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Date : 20090227

Dossier : IMM-2377-08

Référence : 2009 CF 211

Ottawa (Ontario), le 27 février 2009

En présence de monsieur le juge Harrington

 

ENTRE

DILIM VANESSA CHUKWUDEBE

demanderesse

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Voici comment cela fonctionne, en principe. En cas de revendication du statut de réfugié ou de personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la Loi),  il ne doit pas y avoir renvoi du Canada avant qu’une décision ne soit rendue. Si la décision est négative, le demandeur a alors le droit de demander un examen des risques avant renvoi (ERAR). Dans la plupart des affaires, cette demande d’ERAR donne lieu à un sursis supplémentaire automatique à l’exécution d’une mesure de renvoi. Si Mme Chukwudebe avait déposé sa demande dans les délais, elle aurait eu droit à un sursis supplémentaire jusqu’à ce que la décision sur l’ERAR ait été rendue. Or celle-ci n’a pas encore été rendue.

 

[2]               Elle a cependant déposé sa demande en retard. Les articles 160 et suivants du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés prévoient qu’en pareil cas, la demande d’ERAR est tout de même recevable, mais elle n’opère plus automatiquement sursis à la mesure de renvoi.

 

[3]               L’article 48 de la Loi prévoit que l’étranger, ainsi de Mme Chukwudebe, visé par la mesure de renvoi exécutoire, doit immédiatement quitter le territoire du Canada. La mesure doit de surcroît être appliquée par l’agent d’exécution « dès que les circonstances le permettent ».

 

[4]               Mme Chukwudebe a demandé par l’intermédiaire de son avocat qu’il soit sursis à son renvoi jusqu’à ce qu’une décision ait été rendue à l’égard de sa demande d’ERAR. Son plaidoyer n’a pas été pris en considération. Sa demande a été rejetée. Il s’agit donc du contrôle judiciaire de cette décision.

 

[5]               Mme Chukwudebe était tenue de déposer sa formule de demande pour le 12 février 2008, et les observations écrites à l’appui de sa demande, pour le 27 février 2008.

 

[6]               Elle a rempli la formule au cabinet de son avocat le 11 février 2008. Plutôt que de faire livrer la formule par messager, le cabinet l’a postée le même jour. Selon les documents du dossier du tribunal, la demande n’a été reçue que le 17 février 2008. Quant aux observations écrites subséquentes, elles n’ont été reçues que le 3 mars 2008.

 

[7]               Mme Chukwudebe a été informée que sa demande avait été reçue en retard et on lui a donné une date pour se présenter à l’aéroport de Toronto aux fins de son renvoi.

 

[8]               Son ancien avocat a expliqué que sa cliente était alors enceinte et malade et que c’était la raison pour laquelle la demande n’avait été postée que le 11 février 2008. Il a déclaré erronément que [traduction] « la date limite était le 14 février 2008 ». Il a manifestement commis une erreur. La raison du retard des observations écrites, qui devaient être déposées le 27 février, n’a pas vraiment été expliquée. L’avocat a soutenu qu’il y avait bien une intention véritable de respecter le délai et a cité plusieurs décisions à cet égard.

 

[9]               L’agent d’exécution n’a pas été convaincu. Il rappelle l’historique de l’affaire dans ses notes au dossier, notamment diverses observations de l’avocat, et conclut simplement que rien ne justifie les dépôts en retard.

 

[10]           L’agent d’exécution s’est attaché à la grossesse de Mme Chukwudebe, et n’a pas été convaincu que cela l’avait empêchée de remplir sa demande d’ERAR et de la déposer dans les délais prévus. Il a raison. Elle a fait tout ce qu’elle pouvait. Les retards sont de nature administrative et sont le fait de son avocat. L’agent d’exécution n’a pas saisi cette différence et n’a pas tenu compte de la jurisprudence de la Cour.

 

[11]           L’avocate de Mme Chukwudebe a cité quatre décisions de la Cour ayant accueilli le contrôle judiciaire de décisions défavorables dans lesquelles des demandes avaient été rejetées pour avoir été déposées en retard ou pour défaut de comparaître. Il a cité en particulier Januzi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1386, 267 F.T.R. 161, [2004] A.C.F. n° 2189 (QL). Il s’agit d’une affaire où, du fait qu’un formulaire de renseignements personnels avait été remis en retard, la Commission de l’immigration et du statut de réfugié avait considéré que la demande du statut de refugié avait été abandonnée. Même une fois éclairci le problème de communication, la Commission avait refusé de rouvrir la demande.

 

[12]           L’avocate de Mme Chukwudebe a cité le paragraphe 8 de cette décision :

J'aurais cru qu'il allait de soi qu'il fallait interpréter la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, et son règlement d'application, en ayant toujours son objet à l'esprit. L'article 3 précise que la Loi vise avant tout à sauver des vies et à protéger les personnes de la persécution, ainsi qu'à faire bénéficier ceux qui fuient la persécution d'une procédure équitable. Cette décision ne reflétait pas les idéaux humanitaires du Canada.

