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Date : 20090212

Dossier : T-1148-01

Référence : 2009 CF 150

Ottawa (Ontario), le 12 février 2009

En présence de monsieur le juge Russell

 

 

ENTRE :

UNIVERSAL SALES, LIMITED

 ATLANTIC TOWING LIMITED

 J.D. IRVING, LIMITED

  IRVING OIL COMPANY, LIMITED

IRVING OIL LIMITED

demanderesses

et

 

EDINBURGH ASSURANCE CO. LTD.

 ORION INSURANCE CO. LTD

 BRITISH LAW INSURANCE CO. LTD.

 ENGLISH & AMERICAN INS. CO. LTD.

 ECONOMIC INSURANCE CO. LTD.

 ANDREW WEIR INS. CO. LTD.

 INSURANCE CO. OF NORTH AMERICA

LONDON & EDINBURGH GENERAL INS. CO. LTD.

 OCEAN MARINE INS. CO. LTD.

 ROYAL EXCHANGE ASSURANCE

 SUN INSURANCE OFFICER LTD.

 SPHERE INSURANCE CO. LTD.

 DRAKE INSURANCE CO. LTD.

 EAGLE STAR INSURANCE CO. LTD.

STEPHEN ROY MERRITT, EN SA QUALITÉ DE REPRÉSENTANT DES ASSUREURS LLOYD’S AYANT SOUSCRIT À LA POLICE NO 614/B94656-A/1582

  défenderesses

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

REQUÊTE

 

  • [1] La présente requête constitue un appel interjeté par les défenderesses visant une ordonnance du protonotaire Lafrenière prononcée le 6 août 2008. Les demanderesses demandent l’annulation ou la modification de cette ordonnance ainsi qu’une ordonnance de la Cour :

  1. Déclarant que les défenderesses ont renoncé au secret professionnel concernant tous les documents relatifs à la question de la couverture de la police d’assurance qui ont été préparés avant le 13 juillet 2000;

  2. Enjoignant aux défenderesses de produire tous les documents qui n’ont pas été produits antérieurement relativement à la question de la couverture de la police d’assurance, et qui ont été préparés avant le 13 juillet 2000;

  3. Enjoignant aux défenderesses de répondre à certaines questions qui ont été refusées au cours de l’interrogatoire préalable écrit de M. Roland Birch;

  4. Exigeant qu’un représentant des défenderesses assiste à un interrogatoire préalable afin de répondre à tout refus auquel il est ordonné de répondre, ainsi qu’à toute question appropriée qui en découle, ainsi que de répondre à toute question appropriée résultant de la production de tout document supplémentaire qu’il est ordonné de produire à la suite de la renonciation au secret professionnel;

  5. Dépens afférents à la requête.

 

  • [2] Les demanderesses estiment que le protonotaire Lafrenière avait tort et avait manifestement commis une erreur en ce sens qu’il avait mal interprété les faits entourant la divulgation partielle par les défenderesses des conseils obtenus relativement à la couverture et à la production de la lettre Côté. Les demanderesses affirment également que le protonotaire a fait une application erronée des principes liés au secret professionnel de l’avocat et à la renonciation à ce secret. De plus, les demanderesses déclarent que les questions de consentement et de préjudice soulevées dans la présente requête sont essentielles à l’affaire puisqu’elles sont directement liées à la solidité de la défense des défenderesses.

 

CONTEXTE

 

  • [3] La présente instance concerne un litige en matière de règlement d’assurance qui oppose les demanderesses (les assurés) et les défenderesses (les assureurs) relativement à la question de savoir si la police d’assurance couvre certaines dépenses engagées par les demanderesses à la suite du naufrage et du renflouement de l’Irvine Whale. Ce navire a coulé dans le golfe du Saint-Laurent le 7 septembre 1970 avec à son bord une cargaison de mazout, et il a été renfloué par le gouvernement fédéral le 31 juillet 1996.

 

  • [4] Le gouvernement fédéral a intenté des poursuites contre les demanderesses, poursuites qui ont abouti à un règlement le ou vers le 13 juillet 2000. Dans le cadre du règlement, les demanderesses ont convenu de verser au gouvernement 5 millions de dollars sans pour autant admettre leur responsabilité.

