %. Dans la même veine, une interprétation valable du brevet indique que « essentiellement pur » renvoie à la pureté optique. Les juges Mosley et Hughes n’ont pas été embêtés par cette absence de définition dans les causes Janssen‑Ortho citées au paragraphe 11 des présents motifs.

 

[131]       Apotex souligne que différents solvants peuvent faire dévier la lumière dans différentes directions et que, par conséquent, les désignations (+) et (‑) sont ambiguës. À mon avis, cette allégation n’est pas fondée, car les solvants ont été décrits de manière détaillée.

 

[132]       Comme l’a noté le juge Hughes dans Pfizer Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), 2005 CF 1725, 46 C.P.R. (4th) 244, aux paragraphes 49‑53, « […] l'ambiguïté n'est véritablement invoquée qu'en dernier recours, sinon jamais ». Je conclus que le brevet n’est pas invalide pour cause d’ambiguïté.

 

AUTRES ALLÉGATIONS D’INVALIDITÉ

[133]       L’utilité d’une invention n’a pas à être démontrée dans le brevet. Une prédiction valable suffira. Comme l’a noté la Cour suprême dans Apotex Inc. c. Wellcome Foundation Ltd., [2002] 4 R.C.S. 153, 21 C.P.R. (4th) 499, la prédiction valable doit avoir un fondement factuel, l’inventeur doit avoir un raisonnement clair et « valable » qui permette d’inférer de ce fondement factuel le résultat souhaité, et il doit y avoir une divulgation suffisante. Il faut examiner avec soin ce que l’inventeur a promis. Comme je l’ai indiqué plus haut, l’inventeur n’a pas promis que l’escitalopram était meilleur que le citalopram comme antidépresseur, bien qu’il y ait maintenant des indications que tel est effectivement le cas. Bien qu’il n’y ait aucun élément de preuve indiquant que l’escitalopram avait fait l’objet d’essais chez l’humain, cela n’est pas une condition préalable à l’obtention d’un brevet, contrairement à ce qui prévaut dans le contexte d’approbations d’aliments et de drogues. Les essais divulgués avaient été réalisés chez des rongeurs, tout comme dans le cas de la mise à l’essai du citalopram. Puisque le citalopram était un antidépresseur utile et que l’escitalopram était plus puissant sans indication d’effets secondaires, il s’ensuit que la prédiction était valable. Cette allégation, sur laquelle Apotex a particulièrement insisté, doit être rejetée.

 

[134]       L’utilité était promise, l’utilité était prédite, et l’utilité a été démontrée. Une simple parcelle d’utilité suffit (Laboratoires Servier c. Apotex Inc., 2008 FC 825, 67 C.P.R. (4th) 241, la juge Snider, au paragraphe 270, citant l’édition de Fox citée au paragraphe 32 des présents motifs, à la page 153).

 

[135]       L’omission de définir la façon de produire ou de construire une invention invaliderait un brevet pour cause d’insuffisance (Pioneer Hi‑Bred Ltd. c. Canada (Commissaire des brevets), [1989] R.C.S. 1623, 25 C.P.R. (3d) 257). Un brevet est suffisant pourvu que le breveté explique en quoi consiste l’invention, son utilité et comment une personne versée dans l’art pourrait la mettre en pratique en la produisant (Pfizer Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), 2008 CAF 108, 67 C.P.R. (4th) 23). Apotex a soutenu que le brevet 452 était invalide parce qu’il divulguait que l’escitalopram serait peut‑être utile pour le traitement de l’obésité et de l’alcoolisme, mais ne fournissait aucun détail à ce sujet. Cependant, le brevet ne formule aucune promesse ou revendication à cet égard, et par conséquent, il n’était pas nécessaire de divulguer des données justificatives. La partie du brevet où se trouvent les revendications prévaut sur la partie où se trouve la divulgation.

 

[136]       Dans le même ordre d’idées, Apotex soutient aussi que le brevet 452 est invalide parce que, même s’il établissait que l’escitalopram était utile comme antidépresseur, il ne le faisait pas pour le R‑citalopram. En effet, la divulgation commence ainsi : [traduction] « la présente invention se rapporte à deux nouveaux énantiomères du [citalopram]. » Encore une fois, la partie du mémoire descriptif où se trouvent les revendications ne promet aucunement que le R‑citalopram est utile comme antidépresseur. Peut‑être qu’il l’est. Peut‑être qu’il ne l’est pas. Cependant, le brevet ne peut pas être jugé invalide à cause de quelque chose qui n’a pas été revendiqué. Tout au plus, le brevet divulguait‑il le R‑citalopram, de sorte qu’il serait beaucoup trop tard pour que quiconque cherche à obtenir la protection d’un brevet.