 

[13]           Il y a lieu en outre de distinguer l’erreur d’un avocat en tant qu’avocat et une erreur administrative de son cabinet. Ainsi que je l’ai affirmé dans Medawatte c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2005 CF 1374, 52 Imm. L.R. (3d) 109, [2005] A.C.F. n° 1672 (QL) :

[10]   Il existe une jurisprudence abondante en la matière selon laquelle une partie doit subir les conséquences des actes de son avocat. Je suis du même avis. Si la cause a été mal préparée, si la jurisprudence pertinente n'a pas été portée à l'attention de la Cour dans une affaire au civil ou si les témoins ont été mal choisis, c'est la partie concernée qui doit en subir les conséquences. Y a-t-il toutefois une différence entre la faute de commission et la faute d'omission? Il ne s'agit pas, en l'espèce, d'une tâche mal exécutée par un avocat. Il n'a pas fait quelque chose qu'il aurait dû faire. Dans la décision Andreoli c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) 2004 CF 1111; 2004 A.C.F. 1349 (QL), il avait été décidé que les demandeurs s'étaient désistés de leur revendication du statut de réfugié parce que l'interprète du bureau de leur avocat n'avait pas communiqué un changement d'adresse aux autorités. J'ai conclu dans cette affaire que la Commission avait puni les demandeurs pour la négligence d'un tiers en décidant qu'ils étaient responsables de leur propre malheur. En outre, le rejet de la revendication serait allé à l'encontre des principes de justice naturelle. J'ai tenu les propos suivants :

 

Je rends la présente ordonnance, en ayant en tête les propos de Lord Denning dans Doyle c. Olby (Ironmongers) Ltd. (1969) 2 All E.R. 119, qui à la page 121 énonçait :

 

We never allow a client to suffer for the mistake of his counsel if we can possibly help it. We will always seek to rectify it as far as we can. We will correct it whenever we are able to do so without injustice to the other side. Sometimes the error has seriously affected the course of the evidence, in which case we can at best order a new trial.

 

Il ne s'agit pas en l'espèce d'un cas où l'avocat a mal plaidé sa cause sur le fond. Il s'agit plutôt d'une affaire qui n'a jamais été entendue à cause d'une erreur administrative qui s'est produite au bureau de l'avocat.

 

[14]           L’agent d’exécution n’a pas indiqué dans ses notes qu’il avait examiné la jurisprudence. Il n’a pas tenu compte non plus de la raison pour laquelle il ne doit pas, normalement, y avoir renvoi du demandeur en attendant une décision d’ERAR. La raison est que jusqu’à ce que la décision soit rendue, le demandeur a peut-être besoin d’une protection internationale.

 

[15]           Nul n’est censé ignorer la loi, pas même les agents d’exécution. La décision a été déraisonnable et j’accueillerai le contrôle judiciaire.

 

[16]           Même si Mme Chukwudebe n’a pas obéi à la mesure de renvoi, l’argument qu’il n’y a pas lieu de lui accorder le contrôle judiciaire car son attitude n’avait pas été irréprochable est quelque peu ironique et sans intérêt en l’espèce. Elle ne s’est jamais cachée et pendant un certain temps, elle s’est représentée elle-même. Elle donne son adresse et son numéro de téléphone dans les documents qu’elle a signifiés et déposés! Qui plus est, elle a assisté en personne à son audience au tribunal.

 

[17]           Je me préoccupe par ailleurs de ce que, pour des raisons que l’avocate de la défenderesse n’a pas su expliquer, aucune décision sur la demande d’ERAR de la demanderesse n’a encore été rendue, en dépit du fait que normalement, elle aurait dû être rendue depuis longtemps.

 


 

ORDONNANCE

            LA COUR ORDONNE :

1.                  La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

2.                  L'affaire est renvoyée à un autre décideur pour qu’une nouvelle décision soit rendue.

3.                  Il n'y a aucune grave question de portée générale à certifier.

 

 

 

« Sean Harrington »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

 

Christian Laroche, LL.B.

Réviseur


Cour fédérale

 

Avocats inscrits au dossier

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2377-08

 

INTITULÉ :                                       Chukwudebe c. MCI

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 25 février 2009

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       Le juge Harrington

 

DATE DES MOTIFS
ET DE L’ORDONNANCE :
             Le 27 février 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Mercy Dadepo

POUR LA DEMANDERESSE

 

Deborah Drukarsh

POUR LE DÉFENDEUR

 

Avocats inscrits au dossier :

 

Mercy Dadepo Law Office

Avocats

North York (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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