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Date : 20090212

Dossier : IMM-2036-08

Référence : 2009 CF 138

Ottawa (Ontario), le 12 février 2009

En présence de monsieur le juge Frenette

ENTRE :

Ataure RAHMAN

demandeur

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION DU CANADA

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire de la décision rendue par une agente d’examen des risques avant renvoi (l’agente) le 17 décembre 2007, par laquelle celle‑ci a rejeté une demande de renonciation à l’exigence prévue par la loi selon laquelle le demandeur doit présenter sa demande de résidence permanente depuis l’étranger.

 

Les faits

[2]               Le demandeur est un célibataire originaire du Bangladesh qui est arrivé au Canada le 23 juillet 2001.

 

[3]               Sa mère, ses trois frères et ses quatre sœurs vivent au Bangladesh.

 

[4]               Le demandeur a demandé l’asile à son arrivée, prétendant qu’il était membre du Parti national du Bangladesh (le PNB) et qu’il risquait d’être persécuté en raison de ses opinions et de ses activités politiques.

 

[5]               La Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la CISR), dans une décision qu’elle a rendue en novembre 2002, a rejeté la demande du demandeur pour diverses raisons, notamment :

a)      Depuis que le demandeur a quitté le Bangladesh, le PNB a été élu et est au pouvoir depuis le 13 novembre 2001. Sa crainte n’est donc pas justifiée;

b)      On a jugé que le demandeur n’était pas un demandeur crédible pour les motifs décrits dans la décision;

c)      Le demandeur n’a pas établi son identité comme il avait l’obligation de le faire;

d)      Le demandeur a inventé son récit de toutes pièces afin de tromper le tribunal;

e)      Les actions du demandeur constituaient un dossier d’immigration déguisé (Urbanek c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1992), 17 Imm. L.R. (2d) 153 (C.A.F.)).

 

[6]               La demande d’autorisation de contrôle judiciaire de la décision de la CISR a été rejetée le 24 avril 2003.

 

[7]               Le demandeur a présenté une demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR) à l’égard de laquelle une décision défavorable a été rendue le 5 juin 2007.

 

[8]               La demande d’autorisation présentée à l’encontre de cette décision a été rejetée le 17 septembre 2007.

 

[9]               Le demandeur a ensuite présenté, le 6 juillet 2006, depuis le Canada, une demande de résidence permanente au Canada fondée sur des considérations humanitaires (CH). Cette demande fut refusée. Il fut accepté, le 15 octobre 2007, que cette décision soit examinée de nouveau.

 

[10]           Le recours du demandeur contre le refus a été rejeté par le juge Lemieux le 17 septembre 2007 parce que [traduction] « le demandeur n’a[vait] pas déposé un deuxième dossier d’ERAR […] ».

 

[11]           Le départ du demandeur était prévu pour le 10 août 2007, mais celui‑ci ne s’est pas présenté à son renvoi. Le 15 octobre 2007, la demande CH du demandeur a été renvoyée à un autre agent pour décision.

 

[12]           Le 13 février 2007, le demandeur a obtenu un passeport, valide pour une période de six mois, du Haut‑Commissariat du Bangladesh à Ottawa.

La décision contestée

[13]           Par la présente demande, M. Rahman demande l’annulation de la décision rendue par l’agente des visas le 17 décembre 2007, par laquelle celle‑ci a rejeté sa demande de renonciation à l’obligation prévue par la loi selon laquelle il devait présenter sa demande de résidence permanente depuis l’étranger.

 

Les dispositions législatives

[14]           Les paragraphes 6(1) et 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, (la LIPR) sont ainsi libellés :

  6. (1) Le ministre désigne, individuellement ou par catégorie, les personnes qu’il charge, à titre d’agent, de l’application de tout ou partie des dispositions de la présente loi et précise les attributions attachées à leurs fonctions.

