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Federal Court

 

Cour fédérale


Date : 20090211

Dossier : T­1078­08

Référence : 2009 CF 144

Ottawa (Ontario), le 11 février 2009

En présence de monsieur le juge Mosley

 

ENTRE :

 

JOHN DETORAKIS

demandeur

et

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Les présents motifs et la présente ordonnance font suite aux requêtes du demandeur, M. Detorakis, qui ont été instruites à Fredericton, au Nouveau­Brunswick, le 2 février 2009. M. Detorakis se représente lui­même dans la présente instance en contrôle judiciaire. Notre Cour et la Cour d’appel fédérale ont toutes les deux jugé que le demandeur avait besoin des conseils d’un juge responsable de la gestion de l’instance. En date des présentes, le dossier de la Cour compte 194 écritures consignées et 56 documents, ainsi que deux ordonnances interlocutoires qui ont été portées en appel. L’affaire n’a pas encore atteint l’étape de la préparation du dossier de la

 

demande. Au bénéfice de M. Detorakis et des juges qui seront appelés à examiner la présente affaire à des étapes ultérieures, je vais exposer en détail les motifs de ma décision en ce qui concerne les requêtes dont je suis saisi.

 

Le contexte

 

[2]               La demande principale porte sur le contrôle judiciaire de la décision par laquelle la commissaire du Commissariat à l’intégrité du secteur public (le CISP), Me Christiane Ouimet, a refusé d’exercer son pouvoir discrétionnaire d’enquêter sur les présumés actes répréhensibles qui, selon M. Detorakis, auraient été commis par certains fonctionnaires et a refusé de lui accorder les fonds nécessaires pour consulter un avocat.

 

[3]               La divulgation a été faite par M. Detorakis le 16 avril 2008, en vertu de l’article 13 de la Loi sur la protection des fonctionnaires divulgateurs d'actes répréhensibles, L.C. 2005, ch. 46 (la Loi). Elle portait sur les mesures qu’aurait prises son employeur, la Commission canadienne de sûreté nucléaire (la CCSN), en réponse à la demande de renseignements que M. Detorakis avait présentée au sujet de questions portant sur les relations de travail.

 

[4]               M. Detorakis a d’abord porté plainte auprès de la direction de la CCSN en 2003. Insatisfait de la réponse obtenue, il a alors réclamé l’intervention du Commissariat à la protection de la vie privée (le CPVP), qui a déféré sa plainte au Commissariat à l’information (le CI), au motif qu’il s’agissait d’une question d’accès à l’information. Le CI a informé M. Detorakis en novembre 2006 que le délai qui lui était imparti pour porter plainte était expiré, mais qu’il

pouvait présenter une nouvelle demande à la CCSN et déposer une nouvelle plainte si sa demande était refusée.

 

[5]               M. Detorakis a contesté cette évaluation en faisant valoir, dans une lettre subséquente adressée au CI, ainsi que dans sa divulgation du 16 avril 2008 au CISP, que la question ne portait pas sur un refus d’une demande d’accès à l’information, mais bien sur une dissimulation de dossiers et sur une fabrication de preuves visant à l’empêcher de prendre connaissance des renseignements en question.

 

[6]               M. Detorakis affirme que le CI garde un dossier ouvert, mais ajoute que le CI n’a pas enquêté sur ses allégations d’actes répréhensibles de nature criminelle, d’où la divulgation que M. Detorakis a faite au CISP. Il a réclamé, pour cette plainte ainsi que pour d’autres plaintes, l’intervention du ministre du Travail et du ministre de la Justice et procureur général du Canada. Dans sa réponse, le premier a expliqué qu’il ne pouvait intervenir et le second lui a suggéré de contacter la police de sa localité s’il avait des preuves d’actes criminels.

 

[7]               La décision de la commissaire à l’intégrité du secteur public (la commissaire) a été communiquée le 12 juin 2008 à M. Detorakis, par lettre signée par M. Wayne Watson, qui était alors sous­commissaire. La lettre mentionnait l’alinéa 24(1)a) de la Loi, qui permet au commissaire de refuser de donner suite à une divulgation ou de commencer une enquête ou de la poursuivre, s’il estime que l’objet de la divulgation ou de l’enquête a été instruit comme il se doit dans le cadre de la procédure prévue par toute autre loi fédérale ou pourrait l’être avantageusement selon celle­ci. La lettre mentionnait aussi que le refus de donner suite à la

divulgation s’expliquait par l’évaluation effectuée par le CI en vertu de la Loi sur l’accès à l’information, L.R., 1985, ch. A­1. M. Detorakis a de nouveau été avisé qu’il pouvait adresser des allégations d’inconduite criminelle aux autorités policières locales.

 

[8]               Dans son avis de demande déposé le 11 juillet 2008 en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F­7, M. Detorakis sollicite un bref de mandamus pour contraindre la commissaire à accepter ses divulgations d’actes répréhensibles et à approuver le financement dont il a besoin pour consulter un avocat. Conformément à la procédure prévue à l’article 317 des Règles des Cours fédérales, DORS/98­106, M. Detorakis a réclamé la production de copies certifiées conformes des documents suivants :

a) Tous les dossiers d’enquête portant sur les faits allégués par le demandeur dans ses divulgations;

b) Tous les dossiers d’analyse des faits ou des autres éléments dont la commissaire a tenu compte pour refuser d’accepter les divulgations et pour refuser d’accorder au demandeur la possibilité de consulter un avocat;

c) Tous les documents contenant des politiques ou des lignes directrices dont la commissaire à l’intégrité du secteur public s’est inspirée pour s’acquitter de son pouvoir discrétionnaire en refusant de prendre acte des divulgations du demandeur au sujet des actes criminels autorisés ou tolérés par des hauts fonctionnaires;

d) Tous les documents contenant des politiques ou des lignes directrices dont la commissaire à l’intégrité du secteur public s’est inspirée pour s’acquitter de son pouvoir discrétionnaire en ne permettant pas au demandeur de consulter un avocat au sujet de ses divulgations concernant les actes criminels autorisés ou tolérés par des hauts fonctionnaires du service pour lequel il travaille;

e) Tous les documents portant sur les cas antérieurs examinés par le Commissariat dans lesquels la commissaire s’est acquittée du mandat et des pouvoirs que lui confère la Loi pour :

