Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date: 20090212

Dossier: T-1804-07

Référence: 2009 CF 154

[TRADUCTION FRANÇAISE]

 

Ottawa (Ontario), 12 février 2009

En présence de monsieur le juge Russell    

 

 

ENTRE:

TRACTOR SUPPLY CO. OF TEXAS,

LP AND TRACTOR SUPPLY COMPANY

demanderesses

et

 

TSC STORES LP

défenderesse

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Cour est saisie d’un appel de l'ordonnance de la protonotaire Milczynski du 9 juin 2008 rejetant la requête en radiation de certaines parties de la défense et demande reconventionnelle présentée par les demanderesses. 

 

[2]               Dans l'action principale, les demanderesses, Tractor Supply Co. of Texas et LP and Tractor Supply Company (Tractor Supply), demandent à la Cour de déclarer qu'elles possèdent des marques de commerce au Canada qui ont été enregistrées à tort par la défenderesse, TSC Stores LP (TSC). Tractor Supply prétend, en vertu de la Loi sur les marques de commerce, qu'elle possède des marques de commerce, incluant la marque « TSC STORES », que TSC et ses prédécesseurs ont utilisée depuis 1967 et enregistrée en 1990.  TSC exploite, en Ontario, 36 points de vente spécialisés dans l'agriculture et les articles ménagers sous la marque « TSC STORES » et d'autres marques en question dans l'action. 

 

[3]               Tractor Supply a présenté une requête conformément à la règle 221 des Règles des Cours fédérales sollicitant une ordonnance en radiation des actes de procédure attaqués au motif que TSC a manqué de plaider les éléments nécessaires du délit d'abus de procédure et que la Cour fédérale n'a pas compétence sur le délit d'abus de procédure. La protonotaire Milczynski a été saisie de la requête. 

 

FAITS

 

[4]               Entre 1966 et 1987, un prédécesseur de Tractor Supply (TSC Industries Inc.) avait des actions dans un prédécesseur de TSC. Il s'agit de la seule entreprise que TSC Industries Inc. a exploitée au Canada. TSC Industries Inc. a vendu toutes ses parts de TSC Stores Ltd. au prédécesseur de TSC Stores L.P. 715292 Ontario Limited.

 

[5]               TSC allègue que l'intention des parties dans la convention d'achat de 1987 était que TSC Stores Ltd. fonctionnerait indépendamment de TSC Industries Inc. (ou de tout successeur). 

 

[6]               De 1987 à 2007, TSC affirme qu'elle s'est servie du nom et des marques continuellement et abondamment pour sa chaîne de magasins en pleine expansion. Elle a fait la demande pour la marque de commerce TSC STORES et l'a enregistrée sans objection de la part de Tractor Supply.  De plus, Tractor Supply n'a jamais revendiqué de droits aux marques TSC au Canada.

 

 

[7]               En 2004, ou aux environs de cette date, Tractor Supply a manifesté son intérêt à acheter les entreprises TSC au Canada et a rencontré quelques cadres de TSC afin de négocier, mais aucun achat n'a été effectué, puisque les parties n'ont pas pu s'entendre sur le prix.

 

[8]               TSC allègue qu'à partir de 2007, Tractor Supply a commencé à réaliser des publicités pour son entreprise américaine, mais qui visaient les consommateurs canadiens. Après 20 ans sans avoir opposé l'utilisation de TSC de la marque et du nom TSC Stores, Tractor Supply a intenté la présente action qui s'attaque au droit de poursuivre l'utilisation des marques TSC, ce que TSC affirme être essentiel à son entreprise, et ce qui a réduit la valeur de TSC. 

 

[9]               TSC allègue que l'action est un abus de procédure parce que l'objectif « prédominant » de cette mesure est de réduire la valeur de l'entreprise TSC dans le contexte d'une offre publique d'achat.   

 

[10]           Le 9 juin 2008, Tractor Supply a présenté une requête devant la Cour, à Toronto, en vue d’une ordonnance visant la radiation des parties de la défense et demande reconventionnelle et exigeant que TSC fournisse des précisions d'autres allégations de la défense et demande reconventionnelle. Tractor Supply a sollicité une ordonnance: (1) radiant les paragraphes 66 -75(c) et (d) et 77 de la défense et demande reconventionnelle ; (2) exigeant à TSC de fournir les allégations contenues dans les paragraphes 4, 7 et 44 de la défense et demande reconventionnelle; (3) accordant l'autorisation à Tractor Supply de déposer sa réponse et défense reconventionnelle dans les 30 jours suivant la réception des détails; (4) adjugeant les dépens de Tractor Supply pour la requête sur une base avocat-client; et (5) toute autre réparation que la Cour jugerait juste. 

 

 

Requête en radiation

 

[11]           TSC Stores L.P. soutient que, dans les paragraphes 66-73, 75(c), 75(d) et 77 de la défense et demande reconventionnelle, le motif injustifié de Tractor Supply ressortait clairement. TSC Stores L.P. allègue que Tractor Supply a commencé l'action afin de dévaloriser l'entreprise des demanderesses dans le contexte d'une offre publique d'achat.

 

[12]           De plus, Tractor Supply soutient que les dispositions contestées ne révélaient aucune cause d'action ou de défense valable, et étaient « insignifiantes, scandaleuses, frivoles, et vexatoires ». 

 

[13]           Les dispositions contestées sont les suivantes:

Abus de procédure

 

66.    La présente action est un abus de procédure et doit être rejetée, ou, subsidiairement, les demanderesses ne doivent pas bénéficier d'une réparation en equity.

 

67.    Les demanderesses ont intenté la présente action de mauvaise foi, sans justification, et dans un but étranger et illicite, à savoir d'utiliser ce présent litige pour réduire l'évaluation de TSC Stores dans le contexte d'une offre publique d'achat.  Des précisions suivent. 

 

68.    Les demanderesses n'ont pas revendiqué leurs droits au Canada au nom de TSC STORES ou à la marque de commerce canadienne.  Aux environs de 2004, les demanderesses ont manifesté leur intérêt pour TSC Stores et ont visité une partie des magasins et rencontré une partie des cadres de la défenderesse. Rien de plus n'est advenu de cette manifestation initiale d'intérêt jusqu'aux environs d'avril 2007, où les parties ont discuté concernant la possible acquisition des demanderesses de TSC Stores pour permettre aux demanderesses d'élargir leurs activités au Canada.  Les parties ne sont pas parvenues à s'entendre sur l'évaluation de l'entreprise TSC Stores pour une telle acquisition, et les négociations ont été abandonnées.  Par la suite, la présente action a été intentée.