 

  25. (1) Le ministre doit, sur demande d’un étranger se trouvant au Canada qui est interdit de territoire ou qui ne se conforme pas à la présente loi, et peut, de sa propre initiative ou sur demande d’un étranger se trouvant hors du Canada, étudier le cas de cet étranger et peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s’il estime que des circonstances d’ordre humanitaire relatives à l’étranger — compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché — ou l’intérêt public le justifient.

 

  6. (1) The Minister may designate any persons or class of persons as officers to carry out any purpose of any provision of this Act, and shall specify the powers and duties of the officers so designated.

 

  25. (1) The Minister shall, upon request of a foreign national in Canada who is inadmissible or who does not meet the requirements of this Act, and may, on the Minister’s own initiative or on request of a foreign national outside Canada, examine the circumstances concerning the foreign national and may grant the foreign national permanent resident status or an exemption from any applicable criteria or obligation of this Act if the Minister is of the opinion that it is justified by humanitarian and compassionate considerations relating to them, taking into account the best interests of a child directly affected, or by public policy considerations.

 

[15]           Le processus d’obtention de cette autorisation est de nature hautement discrétionnaire (Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, au paragraphe 6; Quiroa c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2007 CF 495, au paragraphe 19; Doumbouya c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2007 CF 1186, au paragraphe 6).

 

Les questions en litige

[16]           Selon le demandeur, les questions en litige sont les suivantes :

a)      L’agente d’immigration qui a fait l’évaluation a‑t‑elle commis une erreur en concluant que le demandeur n’était exposé à aucun risque personnel?

b)      L’agente d’immigration a‑t‑elle entravé l’exercice de son pouvoir discrétionnaire?

c)      Le traitement qu’a fait l’agente des risques auxquels le demandeur a été personnellement exposé était‑il déraisonnable?

 

[17]           Selon moi, la seule véritable question litigieuse est celle qui consiste à savoir si, dans les circonstances, l’agente a rendu une décision déraisonnable lorsqu’elle a évalué les risques auxquels le demandeur serait personnellement exposé s’il retournait au Bangladesh.

 

L’analyse

            (1) La norme de contrôle

[18]           Selon la jurisprudence, la norme de contrôle applicable aux questions de faits ou aux questions mixtes de faits et de droit est la norme de la raisonnabilité (Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190).

 

[19]           En particulier, dans l’arrêt Baker, précité, aux paragraphes 57 à 62, on a conclu que la norme de contrôle applicable aux affaires comportant une décision en matière de considérations humanitaires était la norme de la décision raisonnable simpliciter.

 

(2) L’évaluation des risques

[20]           Le demandeur prétend que l’agente n’a pas appliqué le bon critère et a rendu une mauvaise décision concernant les risques auxquels il serait personnellement exposé s’il retournait au Bangladesh, un pays aux prises avec la violence, la corruption et des problèmes économiques et politiques importants. Il invoque par analogie les articles 96 et 97 de la LIPR :

  96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son

appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

  a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

  b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

  97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

  a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

  b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

  (2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

  96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

 

 

  (a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

  (b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

  97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

  (a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

  (b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

 

 

  (2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

 

[21]           Le demandeur prétend que l’agente a confondu les concepts de risque « personnalisé » et de risque « généralisé » et que, par conséquent, elle a omis d’appliquer les difficultés existantes à sa situation.

 

[22]           Le défendeur prétend que l’agente a tenu compte du « risque généralisé » à titre de composante de la situation personnelle du demandeur et à titre de partie d’une demande CH.

 

[23]           Le défendeur ajoute qu’il ne suffit pas de renvoyer à la situation générale qui prévaut dans le pays sans établir un lien entre cette situation et la situation personnelle du demandeur.

 

[24]           Le défendeur conclut que l’argumentation du demandeur n’est pas compatible avec la lettre et l’esprit de l’article 25 de la LIPR. L’acceptation de l’interprétation du demandeur aurait pour conséquence que presque toutes les demandes de dispense ministérielle présentées par des étrangers provenant de pays qui ont de mauvais antécédents en matière de droit de la personne seraient automatiquement acceptées. Une telle interprétation est contraire au droit ainsi qu’à l’intention du législateur et créerait une absurdité.