 

[137]       Cobalt allègue l’inutilité en raison de l’ampleur de l’échelle de dosages dans la revendication 5 de 0,1 à 100 milligrammes, surtout en comparaison d’une échelle plus restreinte dans le brevet du citalopram, le citalopram étant moins puissant. Seul un avocat peut imaginer un tel argument. Cobalt n’a produit aucun élément de preuve indiquant qu’au bas de l’échelle, la dose unitaire ne serait pas utile.

 

[138]       J’ai mentionné précédemment que seules les revendications 1, 3 et la partie de la revendication 5 dépendante de la revendication 3 sont en litige. Dans son avis d’allégation, Apotex a affirmé que la revendication 2, y compris les revendications 4 et 5 qui dépendent de celle‑ci, ne sont pas pertinentes. Cependant, dans son argumentation, Apotex a fait valoir que les revendications 1 à 5 étaient invalides. Les revendications 2, 4 et 5 se lisent comme suit :

‑ 2 ‑

 

Un composé énuméré à la revendication 1, le sel acide pamoïque du (+)‑1‑(3‑dimethylaminopropyl)‑1‑(4‑fluorophényl‑1, 3‑dihydro‑isobenzofuran‑5‑carbonitrile.

 

‑ 4 ‑

 

Une formulation pharmaceutique sous une forme posologique unitaire utile comme antidépresseur comprenant un diluant ou un adjuvant pharmaceutiquement acceptable et, en tant qu’ingrédient actif, une quantité efficace du composé défini dans la revendication 2.

 

‑ 5 ‑

 

Une formulation pharmaceutique sous une forme posologique unitaire, utile comme antidépresseur selon la revendication 3 ou 4, dans laquelle la quantité de l’ingrédient actif présent varie de 0,1 à 100 milligramme par dose unitaire.

 

 

[139]       Apotex allègue que le sel résultant de l’addition d’acide pamoïque à l’escitalopram est toxique. Le fondement de cette allégation est une demande de brevet déposée par Lundbeck en 2004, qui fait référence à la base libre de l’escitalopram en tant qu’une huile, et non un sel. Le sel d’acide pamoïque ou les sels pamoate ont fait l’objet d’une autorisation de commercialisation en 1988 (McClelland, contre‑interrogatoire, aux pages 200 à 205). Quoi qu’il en soit, la revendication 1 porte uniquement sur l’escitalopram et ses sels d’addition non toxiques, et ne porte par sur le sel d’acide pamoïque. Dans Burton Parsons Chemicals Inc. c. Hewlett Packard (Canada) Ltd., [1976] 1 R.C.S. 555, à la page 563, 17 C.P.R. (2d) 97, on a conclu que les connaissances que le destinataire versé dans l’art est censé posséder doivent être prises en considération lors de l’interprétation du brevet. Pour le destinataire, il est évident que la synthèse d’un composé avec des ingrédients toxiques est impensable.

 

[140]       Ce raisonnement s’applique aussi à l’allégation selon laquelle certains des sels ne sont peut‑être pas utiles. Les caractéristiques de sels impropres seraient évitées par l’application des connaissances que devrait posséder le destinataire versé dans l’art. Ainsi, les allégations au regard des revendications 2, 4 et 5 ne sont pas justifiées.

 

[141]       Apotex et Cobalt affirment que le mémoire descriptif est insuffisant puisque les méthodes de séparation divulguées ne pouvaient pas servir à une production industrielle pour des raisons d’ordre économique et environnemental. Mis à part l’absence de preuve, l’argument est dénué de pertinence puisque l’utilité commerciale n’était pas promise et n’était pas nécessaire. La question est de savoir si l’invention fonctionne et fait ce que le mémoire descriptif promet qu’elle fera : agir comme antidépresseur.

 

[142]       M. Keana a trouvé tellement de défauts de langue dans le brevet qu’il ne pouvait pas être compris. Par exemple, il y avait une mention d’un composé 20 dont il a dû concéder, en contre‑interrogatoire, qu’il s’agissait d’une erreur d’écriture et qu’il devait s’agir de l’escitalopram. De plus, il y avait une omission de mentionner le phénol, alors qu’il était impossible de faire fonctionner l’invention sans lui. M. McClelland, aussi appelé par Apotex, n’avait aucune difficulté à comprendre l’invention.

 

[143]       Genpharm a critiqué le brevet pour les raisons suivantes : il ne donne pas de marges d’erreur, il affirme que c’était surtout l’escitalopram plutôt que le R‑citalopram qui était actif sans fournir suffisamment de détails, et il expose des résultats d’essais qui étaient nécessairement une compilation de résultats obtenus lors de plus d’un essai. Les résultats d’essais donnaient néanmoins suffisamment de détails. Même en admettant une marge d’erreur, au pire, l’escitalopram était seulement soixante fois plus puissant que le R‑citalopram. Ce qui importe, c’est que l’escitalopram était beaucoup plus puissant, et tous les chimistes appelés par les défenderesses présumaient qu’un énantiomère serait plus puissant qu’un autre.