 

69.    Pendant plus de 20 ans suivant l'opération de 1987, les demanderesses ne se sont pas opposées à l'utilisation vaste et continue des marques de commerce canadiennes de TSC Stores au Canada.  Les demanderesses ne se sont pas opposées à l'utilisation ou à l'enregistrement des marques de commerce TSC STORES & Design (premier logo, TMA373, 477), TSC Stores & Design (logo mis à jour, TMA607, 763) ou TSC VILLAGER (TMA608, 177) dans l'exploitation de points de vente au détail pour la vente de fournitures agricoles, d'articles de quincaillerie, de vêtements et d'objets connexes.  Les demanderesses ne se sont pas opposées à l'utilisation ou à l'enregistrement de la marque de commerce TRAVELLER (TMA661, 173) pour les batteries et plusieurs autres outils et pièces automobiles. 

 

70.    Les demanderesses ne croient pas, et n'ont aucune raison de croire, que l'utilisation de la marque de commerce canadienne TSC Stores au Canada, en liaison avec le service et la marchandise de leurs magasins de détail, aura une ingérence illégitime avec l'entreprise des demanderesses aux États-Unis, ou entraînera de quelque façon des dommages à une telle entreprise. 

 

71.    L'objet prédominant des demanderesses de mettre de l'avant la présente action n'a pas pour effet de préserver ou de défendre les droits revendiqués en vertu de la Loi sur les marques de commerce dans les marques de commerce canadiennes, ou d'obtenir une juste indemnité pour la violation de tels droits.  Leur objet prédominant est plutôt d'utiliser le litige afin de contraindre l'acceptation d'une estimation inférieure de l'entreprise TSC Stores dans le contexte d'une offre d'achat publique des demanderesses.  Les demanderesses cherchent à atteindre leur but en utilisant la présente action pour entacher l'utilisation légitime de TSC Stores de ses marques de commerce canadiennes au Canada; une telle utilisation étant au cœur de l'entreprise TSC Stores.

 

72.    L'attaque injustifiée des droits de TSC Stores d'une utilisation continue et absolue de ses marques de commerce canadiennes a diminué la valeur de TSC Stores en tant qu'entreprise active.

 

73.    La conduite illégale des demanderesses ci-dessus décrite est répréhensible, et mérite d'être condamnée par la Cour. 

 

 

Demande reconventionnelle

 

75.  (c)  une ordonnance déclarant que l'action des demanderesses constitue un abus de procédure;

 

(d)     des dommages-intérêts pour abus de procédure, incluant des dommages exemplaires;

 

 

Abus de procédure

 

77. Comme il a été plaidé ci-dessus, la présente action est un abus de procédure, et la défenderesse réclame des dommages-intérêts, incluant des dommages exemplaires, qui en découlent contre les demanderesses. 

 

 

LA DÉCISION FAISANT L'OBJET DU CONTRÔLE

 

[14]           Le 8 juin 2008, la protonotaire Milczynski a rejeté la requête en radiation des actes de procédure attaqués des demanderesses au motif que [traduction] « ce n'est pas évident et manifeste que la défenderesse ne puisse pas obtenir gain de cause ou que les procédures attaquées ne relèvent pas de la compétence de la Cour au point qu’elle ne puisse pas les examiner, tant au niveau d'une défense que d'une demande reconventionnelle ». La protonotaire Milczynski a conclu qu’il existait un [traduction] « lien suffisant entre les questions en cause concernant les marques de commerce et l'abus de procédure reproché aux demanderesses pour permettre à la Cour de se prononcer sur le fond ».

 

[15]           La demande d'ordonnance de la protonotaire Milczynski reposait sur Levi Strauss & Co. c. Roadrunner Apparel Inc. (1997), 76 C.P.R. (3d) 129 (CAF), où la Cour a fait le commentaire suivant à la page 134 :

Il me répugnerait, pour ma part, de nier à une partie le droit de soulever la question dans sa défense et de chercher à obtenir notre protection contre un tel abus lorsque cette demande repose sur les faits.

 

Finalement, je tiens à ajouter qu'on ne saurait sous-estimer les difficultés auxquelles est confronté le défendeur qui essaie de faire la preuve d'un abus ou d'un détournement de procédure de la part du demandeur qui tente de faire respecter sa marque de commerce en utilisant des voies de droit. Cela ne constitue cependant pas une raison valable de nier cette possibilité au défendeur.

 

 

QUESTIONS EN LITIGE

 

[16]           Les questions soulevées dans le présent pourvoi sont les suivantes:

1.      La décision de la protonotaire devrait-elle être examinée de novo?

2.      Le critère d' « évident et manifeste » pour la radiation des actes de procédure a-t-il été respecté?

3.      La protonotaire a-t-elle mal appliqué Levi Strauss & Co. c. Roadrunner Apparel?

4.      Le délit d'abus de procédure relève-t-il de la compétence de la Cour fédérale?

 

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

 

[17]           En vertu de la règle 221 des Règles des Cours fédérales (1998), l'acte peut être radié si l'auteur de la requête établit un des éléments suivants:

221. (1) À tout moment, la Cour peut, sur requête, ordonner la radiation de tout ou partie d’un acte de procédure, avec ou sans autorisation de le modifier, au motif, selon le cas :

 

 

a) qu’il ne révèle aucune cause d’action ou de défense valable;

 

 

b) qu’il n’est pas pertinent ou qu’il est redondant;

 

 

(c) qu’il est scandaleux, frivole ou vexatoire;

 

 

(d) qu’il risque de nuire à l’instruction équitable de l’action ou de la retarder;

 

 

 

(e) qu’il diverge d’un acte de procédure antérieur;

 

 

(f) qu’il constitue autrement un abus de procédure.

Elle peut aussi ordonner que l’action soit rejetée ou qu’un jugement soit enregistré en conséquence.

