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Date : 20090212

Dossier : IMM-2883-08

Référence : 2009 CF 140

Ottawa (Ontario), le 12 février 2009

En présence de monsieur le juge Frenette

ENTRE :

Jasvir Kaur SOKHI

Maninder Singh SOKHI

Ravinder Kaur SOKHI

Ramandeep Singh SOKHI

demandeurs

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu de l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR) d’une décision rendue le 30 mai 2008 par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission), dans laquelle la Commission a conclu que les demandeurs n’avaient ni la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la LIPR, au motif qu’ils n’étaient pas crédibles et n’avaient pas établi qu’ils auraient une crainte raisonnable de persécution s’ils étaient obligés de retourner en Inde.

 

Les faits

[2]               Les demandeurs sont citoyens de l’Inde et sont originaires de l’État du Punjab; ils ont été baptisés suivant la foi sikhe. Mme Jasvir Kaur Sokhi est la mère de Maninder Singh Sokhi, de Ravinder Kaur Sokhi et de Ramandeep Singh Sokhi. La demande des demandeurs repose sur Mme Sokhi (la demanderesse principale) et sur M. Maninder Singh Sokhi (le demandeur).

 

[3]               L’époux de la demanderesse principale est un ingénieur civil qui a travaillé à Dubaï pendant 20 ans et il est également citoyen de l’Inde. Il a rendu visite à sa famille en Inde de façon irrégulière, mais il a envoyé de l’argent pour subvenir aux besoins de sa famille.

 

[4]               La demanderesse principale allègue craindre d’être persécutée par la police. Elle affirme avoir été arrêtée par la police en septembre 2003, et que des agents de police l’ont maltraitée et battue parce qu’ils croyaient que des militants avaient demeuré dans sa maison. La police avait été menée à la maison de la demanderesse principale par un hawala qui avait été arrêté à Delhi. L’époux de la demanderesse principale lui avait fait parvenir de l’argent par le hawala deux semaines plus tôt et le hawala avait l’adresse de la demanderesse principale dans son agenda.

 

[5]               La demanderesse principale allègue que la police l’a accusée d’être au courant des activités illégales de son époux, notamment qu’il était lié à des militants musulmans. Elle a ajouté que son époux avait été détenu en 2002 alors qu’il était en visite en Inde et qu’il avait été libéré après avoir payé un pot‑de‑vin.

 

[6]               La demanderesse principale soutient que, à la suite de son arrestation en Inde en 2003, elle a obtenu des traitements médicaux liés au stress. Elle affirme avoir été hospitalisée de deux à quatre jours. Elle ne se souvenait pas en quelle année elle avait été hospitalisée. Elle a déposé en preuve un certificat médical rédigé par la clinique médicale d’un certain Dr K.K. Sidhu. Elle ne se souvenait ni du nom du docteur ni du traitement qu’elle avait reçu. Le certificat ne faisait pas état des blessures qu’elle avait subies ou du traitement qu’elle avait reçu.

 

[7]               En 2003, elle est allée rejoindre son époux à Dubaï, mais, en 2004, il y eu a des problèmes à Dubaï et la police l’a interrogée à leur sujet. Après cet incident, elle est allée en Angleterre avec son époux pendant sept jours.

 

[8]               En février 2005, elle est venue au Canada accompagnée de son époux et ses enfants, mais quatre jours plus tard, son époux est retourné en Inde où il demeure encore.

 

[9]               La demanderesse principale est âgée de 44 ans et elle a consulté des médecins spécialistes au Canada au sujet de sa dépression, lesquels ont établi qu’elle souffrait d’un [traduction] « syndrome de stress post‑traumatique sévère » (le SSPT) causé par le traitement de sa demande d’asile et ils lui ont prescrit des médicaments. L’audience de la Commission a été ajournée à de nombreuses reprises à la demande de l’avocat de la demanderesse principale en raison du SSPT.

