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Date : 20090210

Dossier : IMM-3631-08

Référence : 2009 CF 135

Calgary (Alberta), le 10 février 2009

En présence de monsieur le juge Zinn 

 

ENTRE :

SHI WEI HUANG et ZHI YI MA

 

demandeurs

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire de la décision d’un agent des visas de ne délivrer aucun permis de travail au demandeur principal Shi Wei Huang et à son épouse qui l’accompagne Zhi Yi Ma. Les refus ont été communiqués par des lettres distinctes, datées toutes les deux du 15 juillet 2008. À toutes fins utiles, toutefois, le présent contrôle judiciaire porte uniquement sur le rejet de la demande de permis présentée par le demandeur.

 

L’HISTORIQUE

 

[2]               M. Huang et son épouse sont des ressortissants chinois. Ils sont tous les deux dans le milieu de la trentaine. Ils sont mariés depuis 1999. M. Huang est cuisinier de métier. Depuis 2002, il travaille comme adjoint au chef cuisinier à l’hôtel Long Feng à Taishan. Sa rémunération mensuelle est de 1 300 RMB. 

 

[3]               En janvier 2008, M. Huang a reçu une offre d’emploi de la part du restaurant Silver Dragon, un restaurant chinois qui possède deux établissements en Alberta. Son principal établissement est situé à Calgary; M. Huang était toutefois censé travailler au nouvel établissement de Banff. L’employeur éventuel a obtenu, vers la fin d’avril 2008, un avis favorable concernant le marché du travail de la part de la section Recrutement des travailleurs étrangers de Service Canada. L’avis était fondé sur une évaluation du marché du travail et demeure valide jusqu’au 25 avril 2009.

 

[4]               Les demandeurs ont retenu les services d’un cabinet d’avocats de Calgary afin que celui‑ci les aide à présenter leurs demandes de permis de travail. Leurs demandes ont été soumises à la Section de l’immigration de l’ambassade du Canada à Beijing par lettre datée du 27 mai 2008. La lettre d’offre, l’avis concernant le marché de l’emploi et une lettre émanant d’un gestionnaire de l’hôtel Long Feng, M. Ma, faisant état des compétences en cuisine de M. Huang et de l’intention de l’hôtel de le réembaucher à son retour de l’étranger, ont été joints à la trousse de documents soumise.

 

[5]               Les observations présentées par l’avocat des demandeurs dans la lettre du 27 mai 2008 faisaient état que l’employeur éventuel, le restaurant Silver Dragon, est une entreprise bien établie spécialisée dans la cuisine chinoise cantonaise. L’avocat a également confirmé que M. Huang possédait 10 années d’expérience en préparation des aliments et en cuisine, qu’il n’existe aucune exigence en matière de connaissance de la langue anglaise pour le poste qu’il occuperait et qu’il vise à obtenir de l’expérience internationale et à gagner de l’argent qu’il ramènerait en Chine.

 

[6]               Les permis de travail des demandeurs ont été refusés par un agent des visas à la Section de l’immigration de Beijing. Les brèves notes inscrites par l’agent au STIDI (Système de traitement informatisé des dossiers d’immigration) le 15 juillet 2008 constituent ses motifs de refus des visas.

[traduction]

 

LE DEMANDEUR DEMANDE À TRAVAILLER PENDANT 2 ANS COMME CUISINIER AU CANADA. L’ÉPOUSE DU DEMANDEUR DEMANDE ÉGALEMENT UN PERMIS DE TRAVAIL (…), EN THÉORIE ELLE SERAIT ADMISSIBLE SI LA PRÉSENTE DEMANDE ÉTAIT APPROUVÉE. LE DEMANDEUR ET L’ÉPOUSE N’ONT AUCUN ENFANT. LE DEMANDEUR ET L’ÉPOUSE N’ONT JAMAIS VOYAGÉ À L’ÉTRANGER.