 

[25]           La situation décrite en l’espèce illustre le problème que pose l’analyse du risque personnalisé dans les cas de violations généralisées des droits de la personne et dans les cas de guerre et de problèmes économiques et politiques où chaque personne est exposée à un risque personnalisé qui est, toutefois, partagé par la majorité des autres citoyens du pays en question.

 

[26]           Il incombe au demandeur de présenter des éléments de preuve établissant dans son processus CH qu’il subirait des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives.

 

[27]           Il ne suffit pas de tout simplement faire état du risque généralisé auquel la majorité des citoyens du pays en question sont exposés (Dreta c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2005 CF 1239; Maichibi c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2008 CF 138, aux paragraphes 23 à 25; Lalane c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2009 CF 5, aux paragraphes 42 à 46).

 

[28]           La juge Danièle Tremblay-Lamer s’est récemment penchée sur la question de la définition des deux concepts de risque. Elle affirme ce qui suit dans sa décision Prophète c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2008 CF 331, 70 Imm. L.R. (3d) 128 :

[15]     En conséquence, la présente affaire soulève la question de l’interprétation du sens donné aux termes « personnellement » et « généralement » qui figurent au paragraphe 97(1) de la Loi :

 

[…]

 

[16]     Le critère suivant l’article 97 de la Loi est différent du critère suivant l’article 96. Comme le juge Rouleau l’a mentionné dans la décision Ahmad c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 808, [2004] A.C.F. no 995 (QL), au paragraphe 21, l’article 97 « appelle l’application par la Commission d’un critère différent, ayant trait à la question de savoir si le renvoi du revendicateur peut ou non l’exposer personnellement aux risques et menaces mentionnés aux alinéas 97(1)a) et b) de la Loi » et doit être apprécié en fonction de la situation personnelle du demandeur. En outre, il a indiqué que « l’appréciation de la crainte chez le défendeur doit se faire in concreto, plutôt que dans une perspective abstraite et générale » (au paragraphe 22).

 

[17]     Par conséquent, des éléments de preuve documentaire qui illustrent la violation systématique et généralisée des droits de la personne dans un pays donné ne seront pas suffisants pour appuyer une demande fondée sur l’article 97 en l’absence de preuve pouvant établir un lien entre ces éléments de preuve documentaire de nature générale et la situation particulière du demandeur (Ould c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 83, [2007] A.C.F. no 103 (QL), au paragraphe 21; Jarada c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 409, [2005] A.C.F. no 506 (QL), au paragraphe 28; Ahmad, précitée, au paragraphe 22).

 

[18]     La difficulté qui se présente lors de l’analyse d’un risque personnalisé dans des cas de violations généralisées des droits de la personne, de guerre civile et d’États défaillants est la détermination de la ligne de séparation entre un risque qui est « personnalisé » et un risque qui est « général ». Dans ces situations, la Cour peut se trouver en présence d’un demandeur auquel on s’en est pris dans le passé, et auquel on pourra s’en prendre à l’avenir, mais dont la situation qui comporte un risque est similaire à celle d’une partie d’une population plus large. Ainsi, la Cour est en présence d’un individu qui peut être exposé à un risque personnalisé, mais un risque partagé avec de nombreux autres individus.

 

[19]     Récemment, le terme « généralement » a été interprété d’une manière qui peut inclure des parties de la population en général, de même que tous les résidents ou citoyens d’un pays donné […]

 

 

 

[29]           Le risque généralisé est une composante du « risque personnalisé », mais il doit être lié à la situation personnelle du demandeur pour qu’il puisse devenir un « risque personnalisé » (c’est‑à‑dire l’autre composante d’un « risque personnalisé »).