 

  • [5] Les demanderesses ont ensuite demandé une indemnisation aux défenderesses qui avaient refusé la demande de règlement d’assurance. Par conséquent, les demanderesses ont introduit la présente instance en juin 2007 pour obtenir une indemnisation au titre des polices d’assurance applicables.

 

  • [6] Dans la présente requête, les demanderesses soutiennent que les défenderesses ont refusé, dans leur défense, l’indemnisation au motif, entre autres, que les demanderesses n’ont pas cherché à obtenir leur consentement avant d’accepter le règlement convenu avec le gouvernement fédéral.

  • [7] Les demanderesses affirment que, conformément aux polices d’assurance applicables, le consentement n’est requis que lorsqu’une action est intentée au détriment des défenderesses et que les défenderesses n’ont pas été lésées par le règlement.

 

  • [8] Les demanderesses estiment que si les défenderesses étaient d’avis, avant le règlement convenu avec le gouvernement, que la police d’assurance ne couvrait pas les demanderesses, cela irait à l’encontre de toute allégation de manque de consentement et de préjudice. Autrement dit, les demanderesses affirment que si les défenderesses avaient déterminé avant le règlement convenu avec le gouvernement (le 31 juillet 2000) que la police d’assurance ne les couvrait pas, le fait que les demanderesses aient conclu ce règlement ne pouvait pas porter préjudice aux droits des défenderesses, car celles-ci ne se seraient pas comportées différemment si leur consentement avait été demandé.

 

  • [9] La présente requête porte sur le refus des défenderesses de produire des documents ou de répondre à des questions d’interrogatoire préalable liées au moment où elles ont déterminé que la police d’assurance ne les couvrait pas. Les défenderesses invoquent le secret professionnel de l’avocat.

 

  • [10] Les demanderesses affirment que la question du moment où les défenderesses ont déterminé que la police d’assurance ne les couvrait pas est une question de fait qui n’est même pas protégée par le secret professionnel de l’avocat. En outre, les demanderesses déclarent qu’elles pourraient être freinées au procès si elles ne sont pas en mesure d’obtenir les renseignements et les documents qui leur permettront de présenter un argument selon lequel les défenderesses avaient conclu, avant le 31 juillet 2000, qu’il n’existait aucune couverture au titre des polices d’assurance applicables.

 

  • [11] Les demanderesses allèguent que les défenderesses ont soulevé un point, dans leur défense, que les demanderesses ne peuvent contester et que la Cour ne peut évaluer sans savoir à quel moment les défenderesses en sont venues à la conclusion que les demanderesses ne seraient pas couvertes, et sans examiner les conseils juridiques fournis aux défenderesses au sujet de la couverture.

 

DÉCISION DU PROTONOTAIRE

 

  • [12] Dans sa décision du 6 août 2008, le protonotaire Lafrenière a traité de la question de la couverture et du secret professionnel comme suit :

[TRADUCTION]  Au paragraphe 21 de leur défense, les défenderesses affirment que : « Le règlement conclu entre les demanderesses et le gouvernement du Canada a été conclu à l’insu et sans le consentement des défenderesses. »  Les demanderesses font valoir que les défenderesses ont présenté une défense qu’elles ne peuvent contester et que la Cour ne peut évaluer sans examiner les conseils fournis aux défenderesses au sujet de la couverture. Les demanderesses soutiennent également que les défenderesses ont renoncé au secret professionnel en produisant un document protégé par le secret professionnel de l’avocat aux fins d’avis juridique.

 

À la lumière des éléments de preuve dont je dispose, je ne suis pas convaincu que les défenderesses ont renoncé au secret professionnel de l’avocat, explicitement ou implicitement, à l’égard des documents qui se rapportent à la question de la couverture et qui ont été préparés avant le 13 juillet 2000. Tout d’abord, le paragraphe 21 de la défense ne peut pas être considéré comme une renonciation au secret professionnel. Le simple fait que les demanderesses puissent être empêchées de répondre à l’allégation ne justifie pas une violation du secret professionnel de l’avocat.