 

LE DEMANDEUR AFFIRME TRAVAILLER DANS UN RESTAURANT COMME ADJOINT AU CHEF CUISINIER. SON SALAIRE EST DE 1 300 RMB PAR MOIS, CE QUI ÉQUIVAUT À ENVIRON 180 $ CAN AU TAUX DE CHANGE ACTUEL.

 

LE DEMANDEUR N’A PRÉSENTÉ AUCUNE AUTRE PREUVE D’ÉCONOMIES OU D’ACTIFS EN RÉPUBLIQUE POPULAIRE DE CHINE. COMPTE TENU DU SALAIRE DU DEMANDEUR QUI EST BAS, MÊME SELON LES NORMES CHINOISES, JE NE SUIS PAS CONVAINCU QUE LE DEMANDEUR SERA SUFFISAMMENT MOTIVÉ POUR RETOURNER EN RÉPUBLIQUE POPULAIRE DE CHINE APRÈS QU’IL AURA ÉTÉ AUTORISÉ À DEMEURER AU CANADA.

 

LE DEMANDEUR N’A PAS DÉMONTRÉ QU’IL ÉTAIT SUFFISAMMENT ÉTABLI EN RÉPUBLIQUE POPULAIRE DE CHINE ET (OU) QU’IL Y POSSÈDE DES LIENS SUFFISANTS POUR QU’IL SOIT INCITÉ À Y RETOURNER.

 

JE NE SUIS PAS CONVAINCU QUE LE DEMANDEUR EST RÉELLEMENT UN RÉSIDENT TEMPORAIRE QUI QUITTERA LE CANADA À LA FIN DE SON SÉJOUR AUTORISÉ.

 

REFUSÉE

 

[7]               C’est l’alinéa 200(1)b) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 qui est la disposition législative pertinente qui régit le rejet de la demande des demandeurs :

200 (1) Sous réserve des paragraphes (2) et (3), l’agent délivre un permis de travail à l’ étranger si, à l’issue d’un contrôle, les éléments suivants sont établis :

 

[]

b) il quittera le Canada à la fin de la période de séjour qui lui est applicable au titre de la section 2 de la partie 9;

[…]

200 (1) Subject to subsections (2) and (3), an officer shall issue a work permit to a foreign national if, following an examination, it is established that

 

(…)

(b) the foreign national will leave Canada by the end of the period authorized for their stay under Division 2 of Part 9;

(…)

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

 

[8]               Les demandeurs prétendent qu’il y a trois motifs qui justifient que la décision qui fait l’objet du présent contrôle soit annulée :

a.       l’agent des visas n’a pas tenu compte de l’ensemble des éléments de preuve qui lui ont été soumis;

b.      l’agent des visas a tiré des conclusions défavorables qui n’étaient pas étayées par la preuve qui lui a été soumise;

c.       l’agent des visas a manqué à l’obligation d’équité en ne faisant pas part de ses réserves aux demandeurs avant de rendre sa décision.

 

L’ANALYSE

 

[9]               Selon moi, la présente demande doit être accueillie en raison du premier motif soulevé par les demandeurs. Comme j’accueille la demande pour ce motif de contrôle, il n’est pas absolument nécessaire que je me prononce sur les deux autres motifs de contrôle avancés; toutefois, selon moi, ils n’étaient pas fondés.

 

[10]           Les demandeurs prétendent que, en concluant qu’ils n’avaient pas démontré qu’ils entretenaient des liens suffisants avec la Chine pour garantir qu’ils y retourneraient après l’expiration de leur permis de travail de deux ans, l’agent a omis de mentionner et, en fait, n’a pas tenu compte des renseignements mentionnant qu’ils ont de la famille en Chine et que l’employeur de M. Huang a offert de le réembaucher à leur retour. 

 

[11]           Les deux dossiers certifiés du tribunal révèlent que M. Huang a un père et une sœur et que Mme Ma a un père, une mère, une sœur et un frère qui vivent en Chine. Même si l’agent souligne que les demandeurs n’ont pas d’enfants, il ne fait pas mention de ces autres parents ni de la promesse d’un emploi à leur retour.