 

[30]           Afin d’obtenir l’exemption ministérielle prévue à l’article 25 de la LIPR, un demandeur doit prouver les deux autres composantes avant de prétendre que le « risque personnalisé » justifie l’exemption. Il ne suffit pas de tout simplement établir le risque généralisé du pays en soi.

 

[31]           Le juge Michel M. J. Shore, dans Maichibi c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2008 CF 138, a récemment réitéré ce principe :

[12]     En ce qui concerne la question des difficultés et des risques personnalisés, l’agente a fait remarquer que les allégations du demandeur étaient identiques à celles qui avaient été faites devant la CISR. Étant donné que cette dernière avait conclu que le récit du demandeur était dénué de toute crédibilité et que le demandeur n’avait fourni aucune preuve concernant sa participation à des mouvements de défense des droits de la personne ou que les autorités le rechercheraient, l’agente a statué qu’elle ne pouvait pas réexaminer les conclusions de fait et de crédibilité de la CISR. Elle a conclu, dans ce contexte, que le demandeur n’avait pas établi qu’il avait un profil politique qui lui ferait courir un risque personnalisé qui serait assimilable à des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives s’il devait retourner au Nigeria.

 

[32]           De plus, le juge Michel Beaudry, dans Mooker c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2008 CF 518, au paragraphe 19, a écrit ce qui suit :

     Le courant jurisprudentiel sur lequel les demandeurs se sont fondés (Ramirez et Mooker, précitées; Dharamraj c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2006] A.C.F. no 853, 2006 CF 674; Pinter c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] A.C.F. no 366, 2005 CF 296) impose à l’agent chargé de trancher une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire l’obligation d’apprécier le risque généralisé de violence ou les risques découlant de la discrimination en fonction du critère approprié, mais il ne l’oblige pas à conclure que la discrimination et un risque généralisé de violence constituent toujours des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives.

 

 

[33]           L’agente CH, dans sa décision, a résumé et a examiné la preuve présentée par le demandeur quant à la situation au Bangladesh. Cette preuve faisait état d’incidents de violence politique, de corruption, de meurtres brutaux d’hommes d’affaires et de membres de leurs familles, d’explosion de bombes, de crime, d’abus commis par l’armée et la police.

 

[34]           L’agente a également tenu compte de la « nouvelle preuve », c’est‑à‑dire de lettres démontrant que la police a rendu visite à la famille à quelques reprises et les terroristes ont battu le frère du demandeur et ont saccagé la maison familiale alors qu’ils recherchaient le demandeur.

 

[35]           L’agente a estimé que, malgré la preuve de risque généralisé, elle ne pouvait pas conclure que le demandeur était exposé à un risque personnel parce qu’il n’avait pas fourni une preuve suffisamment convaincante et fiable de l’existence du risque personnalisé.

 

[36]           Tous ces risques ont déjà été examinés dans la décision de la CISR, la décision d’ERAR et la décision CH dans lesquelles on a conclu que le demandeur n’était pas une personne crédible. De plus, le demandeur ne s’est pas présenté devant la Cour avec une conduite irréprochable car il ne s’est pas présenté à son renvoi le 10 août 2007.

 

[37]           La CISR a estimé que son récit n’était que « pure fabrication ». Cette qualification doit être prise en compte lorsqu’on analyse l’argumentation du demandeur car l’agente n’a pas tenu compte de la conclusion selon laquelle il n’était pas crédible.

 

[38]           Je souligne que le demandeur lui‑même affirme qu’il ne peut pas retourner au Bangladesh car il est exposé [traduction] « […] aux mêmes risques que tout le monde là‑bas (comme on peut le conclure à partir de la preuve déposée dans la présente demande), lesquels risques rendent la vie misérable et [qu’il est] personnellement exposé à d’autres risques; […] » (Dossier du demandeur, à la page 9, au paragraphe 5).

