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Date : 20090202

Dossier : T-818-08

Référence : 2009 CF 113

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 2 février 2009

En présence de Kevin R. Aalto, maître, protonotaire

 

ENTRE :

PROCTER & GAMBLE PHARMACEUTICALS CANADA INC.

et THE PROCTER & GAMBLE COMPANY

demanderesses

 

et

 

LE MINISTRE DE LA SANTÉ et RATIOPHARM INC.

défendeurs

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               La présente procédure est une demande introduite en vertu du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) (le « Règlement ») visant à obtenir une ordonnance interdisant le ministre de la Santé (le « ministre ») d’émettre un avis de conformité au défendeur, ratiopharm inc. (« ratiopharm ») au sujet de son projet de produit risédronate.  

 

[2]               Les demanderesses ont présenté cette requête pour radier 18 éléments de preuve distincts, dont une antériorité, qui cite et comprend une antériorité contenue dans l’affidavit de George Lenz (l’« affidavit de Lenz »), qu’on accuse de dépasser l’avis d’allégation (« AA »), et qui y renvoie. Les preuves qu’on cherche à radier sont décrites par les demanderesses comme [TRADUCTION] « le type exact de témoignage par affidavit qui doit être radié ». L’argument principal des demanderesses est qu’aucun des quinze renvois aux antériorités et que trois des références factuelles que l’on cherche à radier sont précisément citées dans l’AA qu’ils doivent radier à cette étape initiale de la procédure. En particulier, les demanderesses cherchent à obtenir une ordonnance radiant les parties suivantes de l’affidavit de Lenz :

a)                  le paragraphe 36, y compris la note de bas de page 4;

b)                  le paragraphe 51, y compris la note de bas de page 9;

c)                  le tableau 1 du paragraphe 73;

d)                  la deuxième phrase et la citation du paragraphe 76, y compris la note de bas de page 14;

e)                  la deuxième phrase et la citation du paragraphe 80;

f)                    la deuxième phrase et le diagramme du paragraphe 89, y compris la note de bas de page 18;

g)                  la deuxième phrase et le diagramme du paragraphe 90;

h)                  le paragraphe 131, y compris la note de bas de page 23;

i)                    les quatre premières phrases du paragraphe 132, y compris la note de bas de page 24;

j)                    les renvois au brevet pour pamidronate aux paragraphes 133 et 134, y compris la note de bas de page 26;

k)                  les paragraphes 144 à 146, y compris les notes de bas de page 35 et 36;

l)                    le renvoi au Dr Benedict au paragraphe 149;

m)                le tableau 1 du paragraphe 159;

n)                  les paragraphes 206 à 208, dont les notes de bas de page 42 et 43;

o)                  les pièces B, C, D, E, F, G, I, J, K, L, M, P, Q et R.

 

[3]               À son tour, ratiopharm affirme qu’il vaudrait mieux laisser la question de l’admissibilité des parties contestées de l’affidavit au juge de l’audience et que, quoi qu’il en soit, [elles] ne font que confirmer l’opinion émise dans l’affidavit. De plus, ratiopharm soutient que, selon une modification du droit canadien des brevets dans Apotex Inc. c.  Sanofi‑Synthelabo Canada Inc. 2008 CSC 61, les parties contestées de l’affidavit doivent être autorisées à rester.

 

[4]               Dans ce cas, la preuve de radiation a été annulée, ce que ratiopharm a accepté. La société ratiopharm a présenté son témoignage par affidavit le 30 septembre 2008 et celui-ci comprend l’affidavit dont il est question dans la présente requête. Environ un mois après avoir reçu le témoignage de ratiopharm, les demanderesses ont déposé la présente requête pour radier les expressions contestées en question de la présente requête.

 

[5]               La présente requête concerne deux décisions de la Cour d’appel fédérale, à savoir AB Hassle c. Canada (ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) 38 C.P.R. (4e) 216 (CF) confirmé 47 C.P.R. (4e) 329 (C.A.F.) (« Hassle ») et Mayne Pharma (Canada) Inc. c. Aventis Pharma Inc., 38 C.P.R. (4e) 1 (C.A.F.) (« Mayne »). D’une part, Hassle défend le principe selon lequel [TRADUCTION] « le fondement factuel entier doit être établi dans la déclaration détaillée plutôt que présentée pièce par pièce lorsque qu’un besoin apparait dans une procédure aux termes de l’article 6 » (selon la juge Layden-Stevenson, alors qu’elle faisait à ce moment partie de la décision de première instance au paragraphe 51 de la page 236). D’autre part, Mayne, bien que défendant ce principe, envoie un message très clair que ce type de requête doit être déféré au juge de l’audience.

