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Date : 20090213

Dossiers : IMM-4715-07

IMM-1258-08

 

Référence : 2009 CF 159

Ottawa (Ontario), le 13 février 2009

En présence de monsieur le juge de Montigny

 

ENTRE :

HARJIT SINGH JAKHU

demandeur

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Le 28 février 2008, Darin Jacques a rejeté la demande de résidence permanente présentée par M. Harjit Singh Jakhu et basée sur des circonstances d’ordre humanitaires (CH), au motif que la preuve n’établissait pas les CH. Il s’agit de la demande de contrôle judiciaire de cette décision de rejet.

 

[2]               Le demandeur avait aussi déposé une demande de bref de mandamus le 7 novembre 2007 visant à obliger le représentant du ministre à prendre une décision sur sa demande CH. Cette demande avait été déposée le même jour où l’épouse du demandeur avait présenté une demande de parrainage, ce qui établissait leur mariage récent.

 

[3]               La demande de bref de mandamus est maintenant théorique, puisque la décision CH a été rendue. L’avocat du demandeur l’a admis lors de l’audience. Par conséquent, les motifs exposés ci‑dessous traiteront seulement de la demande de contrôle judiciaire de la décision CH défavorable.

 

RÉSUMÉ DES FAITS

[4]               Le demandeur est un sikh du Penjab âgé de trente ans. Il est entré au Canada en provenance de l’Inde le 16 septembre 2000 et il a présenté une demande d’asile le même jour. Le 16 novembre 2001, M. Jakhu a reçu une décision défavorable de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la CISR ou la Commission). La Commission a conclu que le demandeur n’était pas crédible, qu’il n’était pas un témoin digne de foi et qu’il n’existait pas de fondement objectif raisonnable à la crainte subjective qu’il prétendait avoir. La Commission a aussi déclaré que le demandeur n’avait pas présenté de document fiable directement lié à sa propre demande et que même si la Commission devait admettre que la police du Penjab avait un intérêt à l’égard du demandeur, il pouvait se réinstaller ailleurs en Inde et se prévaloir d’une possibilité de refuge intérieur (la PRI). La Cour fédérale a rejeté la demande d’autorisation le 13 mai 2002.

 

[5]               Le 20 février 2004, le demandeur a demandé une exemption à l’application des exigences relatives à la demande de résidence permanente, exemption basée sur des CH. La demande d’exemption fut rejetée le 11 décembre 2006. Le 25 avril 2007, la Cour fédérale a rejeté la demande d’autorisation présentée par M. Jakhu contre la décision CH défavorable.

 

[6]               Le 8 août 2005, le demandeur a présenté une demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR) fondée essentiellement sur le même récit et les mêmes allégations que ceux qu’il avait déjà présentés à la CISR. Le résultat de cet ERAR fut une décision défavorable rendue le 11 décembre 2006. Encore une fois, le 12 avril 2007, la Cour fédérale a rejeté la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire présentée contre cette décision.

 

[7]               Enfin, M. Jakhu a présenté sa deuxième demande basée sur des CH le 16 juillet 2007. Comme je l’ai fait remarquer auparavant, l’épouse de M. Jakhu avait présenté une demande de parrainage le 7 novembre 2007. Le demandeur a aussi produit de nouveaux documents à l’appui de sa demande le 24 octobre 2007 et le 4 février 2008.

 

LA DÉCISION CONTESTÉE

[8]               Dans une décision détaillée, l’agent d’ERAR (l’agent) a commencé par un résumé des raisons avancées par le demandeur, raisons pour lesquelles s’il se soumettait aux exigences d’obtention du visa en Inde, il serait soumis à des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives. L’agent a noté que le demandeur avançait les mêmes allégations de risque que celles qu’il avait avancées devant la CISR. Il a aussi noté que la demande d’asile du demandeur avait été rejetée en raison d’un manque de crédibilité et d’une insuffisance de preuve. Toutefois, l’agent a reconnu que, dans le contexte d’une demande basée sur des CH, l’évaluation du risque est examinée de façon plus large et il a donc continué à examiner les facteurs liés au risque.