 

De plus, les défenderesses ont communiqué à juste titre la lettre datée du 28 janvier 1999 signée par Pierre G. Côté (lettre Côté), car le secret professionnel avait été levé lorsqu’il avait été accordé à des tiers. Le fait que la lettre Côté fait référence à des rapports portant sur des questions de couverture d’assurance remontant au 28 juillet 1996 et au 10 septembre 1997 ne constitue pas une renonciation à l’égard de ces rapports ou des conseils juridiques qu’ils contiennent. Il convient de noter que la lettre Côté ne contient aucun renseignement détaillé sur la position juridique de son client, et plus particulièrement sur les conseils juridiques que le client a reçus par le passé. Dans les circonstances, la préoccupation relative à l’« achèvement et à l’équité » mentionnée par le juge O’Driscoll dans Stevenson c. Reimer, [1993] O.J. no 2800, est négligeable.  À la lumière des faits dont je dispose, je conclus que la divulgation de la lettre Côté n’a pas eu pour effet de lever le secret professionnel de l’avocat à l’égard des rapports non divulgués restants ou des conseils juridiques eux-mêmes.

 

 

LA NORME DE CONTRÔLE

 

  • [13] Les demanderesses affirment que, si la conclusion que le protonotaire a tirée au sujet du secret professionnel de l’avocat est une conclusion de droit, la norme de contrôle devrait alors être celle de la décision correcte. Toutefois, même si la décision était discrétionnaire, les principes énoncés dans Merck & Co. c. Apotex Inc., 2003 CAF 488, 30 C.P.R. (4e) 40 (CAF), aux paragraphes de 17 à 19, et dans l’arrêt Canada c. Aqua-Gem Investments Ltd., [1993] 2 C.F. 425 (C.A.) à la page 19 s’appliqueraient. Le résultat est le même puisqu’on affirme que le protonotaire Lafrenière avait tort et avait manifestement commis une erreur en ce sens qu’il avait mal interprété les faits entourant la divulgation partielle par les défenderesses des conseils obtenus relativement à la couverture et à la production de la lettre Côté. Le protonotaire avait aussi fait une application erronée des principes liés au secret professionnel de l’avocat et à la renonciation à ce secret.

 

  • [14] De plus, les demanderesses déclarent que les questions de consentement et de préjudice soulevées dans la présente requête sont essentielles à l’affaire puisqu’elles sont directement liées à la solidité de la défense des défenderesses touchant la question de la couverture.

 

  • [15] En examinant la décision du protonotaire Lafrenière sur le point en litige, il me semble que cette décision est fondée sur des conclusions de fait et sur son point de vue sur les principes du secret professionnel de l’avocat qui s’appliquent aux faits établis.

 

  • [16] Par conséquent, je suis d’avis, conformément aux principes courants énoncés dans Merck et Aqua-Gem, que la question à laquelle je dois répondre est de savoir si l’ordonnance est manifestement erronée en ce sens que le pouvoir discrétionnaire du protonotaire Lafrenière est fondé sur un mauvais principe ou sur une mauvaise appréciation des faits.

 

  • [17] Je ne suis pas convaincu qu’il s’agisse d’une question essentielle à la décision finale dans l’affaire ou d’une situation où la norme de contrôle devrait être la norme de la décision correcte. Cependant, même si j’appliquais la norme de la décision correcte, mes conclusions seraient les mêmes.

 

ANALYSE

 

  • [18] Les demanderesses affirment que les défenderesses ont choisi de faire, dans leur défense, une allégation qui met directement en cause des documents protégés par le secret professionnel et, par conséquent, ont renoncé à ce privilège à l’égard de ces documents.

 

  • [19] Mon examen du dossier me porte à croire que les défenderesses n’ont pas mis en cause leur position sur la couverture avant la réception de la demande d’indemnisation des demanderesses, et qu’elles ne mettent certainement pas en cause les conseils reçus par les avocats sur la couverture avant la réception de cette demande.

 

  • [20] Comme le protonotaire Lafrenière l’a souligné, le paragraphe 21 de sa défense ne peut pas être considéré comme une renonciation au secret professionnel.