 

[6]               En défendant la décision de la juge Leyden-Stevenson dans Hassle, la juge Sharlow de la Cour d’appel fédérale constate ce qui suit :

[TRADUCTION]

 

La Cour a reconnu qu’un avis d’allégation, en plus de la déclaration détaillé du fondement factuel et juridique des allégations faites dans l’avis, joue un rôle pivot dans la définition des questions à déterminer dans les procédures en vertu du Règlement sur les AC. L’avis d’allégation et la déclaration détaillée doivent vérifier toutes les affirmations concernées, et doivent comprendre assez de renseignements pour faire en sorte que la « première personne » (comme le définit le Règlement sur les AC) prennent une décision éclairée quant au fait de répondre à l’avis d’allégation en déposant une requête d’ordonnance d’interdiction. Un avis d’allégation qui répond aux exigences est jugé « suffisant ». Le constat qui en découle est qu’une « seconde personne » (comme le définit le Règlement sur les AC) ne peut, en réponse à la demande d’interdiction de la première personne, présenter des preuves et des arguments relatifs à une situation qui ne relève pas du domaine de l’avis d’allégation et de la déclaration détaillée (paragraphe 4, pages 332-333).

 

[7]                 La demanderesse soutient selon Hassle que la totalité du fondement factuel d’une allégation doit être établie dans l’AA. Ainsi, il soutient que, puisque les références dans l’affidavit de Lenz ne sont pas citées dans l’AA, elles doivent être radiées. En guise d’appui supplémentaire à ce principe, la demanderesse cite Mayne pour soutenir le principe selon lequel les antériorités qui ne figurent pas dans l’AA devraient être radiées. Dans Mayne, paragraphe 16, le juge Nadon a fait la déclaration suivante :  

 

Bien que la présente Cour ait indiqué en termes non équivoques que ce genre de requête devrait de préférence être déféré au juge qui préside l’instance, elle n’a pas déclaré que, en principe, les juges des requêtes doivent déférer ces requêtes au juge qui préside l’instance. Donc, un juge des requêtes ne commettra pas une erreur de droit s’il décide de trancher la requête. Dans un cas d’espèce, la question de savoir si le juge des requêtes a commis une erreur susceptible de révision sera décidée en fonction de la norme de contrôle applicable. J’ajouterais que notre Cour a dit très clairement qu’elle interviendrait rarement dans la décision d’un juge des requêtes de déférer l’affaire au juge qui préside l’instance. [Non en gras dans l’original]

 

[8]                 On a récemment insisté sur ce point dans la décision Lundbeck Canada Inc. c. Canada (ministre de la Santé), 2008 CAF 265, au paragraphe 6, comme suit :

 

Le fait que la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, prévoie, en matière interlocutoire, la possibilité d’interjeter appel de plein droit de la décision rendue par un protonotaire ou par un juge de la Cour fédérale et de se pourvoir ensuite en appel devant la Cour d’appel fédérale, ne constitue pas une invitation générale à assujettir les décisions discrétionnaires rendues en première instance à une analyse scrupuleuse. Dans les procédures sommaires et, d’ailleurs, dans toute procédure, l’intérêt de la justice est normalement mieux servi si l’on réduit au minimum le temps écoulé avant de statuer sur le fond. Dans la mesure du possible, il est préférable de laisser au juge qui est saisi de la demande ou qui préside le procès le soin de trancher les différends portant sur la preuve (et sur certaines questions procédurales). [Non en gras dans l’original]

 

[9]               Les requêtes de nature procédurale comme celle-ci qui cherchent à radier en partie ou en totalité les affidavits au cours de procédures relatives à des AC doivent constituer l’exception, pas la norme. Le message très clair dans Mayne indique qu’il vaut mieux laisser de telles requêtes au soin du juge du fond. Toutefois, la Cour d’appel fédérale n’est pas allée jusqu’à ce que l’exigence que de telles requêtes doivent être déférées au juge de l’audience devienne un principe ferme. Il en est ainsi pour permettre à la Cour de contrôler son propre procès et de gérer ces cas évidents où de nouveaux faits sont indûment présentés sous une forme quelconque de prétexte lorsqu’elles auraient dû faire partie de l’AA.  