 

[9]               Le demandeur a d’abord soutenu qu’il était exposé à un risque en tant que membre du Akali Dal, un parti d’opposition en Inde. L’agent a conclu, sur la base de la preuve documentaire, que même si certains membres avaient allégué des craintes de mauvais traitement dans le passé, ils avaient été en mesure de solliciter l’aide des autorités. Le demandeur a présenté deux déclarations écrites du président du Akali Dal. L’une d’elles faisait directement référence au demandeur; il y était affirmé que le demandeur serait l’objet de persécution et de torture s’il retournait en Inde. L’agent d’ERAR a admis ces documents comme preuve de l’appartenance du demandeur, mais l’agent d’ERAR n’était pas convaincu que cela réfutait la preuve documentaire selon laquelle les membres de ce parti politique ne sont pas exposés, en général, à un risque lié à leur allégeance politique. Selon l’agent, ces documents n’étaient pas suffisants; premièrement, parce que leurs auteurs n’avaient pas affirmé qu’ils avaient une connaissance directe de la persécution policière évoquée dans les allégations du demandeur; deuxièmement, parce que les conjectures contenues dans ces documents et relatives au risque potentiel en cas de retour en Inde étaient tempérées par le fait que les documents mettaient de l’avant un programme politique.

 

[10]           Le demandeur a aussi allégué que les autorités indiennes l’avaient pris pour cible parce qu’elles le soupçonnaient d’être un militant. L’agent a admis que, même si dans des zones précises il y avait des raisons de s’inquiéter parce que la police et les forces de sécurité commettaient des violations des droits de la personne, il a néanmoins conclu que les sikhs qui craignent les autorités locales peuvent demander la protection de l’organisation dénommée « National Human Rights Commission » (la NHRC). L’agent a fait référence au rapport du Département d’État des États‑Unis de 2007 et il a admis que certains groupes de défense des droits de la personne déclarent que cette organisation gouvernementale est handicapée par de nombreuses faiblesses organisationnelles et juridiques. L’agent a ensuite examiné un certificat médical présenté par le demandeur, mais il l’a rejeté comme élément de preuve parce que le certificat ne donnait pas d’indication sur l’origine des blessures du demandeur. Dans le même ordre d’idée, l’agent a accordé peu de poids à différentes déclarations écrites, à des affidavits et à une pétition qui réitéraient les allégations de risque du demandeur, parce qu’il était impossible de déterminer si les auteurs de ces documents avaient été personnellement témoins des faits qu’ils y relataient.

 

[11]           Enfin, l’agent a fait référence aux rapports du HCR et du ministère de l’Intérieur du Royaume-Uni selon lesquels, depuis 1996, les sikhs sont moins souvent l’objet de mauvais traitements et qu’ils sont protégés par diverses garanties constitutionnelles. Étant donné l’amélioration de la situation des sikhs en Inde, l’agent a conclu que la preuve n’établissait pas que M. Jakhu serait soumis à quelque menace que ce soit en raison de sa nationalité, et qu’il ne subirait pas de difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives s’il demandait la résidence permanente à partir de l’Inde.

 

[12]           En ce qui a trait aux liens du demandeur avec le Canada, l’agent a d’abord examiné la situation d’emploi du demandeur au Canada. L’agent a déclaré qu’il doit déterminer si les liens que le demandeur a établis au Canada sont suffisants au sens où s’ils étaient rompus, il en résulterait des difficultés injustifiées, et non pas si le demandeur apporte une contribution à la société canadienne. L’agent a appliqué cette norme et il a conclu que les efforts faits par le demandeur pour toujours avoir un emploi depuis son arrivée au Canada et la création d’une entreprise ne justifiaient pas en soi une exemption des exigences. Non seulement le demandeur aurait fait les mêmes efforts pour être autosuffisant sur le plan financier, peu importe la situation, mais ces compétences en entrepreneuriat seraient adaptables en Inde.

 

[13]           En ce qui a trait au mariage du demandeur, l’agent a mis l’accent sur le fait que le mariage n’est pas automatiquement considéré comme étant un motif suffisant d’obtention d’une décision CH favorable. En l’espèce, le demandeur savait sa situation précaire. Il avait déjà présenté une demande d’exemption et sa demande avait été rejetée. Son ERAR avait été défavorable. Il aurait été expulsé n’eût été l’expiration de ses documents de voyage. Les époux pouvaient donc raisonnablement s’attendre à une période de séparation en raison du traitement de la demande d’immigration à partir de l’étranger.