·        accepter les divulgations faites par des fonctionnaires au sujet d’actes criminels autorisés ou tolérés par de hauts fonctionnaires;

·        donner des consultations juridiques aux fonctionnaires cherchant à faire enregistrer leur divulgation par la commissaire.

 

 

[9]               Le 24 juillet 2008, Me Joe Friday, qui est avocat au Commissariat, a produit un document intitulé [traduction] « Certificat » auquel étaient annexées des pièces qualifiées de copies certifiées conformes de [traduction] « toutes les pièces soumises à la commissaire à l’intégrité du secteur public lors de la divulgation d’actes répréhensibles faite par John Detorakis [...] » Les documents annexés consistaient en la lettre contenant la décision ainsi qu’en des copies de la correspondance entre M. Detorakis et le personnel du CI et du CISP.

 

[10]           M. Detorakis a entrepris des démarches pour savoir si l’un quelconque des autres documents qu’il avait réclamés avait été déposé auprès du greffe de la Cour ou si une opposition à sa demande avait été faite en vertu du paragraphe 318(2) des Règles des Cours fédérales. Le 15 août 2008, il a fait parvenir au Commissariat une autre demande de production dans laquelle il réclamait, parmi une longue liste d’éléments, les dossiers relatifs aux conflits d’intérêts prétendus dans lesquels s’étaient retrouvés la commissaire et le sous­commissaire ainsi que toute confirmation des communications échangées entre la commissaire et les présidents d’autres tribunaux administratifs fédéraux.

 

[11]           Par lettre adressée le 24 septembre 2008 à M. Detorakis, dont une copie a été soumise à la Cour, Me Friday faisait état des demandes de divulgation contenues dans l’avis de demande et dans la lettre du 15 août 2008. Il écrivait ce qui suit :

[traduction]

 

Il n’existe aucun des documents et pièces susmentionnés, tels que des politiques ou des lignes directrices sur l’exercice par la commissaire de son pouvoir discrétionnaire au sujet des divulgations et de la fourniture de conseils juridiques, sur les conflits d’intérêts ou sur la délégation du pouvoir d’examiner les divulgations et les plaintes de représailles, une déclaration de conflits ou encore des communications avec les présidents d’autres tribunaux administratifs

fédéraux, etc. Le dossier certifié conforme qui a été soumis le 24 juillet 2008 ne renferme donc aucun de ces documents. Le dossier certifié conforme contient tous les documents et pièces dont disposait effectivement la commissaire à l’intégrité du secteur public lorsqu’une décision a été prise en son nom.

 

Comme les dossiers que vous réclamez n’existent pas, nous nous opposons donc officiellement à la demande que vous avez faite en vertu de l’article 317 des Règles.

 

Nous demeurons à la disposition de la Cour pour donner suite à toute directive que la Cour pourrait donner relativement à la présente affaire.

 

 

[12]           M. Detorakis a ensuite déposé plusieurs requêtes, dont une visait à traduire la commissaire, le sous­commissaire et l’avocat général devant la Cour pour répondre aux allégations d’outrage au tribunal par suite de leur défaut de répondre aux demandes présentées par M. Detorakis en vertu de l’article 317 des Règles. À la suite de l’audience qui a eu lieu à Fredericton le 6 octobre 2008, le juge Michael Phelan a accueilli la requête présentée par le défendeur en vue de mettre hors de cause la commissaire à l’intégrité du secteur public et de la remplacer par le Procureur général du Canada à titre de défendeur, et la Cour a ordonné d’office que l’instance se poursuive à titre d’instance à gestion spéciale, conformément à l’article 383 des Règles. M. Detorakis a interjeté appel de ces décisions et a présenté des requêtes visant à obtenir qu’il soit sursis à l’exécution des ordonnances.

 

[13]           Les requêtes en sursis ont été rejetées par le juge Gilles Létourneau de la Cour d’appel fédérale le 26 novembre 2008 et le demandeur a été condamné aux dépens, lesquels étaient payables sur­le­champ, indépendamment de l’issue de la cause. Le juge Létourneau a confirmé l’avis du juge de première instance suivant lequel le demandeur avait besoin des conseils d’un juge responsable de la gestion de l’instance. La juge Layden­Stevenson a été désignée par le juge

en chef pour s’acquitter de cette fonction à laquelle elle a depuis dû renoncer en raison de sa nomination à la Cour d’appel.

 

[14]           La première des requêtes de M. Detorakis porte sur ses réserves en ce qui concerne le dossier du tribunal et la seconde vise à modifier les moyens articulés dans son avis de demande. Par souci de commodité, je les désignerai désormais sous l’appellation de « requête en exhaustivité » et « requête en modification d’un acte de procédure ».