 

 

[12]           Les demandeurs soulignent que la remarque de l’agent selon laquelle ils n’ont aucun enfant est une déclaration qui n’est étayée par aucune analyse. Il n’est donc pas possible d’établir s’il a considéré cela comme étant un facteur favorable, défavorable ou neutre dans sa décision. Le fait que tous les membres de leur famille immédiate resteront en Chine semble être un facteur favorable indiquant que les demandeurs ont des liens avec la Chine et qu’ils y retourneront vraisemblablement. 

 

[13]           De même, l’agent souligne que les demandeurs n’ont jamais voyagé à l’étranger sans mentionner s’il considère cela comme étant un facteur favorable, défavorable ou neutre en ce qui a trait à la possibilité qu’ils retournent en Chine. Selon moi, il ne peut s’agir que d’un facteur neutre. Ils n’ont jamais voyagé à l’étranger et, par conséquent, il n’y a pas de précédent en ce qui concerne la question de savoir s’ils retourneront en Chine lorsque leurs visas auront expiré.

 

[14]           Selon la Cour, la preuve que M. Huang a un emploi qui l’attend à son retour joue en faveur de la possibilité qu’il retourne en Chine alors que l’absence d’emploi à son retour constitue une incitation possible à demeurer au Canada. Là encore, comme l’avocat des demandeurs le souligne, cet élément de preuve n’est pas précisément mentionné ou analysé dans la décision.

 

[15]           Même si chacun de ces facteurs sont préoccupants, pris isolément, ils n’auraient pas été susceptibles de justifier l’annulation de la décision de l’agent. Il est reconnu que la norme de contrôle applicable à la décision d’un agent des visas est la norme de la raisonnabilité et que la Cour fera normalement preuve de retenue à l’égard de l’appréciation de la preuve faite par un agent. L’agent est présumé avoir examiné l’ensemble des documents qui lui ont été soumis. En fait, comme on le verra, en l’espèce, l’agent a déposé un affidavit mentionnant que c’est ce qu’il a fait.

 

[16]           Comme il ressort des notes du STIDI précitées, l’agent a conclu que M. Huang n’avait présenté aucune preuve qu’il possédait des économies ou des biens en Chine. Le défendeur a prétendu que ce fait, pris en soi ou conjointement avec la preuve que les revenus de M. Huang en Chine étaient modestes, aurait suffi, à défaut de preuve favorable de liens solides avec la Chine, pour que l’agent conclue que son retour était peu probable. Ce n’est qu’à l’audience que les demandeurs ont contesté la conclusion de l’agent selon laquelle ils n’avaient pas prouvé qu’ils possédaient des biens en Chine. Toutefois, à l’audience, leur avocat a souligné que, à la page 19 du dossier certifié du tribunal, sous [traduction] « Demande de visa de résident temporaire présentée depuis l’étranger », Mme Ma a déclaré [traduction] « Nous avons des économies de 3,000 $US ». Une note manuscrite, non datée, figure également dans ce document et elle est ainsi libellée : [traduction] « Appelé demandeur, demandeur a confirmé que ce formulaire a été soumis par erreur ». 

 

[17]           Le dossier n’indique pas qui a rédigé la note susmentionnée ni quand elle a été rédigée. Le dossier n’indique également pas si l’agent des visas a oui ou non lu ce formulaire. À première vue, il comprend des renseignements qui auraient pu avoir une importance cruciale quant à la décision qui devait être prise et il figure dans le dossier certifié du tribunal. 

