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Date : 20090203

Dossier : IMM-2807-08

Référence : 2009 CF 115

Toronto (Ontario), le 3 février 2009

En présence de madame la juge Heneghan

 

 

ENTRE :

MARIA LUISA PORRAS GUTIERREZ

SERGIO EMMANUEL CASTRO PORRAS

ANGELICA CLAUDIA CASTRO PORRAS

JIMMY ALEXANDER PORRAS GUTIERREZ

JOSE ARMANDO SANCHEZ PORRAS

 

demandeurs

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

 ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Mme Maria Luisa Porras Gutierrez, son fils Sergio Emmanuel Castro Porras et sa fille Claudia Angelica Castro Porras (la famille Castro) sont des citoyens mexicains qui sont entrés au Canada le ou vers le 9 mars 2007. La mère a demandé qu’on la reconnaisse comme réfugiée au sens de la Convention parce qu’elle appartient au groupe social des femmes victimes d’agression sexuelle par des membres de la police judiciaire.

 

[2]               Mme Maria Leonor Porras Gutierrez est la sœur de Maria Luisa Porras Gutierrez et la mère de Jimmy Alexander Porras Gutierrez et de Jose Armando Sanchez Porras (la famille Gutierrez). La famille vivait initialement à Puebla au Mexique, mais a fui la région après que le fils de Leonor, Giovanni, eut été enlevé. Ils sont entrés au Canada le ou vers le 26 novembre 2007.

 

[3]               Luisa, médecin et dentiste de profession, travaillait pour un centre de réadaptation qui traitait des prostituées ainsi que des femmes souffrant d’alcoolisme, de toxicomanie et de troubles du comportement. L’un des problèmes auxquels devait faire face le centre de réadaptation était que la police judiciaire était impliquée dans les activités de prostitution des femmes et utilisait ces dernières pour vendre de la drogue.

 

[4]               Luisa a affirmé que les problèmes ont commencé en décembre 2004 lorsqu’une patiente hospitalisée a exprimé de la haine envers elle. En février 2005, la patiente a quitté le centre de réadaptation et est retournée auprès de son conjoint, un agent de la police judiciaire.

 

[5]               L’ex-patiente a commencé à menacer Luisa. En janvier 2006, son conjoint a également commencé à menacer Luisa. Plus tard, des menaces d’agression sexuelle contre son fils Sergio Emmanuel ont été proférées.

 

[6]               Luisa a remarqué que des personnes passaient en voiture et se stationnaient devant sa maison. En janvier 2006, l’ex-patiente en question a attaqué Luisa chez elle. En avril 2006, Luisa a décidé de déménager avec ses enfants à Boca del Rio.

 

[7]               En juin 2006, deux agents de la police judiciaire ont intercepté Luisa alors qu’elle rentrait chez elle après le travail. Ils l’ont forcée à entrer dans leur véhicule et ils l’ont amenée dans une cellule où ils l’ont violée et sodomisée. Elle a été menacée de mort.

 

[8]               Après cette agression, Luisa a déménagé à Mexico avec ses enfants. Elle a ensuite déménagé à Toluca pour habiter chez son frère. En janvier 2007, l’ex-patiente a appelé chez le frère de Luisa et a demandé à parler à Luisa. Après cet incident, Luisa a décidé de quitter le Mexique pour venir au Canada.

 

[9]               La demande de la famille Castro repose sur la crainte de la mère d’être persécutée par la police judiciaire. La Commission a conclu que la famille serait en sécurité dans le District fédéral de Mexico et, par conséquent, elle a rejeté leur demande de protection.

 

[10]           Leonor et ses enfants se sont installés à Toluca et l’enlèvement a été signalé à la Commission nationale des droits de la personne, gérée par l’État. Cependant, cet organisme a refusé de les aider au motif qu’il n’avait pas compétence pour s’occuper d’événements survenus à Puebla.

 

[11]           En septembre 2006, les ravisseurs ont communiqué avec Leonor à Toluca. Ils ont de nouveau communiqué avec elle en septembre 2006 et l’ont informée qu’ils avaient tué son fils Giovanni en l’écrasant avec un camion. Les ravisseurs lui ont dit de se rendre à Puebla pour identifier le corps de son fils. Leonor s’est présentée au bureau de l’accusateur public à Puebla et a identifié le corps de son fils. On lui a dit que l’assassin courait toujours.

 

[12]           En mars 2007, le fils de Leonor, Jimmy, a commencé à enquêter sur la mort de son frère. Il est retourné à Puebla et a trouvé le propriétaire du camion. On l’a menacé pour tenter de mettre fin à son enquête. Jimmy a aussi communiqué ses découvertes à la police, mais ils l’ont maltraité et ont refusé de l’aider. Il est retourné chez sa mère en juin 2007 et lui a dit que et son fils Jose et elle étaient en danger.

