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Date : 20090224

Dossier : IMM-3329-08

Référence : 2009 CF 192

Montréal (Québec), le 24 février 2009

En présence de l'honorable Maurice E. Lagacé

 

ENTRE :

TRIXIA MELINA TRUJILLO FERNANDEZ

demanderesse

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          Introduction

 

[1]               La demanderesse sollicite en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR), la révision judiciaire de la décision rendue le 8 juillet 2008 par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (SPR) et ayant pour effet de rejeter sa demande d’asile en raison de l’absence de crédibilité de son récit.

II.        Les faits

 

[2]               Citoyenne du Mexique, la demanderesse allègue craindre d’être persécutée par son ex-conjoint, commandant au sein d’une Agence fédérale d’investigation (AFI).

 

[3]               Après avoir refusé de transporter de la cocaïne pour son ex-conjoint et avoir été violentée par celui-ci, la demanderesse soutient l’avoir quitté pour déposer une plainte aux autorités avant d’aller se réfugier d’abord chez une amie et ensuite chez une cousine, où chaque fois son ex-conjoint trouvait moyen de la retrouver.

 

[4]               En mars 2006, la demanderesse retourne vivre à Mexico, DF, pour s’éloigner mais son ex-conjoint l’aurait retracée et tenté de lui extorquer de l’argent en la menaçant de mort. Après le dépôt d’une deuxième plainte contre celui-ci, la demanderesse décide de quitter le Mexique le 25 novembre 2006 et de venir réclamer l’asile au Canada.

 

[5]               Le 8 juillet 2008, la SPR rejette la demande d’asile au motif que la demanderesse n’est pas crédible quant à sa crainte subjective et qu’en conséquence elle ne s’est pas déchargée de son fardeau de prouver une crainte de persécution bien fondée au Mexique.

 

III.       Questions en litige

 

[6]               Le présent recours soulève les questions suivantes :

a.       La décision de la SPR est-elle déraisonnable?

b.      La SPR a-t-elle enfreint les règles de l’équité procédurale?

 

IV.       Analyse

 

            Norme de contrôle judiciaire

[7]               Puisque la décision de la SPR porte principalement sur l’appréciation des faits et de la crédibilité de la demanderesse, la norme de la décision raisonnable s’applique au présent cas, de sorte que la Cour doit traiter cette décision avec déférence (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9).

 

[8]               Si, comme le soutient la demanderesse, la SPR a enfreint les règles de la justice naturelle ou de l’équité procédurale, la décision de la SRR n’aura droit à aucune déférence de cette Cour qui annulera celle-ci (Benitez v. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 461, au para. 44).

 

Équité procédurale

i)          Le rapport d’enquête préliminaire

[9]               La demanderesse reproche à la SPR de l’avoir privée de son droit à une audition équitable en se basant pour conclure sur un rapport préliminaire d’une agente d’immigration à la mission canadienne de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié du Canada (CIC) à Mexico, alors que ce rapport commandait à la SPR d’obtenir des renseignements additionnels de la demanderesse.

 

[10]           À l’issue d’une audition laissée en plan pour permettre à la SPR de faire sa propre enquête sur les plaintes qu’aurait déposées la demanderesse contre son ex-conjoint, les parties se laissent après que le commissaire audiencier se fut exprimé comme suit :

(...) Quand je reçois le document (rapport d’enquête commandé à la CIC de Mexico), je le transmets à votre procureur et, au besoin, on se revoit, sinon il (i.e. le procureur de la demanderesse) va nous faire les observations par écrit et que ça va mettre un terme à l’audience et puis je vais vous rendre une décision par la suite. Peut-être qu’il va y avoir réouverture de dossier. Quand je vais recevoir le document, je vais prendre une décision si on rouvre ou si, tout simplement, on met un terme à l’audience.