 

[14]           Le demandeur a déclaré que son père qui vit au Canada souffrait de dépression grave en raison de la crainte que son fils puisse être renvoyé en Inde. Le demandeur a produit deux lettres de médecins à cet égard. L’une d’elles déclarait que malgré état de santé, le père du demandeur était en mesure de faire des allers et retours en Inde. L’agent a conclu que le père serait donc en mesure de rendre visite à son fils en Inde. En outre, selon l’agent, les difficultés du père n’étaient pas un facteur déterminant dans la demande d’exemption du fils.

[15]           Enfin, l’agent n’était pas convaincu qu’il était nécessaire que le demandeur soit présent à la naissance de son enfant. L’agent a conclu que l’épouse et l’enfant pouvaient rendre visite au demandeur en Inde. Non seulement l’agent n’était pas convaincu que l’enfant subirait des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives si le demandeur devait présenter sa demande de résidence permanente de l’étranger, mais l’intérêt supérieur de l’enfant ne pouvait pas l’emporter sur les nombreux autres facteurs dont l’agent doit tenir compte lorsqu’il prend une telle décision.

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

[16]           L’avocat du demandeur a soulevé cinq arguments distincts relatifs aux différents aspects de la décision de l’agent. J’examinerai et je regrouperai ces arguments sous les mêmes titres que ceux utilisés par l’agent à savoir : a) l’évaluation du risque; b) les liens avec le Canada; c) l’intérêt supérieur de l’enfant.

 

QUESTION PRÉLIMINAIRE

[17]           Quelques jours avant l’audience, l’avocat du demandeur a déposé une requête visant l’obtention de la permission de présenter le rapport d’un avocat indien spécialisé en droit de la personne dans le cadre du contrôle judiciaire de l’affaire du demandeur. Ce soi‑disant rapport n’a pas été déposé en tant qu’affidavit et il n’avait fait l’objet d’aucune déclaration sous serment, mais il faisait expressément référence au demandeur. L’avocat a vaguement fait référence à la doctrine en droit international et à l’article 24 de Charte canadienne des droits et des libertés (la Charte) comme étant la base l’autorisant à présenter ce nouvel élément de preuve.

[18]           Comme on pouvait s’y attendre, l’avocate du défendeur s’est vigoureusement opposée au dépôt de ce nouvel élément de preuve. Après avoir entendu les observations des deux parties, j’ai rejeté la requête, essentiellement pour les mêmes raisons que celles avancées par le défendeur. Non seulement il n’y avait pas d’explication pour vouloir déposer ce rapport en retard, mais ce qui est plus important, un tel dépôt serait allé à l’encontre des principes fondamentaux du contrôle judiciaire selon lesquels la cour de révision doit examiner le dossier tel qu’il était devant le premier décideur. Ni l’article 24 de la Charte ni les normes juridiques internationales ne peuvent prévaloir sur cette règle de droit administratif établie de longue date. Il faut noter qu’aucune jurisprudence canadienne n’a été présentée à l’appui de cette affirmation peu ordinaire. Bien au contraire, il a été récemment interdit à l’avocat du demandeur de déposer un nouvel élément de preuve dans un cas tout à fait semblable : Yansane c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2008 CF 1213.

 

ANALYSE

[19]           La Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR ou la Loi) dispose que l’étranger qui désire vivre en permanence au Canada doit demander et obtenir un visa de résident permanent préalablement à son entrée au Canada. Toutefois, la Loi permet aussi à un agent d’immigration d’exempter l’étranger de cette obligation si l’agent (ou le ministre) estime qu’une exemption est justifiée par des CH relatives à l’étranger (paragraphe 11(1) et article 25 de la Loi) : voir Serda c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 356.

 

[20]           L’octroi d’une exemption est certainement une mesure exceptionnelle et il incombe au demandeur de démontrer qu’il serait soumis à des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives si on lui demandait de présenter sa demande selon la procédure normale : voir Owusu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 94 (C.F. 1re inst.); Monteiro c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1322; Samsonov c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1158; Hamzai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1108; Liniewska c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 591; Ruiz c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 465; Legault c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] 4 C.F. 358 (C.A.).