 

[13]           Plus tard en juin, Leonor a reçu un autre avertissement par téléphone pour que Jimmy mette fin à son enquête. Les appels de menaces se sont poursuivis jusqu’en octobre lorsqu’une menace précise d’enlever Jose Armando a été proférée. Après cet appel, Leonor a décidé de quitter le Mexique. Elle est entrée au Canada avec ses fils le 24 novembre 2007.

 

[14]           Les demandes des deux familles ont été réunies par une ordonnance rendue par la Commission de sa propre initiative et une seule décision a été rendue. La Commission n’a tiré aucune conclusion quant à la crédibilité. La Commission a conclu que dans l’affaire de la famille Castro, Luisa et ses enfants pouvaient déménager dans le District fédéral puisque rien ne permettait de croire qu’ils seraient en danger là-bas. Subsidiairement, s’il y avait un danger, la Commission a conclu qu’une protection de l’État adéquate serait offerte dans le District fédéral.

 

[15]           Dans l’affaire de la famille Gutierrez, la Commission a conclu que les criminels ayant assassiné Giovanni n’auraient aucune raison de les rechercher dans cette région. Si ce n’était pas le cas, la Commission était convaincue qu’une protection de l’État adéquate était offerte. De plus, la Commission a conclu que Leonor et ses enfants avaient été pris pour cibles seulement pour les empêcher de signaler aux autorités l’enlèvement et le meurtre de son fils Giovanni. En conséquence, la Commission a conclu que rien ne leur permettait de demander la protection compte tenu de l’absence de lien avec l’un ou l’autre des motifs prévus à l’article 96.

 

[16]           La seule question soulevée par la présente demande de contrôle est de savoir si la Commission a commis une erreur susceptible de contrôle en rendant sa décision sur les demandes présentées par les demandeurs. Selon l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190, les décisions des tribunaux établis par la loi sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision correcte ou raisonnable.

 

[17]           Le mandat de la Commission, lorsqu’elle statue sur les demandes de statut de réfugié ou sur la question de la protection, consiste essentiellement à se prononcer sur des questions de fait. La norme de contrôle applicable est, à mon avis, la décision raisonnable.

 

[18]           Les demandeurs affirment que la Commission a tiré des conclusions déraisonnables en ce qui concerne la question relative à l’existence d’une protection étatique. Ils soutiennent plus particulièrement que la Commission n’a pas pris en considération et n’a pas apprécié la preuve documentaire contradictoire, preuve remettant en question l’existence d’une protection étatique dans le District fédéral. Les demandeurs se fondent à cet égard sur la décision Cepeda‑Gutierrez et al. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 157 F.T.R. 35 (1re inst.).

 

[19]           Pour sa part, le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (le défendeur) a affirmé que la Commission n’a commis aucune erreur susceptible de contrôle et que les demandeurs demandent une réévaluation de la preuve.

 

[20]           Je suis d’accord avec les observations présentées par les demandeurs. De nombreux éléments de preuve documentaire dans le dossier dont disposait la Commission soulèvent des questions à propos de la sécurité des demandeurs dans le District fédéral. La Commission n’a pas expliqué la raison du rejet de cette preuve.

 

[21]           Par exemple, le Département d’État, dans son Country Report on Human Rights Practices de 2006, indique que la police protégeait les membres du crime organisé et les trafiquants de drogue ou agissait directement pour eux. Il indique aussi que l’impunité parmi les agents de la force publique était tellement répandue que les victimes refusaient souvent de porter plainte. De plus, un rapport publié par le Washington Office on Latin America présente la preuve de liens entre les cartels de la drogue et les agents de rang élevé de la force publique mexicaine. Il fait aussi état de la croyance populaire que toutes les forces de sécurité mexicaines contiennent un groupe central de membres qui s’alignent sur un cartel ou un autre. Cette preuve contredit directement la conclusion de la Commission selon laquelle les demandeurs, en cas de besoin, recevraient une protection adéquate dans le District fédéral.  

 

 

[22]           En conséquence, la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué de la Commission pour qu’il rende une nouvelle décision. Il n’y a aucune question à certifier.

 


JUGEMENT

 

La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué de la Commission pour qu’il rende une nouvelle décision. Il n’y a aucune question à certifier.

 

« E. Heneghan »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2807-08

 

INTITULÉ :                                       MARIA LUISA PORRAS GUTIERREZ

SERGIO EMMANUEL CASTRO PORRAS

ANGELICA CLAUDIA CASTRO PORRAS

JIMMY ALEXANDER PORRAS GUTIERREZ

JOSE ARMANDO SANCHEZ PORRAS

.                                                           c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 3 décembre 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              La juge Heneghan

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       Le 3 février 2009

 

 

COMPARUTIONS :

 

Jeffrey L. Goldman

 

POUR LES DEMANDEURS

Leanne Briscoe

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Jeffrey L. Goldman

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

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