Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

Date : 20090212

Dossier : T-1621-08

Référence : 2009 CF 156

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 12 février 2009

En présence de monsieur le juge Harrington

 

ENTRE :

SAPUTO INC.

KRAFT CANADA INC.

PARMALAT CANADA INC.

 

demanderesses

et

 

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL

DU CANADA

 

défendeur

et

 

 

ST. ALBERT CHEESE COOPERATIVE INC. ET

INTERNATIONAL CHEESE COMPANY LTD.

 

intervenantes

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

  • [1] Dans une requête déposée le 20 octobre 2008, Saputo, Kraft et Parmalat, des producteurs de fromage importants, contestaient la validité du Règlement modifiant le Règlement sur les aliments et drogues et le Règlement sur les produits laitiers DORS/2007-302, dont l’entrée en vigueur était prévue pour le 14 décembre 2008.

 

  • [2] St-Albert Cheese Cooperative Inc. et International Cheese Company Ltd. ont cherché à intervenir. Bien qu’elles prennent le parti du Procureur général, elles ont fait valoir qu’elles avaient un point de vue quelque peu différent à offrir. Dans une ordonnance rendue le 5 janvier 2009, la protonotaire Tabib leur a accordé le statut d’intervenant, limité au dépôt de certains affidavits. On leur a refusé le droit de déposer un dossier ou des observations écrites relativement au bien-fondé de la requête.

 

  • [3] St-Albert et International Cheese ont interjeté appel de cette décision. J’ai rejeté leur appel oralement à l’audience qui s’est tenue plus tôt aujourd’hui, en précisant que je présenterais des motifs écrits.

 

  • [4] Le nouveau règlement a pour but de réglementer la fabrication de certains fromages. Ce règlement aura des effets négatifs importants pour les demanderesses. Elles font valoir, entre autres, qu’il est impossible de s’acquitter de certaines exigences du Règlement.

 

  • [5] Le Résumé de l’étude d’impact de la réglementation indique que ce Règlement constitue un compromis pour défendre les intérêts des grands producteurs, qui tendent à utiliser du lait en poudre dans leurs fromages, et ceux des autres producteurs, qui évitent de le faire. International Cheese n’utilise pas de lait en poudre, alors que seulement 5 % des activités de St-Albert seraient touchées. La perspective qu’elles offrent à la Cour comprend le point de vue pratique selon lequel rien ne justifie que le Règlement ne puisse être observé.

 

  • [6] Lorsque la requête en intervention a été entendue le 18 décembre 2008, le juge en chef adjoint Lutfy avait déjà nommé la protonotaire Tabib comme gestionnaire de l’instance et les dates de l’audience sur le bien-fondé du 31 mars et du 1er avril 2009 avaient déjà été fixées, sans égard au fait qu’aucun dossier n’avait été déposé.

  • [7] Dans son ordonnance verbale (9 pages), la protonotaire Tabib a conclu que : 1) les intervenantes proposées n’étaient pas « directement touchées », puisque le facteur est généralement compris aux fins de requêtes en intervention; 2) les seuls éléments que les intervenantes pouvaient ajouter à la requête, qui n’auraient pas été disponibles autrement, étaient les éléments de preuve présentés par Réjean Ouimet, Yvan Wathier et Dominique Salvadore. Elle estimait que la preuve était, en majeure partie, pertinente et serait utile à la Cour pour trancher les questions sur le fond; et 3) bien qu’il ait été possible pour le Procureur général, s’il avait eu du temps et n’avait pas déjà disposé d’éléments de preuve équivalents, de s’entendre avec St-Albert et International Cheese pour présenter leurs éléments de preuve, [traduction] « [l]e temps est une denrée que les parties ne peuvent se permettre de gaspiller ». Effectivement, cela rappelle le Règlement 313, qui permet à la Cour d’ajouter d’autres documents aux dossiers de la requête.


 

  • [8] La norme de contrôle d’un appel d’une ordonnance discrétionnaire d’un protonotaire a été bien établie. Si l’ordonnance a une influence déterminante sur la cause, le juge en appel doit exercer son pouvoir discrétionnaire de novo. Ce n’est pas le cas en l’espèce. Par conséquent, l’ordonnance ne doit être annulée et réexaminée de novo en appel que si les ordonnances sont clairement fautives, c’est-à-dire si l’exercice du pouvoir discrétionnaire a reposé sur un principe erroné ou une mauvaise compréhension des faits (Merck & Co. c. Apotex Inc., 2003 CAF 488, [2004] 2 R.C.F. 459).

 

  • [9] St-Albert et International Cheese soutiennent que l’intention même de l’intervention est de permettre à l’intervenant de s’adresser à la Cour. De toute évidence, à des niveaux plus élevés, on ne se pose même pas la question de savoir si l’intervenant proposé doit être autorisé à déposer des éléments de preuve. Il n’existe pas de précédents où l’on accorde le statut d’intervenant aux fins de dépôt d’éléments de preuve, pour ensuite refuser aux intervenants le droit de s’adresser à la Cour sur le bien-fondé de l’affaire.