 

221. (1) On motion, the Court may, at any time, order that a pleading, or anything contained therein, be struck out, with or without leave to amend, on the ground that it:

 

 

 

(a) discloses no reasonable cause of action or defence, as the case may be,

 

(b) is immaterial or redundant,

 

 

 

(c) is scandalous, frivolous or vexatious,

 

 

d) may prejudice or delay the fair trial of the action,

 

 

 

 

e) constitutes a departure from a previous pleading, or

 

 

f) is otherwise an abuse of the process of the Court,

and may order the action be dismissed or judgment entered accordingly.

 

 

ARGUMENTS

Demanderesses

 

[18]           Tractor Supply soutient que la protonotaire Milczysnki a commis une erreur en rejetant sa requête en radiation des actes de procédure attaqués. Elle soutient qu'elle a satisfait au critère applicable à la radiation des actes de procédure, puisqu'il était évident et manifeste que (1) les éléments nécessaires pour étayer une revendication indépendante pour un délit civil pour l'abus de procédure ne peut réussir dans la forme où il a été plaidé, et (2) dans le contexte de l’espèce, il n'est pas de la compétence de la Cour fédérale de permettre de statuer l'action civile de TSN relative à l'abus de procédure. 

 

[19]           Tractor Supply affirme que son but, en commençant la présente action, découlait d'une contestation avec TSC concernant les droits en matière de marques de commerce. De plus, Tractor Supply était motivée à engager une action après avoir reçu une mise en demeure de TSC pour usurpation de marque de commerce.  Tractor Supply soutient que l'affidavit d'Anthony F. Crudele, son directeur des finances, fournit le contexte factuel des différends. 

 

[20]           Tractor Supply nie les allégations d'abus de procédure dans lesquelles TSC allègue qu'elle a commencé les actions afin de dévaloriser l'entreprise de TSC. 

 

[21]           Tractor Supply soutient que la protonotaire a commis une erreur de droit lorsqu'elle a rejeté la requête en radiation des actes de procédure attaqués:

 

(a)                en concluant qu'il n'est pas évident et manifeste que l'affirmation de la défenderesse du délit d'abus de procédure ne peut être retenue, dans les circonstances où la défenderesse n'a pas invoqué le fondement factuel essentiel à l'appui de la responsabilité civile délictuelle pour abus de procédure;

 

(b)               en concluant qu'il n'est pas évident et manifeste que la Cour n'a pas de compétence pour examiner le délit d'abus de procédure dans le contexte de la présente instance;

 

(c)                en interprétant et en appliquant Levi Strauss & Co. c. Roadrunner Apparel Inc. (1997), 76 C.P.R. (3d) 129 à l'appui du rejet de la requête des demanderesses.

 

 

i.                     La décision de la protonotaire devrait-elle être examinée de novo?

 

[22]           Tractor Supply soutient que la Cour a la compétence de remplacer la décision de la protonotaire conformément au paragraphe 51(1) des Règles des Cours fédérales et qu'une ordonnance discrétionnaire de la protonotaire devrait être examinée de novo dans le cas où:

(a)                l'ordonnance porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l'issue du principal;

(b)               l'ordonnance est entachée d'une erreur flagrante, en ce sens que la protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu d'un mauvais principe ou d'une mauvaise appréciation des faits. 

Canada c. Aqua-Gem Investments Ltd., [1993] 2 F.C. 425 (C.A.F.), aux paragraphes 462 et 463 et Merck & Co. c. Apotex Inc. (2003), 30 C.P.R. (4e) 40 at (C.A.F.), aux paragraphes 17 à19, autorisation d’appel à la C.S.C. refusée 30 C.P.R. (4e)

 

[23]           Tractor Supply soutient que l'ordonnance de la protonotaire a été fondée sur un principe juridique erroné. 

ii.                   Le critère d' « évident et manifeste » pour la radiation des actes de procédure a été respecté

 

[24]           Tractor Supply soutient que les actes de procédure attaqués auraient dû être radiés conformément à la règle 221 parce qu'il est évident et manifeste que les plaidoiries n'ont aucune chance de succès. Tractor Supply soutient que les plaidoiries vont échouer pour les deux motifs suivants:

 

(a)                TSC n'a pas invoqué les éléments requis du délit d'abus de procédure. Par conséquent, même si les allégations énoncées dans les actes de procédure attaqués sont acceptées (et peuvent être établies au procès), TSC ne peut avoir gain de cause dans cette cause d'action;

(b)               La Cour fédérale n'a clairement pas compétence pour examiner le délit d'abus de procédure dans le contexte de la présente instance.

 

[25]           Tractor Supply soutient que le délit d'abus de procédure peut réussir si ces deux éléments peuvent être démontrés: (1) la partie a déclenché le processus légal à une fin autre que celle qu'elle visait; et (2) la partie a commis un acte déterminé et manifeste à cette fin, indépendamment du début de la procédure attaquée. 

 

[26]           L'exigence d'un acte manifeste pour ajouter un but prétendument illégitime a entraîné le délit d'abus de procédure qui réussit seulement en de rares circonstances. En Ontario, Tractor Supply soutient que l'exigence d'un acte manifeste a été respectée à la lettre afin de prévenir l'abus de l'action.  Il doit y avoir, selon Atland Containers Ltd. c. Macs Corp. Ltd. et al. (1974), 17 C.P.R. (2d)16, aux paragraphes 19 à 20, un « acte déterminé ou menaçant en vue de réaliser ce but », autrement, « chaque demanderesse serait loisible à une telle demande ». 

 

[27]           Tractor Supply affirme que les deux éléments du critère à deux volets pour le délit d'abus de procédure sont aussi nécessaires dans la Cour fédérale et que la Cour fédérale a seulement le droit de trouver un délit d'abus de procédure lorsqu'il y a à la fois un but illégitime et un acte déterminé ou menaçant en vue de ce but. Voir Amsted Industries Inc. c. Wire Rope Industries Ltd. (1988), 23 C.P.R. (3d) 541, Levi Strauss & Co. c. Timberland Co. (1997), 74 C.P.R. (3d) 49 (C.F.P.I), et Levi Strauss.

 

[28]           Pour ce motif, Tractor Supply affirme que la demande de TSC d'abus de procédure doit être rejetée. TSC allègue que le but illégitime est de diminuer la valeur de l'entreprise dans le cadre d'une offre publique d'achat. Toutefois, TSC ne plaide pas que Tractor Supply a commis un acte manifeste pour atteindre cet objet.  Un élément essentiel de la cause d'action n'a pas été plaidé. Par conséquent, l'acte de procédure devrait être radié: Robin Hood Multifoods Inc. c. Maple Leaf Mills Inc. (1997), 72 C.P.R. (3d), aux paragraphes 234 à 236 (C.F.P.I.) et Prior c. Canada, [1989] A.C.F. 903 (C.A.F) (QL).

