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Cour fédérale

 

Federal Court

 

 

Date : 20090220

Dossier : IMM-1466-08

Référence : 2009 CF 176

Montréal (Québec), le 20 février 2009

En présence de l’honorable Maurice E. Lagacé

 

 

ENTRE :

FRANCISCO JAVIER DIAZ SERRATO

demandeur

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          Introduction

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en vertu de l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), d’une décision rendue le 19 février 2008 par la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et la protection des réfugiés, dans laquelle la SPR a conclu que le demandeur n’avait ni la qualité de réfugié au sens de la Convention au sens de l’article 96 de la LIPR, ni celle de personne à protéger au sens du paragraphe 97(1) de la LIPR.

 

II.         Les faits

 

[2]               Le demandeur est marié, père d’un enfant et citoyen du Mexique. Tous les autres membres de sa famille demeurent au Mexique.

 

[3]               Le demandeur soutient qu’il a perdu son emploi et que, par la suite, des personnes liées à son ancien employeur lui ont proféré des menaces en raison de plaintes qu’il avait déposées concernant la sécurité d’anciens collègues qui travaillaient sous sa supervision.

 

[4]               Comme il a déménagé à deux occasions avec sa famille en raison des menaces, le demandeur a quitté le Mexique afin de venir au Canada demander l’asile.

 

III.       La décision contestée

 

[5]               La SPR a conclu que le demandeur n’était pas un réfugié au sens de la Convention parce que la preuve avait révélé qu’il était victime d’une vendetta criminelle exercée par son ancien employeur, qu’« il n’existe aucun lien entre les allégations formulées en l’espèce et les motifs prévus par la Convention » et, également, que le demandeur n’avait pas livré un témoignage crédible ou digne de foi établissant qu’il avait la qualité de « personne à protéger ». La SPR a également conclu que le demandeur n’avait pas réfuté la présomption d’existence de la protection de l’État.

 

IV.       La question en litige

 

[6]               La SPR a‑t‑elle rendue une décision injuste et déraisonnable sur le fondement de conclusions défavorables tirées de façon arbitraire ou sans tenir compte de la preuve?

 

V.        Analyse

            La norme de contrôle

 

[7]               La question est de savoir si la SPR a commis une erreur dans son appréciation des faits dans le cadre de la demande du demandeur. Par conséquent, la norme de contrôle applicable est la raisonnabilité (Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9). Comme il est mentionné au paragraphe 161 de l’arrêt Dunsmuir, « la décision relative à une question de fait commande toujours la déférence », particulièrement lorsque la crédibilité du demandeur est touchée; en outre, « lorsque le litige ne porte que sur les faits, il n’est nécessaire de tenir compte d’aucun autre facteur pour déterminer si la déférence s’impose à l’endroit du décideur administratif ».

 

[8]               Dans le cadre des contrôles des décisions de la SPR, la Cour s’attache « principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, précité, paragraphe 47).

 

[9]               De plus, la Cour doit garder à l’esprit que la SPR n’a pas à établir l’existence de la protection de l’État, étant donné qu’il incombe en tout temps au demandeur d’asile de réfuter la présomption de la protection de l’État (Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2. R.C.S. 689). Il est maintenant de jurisprudence constante que la norme applicable aux décisions portant sur l’existence de la protection de l’État est la raisonnabilité (Chaves c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 193; Navarro c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 358).

 

La protection de l’État

 

[10]           Le demandeur craint principalement que, s’il devait retourner au Mexique, il serait exposé à des attaques, à du harcèlement et à des menaces de son ancien employeur ou d’une personne agissant pour lui. Cependant, comme l’a mentionné la SPR dans sa décision, il y avait divers recours dont aurait pu bénéficier le demandeur afin d’obtenir une réparation. Parmi ces recours, le demandeur avait déjà choisi de présenter une demande auprès d’un agent chargé de l’arbitrage et de la conciliation; malheureusement, il a quitté le Mexique avant de connaître l’issue de ce recours.

 

[11]           En l’absence d’un effondrement complet de l’appareil gouvernemental, il est généralement présumé que l’État est capable de protéger ses citoyens. Afin de réfuter cette présomption, le demandeur doit fournir des éléments de preuve clairs et convaincants selon lesquels l’État est incapable de protéger ses citoyens (Ward, précité).