 

  • [10] La protonotaire Tabib a reconnu que les intervenantes avaient un point de vue quelque peu différent de celui du Procureur général, mais ce point de vue découlait de ce que les déposants avaient à dire, et non d’arguments juridiques. Ce point de vue différent pourrait être un facteur pertinent. J’ai suggéré que si j’avais entendu cette affaire en première instance, j’aurais peut-être accordé aux intervenantes le droit à une participation plus importante dans la procédure (Association canadienne du médicament générique c. Canada [Conseil), 2007 CF 154, conf. par 2007 CAF 375, 371 N.R. 46). Toutefois, avant de pouvoir le faire, il aurait fallu que je sois convaincu que l’ordonnance était entachée d’une erreur flagrante, conformément à la décision Merck. À mon sens, elle ne l’est pas; L’article 109 des Règles des Cours fédérales confère à la Cour la discrétion d’accorder une autorisation d’intervention à une partie intéressée et de fournir des directives quant au rôle de l’intervenant.

 

  • [11] Bien que dans la plupart des cas, il soit logique qu’un intervenant puisse s’adresser à la Cour sur le bien-fondé de l’affaire, c’est-à-dire la validité des règlements contestés, la protonotaire Tabib était convaincue que le Procureur général n’avait pas besoin d’aide.

 

  • [12] Le Procureur général soutient l’appel, soulignant que ses propres éléments de preuve étaient influencés dans une large mesure par le fait que les éléments de preuve contenus dans l’affidavit des intervenantes, qui ont depuis été soumises à un contre-interrogatoire, figurent actuellement au dossier. Par contre, le Procureur général n’a pas l’intention de se fonder sur ces éléments de preuve et pourrait même ne pas en apprécier certains, ce qui signifie que la Cour n’obtiendra aucune aide pour présenter des observations quant à la portée juridique des éléments de preuve qui figurent au dossier. À l’évidence, de l’avis de la protonotaire, aucun commentaire juridique n’était nécessaire relativement à la preuve déposée.

 

  • [13] Bien que cela soit inhabituel, compte tenu du délai accordé à la protonotaire Tabib, je ne crois pas qu’elle ait fait fausse route en général ou relativement à l’article 109 en particulier. Cela ne prouve en rien que le droit à une audience est inhérent à une ordonnance autorisant une intervention. Agir ainsi ne ferait que permettre que la forme l’emporte sur le contenu. Bien qu’ils aient été prononcés dans un autre contexte, je me réconforte avec les mots suivants de Lord Denning et Lord Atkin. Dans Letang v. Cooper, [1964] 2 All E.R. 929, à la page 932, Lord Denning y va de l’affirmation suivante :

[traduction] Je dois refuser par conséquent de revenir aux anciennes formes d’action pour interpréter ce texte législatif. Je sais que, durant le siècle dernier, MAITLAND a affirmé que « nous avons enterré les formes d’action, mais elles nous régissent encore depuis leurs tombes ». Mais au cours de ce siècle, nous nous sommes débarrassés de leurs entraves. Ces formes d’action ont fait leur temps. Elles constituaient autrefois un guide des droits matériels; mais elles ont cessé de le faire. Lord Atkin nous a dit quoi en faire :

 

[traduction] « Quand ces fantômes du passé se tiennent sur le chemin de la justice, faisant cliqueter leurs chaînes médiévales, la voie à suivre pour le juge est de passer son chemin comme si de rien n’était. ».

 

Voir United Australia, Ltd. v. Barclays Bank, Ltd. [1940] 4 All E.R. 20, à la page 37.

 

 

 

 

« Sean Harrington »

Juge

 

 

COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :

 

T-1621-08

INTITULÉ :

Saputo Inc. et al. c. le Procureur général du Canada et St. Albert Cheese Cooperative Inc. et International Cheese Company Ltd.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

 

Ottawa (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

 

Le 12 février 2009

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :

 

LE JUGE HARRINGTON

DATE DES MOTIFS :

Le 12 février 2009

 

COMPARUTIONS :

Lev Alexeev

 

POUR LA DEMANDERESSE SAPUTO INC.

Timothy M. Lowman

 

POUR LES DEMANDERESSES KRAFT CANADA INC. ET PARMALAT CANADA INC.

 

Alexander Gay

 

POUR LE DÉFENDEUR, LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

David K. Wilson

POUR LES INTERVENANTES ST. ALBERT CHEESE COOPERATIVE INC. ET INTERNATIONAL CHEESE COMPANY LTD.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Stikeman Elliott S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Avocats

Montréal (Québec)

 

POUR LA DEMANDERESSE SAPUTO INC.

Sim Lowman Ashton & Mckay LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDERESSES KRAFT CANADA INC. ET PARMALAT CANADA INC.

Gowling Lafleur Henderson S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Avocats

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR, LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR, LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

Fasken Martineau S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Avocats

Ottawa (Ontario)

POUR LES INTERVENANTES ST. ALBERT CHEESE COOPERATIVE INC. ET INTERNATIONAL CHEESE COMPANY

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.