 

[29]           De plus, Tractor Supply établit une distinction entre le moyen de défense procédural de l'abus de procédure et le délit d'abus de procédure.  Comme moyen de défense procédural, l'abus de procédure permet à la Cour de contrôler l'abus du système judiciaire, lorsque, par exemple, une partie intente plusieurs actions à l'égard d'une dispute.  Toutefois, le délit d'abus de procédure ne s'applique que lorsqu'une partie a un motif illégitime et commet un acte manifeste, et demande une indemnité.

iii.                La protonotaire a-t-elle mal appliqué Levi Strauss & Co. c. Roadrunner Apparel?

 

[30]           Tractor Supply soutient que la protonotaire a mal compris et mal appliqué Levi Strauss et n'a pas distingué l'espèce des faits en l'espèce. 

 

[31]           Dans Levi Strauss,  une demanderesse a intenté une action pour manquement à la marque de commerce. La défenderesse a plaidé que l'action était « frivole et vexatoire, et visait seulement à harceler et à intimider la défenderesse ». Sur une requête en radiation, la Cour a déterminé que la défenderesse avait commis un délit d'abus de procédure.  Plus important encore, Tractor Supply souligne que Justice Letourneau a trouvé qu'il y avait un fondement factuel à l'appui de l'acte qui manque en l'espèce. Justice Letourneau a trouvé que la défenderesse dans Levi Strauss a commis des actes manifestes pour favoriser son but illégitime en intentant plusieurs actions contre la défenderesse pour contrefaçon de la marque de commerce. 

 

[32]           En l'espèce, Tractor Supply soutient que les faits sont clairement distinguables étant donné que:

(a)                Le délit d'abus de procédure est invoqué comme abus d'une instance distincte à l'égard duquel les défenderesses visent un chef distinct de dommages-intérêts, non comme moyen de défense procédural; et

(b)               Aucun fondement factuel n'a été invoqué pour affirmer le délit d'abus de procédure. 

 

 

iv.          Le délit d'abus de procédure relève-t-il de la compétence de la Cour fédérale dans la présente instance?

 

[33]           Tractor Supply soutient, en outre que la compétence de la Cour fédérale se limite aux questions relatives aux droits de propriété intellectuelle en vertu de l'article 20 des Lois sur les Cours  fédérales, et attire l'attention sur les annotations des Lois à titre de justification:

[traduction]

…il est essentiel qu'une action en vertu de l'article 20 soit fondée sur le droit fédéral applicable et ne soit pas une action en responsabilité contractuelle ou délictuelle liée à une marque de commerce, à un brevet, ou à une action pour violation du droit d'auteur intentée…Dans tous les cas, la question de savoir si l'affaire est fondée ou fondée dans la législation fédérale par opposition à être principalement une demande entre sujets en responsabilité contractuelle ou délictuelle.

 

Saunders et al., Federal Courts Practice 2008 (Toronto:  Thomson Canada, 2008) at 188.

 

[34]           La Cour Fédérale est uniquement compétente pour examiner les allégations qui sont inextricablement liées aux questions qui relèvent de sa compétence.  Dans Netbored Inc. c. Avery Holdings Inc. (2005), 272 F.T.R. 131, au paragraphe 24, la Cour a radié les dispositions contestées des actes qui portaient sur la rupture de contrat et l'obligation fiduciaire parce qu'elle n'avait pas compétence pour les entendre:

Il s'agit d'une action pour violation du droit d'auteur de la demanderesse. Les allégations faites par celle-ci dans les parties contestées de la déclaration concernant notamment une violation de contrat et une violation de l'obligation fiduciaire n'ont pas pour but d'établir les violations, mais plutôt d'obtenir un redressement relativement à ces violations elles-mêmes. Or, la Cour n'a pas compétence à cet égard.

 

 

[35]           Selon Tractor Supply, l'allégation d'abus de procédure en l'espèce ne se rapporte pas aux questions de la contrefaçon de la marque de commerce, de la validité de la marque de commerce, ou de l'imitation frauduleuse, qui relèvent de la compétence de la Cour fédérale.  Par conséquent, la Cour n'a pas compétence pour examiner l'allégation d'abus de procédure. 

 

[36]           Aux termes de l'article 189 de la Loi sur la Cour fédérale, la Cour fédérale n'a compétence qu'en ce qui concerne l'allégation en demande reconventionnelle qui est susceptible de s'isoler comme action distincte. Voir Innotech Pty. Ltd. c. Phoenix Rotary Spike Harrows Ltd. (1997), 74 C.P.R. (3d) 275, aux paragraphes 276 à 77 (C.A.F.); Castlemore Marketing Inc. c. Intercontinental Trade and Finance Corp. (1996), 66 C.P.R. (3d) 147 (C.F.P.I.), aux paragraphes 149 et 150; et Nike Canada Ltd. c. Jane Doe (2001), 11 C.P.R. (4e) 69, aux paragraphes 75 à 77 (C.F.P.I.)

 

[37]           Des plaidoiries semblables ont été radiées par la Cour fédérale dans des cas similaires:  Nintendo of America Inc. c. Battery Technologies Inc. (2001), 13 C.P.R. (4e) 102 (C.F.P.I.); LifeGear, Inc. c. Urus Industrial Corp., (2001), 15 C.P.R. (4e) 142 (C.F.P.I.); et Concept Omega Corp. c. Logiciels KLM Ltee (1987), 21 C.P.R. (3d) 77 (C.F.P.I.). 

 

[38]           En conclusion, Tractor Supply soutient que la protonotaire a mal appliqué l'étendue de la compétence de la Cour fédérale, et le délit d'abus de procédure n'est pas de la compétence de la Cour à titre de défense et demande reconventionnelle dans la présente instance.

 

La défenderesse

 

[39]           TSC affirme que la compréhension des parties de la convention d'achat de 1987 était que TSC au Canada continuerait de fonctionner indépendamment de TSC Industries aux États-Unis. 