 

[18]           Comme je l’ai déjà souligné, le défendeur a déposé en preuve un affidavit souscrit le 15 décembre 2008 par l’agent des visas dont la décision fait l’objet du présent contrôle. Je souscris aux observations formulées par le juge Gauthier dans Jesuorobo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2007] A.C.F. no 1680, au paragraphe 12, selon lesquelles le défendeur ne peut se fonder sur de nouveaux éléments de preuve provenant de l’agent des visas pour changer, expliquer ou compléter la lettre de refus et les notes consignées dans le STIDI. Il s’agit d’une tentative de la part de l’agent de s’en tirer alors que ses notes du STIDI comportent peut-être des lacunes ou sont peut-être trop sommaires. Cela étant dit, l’agent, dans son affidavit, déclare ce qui suit : [traduction] « J’ai examiné la trousse de demande de M. Huang ainsi que tous les documents à l’appui soumis par les demandeurs […] ». Si tel est le cas, il a vu la mention des demandeurs selon laquelle ils avaient 3 000 $US d’épargne. Même si le formulaire a été rempli par erreur, comme l’agent était au courant de l’existence de ces fonds, la conclusion de l’agent selon laquelle les demandeurs ne possédaient aucun bien en Chine est déraisonnable et peut-être même abusive. 

 

[19]           Pour ce seul motif, la présente demande doit être accueillie et les demandes de permis de travail doivent être renvoyées à un autre agent pour nouvel examen. L’offre d’emploi initiale a été retournée aux demandeurs en conformité avec la politique de l’ambassade en matière d’archivage. Si un document original est exigé, le défendeur doit prévenir les demandeurs sans tarder. 

 

[20]           Il ne conviendrait pas que le nouvel agent tranche de nouveau ces demandes et ne tienne pas compte des éléments de preuve figurant dans le document qui aurait été déposé par erreur. Par conséquent, les demandeurs doivent avoir la possibilité de présenter de nouveaux éléments de preuve à l’appui de leurs demandes de visa de travail afin que l’agent soit clairement saisi des faits. Compte tenu de la brièveté du délai accordé avant que l’avis concernant le marché du travail n’expire, les demandeurs devraient s’exécuter le plus tôt possible. Si rien n’est déposé par les demandeurs au plus tard le 25 mars 2009, alors, à compter de cette date, il sera loisible à l’agent de rendre sa décision en l’absence de tout renseignement additionnel. Enfin, comme l’avis concernant le marché du travail n’est valide que jusqu’au 25 avril 2009, le défendeur doit rendre la décision ou la nouvelle décision avant le 25 avril 2009.

 

[21]           Il se peut fort bien que l’agent qui examinera ces demandes, même avec les nouveaux éléments de preuve, arrivera à la même conclusion que celle à laquelle est arrivé l’agent dont la décision fait l’objet du présent contrôle. Néanmoins, l’équité exige que la décision soit prise alors que l’agent est saisi de tous les éléments de preuve.

 

[22]           Aucune des parties n’a soumis une question à certifier et, compte tenu des faits, tels qu’ils ont été établis, il n’y a aucune question à certifier.


 

JUGEMENT

 

 

 

LA COUR ORDONNE :      

 

 

  1. La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie et les décisions rendues par l’agent des visas le 15 juillet 2008 sont annulées;

 

  1. Les demandes de permis de travail des demandeurs doivent être examinées de nouveau par un autre agent des visas, et ce, conformément aux présents motifs;

 

  1. Les demandeurs doivent être autorisés à soumettre tout ce qu’ils désirent qui soit examiné à l’appui de leurs demandes;

 

  1. Aucune question n’est certifiée.

« Russel W. Zinn »

 

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                          IMM-3631-08

 

INTITULÉ :                                         SHI WEI HUANG et ZHI YI MA c.

                                                              LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE

                                                              L’IMMIGRATION                                                                                                                                                                           

LIEU DE L’AUDIENCE :                  Calgary (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 Le 9 février 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                               LE JUGE ZINN

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                        Le 10 février 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Peter Wong, c.r.

POUR LES DEMANDEURS

 

W. Brad Hardstaff

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Caron & Partners LLP

Calgary (Alberta)

 

POUR LES DEMANDEURS

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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