 

[10]           Dr Jaswant Guzder, pédopsychiatre à l’Hôpital général juif de Montréal, a écrit ce qui suit dans un rapport du 15 janvier 2008 : [traduction] « […] de concert avec le Dr Beauregard, nous conseillons vivement que la Commission de l’immigration et du statut de réfugié mette fin à l’incertitude relative à son statut et lui accorde l’asile au Canada ». Un rapport psychologique a été rédigé en 2006 par M. David L. B. Woodbury (un spécialiste en orientation professionnel qui n’est pas autorisé à rédiger des rapports psychologiques) et un autre rapport du 8 février 2007 rédigé par Mme Sylvie Laurion, psychologue agréée.

 

[11]           Le demandeur allègue qu’il s’est épris d’une musulmane en janvier 2004. Il a rencontré les parents de sa petite‑amie le 24 février 2005, lesquels ont désapprouvé leur relation amoureuse et ont proféré des menaces au demandeur. Il craint pour sa sécurité. Il était âgé de 17 ans à l’époque.

 

[12]           L’audience de la Commission s’est tenue en quatre séances qui ont eu lieu entre le 2 novembre 2006 et le 5 janvier 2008; les séances ont été ajournées principalement à la demande de la demanderesse principale, et l’audience s’est terminée le 30 mai 2008 lorsque la décision a été rendue.

 

La décision de la Commission

[13]           Dans sa décision de douze pages, la Commission a résumé la preuve et a pris neuf pages pour faire état de ses motifs étayant sa conclusion selon laquelle les demandeurs n’avaient ni la qualité de « réfugié au sens de la Convention » ni celle de « personne à protéger ».

 

[14]           La Commission a conclu que la demanderesse principale n’était ni crédible ni un témoin fiable, et, afin d’étayer sa conclusion, elle s’est grandement appuyée sur la preuve et sur le Formulaire de renseignements personnels de la demanderesse principale (le FRP).

 

[15]           La Commission a conclu que les rapports psychologiques avaient peu de valeur probante et les a rejetés parce qu’ils reposaient sur la version des faits de la demanderesse principale, laquelle avait été estimée non crédible.

 

[16]           La Commission a également conclu que, en raison de l’absence de crédibilité de la demanderesse principale, la directive no 8, Directives sur les procédures concernant les personnes vulnérables qui comparaissent devant la CISR, et la directive no 4, Revendicatrices du statut de réfugié craignant d’être persécutées en raison de leur sexe (les directives) produites par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada, ne s’appliquaient pas à la demanderesse principale.

 

[17]           La Commission a également estimé que le demandeur, en tant que témoin, « n’est pas franc ».

 

La norme de contrôle

[18]           Selon la jurisprudence portant sur l’examen de questions mixtes de fait et de droit, la norme de contrôle applicable à ces questions est la raisonnabilité (Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190). Le critère est le suivant : La décision appartient‑elle aux issues acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir, paragraphe 47)? La norme applicable, la raisonnabilité, impose aux cours de faire preuve de déférence envers les décideurs (Dunsmuir, paragraphe 49).

 

Les dispositions légales

[19]           Les articles 96 et 97 de la LIPR se lisent comme suit :

  96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

  a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

  b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

  97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

  a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

  b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

  (2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

  96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

  (a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

  (b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual

 

residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

  97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

  (a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

  (b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

 

 

  (2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

 

Les questions en litige

[20]           Les demandeurs ont présenté cinq questions en litige, lesquelles, à mon avis, devraient être formulées comme suit :

i)                    La Commission a‑t‑elle commis une erreur dans sa conclusion défavorable relativement à la crédibilité des demandeurs?

ii)                   La Commission a‑t‑elle commis une erreur en refusant d’accorder du poids aux rapports médicaux, psychologiques et psychiatriques concernant la demanderesse principale?

iii)                 Un affidavit peut-il être écarté parce qu’il est considéré comme étant intéressé?

iv)                 La Commission a‑t‑elle commis une erreur en négligeant la preuve documentaire selon laquelle les membres de la collectivité sikhe en Inde font toujours face à un danger de persécution aux mains des policiers?

v)                  La Commission a‑t‑elle commis une erreur en ne tenant pas compte des directives portant sur les personnes vulnérables et sur les demanderesses d’asile qui craignent d’être persécutées du fait de leur sexe?

 

La question préliminaire – le retard

[21]           Le défendeur soutient que, vu le paragraphe 72(2) de la LIPR, la demande aurait dû être déposée dans les quinze jours suivant la date où les demandeurs ont été avisés de la décision de la Commission. Le délai peut toutefois être prorogé, pour motifs valables, par un juge de la Cour, si on lui en fait la demande.