 

[15]           Ces requêtes ont été mises au rôle sur l’ordre du juge responsable de la gestion de l’instance et M. Detorakis a déposé ses dossiers de requête le 19 janvier 2009. Le défendeur a déposé ses dossiers de requête le 28 janvier 2009. Le dossier de la requête en exhaustivité du demandeur comprenait l’affidavit souscrit le 26 janvier 2009 par Mme Erin Howland, adjointe administrative au Commissariat à l’intégrité du secteur public. Mme Howland affirme qu’elle a procédé à un examen approfondi du dossier de divulgation du demandeur. Elle relate les mesures qu’elle et d’autres personnes ont prises entre la date de la réception de la divulgation, le 16 avril 2008, et la signature de la lettre contenant la décision, le 12 juin 2008, et elle joint le contenu du dossier de divulgation en annexe.

 

[16]           On trouve à titre d’annexe E de l’affidavit de Mme Howland un document de trois pages intitulé [traduction] « Analyse de la recevabilité » préparé par l’enquêteur du CISP, M. Ronald Calvert, à qui le dossier de divulgation avait été confié. On trouve dans ce document, qui porte la date du 22 mai 2008, l’avis de M. Calvert suivant lequel l’alinéa 24(1)a) de la Loi s’applique à la divulgation, et sa recommandation que M. Detorakis en soit informé en

conséquence et qu’on suggère à M. Detorakis de contacter les autorités policières locales au sujet des allégations de perpétration d’actes répréhensibles criminels.

 

[17]           À la dernière page du document, sous la conclusion et la signature de M. Calvert, on trouve la phrase suivante : [traduction] « Je suis d’accord avec la suggestion qui précède », ainsi que des lignes où divers cadres du Commissariat devaient apposer leur signature. On retrouve les initiales de la registraire du Commissariat, du directeur des Services juridiques (qui n’était pas Me Friday) et de la commissaire et la date à laquelle chacun d’entre eux a paraphé le document. Le document n’a pas été paraphé par M. Watson, qui était alors sous­commissaire, ni par M. André Lefebvre, qui était alors directeur général, Enquêtes et demandes de renseignements, bien que Mme Howland indique dans son affidavit que le document leur avait été soumis pour examen et approbation avant d’être finalement acheminé à la commissaire. Ces deux fonctionnaires ont depuis quitté le CISP tout comme l’ancien directeur des Services juridiques, Me Jean­Daniel Bélanger, et l’ancienne registraire, Mme Manon Hardy.

 

[18]           À titre informatif, signalons que Mme Hardy est maintenant sous­registraire du Tribunal de la protection des fonctionnaires divulgateurs, dont le soussigné a été nommé membre le 27 juin 2007 pour un mandat de trois ans. Alors qu’il travaillait au CISP, Me Bélanger a participé aux réunions d’un groupe de consultation constitué pour aider le Tribunal à élaborer des règles. Le groupe était également composé de représentants des Services juridiques du Conseil du Trésor, de l’Alliance de la fonction publique du Canada, de l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada et des Services juridiques de la GRC. La commissaire n’a pas encore demandé au Tribunal de trancher une des questions pour lesquelles il a été constitué en vertu de la loi.

[19]           La Cour a appris au cours de l’audience que Me Bélanger avait quitté le CISP pour poursuivre sa carrière ailleurs dans la fonction publique. En tout état de cause, il semble que le rôle que Me Bélanger et Mme Hardy ont joué dans ce processus de soulève pas de questions. Il n’y a rien dans le dossier qui permet de connaître les raisons pour lesquelles MM. Watson, Lefebvre et Calvert ont quitté le CISP.

 

[20]           M. Detorakis affirme que le départ de MM. Watson et Lefebvre peut avoir quelque chose à voir avec son dossier et que le fait qu’ils n’ont pas paraphé la feuille d’approbation et de signature laisse croire qu’ils n’étaient pas d’accord avec la décision de la commissaire. M. Detorakis fait valoir que, s’ils sont confirmés, ces renseignements pourraient être utiles pour trancher sa demande.

 

Les questions préliminaires

 

[21]           À l’ouverture de l’audience, le 22 février 2009, M. Detorakis a soulevé trois questions préliminaires. Il a tout d’abord demandé d’être autorisé à modifier la réparation sollicitée dans sa requête en exhaustivité pour la faire concorder avec les renseignements fournis dans le dossier de requête du défendeur, qui confirmaient que c’était bien la commissaire qui avait pris la décision, et non le sous­commissaire, comme il l’avait d’abord cru. Sa demande ne présentait aucune difficulté et elle a été acceptée.

 

[22]           Pour ce qui est de la deuxième question préliminaire soulevée par M. Detorakis, il s’agissait d’une demande verbale visant à faire radier trois des paragraphes de l’affidavit de

Mme Howland et à faire reporter l’audience pour lui permettre de contre­interroger Mme Howland sur le contenu de son affidavit. Les trois paragraphes de l’affidavit en question sont ainsi libellés :

[traduction]

 

24. Il s’agit de toute la procédure qui a été suivie en l’espèce et de la totalité des documents obtenus par le Commissariat ou produits par lui qui ont été mis à la disposition des personnes susmentionnées du Commissariat qui ont participé à l’examen du dossier et au processus de décision. Aucun autre document n’a été obtenu et personne d’autre n’a été consulté dans le cadre de ce processus.

 

25. Je suis en mesure de confirmer que Me Joe Friday n’agit plus comme avocat au ministère de la Justice. Après m’être renseignée auprès de l’agent chargé des relations humaines au CISP, j’ai appris que Me Joe Friday a été détaché au CISP par le ministère de la Justice.

