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Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20081128

Dossier : DES-5-08

Référence : 2009 CF 203

 

Ottawa (Ontario), le 28 novembre 2008

En présence de monsieur le juge Simon Noël

 

AFFAIRE INTÉRESSANT un certificat signé en application du paragraphe 77(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi);

 

ET le dépôt de ce certificat à la Cour fédérale du Canada conformément au paragraphe 77(1) et aux articles 78 et 80 de la Loi;

 

ET Mohamed HARKAT

 

 MOTIFS PUBLICS EXPURGÉS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Les avocats spéciaux demandent à avoir accès aux relevés d’emploi de T.S., une ancienne fonctionnaire du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS), qui a participé à l’enquête sur M. Harkat à titre d’agente de renseignements […]. Subsidiairement, les avocats spéciaux ont suggéré que la Cour examine les relevés d’emploi de cette personne et décide s’ils doivent être communiqués.

 

[2]               Les avocats spéciaux affirment que les relevés d’emploi de T.S. sont pertinents dans la présente instance, du fait de la […] relation qui s’est formée entre elle et une personne intéressant le SCRS […] dans le contexte de l’enquête sur M. Harkat.

 

[3]               Les faits et circonstances qui suivent ont été produits en preuve par un témoin du SCRS qui a été contre-interrogé par les avocats spéciaux sur ce point :

  • T.S. a été fonctionnaire du SCRS de la fin des années 1980 jusqu’au 11 janvier 2002;
  • […]
  • […]
  • […];
  • Au début de février 1998, T.S. a vécu des difficultés familiales. Peu après, A.B. a pris contact avec l’agente par téléphone au travail.
  • À mesure que la relation entre T.S. et A.B. progressait, des cadeaux et des photos ont été échangés. L’agente a commencé à communiquer avec A.B. depuis son domicile et son lieu de travail.
  • En décembre 1998, T.S. a reçu des instructions écrites de son employeur de cesser tout contact avec A.B. Elle a passé outre à ces instructions.
  • En avril 1999, T.S. a voyagé […] pour des  vacances, où elle a eu une […] rencontre avec A.B.
  • Le SCRS n’a été mis au courant de la […] rencontre qu’en 2001, et a pris à ce moment-là la décision de déclencher une enquête de sécurité interne;
  • Le 11 janvier 2002, T.S. a été renvoyée, consécutivement à la révocation de sa cote de sécurité;
  • […];
  • T.S. a déposé un grief […], lequel a été rejeté.

 

[4]               Les avocats spéciaux s’inquiètent de la fiabilité et de la crédibilité des renseignements fournis […]. Ils demandent à avoir accès aux relevés d’emploi de T.S. afin de voir s’ils les aideront à étudier la fiabilité et la crédibilité des informations recueillies pendant la période […].

 

[5]               Les avocats spéciaux font valoir que la Cour devrait adopter une démarche analogue à celle établie dans O’Connor c. La Reine, (1995) 103 C.C.C. (3d) 1 (C.S.C.). Étant donné que cette partie de l’instance relative au certificat a lieu à huis clos, ils affirment que s’ils établissent que les dossiers sont vraisemblablement pertinents relativement à l’instance, ils doivent alors être communiqués. Cette affirmation repose sur le postulat qu’il ne saurait y avoir violation de l’attente raisonnable en matière de protection de la vie privée si les documents sont remis à des personnes tenues par la loi de s’assurer qu’ils demeurent confidentiels.

 

[6]               Les ministres reconnaissent que la Cour peut s’inspirer utilement du droit pénal pour étayer son analyse de la présente demande de communication, mais que les normes de divulgation en l’espèce et dans un procès pénal ne sont pas identiques. Ils affirment que le fait que l’instance ait lieu à huis clos n’empêche pas qu’opèrent les règles de la common law régissant le privilège, et que le droit à la protection de la vie privée existe même dans cette partie de l’instance qui se déroule à huis clos.

 

[7]               Dans Charkaoui c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CSC 38 (l’arrêt Charkaoui no 2), les juges Lebel et Fish précisent bien que les procédures relatives aux certificats de sécurité ne sont pas des procès pénaux. La différence toutefois ne provient pas d’une distinction formelle entre le droit pénal et celui de l’immigration, mais « dépend plutôt de la gravité des conséquences de l’intervention de l’État sur les intérêts fondamentaux de liberté, de sécurité et parfois de droit à la vie de la personne » (voir le paragraphe 53). Ils concluent que la procédure des certificats de sécurité peut mettre « gravement en péril » ces droits protégés.

 

[8]               Les juges Lebel et Fish soulignent ce qui suit au paragraphe 47 de l’arrêt Charkaoui no 2 :

[…] les informations détenues par le SCRS devraient être communiquées aux ministres et au juge désigné dans le contexte de la procédure relative aux certificats de sécurité. Cette méthode exigera une approche plus nuancée que la simple transposition du modèle que la jurisprudence a établi dans le domaine de la justice pénale. En effet, il importe de prendre en compte l’ensemble des intérêts en jeu qui mettent en cause la sécurité publique et certaines des fonctions essentielles de l’État.

 

 

 

[9]               Puis la Cour précise que le droit de divulgation élargi que prescrit l’article 7 impose la divulgation d’informations « reliées à l’évaluation du caractère raisonnable du certificat de sécurité et à sa mise en œuvre » (paragraphe 58).

