Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

Date : 20090220

Dossiers : IMM-1711-08

IMM-1712-08

Référence : 2009 CF 180

Montréal (Québec), le 20 février 2009

En présence de l'honorable Maurice E. Lagacé 

 

ENTRE :

SOTO DUARTE LUIS ROBERTO

GALLEGOS ORIZABA MARIA ELENA

SOTO GALLEGOS BRISEIDA

SOTO GALLEGOS ROBERTO

SOTO GALLEGOS BRENDA

SOTO GALLEGOS CINDY

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Les demandeurs présentent une demande de contrôle judiciaire contre deux décisions d’une agente d’évaluation des risques avant renvoi (agente ERAR) qui rejette leur demande de résidence permanente basée sur des considérations humanitaires (demande CH), et rejette également leur demande d’évaluation des risques avant renvoi (demande ERAR) au motif qu’ils n’ont pas établi l’existence d’un risque personnalisé advenant leur retour dans leur pays d’origine.

[2]               Invoquant les mêmes faits et jointes pour fins d’audition, les deux demandes feront l’objet d’un seul jugement.

 

I.          Les faits

 

[3]               Tous originaires de la ville de Toluca, les demandeurs sont citoyens mexicains et font partie d’une même famille. Le père, Luis Roberto Soto Duarte, agit comme demandeur principal dans le présent recours qui comprend sa femme et trois de ses quatre enfants depuis que l’une des filles, venue au Canada avec la famille en mars 2006, ait décidé depuis de retourner au Mexique avec ses trois jeunes enfants.

 

[4]               Élevés dans la religion catholique, voici que le demandeur et sa famille se laissent convertir à la religion chrétienne évangélique (RCE) à laquelle ils décident d’adhérer.

 

[5]               Après avoir annoncé leur conversion à la reste de la famille, les demandeurs font l’objet de moqueries, d’insultes et d’isolement de parents qui leur ferment la porte et les excluent des réunions de famille. Ayant eu vent de la conversion des demandeurs, des voisins emboitent le pas et font de même.

 

[6]               À partir de là, les demandeurs se plaignent d’avoir été victimes de ségrégation, d’actes de vandalisme, d’agression, d’insultes et de moqueries, et ce, à tel point que le demandeur principal aurait même décidé de changer son lieu de résidence et de travail, ce qu’il n’a malheureusement pu faire faute de pouvoir obtenir de bonnes références à son sujet, à cause, prétend-il, de ses nouvelles croyances religieuses.

 

[7]               Le demandeur a songé en vain à dénoncer aux autorités policières la persécution dont lui et sa famille étaient victimes. Mais faute de pouvoir obtenir des autorités mexicaines la protection réclamée, les demandeurs décident finalement, en mars 2006, de quitter leur pays pour le Canada et de venir y réclamer l’asile.

 

[8]               Le 6 novembre 2006, la Section de protection des réfugiés (SPR) rejette la demande d’asile des demandeurs fondée sur leur conversion à la RCE. Dans sa décision, la SPR conclut que le récit des demandeurs est contredit par une preuve documentaire à l’effet que leur pays reconnaît la liberté de religion et qu’ils peuvent compter sur la protection de l’État mexicain.

 

[9]               Déçus, les demandeurs présentent une requête visant à obtenir la révision judiciaire de la décision de la SPR; mais le 16 mars 2007, la Cour leur refuse l’autorisation d’exercer un tel recours.

 

[10]           Informés de leurs droits, les demandeurs présentent une demande ERAR (dossier IMM‑1711-08), et une demande CH (dossier IMM-1712-08) pour tenter d’obtenir une exemption à l’obligation de présenter leur demande de résidence permanente à l’extérieur du Canada. Ces deux demandes, rejetées finalement le 15 février 2008, par l’agente d’ERAR, font l’objet du présent recours en révision judiciaire.

 

II.         Les décisions attaquées

 

            Décision ERAR

[11]           Après avoir considéré l’ensemble du dossier et la preuve documentaire, l’agente ERAR considère pour rejeter la demande ERAR (IMM-1711-08) des demandeurs que celle-ci ne rencontre pas les conditions des articles 96 et 97 de la LIPR et que les demandeurs ont failli à leur obligation d’établir l’existence pour eux d’un risque personnalisé advenant leur retour au Mexique.

 

Décision CH

[12]           Après avoir pris en considération les risques et facteurs d’ordre humanitaire invoqués par les demandeurs, l’agente ERAR conclut que ceux-ci ne subiraient pas de difficultés excessives et injustifiées ou inhabituelles s’ils devaient déposer leur demande de résidence permanente à une ambassade canadienne à l’extérieur du Canada.