 

26. Autant que je sache, Intégrité du secteur public Canada n’a pas en sa possession, et n’a jamais eu en sa possession, de dossiers appartenant au ministère de la Justice et aucun de tels dossiers ne se trouvent dans ses locaux.

 

 

[23]           Au soutien de la présente requête et de sa demande de contre­interrogatoire, M. Detorakis soutenait essentiellement que les paragraphes précités n’étaient pas pertinents et qu’ils étaient préjudiciables, que Mme Howland ne pouvait, en tant qu’adjointe administrative, confirmer l’exhaustivité du dossier du tribunal et qu’elle ne pouvait affirmer avec autorité que Me Friday ne travaille plus pour le ministère de la Justice, d’autant plus qu’elle n’avait pas accès aux dossiers du Ministère. Il désirait contre­interroger Mme Howland sur ces questions.

 

[24]           Après avoir entendu à l’audience les observations de M. Detorakis et de l’avocat du défendeur, j’ai rejeté la requête en radiation des trois paragraphes de l’affidavit, étant donné que je n’étais pas d’accord avec M. Detorakis pour dire qu’ils n’étaient pas pertinents ou qu’ils lui

étaient préjudiciables. Ils se rapportent à des questions soulevées par M. Detorakis dans sa requête en exhaustivité. Le paragraphe 24 traite de l’examen du dossier auquel a procédé Mme Howland et de sa connaissance des mesures prises au sujet de la divulgation. Les paragraphes 25 et 26 constituent une réponse aux arguments de M. Detorakis suivant lesquels Me Friday avait accès aux dossiers qui se trouvaient en la possession du ministère de la Justice et qui concernaient les présumées mesures de représailles et le présumé défaut du CI d’enquêter sur les actes répréhensibles reprochés. Il importe peu à mon avis de savoir si Me Friday avait accès ou non aux dossiers du ministère de la Justice, étant donné que la demande d’accès aux dossiers du ministère de la Justice débordait le cadre de l’article 317 des Règles, ainsi que je vais le préciser plus loin.

 

[25]           J’ai également rejeté la requête visant à reporter l’audience pour permettre au demandeur de contre­interroger Mme Howland au sujet de son affidavit en vertu de l’article 83 des Règles. Bien que le demandeur ait signalé, avant l’audience, qu’il pourrait souhaiter le faire, il n’a fait aucune démarche pour organiser un contre­interrogatoire. De plus, les sujets que M. Detorakis avait indiqué qu’il souhaitait explorer avec Mme Howland n’étaient, à mon avis, pas pertinents à l’égard de la requête. En tentant de procéder à un contre­interrogatoire, le demandeur cherchait à obtenir la communication préalable d’éléments qui débordent le cadre de la requête et qui débordent même celui de la demande principale. Cette façon de procéder ne constitue pas un exercice légitime du droit de contre­interroger l’auteur d’un affidavit par voie de requête (Merck & Frosst Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien­être social) (1994), 169 N.R. 342, 55 C.P.R. (3d) 302 (C.A.F.).

 

[26]           Bien que l’on ne devrait refuser à une partie le droit de contre­interroger que dans des circonstances exceptionnelles, ma conclusion qu’on a affaire à pareilles circonstances en l’espèce est renforcée par ma lecture de la transcription du contre­interrogatoire que M. Detorakis a fait subir à l’assistant juridique de l’avocat du défendeur, à Ottawa, le 29 septembre 2008 et qu’il a versée au dossier de sa requête en exhaustivité. La transcription de ce contre­interrogatoire révèle que M. Detorakis a soumis l’assistant juridique à un interrogatoire inutile, confus et agressif sur des questions qui n’avaient rien à voir avec la requête. Bien que cette situation puisse être attribuable à son manque d’expérience et de connaissance juridiques, la Cour ne peut la tolérer.

 

[27]           L’assistant juridique avait souscrit cet affidavit à l’appui de la requête visant à désigner le Procureur général du Canada comme défendeur en remplacement de la commissaire. Il s’agissait d’une modification exigée par l’article 303 des Règles qui ne donnait normalement pas lieu à un contre­interrogatoire. D’ailleurs, dans son ordonnance du 7 octobre 2008, le juge Phelan précise bien que l’opposition du demandeur à cette requête était injustifiée, une opinion partagée par le juge Létourneau, qui a rejeté avec dépens l’appel interjeté par M. Detoraki. En l’espèce, je conclus qu’il n’y a aucun intérêt à permettre à M. Detorakis de contre­interroger Mme Howland au sujet des questions abordées dans son affidavit et compte tenu de ce qui s’est déjà produit, autoriser une telle mesure risquerait de l’exposer inutilement au même traitement.

 

[28]           La troisième question préliminaire soulevée par M. Detorakis est une allégation suivant laquelle Me Friday a fait une fausse déclaration à la Cour, étant donné qu’on ne trouve pas dans le dossier certifié du tribunal du 24 juillet 2008 le document intitulé [traduction] « Analyse de la recevabilité » joint à l’affidavit de Mme Howland à titre d’annexe E. M. Detorakis a demandé à la Cour d’enjoindre à Me Friday de comparaître pour répondre aux allégations d’outrage au tribunal pour avoir certifié un dossier incomplet. Il a également demandé à la Cour de recourir à l’assistance du Procureur général relativement à la tenue d’une enquête.