 

[10]           Les obligations de divulgation de l’arrêt Charkaoui no 2 semblent calquées sur l’application des principes de la communication en droit pénal, mais sont adaptées à la question dont est particulièrement saisi le juge désigné dans une procédure relative au certificat de sécurité, soit la vérification des informations et des motifs sur lesquels se fonde le certificat. Fondamentalement, l’objet de la divulgation prescrite par la Cour suprême dans l’arrêt Charkaoui no 2 est de permettre au juge désigné et aux avocats spéciaux de vérifier la fiabilité et la crédibilité des informations sur lesquelles les ministres se sont appuyés pour démontrer que le certificat est raisonnable. Selon la Cour suprême, il faut, dans le contexte de la procédure relative au certificat, « un droit élargi à l’équité procédurale, qui impose la divulgation de la preuve, dans le cadre des procédures reliées à l’évaluation du caractère raisonnable du certificat de sécurité et à sa mise en œuvre. [Paragraphe 57; non souligné dans l’original.]

 

[11]           Il faut donc se demander si les relevés d’emploi de T.S., une agents de renseignements du SCRS, sont nécessaires pour que la Cour assume sa responsabilité judiciaire de vérifier l’exactitude et la fiabilité des allégations touchant le caractère raisonnable du certificat dans lequel M. Harkat est nommé. Je ne pense pas qu’ils le soient. Les relevés d’emploi contiennent des renseignements sur les antécédents professionnels d’une personne, tels que les dates d’emploi, les postes occupés dans l’organisme, les salaires et les prestations versés pendant la période d’emploi, les évaluations annuelles, etc. Ce genre de renseignements est de nature intrinsèquement personnelle et n’aidera pas à déterminer la fiabilité des informations […] et ne permettra pas d’apprécier la qualité du rapport […]. 

 

[12]           La situation est différente cependant si la demande porte sur le […] rapport analysant la fiabilité et la véracité des informations […] qui sont surtout rapportées par […] qui a eu une […] rencontre avec une personne intéressant le SCRS […]. Un tel rapport est nécessaire pour examiner et vérifier l’exactitude des informations présentées à la Cour afin de justifier du caractère raisonnable du certificat. Des renseignements de cette nature vont l’aider à apprécier les informations fournies […] à l’agente de renseignements du SCRS. À ce titre, cela concerne directement la capacité de la Cour de satisfaire à son obligation de vérifier les informations ainsi que ce qu’ont allégué les ministres à l’égard de M. Harkat, et relève des obligations de divulgation établies dans l’arrêt Charkaoui no 2.

 

[13]           Cinq (5) exemplaires du […] rapport devraient être déposés au service des instances désignées afin que la Cour et les avocats spéciaux puissent le lire dans les délais fixés par celle-ci.

 

[14]           Si les ministres ou le SCRS disposent d’autres informations, dans des dossiers administratifs ou opérationnels, notamment des rapports ou des conclusions d’entités du SCRS ou qui lui sont extérieures relativement à la fiabilité et à la crédibilité des […] renseignements fournis […], ces informations relèvent des obligations des ministres en matière de divulgation sur le fondement de l’arrêt Charkaoui no 2, étant donné la […] liaison de l’agente de renseignements du SCRS avec A.B.

 

[15]           S’il y avait lieu de s’interroger sur la nécessité de produire d’autres dossiers, la Cour pourrait, avant d’exiger qu’ils soient présentés, les examiner afin de décider s’ils relèvent des obligations de divulgation établies dans l’arrêt Charkaoui no 2.

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que:

1.                  la demande d’accès aux relevés administratifs d’emploi de T.S., une ancienne agente de renseignements du SCRS, est rejetée;

2.                  cinq exemplaires du ou des […] rapports sur la fiabilité et la véracité des informations […] doivent être déposés au plus tard le 5 décembre 2008, au service des instances désignées du greffe de la Cour fédérale, de même que toute autre information susceptible de relever des obligations de divulgation établies dans l’arrêt Charkaoui no 2;

3.                  les avocats spéciaux recevront un exemplaire du ou des […] rapports.

 

 

« Simon Noël »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Christian Laroche, LL.B.

Réviseur


 

COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                             DES-5-08

 

INTITULÉ :                                            Affaire intéressant un certificat signé en application du paragraphe 77(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés

 

                                                                 ET Mohamed HARKAT

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                     Ottawa (Ontario)

 

DATES DE L’AUDIENCE :                  Les 10, 11, 12, 15, 16, 17, 18, 19 septembre 2008

 

MOTIFS PUBLICS EXPURGÉS
DU JUGEMENT ET JUGEMENT
:    LE JUGE NOËL

 

DATE DES MOTIFS
ET DU JUGEMENT :
                           Le 28 novembre 2008

 

COMPARUTIONS :

 

Me M. Dale

Me D. Tyndale

Me A. Seguin

 

POUR LE DEMANDEUR

Me P. Copeland

Me P. Cavalluzzo

 

AVOCATS SPÉCIAUX

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DEMANDEUR

Copeland, Duncan

Toronto (Ontario)

 

Cavalluzzo, Hayes, Shilton, McIntyre & Cornish, s.r.l.

Toronto (Ontario)

AVOCATS SPÉCIAUX

 

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