 

[21]           Les parties conviennent que la norme de contrôle applicable relativement à la décision définitive de l’agent est la décision raisonnable. Cela est bien établi depuis l’arrêt de la Cour suprême du Canada Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, et cette norme a été appliquée constamment depuis lors. Elle n’a pas été écartée par l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑ Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190, de la Cour suprême. Étant donné la nature discrétionnaire de la décision d’exempter un demandeur des exigences normales de la Loi et vu le rôle central des faits dans une telle décision, la raisonnabilité qui commande la déférence demeure la norme applicable. Une telle norme n’appelle pas l’intervention de la cour de révision, mais elle exige que cette cour examine à la fois la procédure et le résultat substantiel pour s’assurer qu’ils sont défendables. Comme la Cour suprême l’a déclaré :

La cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité. Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

Dunsmuir, précité, au paragraphe 47.

 

 

[22]           En ce qui concerne l’évaluation du risque auquel serait soumis le demandeur s’il était renvoyé en Inde. Il est allégué que l’agent a commis une erreur à la fois dans son évaluation du risque objectif et dans son évaluation du risque subjectif. L’avocat du demandeur a soutenu que l’agent a utilisé le mauvais critère dans son évaluation du risque et qu’il a appliqué une norme plus appropriée à une demande d’ERAR qu’à une demande CH. Il a aussi été allégué que l’agent a commis une erreur lorsqu’il a omis de prendre en compte la preuve documentaire corroborante et lorsqu’il a mal interprété la preuve documentaire objective relative à la situation actuelle des sikhs en Inde.

 

[23]           Après avoir attentivement examiné la preuve sur laquelle l’avocat du demandeur s’est fondé et les documents sur la situation du pays qui ont été présentés à l’agent, j’en suis venu à la conclusion que l’agent n’a pas commis d’erreur par l’application du mauvais critère légal d’évaluation du risque, qu’il a fourni des motifs convaincants pour le rejet de la preuve corroborante présentée par le demandeur et que son évaluation de la situation du pays et sa conclusion selon laquelle la situation des sikhs en Inde s’est beaucoup améliorée sont basées sur les divers rapports sur la situation du pays qui lui ont été présentés.

 

[24]           Le demandeur a avancé les mêmes allégations de risque que celles qu’il avait avancées auparavant dans le cadre de sa demande d’asile et de sa demande d’ERAR. Ces allégations ont été rejetées à plusieurs reprises en raison du manque de crédibilité et de l’insuffisance de preuve. Les demandes de contrôle judiciaire des décisions précédentes ont toutes été rejetées. L’agent a cependant examiné les allégations du demandeur, une fois de plus, au motif que le risque est évalué de façon plus large lorsque ce sont les difficultés qui servent de critère. Il n’y a pas l’ombre d’une preuve que l’agent aurait appliqué le mauvais critère dans son analyse du risque. De plus, l’avocat du demandeur n’a pas étayé son allégation par quelque référence que ce soit à une mauvaise application du critère que l’agent a prétendu utiliser. Au contraire, l’agent a conclu son examen de tous les trois aspects du risque allégué par le demandeur (risque en tant que membre du Akali Dal, risque en tant que militant présumé, risque en tant que sikh en Inde) par la même conclusion, soit qu’il n’était pas convaincu que le demandeur serait exposé à des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives. Par conséquent, il n’y a absolument aucune preuve que l’agent a appliqué le mauvais critère lorsqu’il a examiné le risque couru par le demandeur.

 

[25]           En ce qui concerne les soi-disant éléments de preuve corroborants, l’agent a donné des motifs convaincants pour leur rejet. La plupart de ces éléments de preuve étaient indirects et leurs auteurs rapportaient simplement les récits du demandeur ou de sa famille. En ce qui a trait au certificat médical, il établit bien que le demandeur a été soigné pour des blessures, mais il ne permet pas de trancher formellement quant à l’origine des blessures. Après avoir lu ces documents, j’en suis venu à la conclusion que l’agent leur a, à bon droit, donné peu de poids et que ce faisant, il n’a pas commis d’erreur.