 

  • [21] Le paragraphe 21 de la défense stipule que le règlement convenu avec le gouvernement [TRADUCTION] « n’est pas fondé sur une responsabilité établie » au titre de la police concernée et qu’il a été conclu [TRADUCTION] « à l’insu et sans le consentement » des défenderesses, de sorte que, pour ces deux raisons, [TRADUCTION] « ledit règlement ne lie pas les défenderesses ».

 

  • [22] Le paragraphe 21 allègue que le règlement convenu avec le gouvernement ne peut lier les défenderesses parce qu’en vertu de la police, il n’y a pas de responsabilité établie et qu’elles n’ont jamais consenti à ce règlement.

 

  • [23] Je ne décèle rien dans ce paragraphe qui mette en cause l’état d’esprit des défenderesses avant la présentation de la demande d’indemnisation ou même qui soulève la question d’un préjudice découlant du défaut d’obtenir le consentement au préalable. Les défenderesses affirment simplement que la police d’assurance ne couvre pas le règlement convenu avec le gouvernement, car ce règlement n’est pas fondé sur une responsabilité établie et qu’elles n’y ont pas consenti.

 

  • [24] Les demanderesses cherchent à élargir l’importance du paragraphe 21 en le liant à leur propre interprétation de la clause 7 des polices d’assurance excédentaire, qui stipule ce qui suit :

[TRADUCTION] Par les présentes, l’assuré garantit et convient qu’il ne consentira d’aucune façon à un acte ou à une entente qui admettra la responsabilité dans toute question liée à la présente assurance au préjudice de ces assureurs sans le consentement écrit des assureurs.

 

 

  • [25] Les demanderesses semblent laisser entendre qu’en vertu de cette clause [TRADUCTION] « le consentement n’est requis que si une action est intentée au détriment des défenderesses » et que « l’importance de la défense des défenderesses repose dans le fait que le règlement convenu avec le gouvernement les a lésées, car il aurait été conclu sans leur consentement ».

 

  • [26] Au paragraphe 6 de leur réponse, les demanderesses affirment : [TRADUCTION] « Quoi qu’il en soit, le règlement de la demande d’indemnisation convenue avec le gouvernement ne portait aucunement atteinte aux intérêts des défenderesses. »

 

  • [27] Il semble donc que les demanderesses aimeraient présenter un argument particulier selon lequel le consentement n’était pas requis pour le règlement convenu avec le gouvernement en vertu de la clause 21 et que les défenderesses allèguent un préjudice en raison du défaut des demanderesses d’obtenir leur consentement.

 

  • [28] Mais il s’agit là d’un argument avancé par les demanderesses. Il ne s’agit pas, comme les demanderesses l’allèguent, d’un « point important » de la défense, et, à mon avis, les défenderesses n’ont pas mis en cause leur état d’esprit concernant la couverture avant la demande d’indemnisation. Les demanderesses cherchent à en faire un problème, mais, comme le soulignent les défenderesses, la défense [TRADUCTION] « ne repose pas sur la position des défenderesses relativement à leur position sur la couverture avant la réception de la demande d’indemnisation des demanderesses ni ne la mentionne. De plus, la défense ne se réfère pas aux conseils reçus des avocats en ce qui concerne la couverture. » En fin de compte, ce que les demanderesses ont indiqué dans la défense, c’est que les montants qu’elles réclament ne sont pas payables en vertu des polices applicables.

 

  • [29] Je pense que nous devons convenir avec les défenderesses que la « question relative à la position des défenderesses sur la couverture potentielle avant le dépôt d’une quelconque demande d’indemnisation est tout à fait hors de propos et n’est d’aucune façon soulevée dans les plaidoiries des défenderesses ». Les questions relatives au consentement et au préjudice, ainsi que leur lien avec la position des défenderesses avant le dépôt de la demande d’indemnisation ont été mis en cause par les demanderesses en raison de leur interprétation de la clause 7 des polices d’assurance excédentaire. Toutefois, quoi qu’il en soit, je ne peux accepter que les défenderesses aient mis en cause leur état d’esprit au sujet de la couverture avant le dépôt de la demande d’indemnisation d’une manière qui justifierait une renonciation au secret professionnel.