 

[29]           M. Detorakis affirme que l’annexe E n’a pas été versée au dossier certifié du tribunal, parce qu’elle aurait révélé que le sous­commissaire et le directeur général n’appuyaient pas la recommandation de M. Calvert et la décision de la commissaire. Il soutient que cette explication est corroborée par le fait qu’ils n’ont pas paraphé le document, par l’affirmation de Mme Howland suivant laquelle la recommandation leur avait été soumise pour examen et approbation et par le fait que ces deux fonctionnaires ont depuis quitté le bureau.

 

[30]           Il ressort de l’affidavit de Mme Howland et du document lui­même que la commissaire avait en mains l’analyse et la recommandation de M. Calvert lorsqu’elle a pris sa décision et qu’on y trouvait les raisons pour lesquelles il n’y avait pas lieu de tenir une enquête.

 

[31]           À défaut de raison convaincante de refuser de produire le document, l’annexe E aurait dû être versée au dossier du tribunal certifié par Me Friday. S’il y avait une raison de ne pas le produire en le versant au dossier certifié, il aurait fallu s’opposer plus tôt à sa production en vertu de l’article 318 des Règles et il aurait fallu demander à la Cour des directives sur la façon de procéder. Comme ce document a depuis été versé au dossier de la requête du défendeur, force est pour la Cour de conclure qu’il n’y avait aucune raison qui justifiait de ne pas le produire en réponse à la demande formulée en vertu de l’article 317 des Règles.

[32]           Le défendeur n’a pas expliqué pourquoi le document n’avait pas été versé au dossier certifié du tribunal en réponse à la demande formulée dans l’avis de demande ou à la lettre du 15 août 2008 de M. Detorakis. L’objection que l’on trouve dans la lettre du 24 septembre 2008 de Me Friday se rapportait à d’autres demandes de M. Detorakis, et non aux documents dont la commissaire disposait effectivement lorsque la demande a été faite. En fait, Me Friday a aggravé l’erreur en déclarant, à tort, que [traduction] « [l]e dossier certifié contenait tous les documents dont disposait effectivement la commissaire à l’intégrité du secteur public lorsque la décision a été prise en son nom ». Le dossier était incomplet et la décision n’a pas été prise « en son nom », mais par la commissaire elle­même, comme la loi l’exige. Ainsi que le précise l’alinéa 25(1)g) de la Loi, la décision de refuser d’enquêter ne fait pas partie des pouvoirs que la commissaire peut déléguer.

 

[33]            Ceci étant dit, j’estime qu’il ne servirait à aucune fin valable à cette étape de l’instance d’entreprendre une enquête pour savoir pourquoi cet oubli s’est produit. Le défaut de respecter l’article 317 des Règles ne constitue pas une erreur justifiant l’intervention judiciaire, mais la Cour peut s’attaquer à la question en ordonnant, en vertu de l’article 318 des Règles, de produire les documents dans un délai précis et en prorogeant le délai imparti pour déposer les dossiers de demande (Malkine c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1999), 177 F.T.R. 200, 3 Imm. L.R. (3d) 122).

 


[34]           En l’espèce, la réparation qu’une ordonnance rendue en vertu de l’article 318 des Règles permettrait d’obtenir a déjà été accordée par suite de la production du dossier à titre d’annexe à l’affidavit de Mme Howland. De plus, le contenu substantiel de l’analyse et de la recommandation de M. Calvert a été communiqué à M. Detorakis dans la lettre contenant la décision et dans les autres documents fournis le 24 juillet 2008.

 

[35]           Je relève que, pour être soumis régulièrement en preuve au soutien de la demande, le dossier du tribunal doit être annexé à l’affidavit que le demandeur verse à son dossier conformément à l’article 306 des Règles ou à celui que produit le défendeur conformément à l’article 307 des Règles (Canada (Procureur général) c. Lacey, 2008 CAF 242, 169 A.C.W.S. (3d) 939).

 

[36]           Compte tenu des circonstances entourant la présente demande, il conviendrait que le dossier soit présenté par le biais d’un affidavit soumis par le défendeur avec son dossier de la demande. M. Detorakis peut demander de contre­interroger l’auteur de l’affidavit du défendeur, sous réserve des directives que peut donner le juge responsable de la gestion de l’instance au sujet de la portée et du déroulement de ce contre­interrogatoire. Il pourrait aussi convenir que le défendeur communique à M. Detorakis l’adresse actuelle de MM. Watson et Lefebvre pour l’aider à préparer son dossier de demande.


La requête en exhaustivité

[37]           Ainsi qu’il est précisé dans l’avis qui a d’abord été déposé le 2 janvier 2009, puis déposé de nouveau le 19 janvier 2009, cette requête visait à obtenir de la Cour qu’elle :

 

[traduction]

 

1. conclue que le certificat du tribunal délivré par l’avocat général du CISP, Me Joe Friday, est inexact et que le dossier du tribunal qui a été transmis avec ce certificat est incomplet;

2. ordonne que le certificat du tribunal délivré par l’avocat général du CISP, Me Joe Friday, soit rectifié pour préciser que l’auteur de la décision était le sous­commissaire, M. Wayne Watson;

3. enjoigne à la commissaire de transmettre les documents du tribunal que le demandeur avait demandés, en vertu de l’article 317 des Règles, le 11 juillet 2008 et le 15 août 2008;

4. enjoigne à l’avocat général du CISP, Me Joe Friday, qui est avocat au ministère de la Justice, de transmettre avec le dossier du tribunal la correspondance ministérielle du ministère de la Justice ainsi que tout autre document du ministère de la Justice se rapportant à la plainte formulée par le demandeur au sujet d’actes répréhensibles commis au sein de la fonction publique auxquels Me Friday avait accès au moment où le CISP s’est prononcé sur les divulgations du demandeur;

5. toute autre ordonnance ou directive que le juge responsable de la gestion de l’instance estime juste de prononcer ou de donner dans les circonstances.