 

[12]           Le demandeur a choisi de ne pas contester les conclusions de la SPR, selon lesquelles le « Mexique est une démocratie bien établie qui dispose d’un système judiciaire » et « [l]e demandeur d’asile n’a pas réfuté la présomption relative à la protection de l’État » (Espinosa c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1393). La conclusion portant que le demandeur pouvait bénéficier de la protection de l’État justifie à elle seule le rejet de la demande d’asile du demandeur (Sarfraz c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2003] A.C.F. n1974 (C.F. 1re inst.) (QL); Kharrat c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 106).

 

[13]           Dans ses motifs, la SPR a rappelé que même si la corruption restait un problème au Mexique, il s’agit d’un pays ayant une démocratie stable et disposant d’un système judiciaire bien établi. Il convient également de souligner que l’employeur du demandeur a déjà fait l’objet d’une sanction légale et que le demandeur a été capable de présenter une demande à l’agent chargé de l’arbitrage et de la conciliation, mais qu’il n’a pas attendu l’issue de l’affaire.

 

[14]           Par conséquent, non seulement il n’était pas déraisonnable pour la SPR de conclure que le demandeur aurait pu bénéficier de la protection de l’État au Mexique contre l’influence alléguée de son employeur, mais le demandeur a choisi en l’espèce de ne pas s’opposer à cette conclusion, laquelle justifie que la Cour rejette la demande de contrôle judiciaire de la décision contestée.

 

La question de la crédibilité

 

[15]           Même si la SPR avait pu rejeter la demande du demandeur sur le seul fondement qu’il aurait pu bénéficier de la protection de l’État, elle a également conclu que le demandeur n’avait même pas fourni des éléments de preuve crédibles et cohérents à l’appui de sa demande.

 

[16]           La SPR a une expertise reconnue pour trancher les questions de fait, particulièrement, comme en l’espèce, pour évaluer la crédibilité d’un demandeur et la crainte subjective de persécution. La Cour ne modifiera pas les conclusions de fait tirées par la SPR à moins qu’elle conclue que ces conclusions sont déraisonnables, arbitraires ou non étayées par la preuve (Aguebor c. Canada (Ministre de l’Emploi de l’Immigration) (C.A.F.), [1993] A.C.F. no 732; Navarro, précitée, paragraphe 18). En l’espèce, les conclusions tirées par la SPR concernant le manque de crédibilité du demandeur sont pertinentes et étayées par la preuve. Elles ne sont pas arbitraires et sont suffisamment graves; elles ne sont donc pas déraisonnables.

 

Le rapport psychologique

 

[17]           À la clôture de la première séance devant la SPR, le demandeur a demandé l’autorisation de subir un examen psychologique, ce à quoi la SPR a acquiescé. Il soutient que les incohérences relevées dans son témoignage par la SPR révèlent que la SPR n’a pas tenu compte du rapport psychologique produit à la suite de la première séance, rapport qui explique clairement son état et les raisons justifiant ses difficultés.

 

[18]           Le demandeur allègue que la SPR a rejeté à tort le rapport psychologique qui expliquait les difficultés qu’il avait eues pendant son témoignage, lesquelles avaient mené à la conclusion générale défavorable relativement à sa crédibilité, sur laquelle la SPR s’est fondée pour rejeter la demande d’asile. Le demandeur soutient que la SPR n’a pas tenu compte de cet important élément de preuve lorsqu’elle a rendu sa décision et que, par conséquent, l’intervention de la Cour est justifiée.

 

[19]           Essentiellement, le demandeur conteste le poids accordé par la SPR au rapport en question; le rapport révélait que le demandeur souffrait d’un syndrome de stress post‑traumatique qui aurait causé une certaine forme amnésie.

 

[20]           La SPR a affirmé ce qui suit au sujet du rapport psychologique en question :

À la seconde audience, le demandeur d’asile a produit un rapport rédigé par un psychologue, Juan Carlos Andrade, qu’il semble avoir consulté après la première séance. Selon M. Andrade, le demandeur d’asile serait atteint du syndrome de stress post‑traumatique, ce qui lui causerait des problèmes d’amnésie. Le spécialiste a posé son diagnostic en se fondant sur le témoignage du demandeur d’asile. Compte tenu des circonstances, le tribunal n’accorde aucune crédibilité au demandeur d’asile. Le problème n’est pas tant lié aux oublis qu’aux incohérences entre le témoignage qu’il a livré au point d’entrée et celui qu’il a fait à l’audience. Le tribunal ne trouve pas que le demandeur d’asile est un témoin crédible.

[Non souligné dans l’original.]