 

[22]           En l’espèce, la demande a été déposée douze jours en retard en raison [traduction] « d’autres urgences », qui n’ont pas été expliquées dans la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire.

 

[23]           Étant donné que le 24 octobre 2008 le juge Mosley a accordé l’autorisation de présenter le contrôle judiciaire, la présente question est sans objet.

 

Analyse

            La Commission a‑t‑elle commis une erreur dans sa conclusion défavorable relativement à la crédibilité des demandeurs?

 

[24]           La demanderesse principale soutient que la Commission a commis une erreur dans sa conclusion générale défavorable relativement à sa crédibilité, en ce sens que la Commission n’a pas donné assez de poids aux rapports médicaux, psychologiques et psychiatriques faisant état de ses problèmes psychologiques.

 

[25]           Le défendeur souligne que de nombreuses pages de la décision de la Commission portent sur l’analyse des faits allégués, de contradictions et d’incohérences – lesquels ont été relevés dans le FRP et dans le témoignage de la demanderesse principale – qui ne peuvent s’expliquer que par les rapports médicaux.

 

[26]           Cela ressort clairement de la lecture de la décision.

 

[27]           Les demandeurs allèguent que la Commission n’a pas tenu compte des faits établis et, en particulier, qu’elle n’a pas pris en considération l’état médical fragile de la demanderesse principale – état causé par l’expérience traumatisante vécue en Inde – dans son examen de la crédibilité de la demanderesse principale. Les demandeurs affirment que la Commission a refusé de donner du poids aux rapports médicaux, psychologiques et psychiatriques ou les a négligés, rapports expliquant les effets que l’expérience traumatisante et le SSPT ont sur les capacités d’une personne à témoigner et à se rappeler de faits.

 

[28]           Le défendeur a répliqué que la Commission a tenu compte de la preuve médicale, mais qu’elle a trouvé de nombreuses omissions et contradictions qui ne pouvaient pas être expliquées par le SSPT.

 

[29]           La Commission a souligné les nombreuses et importantes contradictions qui se trouvaient dans le témoignage et le FRP de la demanderesse principale. Une analyse de ces observations révèle qu’il y avait beaucoup des contradictions et d’incohérences évidentes dans le témoignage de la demanderesse.

 

[30]           Par exemple, la demanderesse principale a affirmé que son époux avait été arrêté par la police en Inde en 2002 et qu’il avait donné un pot‑de‑vin pour qu’il soit libéré, mais dans la demande de visa que son époux a remplie pour venir au Canada, il a écrit qu’il n’avait jamais été arrêté en Inde.

 

[31]           Dans une autre partie de son témoignage, la demanderesse principale a affirmé qu’elle s’était rendue dans divers pays avec son époux, à savoir au Royaume-Uni en 2002 et en 2004, aux États‑Unis en 1999 et en 2003, au Canada en 2004 ainsi qu’en Allemagne et en Hollande en 2004, mais ni elle ni son époux n’ont demandé l’asile dans ces pays.

 

[32]           Avant de venir au Canada en 2005, la demanderesse principale et son époux ont demeuré au Royaume-Uni munis d’un visa obtenu à cette fin.

 

[33]           Si les faits généraux présentés par la demanderesse principale ne constituaient que la seule question en litige, je ne pourrais voir aucune erreur susceptible de contrôle, étant donné que les cours ne peuvent pas intervenir dans les conclusions de fait sauf si ces conclusions n’appartiennent pas aux issues possibles pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir, précité; Mugesera c. Canada (M.C.I.), [2005] 2 R.C.S. 100, paragraphe 38; Singh c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2007 CF 62, paragraphe 28).

 

[34]           La Commission a bien souligné la preuve médicale, psychologique et psychiatrique concernant la demanderesse principale, mais elle a estimé que cette preuve ne pouvait pas expliquer la faiblesse du témoignage.