 

[26]           L’avocat du demandeur a aussi reproché à l’agent d’avoir erronément interprété les documents objectifs sur la situation du pays et conclu que la situation des sikhs en Inde s’était améliorée au cours des dix à quinze dernières années. Le demandeur, se fondant en grande partie sur des éléments de preuve périmés, allègue que la situation en Inde est plus sombre que le portrait qu’en a dressé l’agent. Une fois de plus, une lecture attentive de ces documents, en particulier le rapport du Département d’État des États‑Unis sur les pratiques en matière de droits de la personne et la Operational Guidance Note du ministère de l’Intérieur du Royaume‑Uni pour l’année 2007, m’a convaincu que l’analyse de la situation faite par l’agent est juste, équilibrée et qu’elle est le reflet de la situation actuelle des sikhs en Inde. Bien entendu, l’agent n’a pas méconnu les manquements aux droits de la personne en Inde; par exemple, il a noté qu’Amnistie Internationale a conclu qu’on signale régulièrement les cas de torture et de violence lors de détentions par la police. L’agent a aussi rapporté que certains groupes de défense des droits de la personne disent que la NHRC est handicapée par de nombreuses faiblesses organisationnelles et juridiques. Toutefois, l’agent a conclu que dans l’ensemble, les sikhs pouvaient trouver une protection en Inde, que les allégeances des membres ordinaires (contrairement aux militants de première ligne) du parti Akali Dal ne les exposaient généralement pas à un risque et que les sikhs pouvaient se réinstaller n’importe où en Inde. Bien que l’avocat du demandeur puisse ne pas être d’accord avec une telle conclusion, elle est étayée par la preuve qui a été présentée à l’agent et qu’il a sans doute examinée comme cela ressort clairement des nombreuses références qu’il y a faites.

 

[27]           Quoi qu’il en soit, il ne suffit pas que le demandeur fasse référence à la preuve documentaire objective, relative à la situation du pays en général, dans sa tentative de prouver un risque personnalisé; voir par exemple Nazaire c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 416; Hussain c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 719. Il incombait au demandeur d’établir un lien entre les faits propres à son affaire et la preuve documentaire objective. Il ne l’a pas fait.

 

[28]           Somme toute, l’agent a évalué les facteurs de risque allégués par le demandeur et il a pris en compte la preuve documentaire pertinente. La décision et les motifs de l’agent se fondent sur une analyse détaillée des observations du demandeur et de la preuve documentaire. Les conclusions de l’agent sur la situation des sikhs en Inde sont étayées par la preuve. En outre, l’agent a évalué les facteurs de risque présentés par le demandeur, au regard de la norme de contrôle appropriée. Par conséquent, je n’ai pas été convaincu que, en l’espèce, l’intervention de la Cour serait justifiée.

 

[29]           L’avocat du demandeur allègue aussi que l’agent a mal évalué le temps que le demandeur a passé au Canada et son degré d’établissement ici. Toutefois, il est clair que même si le temps passé au Canada et l’établissement dans la collectivité sont des facteurs importants, ils ne sont pas déterminants dans la demande de résidence permanente fondée sur des CH. Autrement, comme l’a déclaré le juge Blais (maintenant juge à la Cour d’appel fédérale) au paragraphe 9 de Lee c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 413, « cela encouragerait les gens à tenter leur chance et à revendiquer le statut de réfugié en croyant que, s'ils peuvent rester au Canada suffisamment longtemps pour démontrer qu'ils sont le genre de gens que le Canada recherche, ils seront autorisés à rester ». On ne devrait jamais perdre de vue le fait que, dans une demande CH, le critère auquel il faut satisfaire est de savoir si le fait de présenter sa demande de l’étranger causerait des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives; voir Uddin c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 937; Mann c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 567.

 

[30]           Bien que l’affaire du demandeur attire sans aucun doute l’empathie, cela n’est pas suffisant pour infirmer la décision de l’agent. Comme l’agent l’a souligné, le demandeur aurait déjà été expulsé, n’eût été l’expiration de ses documents de voyage. Il s’est marié malgré le fait qu’il fût alors sous le coup d’une mesure d’expulsion; il devait donc raisonnablement s’attendre à la possibilité d’une période de séparation lors du traitement à l’étranger sa demande d’immigration. Ce serait clairement aller à l’encontre de l’objet de la Loi si, plus longtemps le demandeur restait au Canada en situation irrégulière, plus il aurait de chances d’être autorisé à rester ici, même si par ailleurs ce même demandeur ne satisfaisait pas aux exigences lui permettant d’obtenir le statut de réfugié ou de résident permanent. En outre, l’établissement au Canada est un facteur parmi d’autres que l’agent CH doit soupeser pour parvenir à une décision; ce n’est pas un facteur décisif en soi; voir Samsonov c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1158; Kawtharani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 162; Souici c.Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 66.