 

[38]           Dans sa plaidoirie ainsi que dans un document qui a été produit à l’audience, M. Detorakis a demandé la permission de réviser la réparation sollicitée dans sa requête en exhaustivité. J’ai regroupé comme suit les modifications qu’il réclamait :

[traduction]

 

1. ordonner la radiation du certificat délivré le 24 juillet 2008 par l’avocat général du CISP, Me Joe Friday;

2. [retiré]

3. enjoindre à la commissaire :

i. de transmettre tous les documents papier et documents électroniques se trouvant dans les dossiers et les archives du CISP, y compris les notes de services, procès­verbaux, courriels, dossiers du SGM, rapports émanant du personnel et des dirigeants du CISP ou reçus par eux, y compris les personnes suivantes : C. Ouimet, W. Watson, A. Lefebvre, M. Hardy, R. Calvert et J.­P. Bélanger au sujet de :

a. la plainte de représailles de John Detorakis reçue par le CISP le 21 mai 2008;

b. la divulgation d’actes répréhensibles faite par John Detorakis que le CISP a reçue le 16 avril 2008.

ii. de transmettre tous les documents du CISP expliquant la procédure suivie par le CISP pour traiter les plaintes de représailles formulées par des fonctionnaires ainsi que les divulgations d’actes répréhensibles faites par des fonctionnaires;

 

 

iii. de transmettre tous les documents portant sur les cas antérieurs que le demandeur a réclamés en vertu de l’article 317 des Règles avec l’avis de sa demande;

iv. de transmettre la charte du Forum pour les présidents des tribunaux administratifs fédéraux.

4. ordonner la production de tous les documents se trouvant en la possession du défendeur qui se rapportent aux motifs de révision fondés sur la partialité.

 

 

[39]           Comme nous l’avons déjà signalé, le dossier du tribunal ne peut servir de preuve à l’appui de la demande que s’il est annexé à un affidavit soumis par une des parties. L’erreur par omission a été corrigée. Le certificat n’est pas un acte de procédure au sens de l’article 2 des Règles. La requête en radiation est mal fondée.

 

[40]           En ce qui concerne la réparation consistant à réclamer le prononcé d’une ordonnance de production, l’article 317 des Règles n’offre pas la possibilité de procéder à une communication préalable étendue des documents se trouvant en la possession d’un tiers dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire, puisqu’il s’agit d’une procédure qui est censée être sommaire et expéditive.

 

[41]           Les critères prévus à l’article 317 des Règles sont la possession et la pertinence. En l’espèce, les documents soumis au CISP par M. Detorakis relativement à la divulgation et ceux qui ont été préparés au sein du CISP et dont la commissaire a tenu compte pour en arriver à sa décision sont pertinents pour ce qui est de la demande principale. Le demandeur ne peut se servir de la procédure prévue à l’article 317 des Règles pour se livrer à une « recherche à l’aveuglette » et pour fouiller dans les dossiers de la Commission ou ceux d’un autre ministère (Friends of the West Country Assn. c. Canada (Ministre des Pêches et Océans) (1997), 130 F.T.R. 223 (C.F. 1re inst.), 46 Admin. L.R. (2d) 144, 1185740 Ontario Ltd. c. Canada (Ministre du Revenu national) (1999), 247 N.R. 287 (C.A.F.), 91  A.C.W.S. (3d) 922).

 

[42]           Ainsi que la Cour suprême du Canada l’a dit dans l’arrêt May c. Établissement de Ferndale, 2005 CSC 82, [2005] 3 R.C.S. 809, l'obligation d'équité procédurale exige généralement, en matière administrative, que le décideur communique les renseignements sur lesquels il se fonde. Elle exige que l'administré connaisse les faits qu'on entend lui opposer. Il n’est pas nécessaire pour autant de divulguer tous les documents se rapportant à l’enquête (Ciba‑Geigy Canada Ltd. c. Canada (Conseil d'examen du prix des médicaments brevetés), 83 F.T.R. 2, 170 N.R. 360 (C.A.F.); Canada (Directeur des enquêtes et recherches, Loi sur la concurrence) c. D & B Companies of Canada Ltd. (1994), 176 N.R. 62, 58 C.P.R. (3d) 353 (C.A.F.)).

 

[43]           À mon avis, les documents supplémentaires que M. Detorakis réclame ne sont pas utiles pour se prononcer sur le fond de la demande principale, c’est­à­dire pour déterminer si la commissaire a commis une erreur en décidant de ne pas enquêter en raison de l’évaluation effectuée par le CI. En conséquence, la requête est rejetée.

 

La requête en modification d’un acte de procédure

[44]           Dans sa seconde requête, M. Detorakis sollicite l’autorisation de déposer en vertu de l’article 75 des Règles un avis de demande pour ajouter de nouveaux moyens, à savoir : a) pour affirmer qu’il s’attendait légitimement à se voir accorder la possibilité raisonnable de faire valoir

 son point de vue; b) pour alléguer que la commissaire avait un parti pris ou que son association avec l’ancien commissaire de la Commission canadienne de sûreté nucléaire suscite une crainte raisonnable de partialité.

 

[45]           À l’audience, M. Detorakis a renoncé à l’argument qu’il avait formulé dans ses observations écrites en affirmant qu’il y avait une crainte raisonnable de partialité en raison du fait que le sous­commissaire de l’époque, M. Watson, travaillait au Commissariat à la protection de la vie privée lorsque M. Detorakis avait déposé sa plainte initiale à cet organisme en 2006, avant qu’elle ne soit déférée au CI.