(Dossier du tribunal, page 153)                                                                  [Souligné ajouté]

 

[11]           La SPR prenait alors l’initiative en s’adressant aux autorités canadiennes de Mexico de « vérifier l’authenticité, la provenance et le contenu » d’un document déposé en preuve par la demanderesse relativement à une plainte déposée par celle-ci contre son ex-conjoint. Or la SPR recevait finalement le 1er mai 2008, la réponse suivante à sa demande de vérification :

I’ve been trying to confirm the validity of the document you sent. Up to this moment it does not seem to be genuine based on the number of Acta Especial which is not consistent with the place where the situation took place, and it should. However, they have advised me that to verify validity I should first ask the person [the claimant] in what office (fiscalia o delegacion) did she start the process. If she is able to answer this, I will call the office to verify validity, however, there are any incongruencies in the number of the document that indicate this might be counterfeit...The number should read FAO instead of ITZ, according to the place where the situation happened. Nevertheless, the people at the fiscalia could have made a mistake and accepted to deal with a problem that was not within their “territory”.

[Souligné ajouté]

 

[12]           Il s’agit d’un rapport préliminaire qui exigeait que la SPR continue l’audition de la demande qu’elle avait suspendue pour vérifier les dires de la demanderesse. Ce rapport exigeait d’obtenir de la demanderesse certains renseignements additionnels qui auraient permis aux autorités canadiennes de compléter l’enquête de vérification commandée par la SPR. Il ne s’agit sûrement pas d’un rapport concluant qui permettait à la SPR de conclure comme elle le fait, et certainement pas avant d’avoir reçu de la demanderesse réponse aux questions suggérées par la CIC de Mexico.

 

[13]           Rappelons que c’est pour en avoir le cœur net avec les prétentions de la demanderesse que la SPR décidait de commander cette enquête, de suspendre dans l’intérim l’audition, tout en se réservant le droit de continuer l’audition après le résultat de cette enquête. Or, voici qu’après avoir reçu le rapport préliminaire précité et l’avoir déposé au dossier, la SPR avisait (le 6 mai 2008) le procureur de la demanderesse comme suit :

Le tribunal de la CISR, saisi du dossier mentionné en rubrique, requiert que vous soyez informé de ce qui suit :

Suite à la conclusion de l’audience de la demande d’asile de votre client, l’agent du tribunal a déposé la pièce additionnelle suivante :

                 A-4 Réponse SRRP du 1er mai 2008

Une copie de cette pièce additionnelle est jointe à la présente lettre.

Étant donné la nature de l’information contenue dans cette pièce additionnelle vous avez le droit de faire des représentations lors d’une audience convoquée à cette fin.

Si vous désirez exercer ce droit, un avis écrit à cet effet devra être déposé au greffe de la CISR au plus tard le 16e jour de mai 2008. À défaut d’avoir reçu l’avis écrit le ou avant le 16e jour de mai 2008, vous serez présumé avoir renoncé à votre droit de faire des représentations lors d’une audience convoquée à cette fin et le dossier, incluant la pièce additionnelle, sera pris en délibéré après cette date.

Cependant, si vous désirez faire des représentations par voie de soumissions écrites, celles-ci devront être déposées au greffe de la CISR au plus tard le 16e jour de mai 2008. À défaut de recevoir les soumissions écrites le ou avant le 16e jour de mai 2008, le dossier, incluant la pièce additionnelle, sera pris en délibéré après cette date.

[Souligné ajouté]

 

[14]           Il résulte des propos du commissaire audiencier lors de la suspension de l’audition le 20 décembre 2007, et de la teneur de l’avis susdit, que la demanderesse et son procureur étaient en droit de s’attendre à être convoqués pour la continuation d’une audition suspendue pour permettre à la SPR de faire enquête sur certaines prétentions de la demanderesse. Cette reprise d’audition s’imposait d’autant plus que le rapport préliminaire soumis par l’autorité canadienne de Mexico suggérait à la SPR de soumettre certaines questions à la demanderesse pour lui permettre de poursuivre et compléter l’enquête commandée par la SPR.

 

[15]           Or, il n’y a jamais eu reprise d’audition; la SPR n’a jamais soumis à la demanderesse les questions suggérées par la CIC de Mexico, la demanderesse s’attendait à être convoquée à une reprise de l’audition pour y répondre, et voilà que la SPR se base sur un rapport préliminaire non concluant pour attaquer la crédibilité de la demanderesse.

 

[16]           La SPR ayant décidé de faire sa propre enquête se devait de la mener à terme et de donner à la demanderesse l’occasion de répondre aux questions suscitées au niveau préliminaire de l’enquête. La SPR ayant laissé croire qu’elle fixerait une date pour la continuation de l’audition qu’elle avait décidé de suspendre pour un motif bien précis, se devait de respecter sa propre procédure avant de rendre sa décision sur la demande d’asile de la demanderesse.