 

[39]           Comme l’a souligné le défendeur, [traduction] « si les risques auxquels le pays tout entier est exposé » étaient la composante exclusive du « risque personnalisé » que les demandeurs CH doivent établir, chaque étranger provenant d’un pays où les droits de la personne sont violés ou d’un pays où le climat est mauvais serait automatiquement admissible à l’exemption ministérielle prévue à l’article 25 de la LIPR. Une telle interprétation de l’article 25 de la LIPR est incompatible avec l’esprit de la Loi et son règlement.

 

[40]           En ce qui concerne les risques personnalisés, après avoir analysé la prétention du demandeur, y compris une lettre émanant de son frère mentionnant que [traduction] « la police s’[était] rendue à la maison familiale à quelques reprises au cours des derniers mois afin de tenter de trouver le demandeur » et que [traduction] « les dossiers contre le demandeur [avaient] été “réactivés” en vertu des règles d’urgence », et malgré que la lettre mentionnant que les terroristes AL avaient battu le frère du demandeur, avaient saccagé la maison familiale et recherchaient le demandeur, l’agente a souligné qu’[traduction] « aucun parti n’est au pouvoir actuellement. Les renseignements soumis ne dénotent pas que des constats de saccages ou d’agressions ont été déposés auprès des autorités ». En outre, elle conclut que [traduction] « le demandeur n’a pas démontré qu’il serait personnellement exposé à un risque à sa vie ou à sa sécurité au sens de la section 13 du chapitre OP5 du Guide de l’immigration ».

 

[41]           Je conclus que, malgré les lettres intéressées prétendant que le demandeur est exposé à un risque et malgré que je sois conscient de la situation qui prévaut actuellement dans le pays, le demandeur n’est pas exposé à un risque plus important que les autres Bangladais. En outre, selon moi, l’agente n’a commis aucune erreur lorsqu’elle a évalué le risque personnalisé du demandeur.

 

(3) Le pouvoir discrétionnaire de l’agente

[42]           Le demandeur prétend que, si la Cour concluait que, en effet, l’agente a correctement appliqué la notion de « risque personnalisé », celle-ci a néanmoins, en l’espèce, entravé l’exercice de son pouvoir discrétionnaire en ne tenant pas compte des risques auxquels le pays tout entier est exposé alors qu’elle était tenue de le faire.

 

[43]           Le demandeur souligne que, malgré qu’il a expressément demandé qu’une évaluation de la situation générale qui règne dans le pays soit prise en compte dans le cadre du vaste pouvoir discrétionnaire de l’agente, celle‑ci n’a pas démontré qu’elle avait bien compris le sens de son pouvoir discrétionnaire et (ou) qu’elle l’avait bien utilisé.

 

[44]           Cet argument doit être rejeté. Je souscris à l’affirmation du défendeur selon laquelle si un agent devait tenir compte de la situation générale qui règne dans le pays lorsqu’il évalue une demande CH, l’agent excéderait le pouvoir discrétionnaire qui lui est conféré par l’article 25 de la LIPR.

 

[45]           La Cour a conclu que malgré l’existence incontestable d’un « risque généralisé pour l’ensemble de la population », cela n’empêche pas en soi le rejet d’une demande fondée sur des considérations humanitaires.

 

[46]           Bref, le rattachement de la notion de « risque personnalisé » à la notion de difficultés excessives et injustifiées au sens de l’article 25 de la LIPR comporte que, malgré la gravité de la situation générale dans un pays (c’est‑à‑dire les « risques généralisés »), le demandeur CH doit toujours, en pratique, rattacher cette situation générale à sa situation personnelle.

 

[47]           Je souligne que, en l’espèce, selon la CISR, le demandeur n’a pas été ciblé dans le passé. En outre, l’agente CH n’avait pas à évaluer de nouveau ou à remettre en question cette conclusion finale.

 

[48]           Reconnaissant que la CISR a conclu que le demandeur n’était pas crédible, conjugué avec le fait que celui‑ci ne se soit pas conformé à la mesure d’expulsion prise contre lui et compte tenu du pays où le demandeur devrait être renvoyé, je conclus que l’agente a correctement exercé son pouvoir discrétionnaire et que l’intervention de la Cour n’est pas justifiée.