 

  • [30] Cela signifie également que je dois rejeter les arguments que les demanderesses ont soulevés dans leur défense selon lesquels les défenderesses ont, en quelque sorte, employé un moyen de défense que les demanderesses ne peuvent pas contester et que la Cour ne peut pas évaluer sans savoir quand les défenderesses en sont venues à penser que les demanderesses ne seraient pas couvertes par les polices d’assurance excédentaire et sans examiner les conseils juridiques fournis aux défenderesses au sujet de la couverture.

 

  • [31] À mon avis, le protonotaire Lafrenière a tout à fait raison de conclure que « le paragraphe 21 de la défense ne peut pas être considéré comme une renonciation au secret professionnel ».

 

  • [32] Si les demanderesses se sentent « freinées », à mon avis, c’est parce qu’elles cherchent à violer le secret professionnel afin de trouver des éléments de preuve concernant la position des défenderesses sur la couverture avant le dépôt de la demande d’indemnisation, question qu’elles ont soulevée pour appuyer leur interprétation de la clause 7 des polices d’assurance excédentaire. Elles ne sont pas « freinées » en raison d’un point quelconque mis en cause par les défenderesses.

 

  • [33] Les difficultés, le cas échéant, découlent de ce que les demanderesses prétendent être un « point important » de la défense. Je ne peux conclure à la présence d’un point d’une telle importance, mais, compte tenu de l’interprétation particulière adoptée par les demanderesses, je crois que le protonotaire Lafrenière a eu raison de conclure que [TRADUCTION] « le simple fait que les demanderesses puissent être freinées dans leurs réponses à l’allégation ne justifie pas une violation du secret professionnel de l’avocat ». Le cas échéant, une interprétation idiosyncrasique d’une allégation contenue dans un plaidoyer pourrait être utilisée pour alléguer qu’elle est « paralysante » et pour justifier une violation du secret professionnel. Je ne vois pas comment, en faisant remarquer au paragraphe 21 de la défense, que [TRADUCTION] « le règlement conclu entre les demanderesses et le gouvernement du Canada a été conclu à l’insu et sans le consentement des défenderesses », on peut dire que les défenderesses aient mis en cause leur état d’esprit concernant la couverture avant la présentation de la demande d’indemnisation.

 

  • [34] Dans Fraser c. Houston, 2002 BCSC 1378 (Can.LII), le résumé suivant des ouvrages faisant autorité en matière de secret professionnel de l’avocat figure au paragraphe 22 :

[TRADUCTION] 22 Les pouvoirs relatifs à la renonciation au secret professionnel de l’avocat définissent les principes suivants :

 

1.  Le secret professionnel de l’avocat ne devrait être entravé que dans la mesure nécessaire pour obtenir un résultat juste : Descôteaux c. Mierzwinski, [1982] 1 R.C.S. 860.

 

2.  La renonciation au secret professionnel de l’avocat peut se produire en l’absence d’une intention de renoncer, lorsque l’équité et la cohérence l’exigent. La renonciation au secret professionnel relativement à une partie d’une communication sera considérée comme une renonciation relative à l’ensemble de la communication. De même, lorsqu’un plaideur s’appuie sur des conseils juridiques comme élément de sa demande ou de sa défense, le secret professionnel qui s’y rattacherait autrement est perdu : S. & K. Processors Ltd. c. Campbell Ave. Herring Producers Ltd., [1983] B.C.J. no 1499.

 

3.  Une partie renonce à la protection accordée par le secret professionnel de l’avocat lorsqu’elle introduit volontairement dans l’instance la question de son état d’esprit et, ce faisant, invoque comme motif pour sa conduite le conseil juridique qu’elle a reçu : Morrison (précité).

 

4.  Pour renverser le secret professionnel de l’avocat, il doit y avoir une allégation affirmative qui met en cause l’état d’esprit de la partie : Pax Management Ltd. c. C.I.B.C. (1987), 14 B.C.L.R. (2d) 257 (B.C.C.A.).