 

[31]           Enfin, l’avocat du demandeur soutient que l’agent n’a pas expliqué pourquoi il n’avait pas tenu compte de l’intérêt supérieur de l’enfant. Une fois de plus, je ne peux pas faire droit à cet argument. Il est clair que l’agent a été attentif et sensible à l’intérêt supérieur de l’enfant et qu’il a fourni des raisons pour lesquelles l’enfant ne serait pas soumis à des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives si le demandeur devait présenter sa demande de résidence de l’étranger. L’agent a expliqué que la preuve visait le bien‑être de la mère et qu’elle ne révélait pas comment l’absence du demandeur aurait un effet négatif sur le nouveau‑né. L’agent a aussi affirmé que l’épouse du demandeur et son enfant pouvaient lui rendre visite en Inde pendant la période de la présentation de sa demande de résidence permanente. Enfin, l’agent a ajouté que le demandeur n’avait pas fourni de déclaration quant à ses liens affectifs avec l’enfant et que le demandeur n’avait pas fait référence à la paternité dans ses observations. Bien que le demandeur, et même la Cour, puisse ne pas être d’accord avec l’évaluation faite par l’agent, on ne peut pas dire que l’agent ait méconnu l’intérêt supérieur de l’enfant du demandeur. Encore une fois, il faut se rappeler que la procédure de demande CH est conçue non pas pour éliminer les difficultés inhérentes au fait de se voir demander de quitter le Canada après y avoir séjourné pendant un certain temps, mais pour donner un recours contre les difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives qui surviendraient si un demandeur devait quitter le Canada et qu’il devait présenter sa demande de l’étranger selon la procédure normale. Le fait que le demandeur doive quitter un emploi ou sa famille ne constitue pas nécessairement des difficultés injustifiées ou excessives; il s’agit plutôt de la conséquence du risque que le demandeur a pris lorsqu’il est resté au Canada sans droit d’établissement.

 

[32]           Pour les motifs exposés ci‑dessus, la présente demande de contrôle judiciaire sera donc rejetée. L’avocat du demandeur a proposé de convertir en question certifiée deux des réparations qu’il sollicitait au moyen du présent contrôle judiciaire. L’avocate du défendeur s’est opposée à cette démarche. Elle a allégué que les questions proposées seraient trop générales et qu’elles seraient basées sur des prétentions controversées et non prouvées. Je suis d’accord avec le défendeur que ces questions ne satisferaient pas au critère mis en place aux fins de la certification. Non seulement elles seraient trop vagues pour avoir la moindre utilité, mais elles ne seraient pas décisives de l’appel. Il n’y aura donc pas de question certifiée.


 

ORDONNANCE

 

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

« Yves de Montigny »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Laurence Endale, LL.M., M.A.Trad.jur.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                               IMM-4715-07

                                                                  IMM-1258-08

 

INTITULÉ :                                             HARJIT SINGH JAKHU

                                                                  c.

                                                                  Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                       Montréal (Québec)

 

DATE DE L'AUDIENCE :                      le 3 février 2009

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                             le juge de Montigny

 

DATE DES MOTIFS :                            le 13 février 2009

 

COMPARUTIONS :

 

Stewart Istvanffy

POUR LE DEMANDEUR

HARJIT SINGH JAKHU

 

Lisa Maziade

POUR LE DÉFENDEUR

LE Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Étude Légale Stewart Istvanffy

1061, rue Saint-Alexandre, bureau 300

Montréal (Québec)  H2P 1P5

Télécopie : 514‑876‑9789

 

POUR LE DEMANDEUR

HARJIT SINGH JAKHU

 

 

 

Ministère de la Justice

Complexe Guy-Favreau

200, boul. René-Lévesque Ouest

Tour Est, 12e étage

Montréal (Québec)  H2Z 1X4

Télécopie : 514‑496‑7876

POUR LE DÉFENDEUR

Citoyenneté ET Immigration

 

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