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Date : 20090209

Dossier : T‑612‑06

Référence : 2009 CF 129

Ottawa (Ontario), le 9 février 2009

En présence de monsieur le juge O’Reilly

 

 

ENTRE :

RENOVA HOLDINGS LTD., JOHN JACKSON,

ET DAVE BOUCHARD, CHACUN POUR SON

PROPRE COMPTE ET POUR LE COMPTE DE

TOUTES LES PERSONNES QUI ONT ÉTÉ

PRODUCTEURS OU SONT PRODUCTEURS ET

QUI RÉSIDENT OU ONT RÉSIDÉ DANS

LA RÉGION DÉSIGNÉE DU

5 JUILLET 1935 JUSQU’À AUJOURD’HUI

demandeurs

et

 

LA COMMISSION CANADIENNE DU BLÉ ET

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeurs

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Les demandeurs prétendent que la Commission canadienne du blé a incorrectement payé certains de ses frais à partir de fonds devant être distribués aux producteurs de blé. Ils affirment que la Loi sur la Commission canadienne du blé, L.R.C. 1985, ch. C‑24, énonce clairement que la Commission peut retenir des revenus tirés de la vente du blé uniquement les frais que la Commission a engagés relativement à certains produits de blé. Les frais que la Commission a engagés relativement à d’autres activités, peu importe leur utilité, devraient être payés par le Parlement, et non par les cultivateurs de blé. Ils me demandent de déclarer que la Commission a effectué des dépenses inappropriées et d’ordonner qu’elle présente un compte de gestion pour que soient déterminés les montants incorrectement retenus.

 

[2]               Les défendeurs soutiennent que les actes de la Commission sont autorisés par la Loi, respectent les pratiques comptables appropriées, sont avantageux pour les producteurs de blé au Canada et sont conformes au mandat que lui a conféré la Loi.

 

[3]               Les demandeurs ne m’ont pas convaincu que les actes de la Commission sont interdits par la Loi ou sont d’une autre manière inappropriés. Par conséquent, je dois rejeter la présente demande de contrôle judiciaire.

 

[4]               Les parties conviennent que la seule question à trancher est de savoir si la Commission avait le pouvoir de payer certaines dépenses à partir de ce qu’on appelle les [traduction] « comptes de mise en commun ». Elles ont examiné plus particulièrement la situation en 2002, une année représentative.

 

I.        Le cadre légal

 

[5]               La Commission a le mandat exclusif d’organiser la commercialisation du grain cultivé dans les « régions désignées » du Canada si le grain est destiné à l’exportation ou à l’alimentation humaine au Canada (article 5; les dispositions pertinentes de la Loi sont reproduites en annexe). Les « régions désignées » sont le Manitoba, la Saskatchewan, l’Alberta et le district de Peace River en Colombie‑Britannique (paragraphe 2(1)). La Commission vend des millions de tonnes de grains au Canada et à l’étranger pour le compte d’environ 75 000 fermiers.

 

[6]               La philosophie sous‑tendant la Loi veut que les fermiers soient mieux desservis par un système dans lequel une entreprise importante, la Commission, négocie en leur nom le meilleur rendement pour leur grain et étend les coûts d’entreprise dans tout le grenier à blé canadien. Les défendeurs évaluent que ce système crée une prime nette se situant entre 355 et 405 millions de dollars par année pour les producteurs de grain canadiens.

 

[7]               Les revenus totaux s’élèvent environ à 4 milliards de dollars annuellement. Une fois les dépenses soustraites, la différence (environ 90 %) est remise aux fermiers. En effet, dans ce cas, les cultivateurs de grain canadiens assument les frais engagés par la Commission.

 

[8]               Selon la Loi, les grains sont divisés en différents bassins de « mise en commun » – le blé, le blé dur, l’orge fourragère et l’orge désignée (c’est‑à‑dire l’orge de brasserie ou l’orge de premier choix). La Loi exige que la Commission tienne des comptes distincts pour chaque produit mis en commun (article 36). Également, selon la Loi, la Commission doit, dès qu’elle est payée intégralement pour le blé qui lui a été vendu ou livré, prélever des revenus les « frais afférents aux opérations qu’elle a effectuées sur [le blé] » (alinéa 33(1)a)). Ces frais comprennent la rémunération et les indemnités des administrateurs et des membres du personnel (sous‑alinéas 33(1)a)(i), (i.1) et (ii)). Les pertes subies par la Commission sont imputées aux crédits affectés par le Parlement (paragraphe 7(3)).