 

  • [35] À la lumière des faits dont je dispose, il n’y a aucune allégation affirmative de la part des défenderesses qui indique leur état d’esprit au sujet de leur position sur la couverture avant le dépôt de la demande d’indemnisation. Par conséquent, je ne peux pas dire que le protonotaire Lafrenière avait manifestement tort en ce sens qu’il avait fondé sa décision sur un mauvais principe de droit ou sur une mauvaise appréciation des faits. En fait, je pense que sa décision était juste à cet égard.

 

  • [36] Les demanderesses affirment également que les défenderesses ont renoncé au secret professionnel concernant la question de la couverture en divulguant la lettre Côté.

 

  • [37] Comme le protonotaire Lafrenière l’a souligné dans son ordonnance, la lettre Côté a été divulguée, car on avait renoncé au secret professionnel au moment où elle avait été transmise à des tiers.

 

  • [38] Les demanderesses affirment que la lettre Côté laisse entendre qu’en janvier 1999, les défenderesses étaient d’avis que le montant du règlement n’était pas couvert par les polices d’assurance excédentaire. Elles disent qu’il n’est pas juste d’exiger des demanderesses ou de la Cour d’évaluer si la convention de règlement a porté préjudice aux défenderesses à la lumière de la divulgation partielle et contradictoire des défenderesses relativement à leurs instructions à l’avocat et à leurs conseils juridiques sur la question de la couverture.

 

  • [39] J’ai déjà indiqué clairement que, à mon avis, les défenderesses n’ont pas songé à la question de la couverture avant le dépôt de la demande d’indemnisation et que les demanderesses invoquent un argument qui leur est propre au sujet du consentement et du préjudice. L’argument des demanderesses concernant la divulgation de la lettre Côté est fondé sur l’allégation selon laquelle les défenderesses ont soulevé la question de leur opinion sur la couverture, argument que j’ai rejeté.

 

  • [40] À mon avis, la divulgation de la lettre Côté ne démontre pas l’intention de renoncer au secret professionnel sur la question de la couverture. La lettre a été divulguée puisqu’elle avait déjà été transmise à une tierce partie. Il n’y a pas de renonciation explicite ou implicite quant aux faits présentés.

 

  • [41] Comme l’atteste clairement l’affidavit de Mme Marlene Kempthorne daté du 7 juillet 2008, des tentatives initiales ont été faites pour empêcher la divulgation de la lettre en se fondant sur le secret professionnel. La lettre n’a été divulguée que lorsqu’on a découvert qu’elle avait déjà été divulguée à des tiers par les assureurs. Il n’est donc tout simplement pas exact d’alléguer, comme le font les demanderesses, que les défenderesses ont décidé de divulguer l’histoire concernant la couverture et les conseils juridiques qu’ils ont reçus sur la couverture, et d’appuyer leur argument sur une partie de cette histoire. Comme le protonotaire Lafrenière l’a constaté, il ne s’agit pas d’un cas de sélection des seuls éléments qui semblent a priori intéressants.

 

  • [42] La jurisprudence sur laquelle se fondent les demanderesses donne des exemples de cas où une partie à un différend a d’abord divulgué des documents, puis a cherché à s’appuyer sur des parties de documents contenant des renseignements privilégiés tout en retenant les renseignements des autres parties.

 

  • [43] Dans la présente affaire, la lettre Côté a été divulguée dans son intégralité, et il faut résister à l’effet d’entraînement que les demanderesses cherchent à utiliser pour appuyer les arguments relatifs à la couverture qu’elles souhaitent faire valoir : Letourneau c. Clearbrook Iron Works Ltd. (2004), 36 C.P.R. (4th) 228 (Fed. Ct.).

 

  • [44] En ce qui concerne les arguments des demanderesses concernant la renonciation à l’égard des lettres mentionnées dans la lettre Côté, ils reposent une fois de plus sur l’affirmation selon laquelle les demanderesses cherchent à porter atteinte au secret professionnel en invoquant la question relative à la couverture avant le dépôt de la demande d’indemnisation, soulevée par les défenderesses. J’ai estimé que cette position ne pouvait pas être soutenue.

 

  • [45] En fait, les demanderesses demandent accès à tous les conseils fournis aux défenderesses sur la question de la position sur la couverture et, à tout le moins, aux lettres dont il est question dans la lettre Côté.