 

[46]           Voici les principaux motifs énoncés dans l’avis de demande de contrôle judiciaire déposé le 11 juillet 2008 :

[traduction]

 

a) la commissaire a fondé sa décision de ne pas accepter la divulgation sur la conclusion erronée que le commissaire à l’information avait déjà examiné la divulgation;

b) la commissaire n’a pas observé les principes de justice naturelle et d’équité procédurale en n’accordant pas au demandeur une possibilité raisonnable de faire valoir son point de vue ou d’expliquer pourquoi elle n’aurait pas dû décider de refuser d’enquêter.

 

 

 

[47]           Ainsi que le défendeur le fait valoir, l’attente légitime est un aspect de l’équité procédurale. Ce principe accorde à une personne touchée par la décision d'un fonctionnaire public la possibilité de présenter des observations dans des circonstances où, par sa conduite, un fonctionnaire public a fait croire à quelqu'un qu'on ne toucherait pas à ses droits sans le consulter (Assoc. des résidents du Vieux St­Boniface Inc. c. Winnipeg (Ville), [1990] 3 R.C.S. 1170, aux pages 1203 et 1204; 75 D.L.R. (4th) 385. Rien n’empêche le demandeur d’affirmer ce principe dans le cadre des arguments qu’il invoque dans son avis de demande tel qu’il est présentement formulé. Il n’est donc pas nécessaire de modifier les actes de procédure pour cette raison.

 

[48]           L’allégation de partialité ou de crainte raisonnable de partialité est davantage problématique. Le défendeur s’oppose à cette modification en faisant valoir qu’il convient que la Cour détermine s’il y a [traduction] « matière à procès » et, si elle est convaincue qu’il n’y a pas matière à procès, qu’elle rejette la requête (Charette c. Delta Controls, 2003 CAF 425, 312 N.R. 295). Le défendeur affirme que, même si les faits allégués par le demandeur sont tenus pour avérés comme c’est la coutume dans le cas des requêtes en modification, il n’y a pas de preuve prima facie de l’existence d’une partialité ou d’une crainte raisonnable de partialité.

 

[49]           Le demandeur cite les propos suivants tenus par le juge Douglas Campbell dans la décision Truehope Nutritional Support Ltd. c. Canada (Procureur général), 2004 CF 658, au paragraphe 21; 251 F.T.R. 155 :

 

[...] une modification devait être autorisée à toute étape d'une action aux fins de déterminer les véritables questions litigieuses entre les parties, pourvu que cela ne cause pas d'injustice à l'autre partie que des dépens ne pourraient réparer et qu'elle serve les intérêts de la justice.

 

[50]           Pour autant que je puisse en juger d’après ses observations orales et écrites, M. Detorakis cherche à établir que la commissaire a refusé d’enquêter au sujet de sa divulgation en raison de ses liens antérieurs avec Mme Linda Keen, l’ancienne commissaire de la CCSN. Il affirme que Mme Keen jouait un rôle actif au sein d’un réseau appelé Forum pour les présidents des tribunaux administratifs fédéraux ou lors d’autres réunions auxquelles assistaient des hauts fonctionnaires et auxquelles Me Ouimet participait, de sorte que Me Ouimet ne souhaitait pas plonger Mme Keen dans l’embarras en ouvrant une enquête sur les agissements de la direction de la CCSN.

 

[51]           Je souligne que M. Detorakis n’a jusqu’ici soumis aucun élément de preuve pour appuyer les faits qu’il allègue, mais que pour me prononcer sur l’opportunité d’autoriser une modification, je dois tenir pour avérés les faits qui ont été allégués (VISX Inc. c. Nidek Co. (1996), 209 N.R. 342, 72 C.P.R. (3d) 19 (C.A.F.)).

 

[52]           Le critère relatif à la partialité entraînant l’inhabilité ou à la partialité apparente est bien établi en droit. La Cour suprême du Canada a énoncé les facteurs pertinents dont on doit tenir compte lorsqu’on a affaire à ce genre d’allégations dans plusieurs décisions, à commencer par l’arrêt Committee for Justice and Liberty et autres c. Office national de l’énergie et autres, [1978] 1 R.C.S. 369, suivi par l’arrêt R. c. S. (R.D.), [1997] 3 R.C.S. 484, 151 D.L.R. (4th) 193 et par l’arrêt Bande indienne Wewaykum c. Canada, 2003 CSC 45, [2003] 2 R.C.S. 259. Une crainte raisonnable de partialité peut être soulevée lorsqu’une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique, croirait que, selon toute vraisemblance, le décideur, consciemment ou non, ne rende pas une décision juste.

 

[53]           Les allégations de partialité sont des questions très sérieuses. Elles remettent en cause l’intégrité du décideur. C’est à celui qui plaide l'inhabilité qu'incombe le fardeau d'établir que les circonstances permettent de conclure que l’intéressé doit être récusé. De plus, il s’agit d’une analyse qui dépend en grande partie des faits propres à chaque affaire et il n’existe aucun « raccourci » en ce qui concerne le raisonnement à la base de l’allégation (Wewaykum, précité, aux paragraphes 59 et 77).

 

[54]           Tout office ou commission est présumé impartial. Les motifs invoqués pour combattre cette présomption doivent être solides. Il faut démontrer qu’il existe une probabilité réelle de partialité. De simples soupçons ne suffisent pas. C’est la perception de la personne éclairée qui compte, et non des spéculations peu informées. Le fait que l’intéressé a tardé à soulever la crainte raisonnable de partialité peut indiquer que les raisons invoquées ne sont pas fondées.