 

II.     Les frais mis en question par les demandeurs

 

[9]               Les demandeurs ont relevé un certain nombre de frais engagés par la Commission qui sont, à leur avis, interdits par la Loi :

·          Les frais associés à l’émission de « permis d’exportation » pour du grain qui ne provient pas des régions désignées.

 

·          Les dépenses liées à la recherche et au développement (par exemple, des bourses accordées à des universités et à d’autres organismes pour qu’ils mènent des recherches, notamment, sur de nouvelles variétés de blé ou d’autres grains).

 

·          Les frais associés à des procédures judiciaires, particulièrement celles engagées pour obtenir (et conserver) l’accès au marché des États‑Unis dans le cadre de l’ALENA.

 

·          Les primes versées au personnel de la Commission.

 

·          Les frais liés à certains enjeux de commercialisation (par exemple, l’information sur le grain génétiquement modifié ou des démarches pour faire baisser le prix du transport du grain pour les fermiers).

 

 

[10]           Ces frais, selon les demandeurs, ne devraient pas être payés à partir des comptes de mise en commun parce qu’il ne s’agit pas d’opérations « effectuées sur [le blé] » (c’est‑à‑dire, n’importe quelle mise en commun). Par conséquent, l’alinéa 33(1)a) de la Loi les interdit. S’ils doivent être payés, ils doivent être considérés comme des « pertes » et être payés par le Parlement en vertu du paragraphe 7(3).

 

III.          La Commission a‑t‑elle le pouvoir de prélever le montant des frais en cause des comptes de mise en commun?

 

[11]           Les demandeurs ne prétendent pas que les frais décrits ci‑dessus ne comportent aucun avantage. Ils mettent plutôt en doute le pouvoir légal qu’avait la Commission de les engager. La Commission affirme que la Loi lui permet de déduire les frais liés à chaque compte de mise en commun, ainsi que les frais engagés entre les mises en commun. Dans ce dernier cas, la Commission établit quelle proportion d’une dépense en particulier est attribuable à chacun des produits mis en commun respectivement. Elle soutient que c’est cela que veut dire la Loi en exigeant que les frais soient rattachés aux opérations de la Commission qui sont « effectuées sur [le blé] » (alinéa 33(1)a)).

 

[12]           À mon avis, la Commission interprète la Loi correctement. La Loi exige que la Commission attribue les dépenses à un compte de mise en commun en particulier. Cette exigence est valable autant lorsque les frais sont engagés seulement relativement à un certain produit de blé que lorsque les frais sont communs à plusieurs ou à tous les produits.

 

[13]           Je prends note que la méthode utilisée par la Commission pour déduire les dépenses et distribuer les revenus aux cultivateurs a été approuvée par ses propres vérificateurs ainsi que par le vérificateur général. Après avoir examiné les comptes de la Commission, le vérificateur général a conclu que la Commission [traduction] « calcule le rendement net total des produits mis en commun conformément aux exigences de la Loi sur la CCB » et que [traduction] « tous les revenus tirés de la vente de grains, moins les coûts d’exploitation, ont été distribués comme il se doit aux cultivateurs ».

 

[14]           En outre, les frais qui ont été principalement mis en doute par les demandeurs favorisent clairement l’intérêt des cultivateurs de blé dans l’ensemble. Par exemple, l’administration par la Commission de permis d’exportation pour les producteurs se trouvant à l’extérieur des régions désignées constitue un moyen de surveiller et de contrôler les ventes de grain dans l’ensemble. Cela permet à la Commission de s’assurer qu’il n’y a aucune [traduction] « fuite » de grain des régions désignées et de protéger l’intégrité des mises en commun. De toute façon, la Commission évalue le coût administratif annuel associé aux permis d’exportation pour les grains produits à l’extérieur des régions désignées à environ 5 000 $ seulement. Encore à titre d’exemple, pour ce qui est des frais juridiques, ceux‑ci ont été engagés alors que la Commission tentait de s’opposer à des obstacles au commerce et de défendre les intérêts des cultivateurs de grain devant les tribunaux. En somme, les dépenses de la Commission semblent conformes au mandat que lui a confié la Loi.

 

IV.       Conclusion

 

[15]           Les frais contestés sont autorisés par la Loi et sont adéquatement attribués par la Commission aux différents comptes de mise en commun. Par conséquent, il n’y a aucune raison de modifier le traitement que fait la Commission de ces dépenses. Par conséquent, je dois rejeter la présente demande de contrôle judiciaire, avec dépens.