 

[21]           La SPR a bien effectué une analyse approfondie de l’ensemble de la preuve déposée à l’appui de la demande du demandeur et elle avait le droit d’accorder peu de poids au rapport psychologique étant donné qu’il était fondé sur les propres allégations du demandeur. L’expert médical a essayé, au moyen de son rapport, de justifier la faiblesse du témoignage du demandeur, mais il n’était pas présent lors de l’audience pour entendre ce témoignage et pour apprécier les incohérences dans la demande d’asile. À cet égard, la SPR a eu l’avantage d’entendre le demandeur et d’avoir lu sa déclaration écrite, et elle pouvait déterminer si le syndrome de stress post‑traumatique constituait une justification valable des incohérences.

 

[22]           N’oublions pas qu’un rapport d’expert constitue un élément de preuve comme les autres; il incombait donc à la SPR de déterminer le poids qu’elle devait lui accorder. Il n’est pas du ressort de l’expert de décider si des incohérences dans le témoignage d’un demandeur peuvent être justifiées par un syndrome de stress post‑traumatique. Par suite de l’appréciation de la preuve, la SPR a conclu qu’il ne s’agissait pas d’un cas d’amnésie ou d’oubli de faits, mais d’incohérences. Autrement dit, la SPR a conclu qu’il n’y avait aucun lien entre le syndrome du demandeur et les incohérences. Cette conclusion clôt le débat quant à l’expertise, et ce, même si la SPR aurait pu la commenter davantage.

 

[23]           Si, comme il ne fait aucun doute en l’espèce, la SPR a bien examiné le rapport, mais n’a pas cru que l’avis psychologique s’y trouvant expliquait les incohérences, alors elle avait le droit de lui accorder peu ou pas de poids (Min c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2004 CF 1676, paragraphe 6).

 

[24]           Si le demandeur s’était vu rejeter sa demande par la SPR sur le seul fondement de son comportement ou de son incapacité à se souvenir de certains faits, le rapport d’expert aurait alors pu constituer un élément plus important dans l’appréciation de la preuve de la SPR. Cependant, ce n’est pas le cas en l’espèce étant donné que la SPR a noté de grandes contradictions, incohérences et invraisemblances dans le témoignage du demandeur, lesquelles n’avaient aucun lien avec le syndrome allégué du demandeur, syndrome dont il aurait souffert même avant ses problèmes avec son employeur. Dans ces circonstances, la SPR était raisonnablement justifiée d’évaluer l’importance du rapport comme elle l’a fait – à la lumière de l’ensemble de la preuve – et de lui donner peu de poids.

 

[25]           En outre, la SPR a clairement rejeté la demande d’asile du demandeur au motif que le récit du demandeur n’était pas crédible, et l’évaluation psychologique n’aurait pas pu modifier cette conclusion.

 

[26]           De plus – si l’on garde à l’esprit que les conclusions de la SPR sur l’existence de la protection d’État n’ont pas été énergiquement contestées et qu’elles sont donc confirmées –, même si la SPR avait mal interprété le rapport d’expert, cela n’aurait eu aucune conséquence sur la décision définitive contestée. Ces conclusions en soi justifient donc le rejet de la demande du demandeur.


VI.       Conclusion

 

[27]           Il n’appartient pas à la Cour de substituer sa propre opinion à celle de la SPR comme le demande le demandeur. La SPR a un avantage certain sur la Cour en raison de son expertise et parce qu’elle a entendu le témoignage du demandeur. Personne n’est mieux placé que la SPR pour apprécier la crédibilité du demandeur et la preuve, y compris le rapport d’expert et son importance quant au récit du demandeur.

 

[28]           En résumé, pour l’ensemble des motifs susmentionnés, la Cour conclut que la décision contestée appartient aux issues possibles acceptables au regard des faits et du droit et que la décision doit donc faire l’objet de retenue.

 

[29]           Enfin, la Cour convient avec les parties qu’il n’y a aucune question grave de portée générale à certifier.

 


 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE : la demande est rejetée.

 

 

 

 

« Maurice E. Lagacé »

Juge suppléant

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jean-François Martin, LL.B., M.A.Trad.jur.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-1466-08

 

INTITULÉ :                                                   FRANCISCO JAVIER DIAZ SERRATO

                                                                        c.  M.C.I.

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 15 JANVIER 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LE JUGE SUPPLÉANT LAGACÉ

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 20 FÉVRIER 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Andrea C. Snizynsky

 

POUR LE DEMANDEUR

Yaël Levy

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Andrea C. Snizynsky

Montréal (Québec)

 

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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