 

[55]           La simple appartenance à une organisation ou l’association à un groupe ne suffisent pas normalement pour satisfaire au critère, à moins que les déclarations ou les agissements de cette organisation ou de ce groupe permettent raisonnablement d’imputer une partialité à l’auteur de la décision (voir, par exemple, Helow (Fatima) c. Secretary of State For The Home Department and Another, [2008] UKHL 62 (C.L.).

 

[56]           M. Detorakis affirme qu’on devrait lui permettre de plaider que l’association ou les liens de Me Ouimet avec Mme Keen, l’ancienne commissaire de la CCSN, justifient une crainte raisonnable de partialité. Il n’a cependant soumis aucune allégation de fait à l’appui de sa thèse, se contentant d’évoquer l’éventuelle participation de Me Ouimet à des réseaux composés de hauts fonctionnaires fédéraux. Cette façon de faire ne suffit pas, à mon avis, pour fonder une allégation de partialité réelle ou apparente, et elle constitue le type de « raccourci » dans le raisonnement contre lequel la jurisprudence nous met en garde.

 

[57]           L’inférence de manque d’impartialité à laquelle M. Detorakis souhaiterait que la Cour en arrive repose sur de simples spéculations. Même en tenant pour acquis que les faits allégués sont véridiques, le demandeur n’a pas démontré qu’il y a matière à procès en ce qui concerne une partialité réelle ou apparente en l’espèce. Permettre la modification qu’il réclame causerait un préjudice au défendeur, qui serait tenu de contester la présente demande en se fondant sur des moyens entièrement différents de ceux qui avaient été articulés dans l’avis. Bien que ce préjudice puisse être réparé au moyen d’une condamnation aux dépens, l’atteinte éventuelle à la réputation de certaines personnes qu’occasionneraient des allégations non fondées ne peut être aussi aisément réparée. Dans ces conditions, je ne suis pas convaincu que la modification serait dans l’intérêt de la justice.

 

[58]           Je suis également conscient de l’obligation que le paragraphe 18.4(1) de la Loi sur les Cours fédérales fait à la Cour de statuer à bref délai et selon une procédure sommaire sur les demandes de contrôle judiciaire dont elle est saisie. La modification demandée contribuerait sensiblement à retarder encore plus le déroulement de l’instance et l’instruction de la demande. La requête est par conséquent rejetée.

Les dépens

 

[59]           Le défendeur réclame les dépens de la requête en exhaustivité et affirme que la requête a entraîné des retards inutiles dans l’examen au fond de la demande et qu’il subira un préjudice en raison du départ de témoins du CISP. Aucune demande distincte de dépens n’a été faite au sujet de la requête en modification. Le demandeur réclame ses frais de déplacement et de séjour et le remboursement des dépenses qu’il a engagées pour tirer des copies des documents.

 

[60]           Avant l’audience, l’avocat du défendeur a offert de ne pas réclamer de dépens si le demandeur acceptait de demander l’autorisation de faire juger ses requêtes sur dossier, conformément à l’article 369 des Règles. Le demandeur a refusé, parce qu’il croyait vraisemblablement que la requête en exhaustivité devait être instruite à l’audience, étant donné qu’elle avait été inscrite au rôle par le juge responsable de la gestion de l’instance. Il a également refusé de faire juger sa requête en modification sur dossier, à moins que le défendeur ne divulgue d’abord les motifs pour lesquels il s’opposait à la requête, ce qui constitue à mon avis une condition préalable déraisonnable.

 

[61]           Normalement, la Cour adjugerait les dépens à l’issue de la requête. Toutefois, la présente instance s’est soldée en pratique par la production de [traduction] l’« Analyse de la recevabilité ». Les parties ont par conséquent obtenu chacune en partie gain de cause et chacune devrait donc supporter ses propres dépens. Les parties devraient maintenant passer à l’étape de la préparation de leur dossier de demande et éviter toute autre mesure procédurale qui retarderait l’instruction de la demande.


ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE :

 

1.         La requête déposée par le demandeur le 19 janvier 2009 en vue d’être autorisé à modifier l’avis de demande qu’il avait déposé le 11 juillet 2008 est rejetée;

 

2.         Il est entendu, malgré le paragraphe 1, que le demandeur peut alléguer qu’il a subi un déni de justice procédurale dans son dossier de demande au motif qu’il s’attendait légitimement à être consulté avant que la décision à l’examen ne soit prise;

 

3.         La requête déposée par le demandeur le 19 janvier 2009 en vue d’obtenir une ordonnance concluant que le certificat du tribunal est incomplet et pour obtenir des réparations connexes est rejetée;

 

4.         Les parties supportent leurs dépens des présentes requêtes indépendamment de l’issue de la cause.

 

« Richard G. Mosley »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Christian Laroche, LL.B.

Réviseur

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T­1078­08

 

INTITULÉ :                                       JOHN DETORAKIS

 

                                                            et

 

                                                            LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Fredericton (Nouveau­Brunswick)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 2 février 2009

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :  LE JUGE MOSLEY

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 11 février 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

John Detorakis

 

LE DEMANDEUR

(pour son propre compte)

 

Richard E. Fader

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

John Detorakis

88 Mt. Pleasant Rd.

St. George (Nouveau­Brunswick)

 

LE DEMANDEUR

(pour son propre compte)

 

John H. Sims, c.r.

Sous­procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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