 

[17]           Comment ne pas raisonnablement conclure que l’équité procédurale n’a pas été respectée?

 

ii)         Le rapport psychologique

[18]           La SPR conclut à l’absence de crédibilité de la demanderesse pour ne pas retenir ses prétentions de crainte subjective.

 

[19]           Pour corroborer ses allégations de femme brisée par la violence physique et psychologique d’un ex-conjoint, la demanderesse a produit hors délai en début d’audition devant la SPR, un rapport signé par une psychologue qui, après un test technique, conclut que la demanderesse présentait des symptômes importants de stress post-traumatique, d’anxiété et de dépression.

 

[20]           Voici ce que le membre audiencier a à dire sur ce rapport en début de la courte audition du 20 décembre 2007 :

Alors on a eu une courte conférence avant le début de l’audience, en regard du rapport psychologique, Madame. Alors maître Centurion m’a expliqué les tenants du rapport, qu’il vient tout juste de recevoir. Alors il vous a expliqué aussi que vous étiez hors délai au niveau du dépôt du texte. Alors écoutez, je n’ai pas pris connaissance, je vais accepter le document sous réserve et on verra en cours d’audience ce qu’il en est.

(Dossier du tribunal, page 128)                                                                [Souligné ajouté]

 

[21]           Par ces propos, le membre audiencier de la SPR s’engageait à prendre connaissance du rapport d’expertise, ou à tout le moins à décider s’il l’acceptait en preuve ou pas, et selon le cas quel poids il lui attribuerait après l’avoir lu. D’autant plus, ne l’oublions pas, la SPR dans sa décision met en doute la crédibilité de la demanderesse en ce qui concerne ses allégations de crainte de violence physique et psychologique aux mains d’un ex-conjoint étant par surcroit commandant au sein de l’AFI.

 

[22]           Or nulle part dans sa décision ou lors de l’audition, la SPR ou le membre audiencier ne discutent de la pertinence du rapport psychologique reçu sous réserve de sa production tardive. La SPR ignore complètement ce rapport et agit et décide par la suite tout comme s’il n’existait pas.

 

[23]           Oui la SPR déclare dans sa décision avoir « analysé l’ensemble de la preuve », et oui il faut peut-être présumer qu’elle en a pris connaissance. Mais si tel était vraiment le cas pourquoi n’être pas revenu, en cours d’audition ou dans la décision, sur la « réserve » enregistrée en début d’audition à l’égard de ce rapport?

 

[24]            Aucune décision sur ce rapport accepté « sous réserve », aucune mention qu’il a même été lu, aucun commentaire sur sa pertinence et le poids à lui accorder. Ce rapport constitue pourtant pour la demanderesse un élément important de sa preuve, et la SPR semble l’avoir complètement ignoré après l’avoir accepté « sous réserve » d’une décision toujours inexistante quant à la tardivité de son dépôt.

 

[25]           Comment ne pas raisonnablement conclure, encore une fois, que l’équité procédurale n’a pas été respectée?

 

 

IV.       Conclusion

 

[26]           Face au cumul de ces manquements à l’équité procédurale, la demanderesse a raison de conclure que la décision est déraisonnable et qu’elle n’a pas bénéficié d’une audition juste et équitable. En conséquence, la Cour se doit d’intervenir et d’annuler la décision de la SPR.

 

[27]           Aucune question importante de portée générale n’ayant été proposée, aucune question ne sera certifiée.


 

JUGEMENT

 

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

 

ACCUEILLE la demande de contrôle judiciaire, ANNULE la décision du 8 juillet 2008, et RENVOIE l’affaire à un tribunal de la Commission différemment constitué pour réexamen.

 

 

 

« Maurice E. Lagacé »

Juge suppléant

 


 

COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-3329-08

 

INTITULÉ :                                       TRIXIA MELINA TRUJILLO FERNANDEZ c. MCI

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 3 février 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LAGACÉ J.S.

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 24 février 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Alain Joffe

 

POUR LA DEMANDERESSE

Suzanne Trudel

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Alain Joffe

Montréal (Québec)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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