 

  • [46] Le protonotaire Lafrenière a tiré d’importantes conclusions de fait sur cette question qui, à mon avis, ne se sont pas révélées être des malentendus :

[TRADUCTION] « De plus, les défenderesses ont communiqué à juste titre la lettre datée du 28 janvier 1999 signée par Pierre G. Côté (la lettre Côté), puisque le secret professionnel avait été levé lorsqu’elle avait été fournie à des tiers. Le fait que la lettre Côté fait référence à des rapports portant sur des questions de couverture d’assurance remontant au 28 juillet 1996 et au 10 septembre 1997 ne constitue pas une renonciation à l’égard de ces rapports ou des conseils juridiques qu’ils contiennent. Il convient de noter que la lettre Côté ne contient aucun renseignement détaillé sur la position juridique de son client, et plus particulièrement sur les conseils juridiques que le client a reçus par le passé. Dans les circonstances, la préoccupation relative à l’« achèvement et à l’équité » mentionnée par le juge O’Driscoll dans Stevenson c. Reimer, [1993] O.J. no 2800, est négligeable.  À la lumière des faits dont je dispose, je conclus que la divulgation de la lettre Côté n’a pas eu pour effet de lever le secret professionnel de l’avocat à l’égard des rapports non divulgués restants ou des conseils juridiques eux-mêmes.

 

 

  • [47] Les défenderesses ont indiqué clairement qu’elles « n’ont pas l’intention de soulever la question des renseignements privilégiés dans le contexte de la présente instance », et j’ai déjà indiqué clairement que la question de la position sur la couverture avant le dépôt de la demande d’indemnisation est soulevée par les demanderesses. Je ne vois donc pas comment on peut dire que les défenderesses ont procédé à une divulgation sélective de ces faits et, à mon avis, il n’y a rien de « manifestement mauvais » dans la décision du protonotaire quant aux questions de renonciation. Encore une fois, même si je devais revoir la question de nouveau, je demeure d’avis qu’il avait raison.


 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE ET ORDONNE que :

 

  1. La requête des demanderesses est rejetée.

  2. Les défenderesses ont droit à leurs dépens afférents à la présente requête, lesquels sont payables sur-le­champ dans un délai de 30 jours, et ce, indépendamment de l’issue de la cause.

 

 

 

« James Russell »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :  T-1148-01

 

INTITULÉ :    UNIVERSAL SALES, LIMITED

ATLANTIC TOWING LIMITED

J.D. IRVING, LIMITED

IRVING OIL COMPANY, LIMITED

IRVING OIL LIMITED

et

EDINBURGH ASSURANCE CO. LTD.

ORION INSURANCE CO. LTD

BRITISH LAW INSURANCE CO. LTD.

ENGLISH & AMERICAN INS. CO. LTD.

ECONOMIC INSURANCE CO. LTD.

ANDREW WEIR INS. CO. LTD.

INSURANCE CO. OF NORTH AMERICA

LONDON & EDINBURGH GENERAL INS. CO. LTD. OCEAN MARINE INS. CO. LTD.

ROYAL EXCHANGE ASSURANCE

SUN INSURANCE OFFICER LTD.

SPHERE INSURANCE CO. LTD.

DRAKE INSURANCE CO. LTD.

EAGLE STAR INSURANCE CO. LTD.

STEPHEN ROY MERRITT, EN SA QUALITÉ DE REPRÉSENTANT DES ASSUREURS LLOYD’S AYANT SOUSCRIT À LA POLICE NO 614/B94656-A/1582 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :  TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :  17 DÉCEMBRE 2008

 

MOTIFS :  LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS :  Le 12 février 2009

 

COMPARUTIONS :

 

Laura K. Fric

Jennifer Fairfax

POUR LES DEMANDERESSES

Matthew Liben

 

POUR LES DÉFENDERESSES

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

OSLER, HOSKIN ET HARCOURT

TORONTO (ONTARIO)

 

POUR LES DEMANDERESSES

STIKEMAN ELLIOTT LLP

MONTRÉAL (QUÉBEC)

POUR LES DÉFENDERESSES

 

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