 

 

(4) Le risque personnalisé

[49]           Contrairement à ce que le demandeur prétend dans ses observations, les motifs écrits de l’agente indiquent clairement que [traduction] « la preuve soumise par le demandeur n’établissait pas de façon concluante qu’il était vraiment exposé à des risques personnels ».

 

[50]           Le prétendu risque personnalisé, auquel le demandeur aurait été exposé avant 2003, n’a jamais été établi compte tenu que cette partie du récit du demandeur n’a pas été jugée crédible par la CISR.

 

[51]           En outre, la nouvelle preuve soumise ne démontre pas qu’il y a une instance en cours contre le demandeur ou qu’il est accusé d’une infraction au Bangladesh.

 

[52]           Je souscris à l’affirmation du défendeur selon laquelle le demandeur n’a pas établi que sa situation particulière était telle qu’il subirait des difficultés inhabituelles, injustes ou excessives s’il devait demander un visa à l’étranger.

 

Conclusion

[53]           Compte tenu de ce qui précède, la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

 

Les questions certifiées

[54]           Au cours de l’audience, l’avocat du demandeur a soumis les questions suivantes à la certification et l’avocat du défendeur s’est opposé à cette certification :

1.     Dans le contexte d’une demande CH où un agent conclut que le demandeur est exposé aux mêmes risques que la population en général, est‑il juste d’affirmer que le demandeur est exposé à un risque personnalisé (un risque « personnel » au sens de la section 13 du chapitre OP5 du Guide de l’immigration)?

 

2.     Si la réponse à cette question est négative, l’agent conserve-t‑il néanmoins son pouvoir discrétionnaire de considérer que ces risques constituent des difficultés?

 

 

[55]           L’article 74 de la LIPR est ainsi libellé :

  74. Les règles suivantes s’appliquent à la demande de contrôle judiciaire :

 

[…]

 

  d) le jugement consécutif au contrôle judiciaire n’est susceptible d’appel en Cour d’appel fédérale que si le juge certifie que l’affaire soulève une question grave de portée générale et énonce celle-ci.

 

  74. Judicial review is subject to the following provisions:

 

  […]

 

  (d) an appeal to the Federal Court of Appeal may be made only if, in rendering judgment, the judge certifies that a serious question of general importance is involved and states the question.

 

 

[56]           Les tribunaux, dans l’interprétation qu’ils ont faite de cet article, ont reconnu que, pour faire l’objet d’une certification, une question doit avoir une portée générale et doit soulever des questions de droit qui méritent d’être tranchées par une cour d’appel (Gittens c. Ministre de la sécurité publique et de la protection civile, 2008 CF 526; Denisov c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2008 CF 550).

 

[57]           Les questions soulevées en l’espèce ne satisfont pas à ces critères car elles comportent une conclusion factuelle mixte de faits et droit.

 

[58]           Par conséquent, aucune question ne sera certifiée.


 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE :

1.                  La demande de contrôle judiciaire de la décision rendue par l’agente, le 17 décembre 2007, relativement à l’évaluation des risques avant renvoi par laquelle elle a rejeté une demande de renonciation à l’exigence que le demandeur présente sa demande de résidence permanente depuis l’étranger est rejetée.

2.                  Aucune question de portée générale n’est certifiée.

 

 

« Orville Frenette »

Juge suppléant

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2036-08

 

INTITULÉ :                                       Ataure RAHMAN c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 19 janvier 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE FRENETTE

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       Le 12 février 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Peter Shams                                                     POUR LE DEMANDEUR

 

Mario Blanchard                                               POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Saint-Pierre Grenier Avocats Inc.                      POUR LE DEMANDEUR

Montréal (Québec)

 

John H. Sims, c.r.                                             POUR LE DÉFENDEUR

Sous‑procureur général du Canada

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