 

[40]           De 1987 à 2007, TSC a utilisé le nom et la marque de commerce TSC STORES, ainsi que d'autres marques continuellement et abondamment au Canada pour sa chaîne croissante de magasins de détail.  En fait, TSC a demandé et obtenu la marque de commerce TSC STORES et d'autres marques sans opposition de la part de Tractor Supply. Tractor Supply n'a jamais revendiqué de droits à l'une quelconque des marques TSC au Canada jusqu'en intentant la présente action.

 

[41]           Tout a changé en 2004 au moment où Tractor Supply a manifesté de l'intérêt en l'acquisition de TSC au Canada. Tractor Supply a visité les magasins et a rencontré les cadres de TSC, mais quand les négociations ont échoué en 2007, Tractor Supply a commencé à annoncer son entreprise américaine au Canada, ce qui a créé de la confusion chez les clients de TSC. 

 

[42]           Vingt ans après avoir acquiescé à l'utilisation du nom et des marques TSC, Tractor Supply a entrepris, pour tenter de diminuer la valeur de l'entreprise TSC, la présente action qui nuit au droit de TSC d'utiliser les marques qui sont étroitement associées à son entreprise. 

 

[43]           L'action est un abus de procédure parce que son but prédominant est de réduire l'évaluation de l'entreprise TSC dans le contexte d'une offre publique d'achat. 

 

 

L'ordonnance de la protonotaire devrait-elle être examinée de novo?

 

[44]           TSC soutient que l'ordonnance de la protonotaire ne doit pas être examinée de novo par la Cour parce qu'elle n'est pas fondée sur un principe juridique erroné et ne doit pas être modifiée. 

 

[45]           TSC soutient que l'avis de requête et les observations écrites de Tractor  ne sont pas clairs et n'indiquent pas de motifs précis en vertu de la règle 221 pour rejeter la demande de TSC. Ainsi, TSC soutient qu'elle a subi un préjudice parce que la façon dont on peut répondre aux arguments de Tractor Supply n'est pas claire.

 

[46]           Le manque de clarté des observations écrites de Tractor Supply laisse TSC croire que Tractor Supply pourrait avoir abandonné ses arguments en vertu des alinéas 221(1)b), c) et d), qui n'ont pas été retenus par la protonotaire Milczynski. Tractor Supply pourrait tenter de présenter un nouvel argument en vertu de l’alinéa 221(1)a) après le fait. Selon Justice Hugessen, au paragraphe 4 de Greens At Tam O’Shanter Inc. c. Canada, [1999] A.C.F. no 260 (C.F.P.I.), les observations écrites doivent être adéquates:

En premier lieu, la partie requérante devrait informer honnêtement la partie adverse du fondement légal et factuel de la requête qui est présentée. Pareils renseignements sont non seulement nécessaires selon la norme d'équité, mais permettent aussi en fait à la Cour de gagner du temps.

 

 

[47]           TSC affirme que la requête doit être rejetée en raison de l'omission de Tractor Supply de fournir des observations adéquates:

Cette omission de traiter d'un point important dans les prétentions écrites versées au dossier d'une requête, surtout lorsque l'avocat de la partie demanderesse a eu amplement le temps de réfléchir aux prétentions qu'il convenait de faire, suffirait normalement à faire échec à la cause, étant donné que les arguments qui ne sont pas à tout le moins mentionnés dans les prétentions écrites d'une partie demanderesse versées au dossier de la requête ne doivent être ni soulevés ni acceptés. En fait, d'après la Règle 364(2), les prétentions écrites doivent obligatoirement faire partie du dossier, à l'exception de certains cas où ces prétentions écrites sont remplacées par un mémoire des faits et du droit. D'après mon interprétation, la Règle 364(2)e), qui exige des prétentions écrites, signifie qu'il doit y avoir au moins un énoncé des points que l'avocat soulèvera de façon à ne pas créer de guet-apens, ce qui fait perdre du temps à tout le monde

 

Wuskwi Sipihk Cree Nation c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social), 1999 CanLII 7454 au para. 5.

 

[48]           TSC soutient que la présente requête doit être rejetée ou Tractor Supply sera empêché de présenter des arguments de la règle 221 des Règles, ailleurs que dans l’alinéa 221(1)a) des Règles. Également, l'affidavit crudele doit être retiré. 

 

ii.  La Cour doit seulement radier des actes de procédure s'ils ne sont pas satisfaisants.

 

[49]           TSC soutient que le critère de radiation des actes de procédure est élevé, et les actes de procédures doivent être radiés que s'il est évident et manifeste, et hors de tout doute raisonnable, qu'ils ne divulguent aucune cause raisonnable d'action ou de défense.  TSC soutient que, lorsqu'il y a une chance qu'une déclaration ou une défense ait gain de cause, il ne devrait pas y avoir de radiation: Trans-Pacific Shipping Co. c. Atlantic & Orient Trust Co. 2005 CF 311 (Proth.) au paragraphe12. 

 

[50]           La décision de la protonotaire Milczynski doit être maintenue parce qu'elle a conclu, à juste titre, qu'il n'était pas évident et manifeste que TSC ne pouvait pas avoir gain de cause. 

 

iii.  Compétence

 

[51]           TSC soutient que la déclaration d'abus de procédure relève de la compétence inhérente de la Cour fédérale parce que la Cour a le pouvoir inhérent d'examiner l'abus de procédure: Hunter c. Chief Constable of West Midlands et al. [1981] 3 All E.R. 727 à la p. 729; Trans-Pacific au para. 23; Novartis Pharmaceuticals Canada Inc. c. RhoxalPharma Inc. (2002), 20 C.P.R. (4e) 485 au para. 33; et R. c. Neil, 2002 CSC 70, [2002] 3 R.C.S. 631 au para. 43. 

 

[52]           De plus, des dommages-intérêts, incluant des dommages-intérêts exemplaires, peuvent être réclamés comme abus de procédure à la Cour fédérale.  Dans Mondel Transport Inc. c. Afram Lines Ltd., [1990] 3 C.F. 684 at 695 la Cour conclut que:

…Il semble clair, par conséquent, que dans le droit canadien, le délit d'abus de procédure dans lequel des dommages-intérêts incluent des dommages-intérêts exemplaires peut être réclamé, mais cette loi a une portée restreinte et une mauvaise foi ou un but illégitime et malicieux sans aucun motif justifiable. 