 

JUGEMENT

LA COUR ORDONNE :

1.                  La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée, avec dépens.

 

 

« James W. O’Reilly »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Elisabeth Ross, traductrice


Annexe A

 

Loi sur la commission canadienne du blé, L.R.C. 1985, ch. C‑24

 

Obligation de Sa Majesté

2.1 La présente loi lie Sa Majesté du chef du Canada ou d’une province.

 

 

Mission

5. La Commission a pour mission d’organiser, dans le cadre du marché interprovincial et de l’exportation, la commercialisation du grain cultivé au Canada.

 

Pertes

  7.(3) Sont imputées aux crédits affectés par le Parlement, sauf disposition contraire d’une autre partie, les pertes subies par la Commission :

a) dans le cas des opérations visées à la partie III et se rapportant à une période de mise en commun fixée aux termes de cette partie, au cours de la période de mise en commun en question;

b) dans le cas des autres opérations prévues par la présente loi, au cours d’une campagne agricole.

 

Montants à prélever

33. (1) Dès que, d’une part, elle est payée intégralement pour le blé qui lui a été vendu et livré au cours de la période de mise en commun et, d’autre part, les ventes de blé à crédit auxquelles s’applique la garantie visée à l’article 19 ont été conclues pour cette période, la Commission prélève sur le total des sommes ainsi payées, du principal garanti et de l’intérêt échu dans cette période — y compris celui afférent à une vente à crédit conclue dans une période antérieure — les sommes suivantes au titre des dépenses qu’elle a engagées ou qui l’ont été en son nom :

a) le prix d’achat du blé et les frais afférents aux opérations qu’elle a effectuées sur celui‑ci, y compris :

(i) la rémunération et les indemnités des membres du personnel,

(i.1) la rémunération et les indemnités des administrateurs,

(i.2) les frais afférents aux élections tenues sous le régime des articles 3.06 à 3.08,

(ii) les frais normaux de déplacement, de séjour et autres, engagés par ces personnes dans l’accomplissement des fonctions que leur confère la présente loi,

 

 

 

Comptes distincts

36. La Commission tient des comptes distincts de ses opérations sur le blé produit dans la région désignée et qui lui est vendu et livré par des producteurs pour chaque période de mise en commun.

Canadian Wheat Board Act, R.S.C. 1985, c. C‑24

 

Binding on Her Majesty

2.1 This Act is binding on Her Majesty in right of Canada or a province.

 

 

Object

5. The Corporation is incorporated with the object of marketing in an orderly manner, in interprovincial and export trade, grain grown in Canada.

 

Losses

  7.(3) Losses sustained by the Corporation

(a) from its operations under Part III in relation to any pool period fixed thereunder, during that pool period, or

(b) from its other operations under this Act during any crop year,

for which no provision is made in any other Part, shall be paid out of moneys provided by Parliament.

 

 

 

Deductions from receipts

33. (1) As soon as the Corporation receives payment in full for all wheat sold and delivered to it during a pool period and all credit sales of the wheat in respect of which payment is guaranteed under section 19 have been concluded, there shall be deducted, from the aggregate of the total amount so received, the principal so guaranteed and any interest that accrues during that pool period in respect of sales of wheat on credit concluded during any pool period, all moneys disbursed by or on behalf of the Corporation

(a) by way of payment in respect of that wheat and by way of expenses incurred in connection with the operations of the Corporation attributable to that wheat, including

(i) the remuneration and allowances of the officers, clerks and employees of the Corporation,

(i.1) the remuneration and expenses of the directors of the Corporation,

(i.2) the costs of an election of directors of the Corporation in accordance with sections 3.06 to 3.08,

(ii) the necessary travel, living and other expenses incurred in the discharge of duties under this Act by the persons referred to in subparagraph (i),

 

Separate accounts

36. The Corporation shall maintain separate accounts with regard to its operations in respect of wheat produced in the designated area sold and delivered to it during each pool period by producers.

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    T‑612‑06

 

INTITULÉ :                                                   RENOVA ET AL.

                                                                        c.

                                                            LA COMMISSION CANADIENNE DU BLÉ ET AL.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             WINNIPEG (MANITOBA)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 7 octobre 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          Le juge O’Reilly

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 9 février 2009

 

 

COMPARUTIONS :

 

Richard S. Yaholnitsky

POUR LES DEMANDEURS

 

Thor Hansell

James E. McLandress

POUR LES DÉFENDEURS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Merchant Law Group

Yorkton (Saskatchewan)

 

POUR LES DEMANDEURS

Aikins, Macaulay & Thorvaldson

Winnipeg (Manitoba)

 

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR LA DÉFENDERESSE

(LA COMMISSION CANADIENNE DU BLÉ)

 

 

POUR LE DÉFENDEUR

(LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA)

 

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