 

[35]           La Commission a également noté que la qualité de la preuve « d’experts » était discutable particulièrement en ce qui concerne M. Woodbury qui n’est pas un psychologue agréé et qui ne pouvait donc pas produire un « rapport psychologique ». À ce sujet, la Commission était bien fondée (Kakonyi c. Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile, 2008 CF 1410, paragraphes 49 et 50). Cependant, Mme Sylvie Laurion est une psychologue agréée et qualifiée et Dr Jaswant Guzder est un psychiatre à l’Hôpital général juif de Montréal.

 

[36]           La Commission avait également des réserves quant à l’importance excessive que la preuve médicale accordait à l’allégation selon laquelle on aurait dû accorder l’asile au Canada à la demanderesse principale, alors qu’il s’agit d’une question relevant des autorités de l’immigration et des cours. Il est également de jurisprudence constante que la preuve médicale qui repose sur des faits relatés par une personne estimée non crédible peut être rejetée par la Commission (Wahid c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2002 CFPI 517, paragraphes 9, 10 et 11; Dzey c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2004 CF 167, paragraphe 42). Cependant, la Commission n’a pas suffisamment tenu compte des rapports psychologiques qui montrent que la capacité d’une personne à se souvenir d’expériences et à témoigner d’une façon cohérente et logique peut être grandement diminuée par le SSPT.

 

[37]           En l’espèce, la Commission a bien évalué la crédibilité de la demanderesse principale au regard de son état de santé et elle a suffisamment tenu compte des effets de son état de santé sur son témoignage.

 

[38]           À la lecture de la preuve fournie et de la transcription des audiences, je ne suis pas convaincu que la Commission a tenu compte de façon appropriée des rapports psychologiques et médicaux qui faisaient état des dysfonctions cognitives qui auraient pu empêcher la demanderesse principale de donner un témoignage solide et cohérent devant la Commission. Je crois que cela a eu des conséquences sur la décision, laquelle foisonne de conclusions défavorables relativement à la crédibilité de la demanderesse principale, conclusions qui reposent – contrairement à ce qu’allègue le défendeur – sur de légères imprécisions qui n’étaient pas, à mon avis, bien fondées.

 

[39]           Il s’agit d’une erreur susceptible de contrôle selon la jurisprudence de la Cour (Lubana c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2003 CFPI 116, paragraphes 16 et 17; Fidan c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2003 CF 1190; Atay c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2008 CF 201).

 

[40]           Dans une récente décision portant sur un couple, tout deux citoyens de l’Inde, le juge suppléant Maurice Lagacé a rejeté une demande de contrôle judiciaire dans laquelle l’état de santé des demandeurs avait été utilisé pour expliquer les incohérences et les contradictions dans les témoignages (Sharma et al. c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2008 CF 908). Les demandeurs avaient invoqué les articles 96 et 97 de la LIPR afin d’essayer de faire annuler la décision de la Commission par la Cour. Le juge Lagacé a reconnu que la Commission avait conclu que les demandeurs constituaient des personnes vulnérables en raison de leur état psychologique. Cependant, au paragraphe 29 de sa décision, il a rejeté la demande parce « [qu'à] la lumière de ce qui précède, la Cour conclut que la Commission a considéré l’état psychologique des demandeurs et a mis en œuvre les dispositions nécessaires envisagées par les Directives no 8 ».

 

Revendicatrices du statut de réfugié craignant d’être persécutées en raison de leur sexe – directive no 4

[41]           La demanderesse principale allègue que la Commission n’a pas suivi la directive adoptée afin d’aider la Commission à évaluer la crédibilité des demandeurs (Muradova c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2003 CFPI 274).

 

[42]           Le défendeur soutient que la Commission a appliqué la directive portant sur la crainte de persécution du fait du sexe et a tenu compte du fragile état de santé mentale de la demanderesse principale dans son évaluation de la crédibilité de la demanderesse principale. Afin de protéger le fragile état de santé mentale de la demanderesse, l’audience de la Commission s’est tenue en quatre séances, et la Commission était attentive à l’état de la demanderesse principale. Elle a également estimé que la demanderesse principale était une [traduction] « personne vulnérable ».

 

[43]           Le refus de la Commission d’accueillir la requête de la demanderesse, qui voulait que l’audience soit présidée par une commissaire, ne constitue pas une raison valable pour que la Cour annule la décision de la Commission. En outre, l’acceptation d’une telle requête par la Commission pourrait soulever un problème de discrimination fondée sur le sexe.