 

 

[53]           Selon Justice Mosley dans Dimplex North America Ltd. c. CFM Corp. (2006), 54 C.P.R. (4e) 435 au paragraphe 123 (C.F.), des dommages-intérêts punitifs ou exemplaires sont disponibles à la Cour fédérale quand il y a abus de procédure:

Il a été adjugé de dommages-intérêts punitifs ou exemplaires relativement au comportement répréhensible, ou à l'abus de procédure, comme des activités régulières pour constituer de la contrefaçon au mépris de l'ordonnance judiciaire de cesser de telles activités.

 

 

[54]           TSC souligne qu'à l'article 20 de la loi sur les Cours fédérales, il est affirmé que la Cour fédérale a la compétence exclusive dans tous les cas où l'on cherche à faire une entrée dans le registre des marques de commerce radiées ou modifiées, et, autrement, une compétence concurrente pour les cas où une réparation est sollicitée en ce qui concerne une marque de commerce. 

 

[55]           TSC affirme également que l'article 4 de la loi constitue la Cour fédérale comme une Cour de « law and equity ».  Par conséquent, la Cour fédérale peut exercer le pouvoir à une cour d'equity lorsque l'objet relève de sa compétence: Teledyne Industries, Inc. c. Lido Industrial Products Ltd. (1982), 68 C.P.R. (2d), aux paragraphes 204 à 227 (C.F.P.I.).

 

[56]           De plus, TSC soutient que la Cour fédérale a le pouvoir de rendre un jugement déclaratoire en vertu de l'article 64 de la Loi. 

 

[57]           TSC affirme qu'il serait absurde s'il était nécessaire d'intenter une action distincte devant une cour provinciale pour réclamer des dommages-intérêts pour abus de procédure. 

 

[58]           L'abus de procédure est une doctrine souple, et ne doit pas limiter dans la présente instance. À l'égard de Levi Strauss, la Cour d'appel fédérale n'a pas radié les allégations d'abus de procédure dans les actes de procédure de la défenderesse dans le contexte du dossier de violation de la marque de commerce. Les motifs de Tractor Supply sont très pertinents et exonératoires dans le cas où le processus judiciaire est employé pour des buts inavoués. Si Tractor Supply emploie le processus pour un but illégitime, la Cour a le pouvoir d'intervenir. 

 

[59]           TSC soutient que la protonotaire a correctement appliqué Levi Strauss en l'espèce. En l'espèce, la Cour d'appel fédérale a conclu un abus de procédure à l'endroit où la demanderesse a employé le processus judiciaire pour harceler et intimider des concurrents pour tenter d'entraver leurs entreprises. La Cour n'a pas exigé plus que l'introduction des actions pour conclure qu'il y avait eu de l'abus dans la procédure. L'abus de procédure est une doctrine souple, et il n'est pas obligatoire qu'une loi soit « distincte et indépendante de la revendication elle-même ». Les mauvaises intentions d'une défenderesse sont suffisantes. 

 

[60]           Or, en l'espèce, TSC affirme qu'il y a une preuve distincte des simples mauvaises intentions.  TSC soutient que pendant 20 ans, Tractor Supply était au courant de l'utilisation de la propriété ainsi qu'à sa revendication au Canada de marques de commerce, et d'autres marques. Pourtant, elle n'a rien fait jusqu'à la présente action pour en protester l'utilisation. Ce n'est qu'après l'échec des négociations en vue d'acheter l'entreprise TSC que Tractor Supply a commencé à protester contre l'emploi du nom et les marques de commerce TSC. En plus, ce n'est qu'après 2007 que Tractor Supply a pris la décision de diffuser des annonces au Canada qui portaient à confusion.

 

ANALYSE

 

[61]           Il est bien établi que l'ordonnance discrétionnaire de la protonotaire peut seulement être examinée de novo si les questions soulevées dans la requête ont une influence déterminante sur l'issue du principal, ou si l'ordonnance était entachée d'erreur flagrante, en ce sens que l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire de la protonotaire était fondé sur un mauvais principe ou une mauvaise appréciation des faits. Voir Merck & Co., Inc. c. Apotex Inc., [2004] 2 R.C.F. 459, 30 C.P.R. (4e) 40, 315 N.R. 175, 2003 CarswellNat 4080, 2003 CAF 488.

 

[62]           Tractor Supply affirme que la décision de la protonotaire Milczynski du 9 juin 2008 de refuser la radiation de certaines parties de la défense et demande reconventionnelle (les actes de procédure attaqués) de TSC était clairement erronée parce qu'elle a été fondée en vertu d'un mauvais principe général du droit.

 

 

[63]           Tractor Supply a soutenu que les allégations de TSC concernant l'abus de procédure ne révèlent aucune cause d'action ou de défense valable qui relèveraient de la compétence de la Cour; elles ne peuvent être retenues et sont sans importance, scandaleuses et vexatoires.

 

[64]           Il n'a pas semblé évident pour la protonotaire Milczynski que TSC ne puisse pas avoir gain sur ses réclamations et défenses dans l'abus de procédure, ou qu'examiner de telles réclamations outrepassait la compétence de la Cour tant au niveau de la défense que de la demande reconventionnelle. Elle affirme qu'il y a « un lien suffisant entre les questions associées aux marques de commerce en litige et l'abus de procédure reproché aux demanderesses pour permettre à la Cour de se prononcer sur le fond ».

 

[65]           En arrivant à cette conclusion, la protonotaire Milczynski a cité la décision de la Cour d'appel fédérale dans Levi Strauss au paragraphe 134:

Pour ma part, de nier à une partie le droit de soulever la question dans sa défense et de chercher à obtenir notre protection contre un tel abus lorsque cette demande repose sur les faits.

 

Les difficultés auxquelles est confronté le défendeur qui essaie de faire la preuve d'un abus ou d'un détournement de procédure de la part du demandeur qui tente de faire respecter sa marque de commerce en utilisant des voies de droit. Cela ne constitue cependant pas une raison valable de nier cette possibilité au défendeur.

 

[66]           Il n'est pas clair, dans la décision de la protonotaire, comment les principes dégagés dans Levi Strauss découlent des faits en l'espèce. La décision de Justice Letourneau de ne pas demander la radiation dans Levi Strauss semble avoir été fondée sur un abus de procédure soit à titre de moyen de défense procédural qui entraîne un arrêt des procédures (que toute Cour a la compétence propre d'examiner et contre lequel elle peut protéger) or sur un fondement factuel établi qui, dans Levi Strauss , incluait un but illégitime ainsi que le début de nombreuses actions contre des fabricants et des vendeurs de jeans au Canada qui ne procédaient pas avec diligence.