 

[10]              Dans Mayne, l’argument central que le juge des requêtes a présenté dans le cadre de l’appel était que les paragraphes contestés que le juge des requêtes a radiés ne constituaient pas de nouveaux faits. La Cour d’appel fédérale a réitéré que la déclaration détaillée doit faire en sorte qu’un titulaire de brevet soit parfaitement conscient des motifs sur lesquels on s’appuie pour affirmer que la délivrance d’un AC n’entraînera pas la violation d’un brevet inscrit puisque c’est par ces motifs qu’un titulaire de brevet décide d’intenter une poursuite en vertu de l’article 6 ou non. Le fait d’autoriser de soulever d’autres motifs après coup nuirait au titulaire de brevet. La déclaration détaillée constitue par conséquent le document principal de la décision quant à savoir si une poursuite en vertu de l’article 6 sera intentée ou non. Comme le juge Nadon le soulève aux paragraphes 21 et 22 :

 

Si le titulaire du brevet, qui est le requérant, doit plaider en fonction des motifs précisés dans l’énoncé détaillé, même s’il peut exister d’autres motifs propres à démontrer la contrefaçon, il est manifestement injuste de permettre à l’intimée de soulever des motifs différents ayant trait à la contrefaçon dans ses éléments de preuve en réponse à la demande d’interdiction. L’intimée, la seconde personne, établit les paramètres du différend dans son énoncé détaillé. Elle ne peut alors modifier ses paramètres une fois que la personne qui demande l’interdiction, la première personne, a formulé sa demande en fonction des questions soulevées dans l’énoncé détaillé.

C’est au juge des requêtes ou au juge qui préside l’instance, selon le cas, qu’il appartient, dans une affaire donnée, de décider si l’énoncé détaillé du fondement juridique et factuel de l’avis d’allégation d’une seconde personne est « suffisamment complet pour permettre au titulaire du brevet d’évaluer ses recours en réponse à l’allégation... » . À moins que la décision rendue à cet égard se fonde sur un principe de droit erroné ou sur une mauvaise appréciation des éléments de preuve, il n’y aura pas d’intervention.

 

[11]              La Cour a par la suite examiné les divers paragraphes des affidavits contestés. La Cour a décidé que certains paragraphes s’ajoutaient bel et bien aux nouveaux motifs et que, par conséquent, le juge des requêtes avait raison de les radier. Ce faisant, la Cour a constaté ce qui suit au paragraphe 25 :

 

Je ne peux pas conclure que le juge Noël a commis une erreur en statuant que l’appelante ne pouvait pas se fonder sur les paragraphes 71 à 75 de l’affidavit du professeur Durst. Le brevet américain 813 est un fait qui aurait dû être communiqué dans l’avis d’allégation si on avait l’intention de s’en servir comme fondement sur lequel arguer l’absence de contrefaçon. Ce qui est en cause, ce n’est pas une réponse à un nouveau fait soulevé par la première personne; c’est plutôt une tentative de la part de l’appelante d’invoquer un motif supplémentaire de non-contrefaçon dans la procédure visée à l’article 6. À mon avis, c’est précisément le genre de preuve par affidavit qu’il faut radier conformément à notre décision AB Hassle, précitée : l’existence du brevet américain 813 aurait pu ou dû être connue de l’appelante plus tôt et aurait dû être incluse dans son avis d’allégation. Permettre que soit invoqué un nouveau fait concernant l’allégation d’absence de contrefaçon à cette étape-ci équivaudrait à permettre à la seconde personne, l’appelante, d’améliorer sa position « pièce à pièce », ce qui serait injuste pour la première personne, l’intimée. Si l’appelante comptait s’appuyer sur le brevet américain 813 pour faire valoir que le groupe protecteur utilisé dans son procédé ne pouvait pas avoir été envisagé par les inventeurs du brevet 682 comme équivalent évident, elle était tenue, conformément à l’arrêt AB Hassle, précité, de divulguer sa position dans l’énoncé détaillé. En conséquence, je ne peux conclure à une erreur dans la conclusion du juge Noël. [Non en gras dans l’original]

 

[12]           L’essentiel de cette partie de la décision Mayne est la conclusion qu’un nouveau fondement factuel de l’allégation de non-violation a été soulevé par le fabricant de produits génériques et que la preuve a donc été radiée. En ce qui a trait à d’autres preuves que le juge Noël a aussi radiées, la Cour d’appel a autorisé l’appel en partant du principe que ces faits n’étaient pas de « nouveaux » faits et qu’ils se trouvaient dans la déclaration détaillée.