 

III.       Norme de contrôle

 

[13]           L’appréciation de la preuve, des risques et des difficultés invoquées constitue une question de faits qui relève de la compétence de l’agente ERAR (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9). Il faut donc traiter avec déférence les décisions de l’agente ERAR, d’autant plus que celle-ci bénéficie d’une certaine expertise dans les affaires comme la présente relevant de sa juridiction.

[14]           L’appréciation du « caractère raisonnable » de la décision tient principalement compte de sa justification, sa transparence et l'intelligibilité du processus décisionnel. De plus, la Cour doit aussi s’assurer que la décision appartient « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, précité, au para. 47).

 

IV.       Questions en litige

 

[15]           L’agente ERAR a-t-elle erré de façon déraisonnable en rejetant les demandes ERAR et CH ?

 

[16]           Les objectifs d’une demande CH et d’une demande ERAR diffèrent. La demande CH a pour objet de déterminer s’il existe des considérations d’ordre humanitaire permettant à un demandeur de demander la résidence permanente sans la nécessité d’obtenir un visa de résidence permanente de l’extérieur du Canada. La demande ERAR par contre permet à un demandeur de présenter tout nouvel élément de preuve portant sur les risques de retour au pays d’origine et survenu entre le moment de la décision rejetant la demande d’asile et celui de la déportation du Canada. Les deux demandes comportent donc des exigences tout à fait différentes.

 

            Bien-fondé de la décision ERAR

[17]           Les demandeurs allèguent que dans les motifs de la décision ERAR, l’agente a erré en droit du fait que les raisons invoquées par cette dernière ne se fondent pas sur la preuve, constituent des erreurs de droit, et partant de là sont déraisonnables.

 

[18]           Notons toutefois que les demandeurs invoquent les mêmes risques que ceux déjà évalués et rejetés par le SPR lors de leur demande d’asile, et qu’en conséquence, l’agente ERAR était en droit de conclure tout comme la SPR quant aux problèmes que les demandeurs allèguent avoir subis en raison de leurs convictions religieuses.

 

[19]           Il est en effet bien établi qu’une évaluation des risques de retour ne vise pas à fournir aux demandeurs le droit d’en appeler de la décision de la SPR, ni d’obtenir, de l’agente ERAR tout comme de cette Cour, une nouvelle appréciation de la preuve. De sorte que les conclusions de faits de la SPR ont dès acquis le caractère de chose jugée depuis le rejet par la Cour de la demande d’autorisation des demandeurs qui attaquaient la décision de la SPR (Danyluk c. Ainsworth Technologies Inc., [2001] 2 R.C.S. 460, par.24; Angle c. Canada (ministre du Revenu national M.R.N.) [1975] 2 R.C.S. 248, p.254).

 

[20]           L’agente explique dans les motifs de sa décision que les demandeurs ont soumis trois documents concernant des incidents qu’auraient subis des chrétiens évangéliques dans certaines régions du Mexique. Les documents en question constituent des blogs en provenance d’un site Internet et d’origine incertaine auxquels l’agente ERAR a choisi pour cause de ne pas accorder beaucoup de poids, après avoir jugé la source d’information peu fiable.

 

[21]           L’agente poursuit par ailleurs son analyse des prétentions des demandeurs en tenant compte de la preuve objective. Elle conclut finalement que la preuve offerte ne fait voir aucun risque personnel objectivement identifiable et présent dans toutes les régions du Mexique. Il s’agit là d’une conclusion non réfutée par la preuve que les demandeurs ont choisi eux-mêmes d’offrir.

 

[22]           Les demandeurs avaient le fardeau de démontrer à cette Cour le caractère déraisonnable de la décision ERAR. Il ne leur suffit pas de ne pas partager l’analyse et les conclusions de l’agente ERAR à l’effet que les demandeurs ont failli à leur fardeau de démontrer qu’advenant un retour dans leur pays d’origine, ils devraient faire face à un risque personnalisé qui justifie l’octroi de la protection réclamée.

 

[23]           Une demande ERAR demeure une mesure exceptionnelle à n’accorder que sur preuve de nouveaux éléments de preuve non disponibles au moment de la décision de la SPR, et ce seulement dans la mesure où ces nouveaux éléments indiquent un risque pour les demandeurs advenant un retour dans leur pays d’origine.

 

[24]           Malheureusement pour les demandeurs, leurs vagues allégations sur la situation qui les attendrait au Mexique n’invoquent aucun fait nouveau, suffisamment fiable et objectif survenu depuis la décision de la SPR, et pouvant justifier l’agente ERAR de partager leur crainte. La Cour voit difficilement dans les circonstances en quoi l’agente ERAR aurait erré en leur refusant une protection contre un risque dont on ne l’a pas convaincu.