 

[67]           En l'espèce, TSC semble cibler à la fois un abus de procédure (« 66. Cette action est un abus de procédure et doit être rejetée, ou, subsidiairement, les demanderesses se verront refuser une réparation en equity ») en plus d'un délit d'abus de procédure pour lequel TSC demande « des dommages-intérêts pour abus de procédure, incluant des dommages-intérêts exemplaires ».

 

[68]           Dans la mesure où TSC soulève un abus de procédure, elle indique que la demande de Tractor Supply devrait être rejetée parce qu'il ne s'agit pas en réalité de la contrefaçon de la marque de commerce. Je ne vois rien de mal avec une telle allégation, et elle sera examinée et résolue dans le cadre de l'instance. Par conséquent, je ne vois aucun problème avec la décision de la protonotaire Milczynski dans la mesure où elle traite l'abus de procédure.

 

[69]           Toutefois, TSC demande également des “des dommages-intérêts pour abus de procédure, incluant des dommages-intérêts exemplaires, ce qui laisse entendre qu'elle a l'intention de se fonder sur le délit d'abus de procédure. Cela est également proposé dans les plaidoiries. TSC indique clairement dans sa demande reconventionnelle qu'elle a l'intention d'utiliser l'abus de procédure à titre d'épée et de bouclier, et que les dommages-intérêts, « incluant des dommages-intérêts exemplaires » sont réclamés.

 

 

[70]           La décision dans Levi Strauss  laisse entendre que la Cour d'appel fédérale a considéré les actes de procédure attaqués dans cette affaire de la perspective à la fois de l'abus de procédure et du délit d'abus de procédure.

Pour sa part, l'intimée soutient essentiellement que ce qu'elle allègue dans sa défense, c'est que, alors qu'elles semblent faire respecter valablement leur marque de commerce, les appelantes abusent en fait de la procédure de la Cour. L'intimée désire établir que l'abus de procédure réside dans les agissements des appelantes qui visent à la harceler et à harceler d'autres utilisateurs de la marque de commerce et également à éviter à tout prix qu'une décision soit rendue au sujet de la validité de leur enregistrement.

         J'estime que la validité du paragraphe 21 et de la partie pertinente du paragraphe 18 doit être décidée en fonction des principes régissant l'abus de la procédure de la Cour et que, dans ce contexte, le mobile constitue un élément fort pertinent.

         Le concept de l'abus de procédure a été élaboré tant sur le plan du droit substantiel que sur celui du droit procédural. C'est un principe bien établi, en droit substantiel, que l'abus de procédure constitue un délit ouvrant droit à une poursuite. Ainsi que le juge Henry l'a déclaré dans l'affaire Tsiopoulous v. Commercial Union Assurance Co.3, dans laquelle il était saisi d'une demande reconventionnelle en dommages-intérêts fondée sur un abus de procédure :

 

[traduction]

 

        

Ce recours est ouvert lorsque des voies de droit sont détournées de leur finalité. Il existe lorsqu'il est fait un usage abusif du tribunal dans le but de forcer une personne à agir complètement en dehors du cadre de la demande en justice sur laquelle le tribunal est appelé à statuer. Cette situation se produit lorsqu'on recourt au tribunal dans un but irrégulier et qu'un geste précis est accompli ou une menace proférée dans un tel but.

 

 

Dans son ouvrage The Law of Torts4, Fleming établit une distinction entre certaines formes d'abus de procédure comme l'arrestation ou la saisie-exécution abusive et le concept de l'abus de procédure :

[traduction]

« Les cas dans lesquels une voie de droit, qui n'est pas elle-même dénuée de fondement, a été détournée de son objectif premier, comme une extorsion ou une contrainte, sont tout à fait différents. En pareil cas, la personne lésée peut exercer un recours sur le fondement de ce qu'on peut appeler un " abus de procédure ". »

 

Il ressort d'un examen de la doctrine et de la jurisprudence que l'élément essentiel du délit d'abus de procédure est que son auteur doit avoir exercé le recours dans un but autre que celui pour lequel il était conçu, en d'autres termes, dans un but indirect, étranger, secret, irrégulier ou illicite5. L'élément essentiel de ce délit est le recours abusif ou pervers à la procédure du tribunal, et il n'y a pas d'abus lorsqu'un plaideur suit une procédure régulière du tribunal jusqu'à son aboutissement normal, même lorsqu'il est animé de mauvaises intentions6.

         L'abus de procédure est également invoqué comme moyen de défense procédural, surtout en droit criminel, dans le cas de poursuites abusives ou vexatoires ou contraires aux principes de justice fondamentale et d'équité7. Dans les cas où il a été retenu, ce moyen de défense a donné lieu à une suspension de l'instance.

         Toutefois, le moyen de défense procédural de l'abus de procédure ne connaît aucun obstacle juridique, en ce sens que son application ne se limite pas au domaine du droit criminel. Il s'étend en effet à d'autres domaines, comme le droit civil, le droit constitutionnel et le droit administratif8. Il n'y a rien qui en empêche l'application à un procès pour contrefaçon. La notion d'abus de procédure repose sur des fondements qui sont tout à fait indépendants des diverses branches du droit dans lesquelles elle peut être invoquée. Il s'agit d'une demande adressée à un tribunal de défendre sa procédure et de la protéger contre les abus commis par des plaideurs. Il me répugnerait, pour ma part, de nier à une partie le droit de soulever la question dans sa défense et de chercher à obtenir notre protection contre un tel abus lorsque cette demande repose sur les faits.

         Je répète que j'estime que le juge des requêtes a bien exercé son pouvoir discrétionnaire en concluant que l'allégation formulée par l'intimée était justifiée par les faits et en refusant de radier le paragraphe 21 et la partie pertinente du paragraphe 18.

 

[71]           La question de compétence soulevée par Tractor Supply dans la requête dont je suis saisie ne semble pas avoir concerné la Cour d'appel fédérale dans Levi Strauss, qui a considéré les actes de procédure attaqués dans cette affaire du point de vue des « principes applicables à l'abus de procédure » et qui a ensuite soulevé à la fois la question du délit et du moyen de défense procédural pour abus de procédure.