 

[144]       Les défenderesses allèguent que la portée des revendications est plus large que l’invention fabriquée. Par exemple, Cobalt allègue qu’à supposer seulement qu’il y ait une invention, celle‑ci devrait être limitée aux méthodes de séparation précises divulguées dans le brevet 452, et que l’escitalopram ne peut pas être revendiqué quel que soit son procédé de fabrication. Cette question sera soumise à la Chambre des lords, comme je l’ai mentionné précédemment. Cependant, j’estime que l’état du droit est tel que l’a exposé lord Hoffman, qui est descendu de la Chambre des lords pour entendre la cause Generics (U.K.) Ltd. en appel :

[traduction]

26. Le juge a statué que la revendication 1 et la revendication 3 (qui dépend de la revendication 1) étaient insuffisantes. Il considérait que la revendication 1, ayant pour objet l’énantiomère (+) en tant que produit, était une revendication d’un monopole sur ce produit quel que soit son procédé de fabrication : voir l’alinéa 60(1)a) de la Loi de 1977. Mais l’idée inventive de Lundbeck n’était pas de découvrir que l’énantiomère existait et avait un effet médicinal. Tout le monde savait que les deux énantiomères existaient et que l’un ou l’autre ou les deux avaient un effet médicinal. Ce que Lundbeck a découvert, c’était une façon de le fabriquer. Mais cela ne lui donnait pas droit à un monopole sur toutes les façons de le fabriquer.

 

27. Je peux comprendre la réaction instinctive du juge – avec laquelle je sympathise – devant la portée inhérente d’une revendication se rapportant à un produit. D’ailleurs, comme je le démontrerai tout à l’heure, il n’est pas le premier à protester de la sorte. Mais je suis d’avis que ni la loi ni la jurisprudence ne justifient son raisonnement. Normalement, dans le contexte d’une revendication se rapportant à un produit, le produit, c’est l’invention. Il est satisfait au critère du caractère réalisable si le mémoire descriptif et les connaissances générales courantes permettent à la personne versée dans l’art de réaliser l’invention. Une seule méthode suffit.

 

[145]       Cobalt allègue que l’article 53 a été violé parce que la brevetée a omis de divulguer les antériorités qui révélaient l’importance de la stéréochimie et la probabilité qu’un énantiomère ait une meilleure activité pharmaceutique que l’autre, et a omis de porter ces faits à l’attention de l’examinateur de brevets. Cependant, il n’y a aucune disposition dans la Loi sur les brevets ou les Règles sur les brevets selon laquelle l’omission de divulguer des antériorités aurait une quelconque incidence sur la validité d’un brevet. En tout état de cause, l’antériorité la plus rapprochée était le brevet américain 193 qui avait été divulgué.

 

[146]       Cet argument va à l’encontre de la proposition admise selon laquelle même un étudiant de premier cycle en chimie organique aurait apprécié les aspects stéréochimiques du brevet. Bien que la présente affaire ne porte pas sur les qualités que devrait posséder un examinateur de brevets, il n’y a certainement aucune raison de supposer qu’il est stupide.

 

[147]       L’article 53 disposait qu’un brevet pourrait être invalidé si une allégation importante était fausse et était formulée délibérément dans le but d’induire en erreur. Cobalt et Apotex ont toutes deux fait grand cas de ce que le brevet énonce [traduction] « […] Les résultats de l’administration à des êtres humains ont été très gratifiants. » À cette époque, comme l’a confirmé M. Bøgesø, l’escitalopram n’avait pas été administré à des êtres humains. Lundbeck a produit des éléments de preuve émanant de Peter Davies, qui a travaillé pendant 37 ans au Bureau canadien des brevets, terminant sa carrière comme président de la Commission d’appel des brevets. S’il avait été l’examinateur qui recherchait l’utilité, il aurait examiné les données communiquées et aurait pensé que l’affirmation se rapportait au racémate. Avec le respect que je dois à M. Davies, le libellé n’était pas technique, et la Cour n’a pas besoin de son aide pour lire cette partie du brevet, bien que je note que, quelques pages avant, apparaît l’affirmation suivante : [traduction] « […] Tous les travaux réalisés pour fabriquer ce composé l’ont été avec le racémate […] » Cependant, le témoignage de preuve de M. Davies est utile en ce qu’il souligne que l’historique du dossier n’indique pas que l’examinateur aurait demandé une explication ou une correction de cette affirmation. Compte tenu que le brevet comporte deux pages entières d’évaluation de l’escitalopram chez des rongeurs ainsi qu’un tableau de résultats d’essais pharmacologiques, je considère que la phrase précitée n’a induit personne en erreur. En outre, il n’y a aucune preuve d’une tentative d’induire en erreur.