 

[25]           Le rôle de la Cour ici n’est pas de substituer son opinion à celui de l’agente ERAR, comme l’invitent à le faire les demandeurs, mais bien de s’assurer que le refus ERAR était justifié et ne résultait pas d’une erreur déraisonnable.

 

[26]           Or ayant analysé le tout, la Cour se doit de conclure que la décision ERAR appartient ici aux issues possibles au regard des faits et du droit; il s’agit donc d’une décision raisonnable qui ne nécessite pas l’intervention de cette Cour.

 

            Loi applicable à une demande CH

[27]           Une personne qui désire immigrer au Canada doit généralement déposer sa demande de résidence permanente avant d’entrer au Canada, donc à l’extérieur du Canada (Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR) para. 11(1)).

 

[28]           Par contre, le ministre peut faire une exception, car il possède le pouvoir discrétionnaire de faciliter l’admission d’une personne au Canada, ou de l’exempter de tout critère ou obligation prévue par la LIPR, s’il est convaincu qu’une telle exemption ou facilitation devrait être accordée en raison de l’existence de considérations humanitaires (CH) (paragraphe 25(1) de la LIPR; Serda c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 356, au paragraphe 20).

 

Bien-fondé de la décision CH

[29]           Il revenait aux demandeurs de prouver que les difficultés auxquelles ils devraient faire face, advenant le dépôt de leur demande de résidence permanente de l’extérieur du pays, seraient inhabituelles, injustifiées ou excessives (Mpula c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 FC 456, par.24; Legault c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration.) [2002] 4 C.F. 358 (C.A.), par.23, 28).

 

[30]           Les demandeurs reprochent à l’agente ERAR d’avoir rendu sa décision CH sans toutefois procédé à une mise à jour de leur dossier, et ce, bien que le fardeau reposait en tout temps que sur leurs épaules d’établir tous les facteurs CH favorisant leur demande (Baker c. M.C.I., [1999] 2 R.C.S. 817; Legault, précité, à la page 369).

 

[31]           Ce reproche ne tient pas puisque l’agente ERAR n’avait pour sa part aucune obligation de requérir des éléments d’informations additionnelles. Le fardeau des demandeurs, contrairement à leurs prétentions, n’est jamais devenu celui de l’agente ERAR (Baker, précité, par 30 à 34; Owusu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2004] A.C.F. no 158 (C.A.F.)).

 

[32]           Considérant les décisions de la SPR et celle de l’agente ERAR sur la situation au Mexique, par opposition aux allégations vagues des demandeurs sur la question, et ce, sans qu’aucune preuve objective ne les appuie, la Cour comprend mal les critiques faits sur la décision CH.

 

[33]           Les demandeurs n’ont qu’à s’en prendre à eux-mêmes de n’avoir pas su convaincre l’agente ERAR que les difficultés auxquelles ils prévoyaient faire face, advenant le dépôt de leur demande de résidence permanente à l’extérieur du pays, seraient inhabituelles, injustifiées ou excessives. La Cour doit montrer de la déférence à la décision CH de l’agente, et ce, d’autant plus que les demandeurs n’ont pas convaincu la Cour que cette décision est déraisonnable. Il n’y a donc pas matière à intervention.

 

V.        Conclusion

 

[34]           Après avoir analysé la preuve et les deux décisions attaquées, la Cour ne constate aucune erreur dans les deux décisions et se doit de conclure que l’agente ERAR, bénéficiant d’une certaine expertise, pouvait raisonnablement conclure au rejet à la fois de la demande ERAR et de la demande CH sur la base des éléments de preuve analysés par elle. Les deux décisions visées par le présent recours appartiennent aux issues possibles et acceptables et sont pleinement justifiées au regard des faits et du droit ; elles sont donc raisonnables et ont droit à la déférence de cette Cour.

 

[35]           Les deux demandes de révision judiciaires seront donc rejetées. Puisque dans les deux causes, aucune question importante de portée générale n’a été proposée, aucune question ne sera certifiée.

 


JUGEMENT

 

POUR CES MOTIFS, LA COUR rejette les demandes de contrôle judiciaire présentées dans les dossiers IMM-1711-08 et IMM-1712-08, et ne certifie aucune question.

 

 

 

« Maurice E. Lagacé »

Juge suppléant

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIERS :                                      IMM-1711-08

                                                            IMM-1712-08

 

INTITULÉ :                                       SOTO DUARTE LUIS ROBERTO ET AL.

                                                            c.  MCI

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 16 janvier 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LAGACÉ J.S.

 

DATE DES MOTIFS :                      le 20 février 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Anthony Karkar

 

POUR LES DEMANDEURS

Thi My Dung Tran

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Anthony Karkar

Montréal (Québec)

 

POUR LES DEMANDEURS

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.