 

[44]           En ce qui concerne la troisième question – à savoir : « Un affidavit peut-il être écarté parce qu’il est considéré comme étant intéressé? » –, la réponse succincte est que la Commission, pour des motifs valables, peut tirer une telle conclusion. Cependant, en l’espèce, la Commission n’a pas écarté l’affidavit, elle lui a seulement donné peu de poids sur le fondement des motifs qu’elle a donnés.

 

[45]           Quant à la quatrième question en litige, les demandeurs affirment que la Commission n’a pas tenu compte du danger auquel sont exposés les Sikhs en Inde. Le défendeur soutient qu’il est présumé que la Commission a pris en considération la preuve documentaire et il allègue qu’elle a bien conclu que les demandeurs ne seraient exposés à aucun risque personnel en Inde.

 

[46]           La Cour, dans de récentes décisions, a estimé que les Sikhs n’étaient pas exposés à un plus grand danger que les autres citoyens de l’Inde. Chaque demandeur doit établir l’existence d’un risque personnel (voir Singh c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 408; Kaur et al. c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2008 CF 1320; Luthra c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2008 CF 1053; Singh c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2008 CF 453). L’argument des demandeurs sur ce point ne peut donc pas être accepté.

 

[47]           La demanderesse principale allègue que la Commission a négligé de tenir compte de l’effet des articles 7 et 12 de la Charte canadienne des droits et libertés et de l’article 3 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, lesquels offrent une protection contre les traitements inhumains. Le défendeur soutient qu’il est prématuré de soulever cette question devant la Commission, position corroborée par la jurisprudence (Tsakala c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2003 CFPI 411). Cette allégation est donc non fondée.

 

Le demandeur

[48]           La Commission n’a pas accepté la demande du demandeur parce que, selon son certificat d’études, le demandeur aurait été à l’école le 1er janvier 2004 alors que l’incident concernant sa relation avec une musulmane – la rencontre avec les parents qui désapprouvaient la relation – a eu lieu le 24 février 2005. Il avait expliqué qu’après le 1er janvier 2005, il avait fréquenté l’école pour préparer ses examens. Le deuxième motif donné par la Commission pour ne pas croire la version des faits du demandeur était que le demandeur ne pouvait pas se souvenir du nom d’un temple qu’il avait visité. Cette conclusion de fait est erronée parce que, lors de son témoignage, le demandeur avait donné le nom du temple : « le temple Nanadavy » (page 665 du dossier du tribunal); le nom dont il ne se souvenait plus était celui du district.

 

[49]           Enfin, la Commission n’a pas tenu compte du jeune âge du demandeur à l’époque : il avait 17 ans.

 

[50]           Je conclus que la conclusion défavorable relative à la crédibilité du demandeur tirée par la Commission n’est pas étayée par les faits; elle est donc déraisonnable.

 

Conclusion

[51]           La demande de contrôle judiciaire sera accueillie.


 

JUGEMENT

 

            LA COUR ORDONNE :

1.      La demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de la décision rendue le 30 mai 2008 par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, selon laquelle les demandeurs n’avaient ni la qualité de réfugié au sens de la Convention, ni celle de personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, est accueillie;

2.      La présente affaire est renvoyée à la Commission pour qu’un tribunal différemment constitué statue à nouveau sur l’affaire;

3.      Aucune question de portée générale n’est certifiée.

 

« Orville Frenette »

Juge suppléant

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jean-François Martin, LL.B., M.A.Trad.jur.


 

 

COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-2883-08

 

INTITULÉ :                                                   Jasvir Kaur SOKHI, Maninder Singh SOKHI, Ravinder Kaur SOKHI, Ramandeep Singh SOKHI c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 22 JANVIER 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LE JUGE SUPPLÉANT ORVILLE FRENETTE

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 12 FÉVRIER 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Stewart Istvanffy                                               POUR LES DEMANDEURS

Katherine Marsden (stagiaire)

 

Émilie Tremblay                                                POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Stewart Istvanffy                                               POUR LES DEMANDEURS

Montréal (Québec)

 

John H. Sims, c.r.                                             POUR LE DÉFENDEUR

Sous‑procureur général du Canada

 

 

 

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