 

QUESTIONS INTERLOCUTOIRES

[148]       Les présents motifs mentionnent des efforts déployés par Lundbeck en vue d’obtenir la radiation d’affidavits ou de parties d’affidavits, de produire de nouveaux éléments de preuve ou les deux. Les avocats des défenderesses ont parfois donné comme instruction à des témoins qui étaient contre‑interrogés de ne pas répondre aux questions, et certaines réponses ont été données sous réserve d’objections. Les requêtes seront rejetées, et il n’est pas nécessaire de trancher les objections et les refus puisqu’aucun élément de preuve nouveau n’est nécessaire, non plus que les réponses aux questions auxquelles il n’a pas été répondu, et que je ne me suis nullement appuyé sur les éléments de preuve présentés sous réserve. Cela ne serait d’aucune utilité.

 

CONCLUSIONS FINALES

[149]       En résumé, le brevet 452 n’est pas un brevet de sélection. Si je me trompe sur ce point, alors il s’agit d’un brevet de sélection invalide. Les autres allégations d’invalidité formulées par les défenderesses, que ce soit pour cause d’antériorité, d’évidence, ou d’ambiguïté ou pour quelque autre motif, ne sont pas justifiées. Lundbeck a établi le bien‑fondé de ses demandes et il sera interdit au ministre de délivrer des avis de conformité aux défenderesses avant l’expiration du brevet.

 

DÉPENS

[150]       Lundbeck Canada Inc. et H. Lundbeck A/S ont droit à un mémoire de frais dans le cadre de chacune des trois demandes. À défaut d’entente, les parties ont 30 jours pour demander des instructions par voie de requête, et elles peuvent demander que soit ordonné le paiement d’une somme globale en tout ou en partie. Puisque le ministre n’a pas participé aux instances, les ordonnances d’interdiction seront prononcées contre lui sans frais.

 

 

 

« Sean Harrington »

Juge

 

Toronto (Ontario)

25 février 2009

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

David Aubry, LL.B.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER :                                              T‑372‑07

INTITULÉ DE LA CAUSE :                  LUNDBECK CANADA INC. c. LE MINISTRE DE LA SANTÉ, GENPHARM ULC et H. LUNDBECK A/S

 

DOSSIER :                                              T‑991‑07

INTITULÉ DE LA CAUSE :                  LUNDBECK CANADA INC. c. LE MINISTRE DE LA SANTÉ, APOTEX INC. et H. LUNDBECK A/S

 

DOSSIER :                                              T‑1395‑07

INTITULÉ DE LA CAUSE :                  LUNDBECK CANADA INC. c. LE MINISTRE DE LA SANTÉ, COBALT PHARMACEUTICALS INC. et H. LUNDBECK A/S

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                       Montréal (Québec)

 

DATES DE L’AUDIENCE :                   T‑372‑07 :     1er au 5 décembre 2008

                                                                  T‑991‑07 :     8 au 12 décembre 2008

                                                                  T‑1395‑07 :   16 au 18 décembre 2008

 

MOTIFS DES ORDONNANCES :       Le juge Harrington

 

DATE DES MOTIFS :                            Le 25 février 2009

 

COMPARUTIONS :

 

Marie Lafleur

Julie Desrosiers

 

POUR LA DEMANDERESSE ET LA DÉFENDERESSE/BREVETÉE DANS T‑372‑07, T‑991‑07 ET T‑1395‑07

 

Aucune comparution

POUR LE DÉFENDEUR LE MINISTRE DE LA SANTÉ

 

 

Bradley White

Marcus Klee

POUR LA DÉFENDERESSE GENPHARM ULC DANS T‑372‑07

 

 

Andrew Brodkin

Richard Naiberg

POUR LA DÉFENDERESSE APOTEX INC. DANS T‑991‑07

 

 

Douglas Deeth

Heather Watts

POUR LA DÉFENDERESSE COBALT PHARMACEUTICALS INC. DANS T‑1395‑07

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Fasken Martineau duMoulin s.r.l.

Avocats

Montréal (Québec)

POUR LA DEMANDERESSE ET LA DÉFENDERESSE/BREVETÉE DANS T‑372‑07, T‑991‑07 ET T‑1395‑07

 

 

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR LE MINISTRE DE LA SANTÉ

 

 

Osler, Hoskin & Harcourt, s.r.l.

Avocats

Ottawa (Ontario)

POUR LA DÉFENDERESSE GENPHARM ULC DANS T‑372‑07

 

 

Goodmans LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LA DÉFENDERESSE APOTEX INC. DANS T‑991‑07

 

 

Deeth Williams Wall LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LA DÉFENDERESSE COBALT PHARMACEUTICALS INC. DANS T‑1395‑07

 

 

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