 

[72]           Comme le souligne elle-même Tractor Supply, la Cour d'appel fédérale « traite de l'applicabilité d'abus de procédure à la Cour fédérale, et invoque de nombreuses décisions rendues en Ontario qui confirment le critère à deux volets … »

 

[73]           Il me semble qu'une telle discussion de la Cour d'appel fédérale donne à penser que la Cour a senti qu'elle avait la compétence de traiter le délit d'abus de procédure dans la présente affaire. Par conséquent, je pense devoir supposer que la Cour fédérale peut avoir compétence de traiter le délit d'abus de procédure dans le cadre des instances en contrefaçon en imitation frauduleuse. Je crois devoir supposer, à tout le moins, que la question de la compétence n'a pas encore été réglée.

 

[74]           Tractor Supply cite également de nombreuses causes à l'appui de sa prétention que le délit d'abus de procédure exige « un critère à deux volets » qui n'a pas été rempli à partir des faits de l'espèce.

 

[75]           Comme dans le cas de la question de la compétence, Tractor Supply peut démontrer que le délit d'abus de procédure n'a pas été établi à partir des faits de l'espèce. Toutefois, dans Levi Strauss, la Cour d'appel fédérale résume comme suit la jurisprudence:

Il ressort d'un examen de la doctrine et de la jurisprudence que l'élément essentiel du délit d'abus de procédure est que son auteur doit avoir exercé le recours dans un but autre que celui pour lequel il était conçu, en d'autres termes, dans un but indirect, étranger, secret, irrégulier ou illicite.

 

[76]           Je comprends que, dans la défense et demande reconventionnelle de TSC, l'allégation concernant l'abus de procédure est que Tractor Supply a intenté la présente action de mauvaise foi et « avec un but étranger et illicite, c'est-à-dire d'utiliser le présent litige pour réduire l'évaluation de TSC Stores dans le cadre d'une offre publique d'achat. Des précisions suivent. » TSC plaide également comme suit:

72. L'attaque injustifiée du droit de TSC Stores à l'utilisation continue et absolue de ses marques de commerce canadiennes a, par son action, diminué la valeur de TSC Stores en tant qu' « entreprise active ».

 

 

[77]           En fin de compte, il se peut que TSC soit incapable d'établir que la Cour fédérale a la compétence d'entendre sa défense ou demande reconventionnelle dans la mesure où elle base ses sources sur le délit d'abus de procédure, et les éléments constitutifs du délit ne se trouvent pas en l'espèce. Compte tenu, toutefois, de la décision de la Cour d'appel fédérale dans Levi Strauss qui semble présumer, du moins implicitement, qu'il y ait compétence, et qui emploie une formulation générale (« son auteur doit avoir recouru à un processus judiciaire à une fin autre que celle qu'elle devait desservir … ») pour décrire le délit, je ne crois pas, à ce stade, qu'il soit évident et manifeste que TSC ne puisse pas avoir gain sur ses allégations d’abus de procédure.

 

[78]           Cela étant, je ne peux pas affirmer que la protonotaire Milczynski a commis une erreur flagrante en ce sens qu'elle a fondé sa décision en vertu d'un mauvais principe ou d'une mauvaise appréciation des faits, ou qu'elle a mal compris ou mal appliqué l'affaire Levi Strauss. Il me semble qu'il y a une latitude suffisante dans Levi Strauss pour que TSC emploie l'abus de procédure à la fois en tant que bouclier qu'en tant qu'épée dans le présent litige. La conclusion de la protonotaire Milczynski voulant que, du point de vue des actes de procédure en l'espèce et de la jurisprudence de la Cour fédérale concernant les demandes ou demandes reconventionnelles, la Cour ne puisse affirmer « que la norme élevée pour une telle requête a été respectée » et que TSC doive refuser le droit de soulever la question semble fondée.

 

[79]           Il est bien établi que la Cour peut radier des actes de procédure en vertu de la règle 221 pour défaut de compétence. Voir MIL Davie Inc. c. Hibernia Management and Development Co. (1998), 226 N.R. 369, 85 C.P.R. (3d) 320, 1998 CarswellNat 814 (C.A.F.). Toutefois, l'absence de compétence doit être « évident et manifeste » pour justifier la radiation des actes de procédure à ce stade préliminaire. Voir Sokolowska c. Canada, 2005 CAF 29.

 

[80]           Compte tenu de la décision de la Cour d'appel fédérale dans Levi Strauss où la Cour semble considérer les actes de procédure à la fois du point de vue du moyen de défense procédural de l'abus de procédure et du délit civil, je ne peux pas affirmer que la question de la compétence est évidente et manifeste à ce stade. Je reconnais, évidemment, que dans Levi Strauss la Cour d'appel fédérale n’a pas été appelée à examiner une demande reconventionnelle afin d'obtenir une déclaration des dommages-intérêts pour l'abus de procédure. Toutefois, je ne puis rien trouver dans la décision d' « évident et manifeste » que l'abus de procédure peut seulement être utilisé comme bouclier à la Cour fédérale et ne peut pas être utilisé comme épée.


 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que :

 

1.                  L'appel est rejeté;

2.                  La défenderesse (TSC Stores) a droit aux dépens du présent pourvoi, quelle que soit l'issue de la cause;

3.                  La demanderesse (Tractor Supply) a droit de signifier et de déposer sa réponse et défense à la demande reconventionnelle dans les 20 jours suivant la date du présent jugement.

 

 

James Russell

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER:                                         T-1804-07

 

INTITULÉ:                            TRACTOR SUPPLY CO. OF TEXAS,                                                                                            LP AND TRACTOR SUPPLY COMPANY et

                                                            TSC STORES LP

 

 

LIEU DE L'AUDIENCE:                  TORONTO, ONTARIO

 

DATE DE L'AUDIENCE:                15-DEC-2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            RUSSELL J.

 

DATE DES MOTIFS :                      12 février 2009

 

COMPARUTIONS :

 

Me James Buchan

Me Selena Kim

 

POUR LES DEMANDERESSES

Me Shawn D. Jacka

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

 

Gowling Lafleur Henderson LLP

BARRISTER & SOLICITOR

TORONTO, ONTARIO

 

POUR LES DEMANDERESSES

Bereskin & Parr

Intellectual Property Law

TORONTO, ONTARIO

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.