 

[13]           Dans cette affaire, la requête est présentée à une toute première étape de la procédure avant que les demanderesses aient présenté leurs preuves. Ils ne subiront donc pas de préjudice pour ne pas avoir pu répondre aux preuves. On peut aussi soutenir qu’il est plus facile à cette étape de la procédure de régler ce genre de question de procédure avant que toutes les preuves soient signifiées. Toutefois, cela ne règle pas la réelle question en litige, qui est de savoir si, dans le cadre d’une requête d’ordre procédural interlocutoire comme celle-ci, il est évident qu’il s’agit d’une « nouvelle » preuve ou d’un nouveau motif sur lequel on s’appuie qui doit être radié et ne pas être laissé au juge du fond. Selon moi, cette preuve ne dépasse pas la portée de l’AA de façon assez évidente pour être radiée.

 

[14]           L’avocat des parties respectives a très utilement fourni des dossiers présentant les preuves contestées ainsi qu’un résumé de leur position quant à leur bien-fondé. Comme on le constate dans l’examen des preuves contestées dans l’affidavit de Lenz, elles varient d’éléments apparemment futiles (un seul nom), à des éléments plus importants (une seule phrase, des notes de bas de page, une formule chimique, des parties de paragraphes, et de longs paragraphes et citations entiers provenant de textes et de monographies). Les parties contestées se retrouvent aussi parmi les 223 paragraphes de l’affidavit de 69 pages. Les demanderesses cherchent à passer au peigne fin chacune des phrases et références de l’affidavit de Lenz pour savoir si elles sont mentionnées ou en quelque sorte mentionnées dans l’AA. Il est difficile de procéder à cet exercice de comparaison à n’importe quelle étape de la procédure. 

 

[15]           Un examen de quelques exemples met les questions en contexte. L’un des éléments contestés de l’affidavit de Lenz est une partie du paragraphe 51 qui se lit comme suit :

[TRADUCTION]

 

La biodisponibilité du clodronate, à l’instar d’autres bisphosphonates, est très mauvaise. Le Dr Benedict, qui est désigné comme un inventeur du brevet 727, a indiqué que la biodisponibilité absolue du clodronate s’élève entre 1 % et 2 % chez l’humain.    

 

[16]           La dernière phrase de ce paragraphe comprend une référence en bas de page à une monographie rédigée par un certain nombre de personnes, dont le Dr Benedict, l’un des inventeurs du brevet en cause. La monographie s’intitule « Clodronate kinetics and bioavailability » et est jointe comme pièce C à l’affidavit de Lenz. Le clodronate est un composé de la technique antérieure. Sa structure, son étude et son utilisation font l’objet d’une discussion approfondie aux paragraphes 41 à 52 de l’affidavit de Lenz. On affirme que seule une partie du paragraphe 51 et de la référence citée sont indûment inclus dans l’affidavit de Lenz puisqu’elles ne sont pas expressément mentionnées dans l’AA.   

 

[17]           Toutefois, le clodronate fait l’objet d’une discussion particulière dans l’AA au paragraphe 11 ainsi qu’à la page 2 du brevet 727 et à la page 10 du brevet 376. On peut difficilement affirmer que le paragraphe contesté de l’affidavit de Lenz ne renvoie pas à l’AA de quelconque façon. 

 

[18]           Un autre exemple du type de preuve qu’on cherche à radier se trouve au paragraphe 73 de l’affidavit de Lenz où le Dr Lenz inclut une référence comme suit :

                        [TRADUCTION]

                                Tableau 1

                        1) Atomes monovalents et groupes   

                                                            F              OH           NH2         Me           Cl   

[19]           Le texte du paragraphe qui décrit le remplacement bioisostérique n’est pas contesté. Seul le tableau qui présente l’opinion et qui confirme l’opinion est contesté. Comme le tableau confirme simplement son opinion et découle de l’opinion et du texte du paragraphe, encore une fois, on peut difficilement affirmer qu’il s’agit [TRADUCTION] « exactement du type de témoignage par affidavit à radier ». Il ne soulève pas un nouveau motif qui n’a été ni soulevé ni mentionné dans l’AA. 

 

[20]           Les parties restantes des preuves contestées dans l’affidavit de Lenz peuvent aussi être réputées pour avoir une certaine référence dans l’AA, ou confirment les opinions émises dans l’affidavit de Lenz. À cette étape des procédures, elles ne doivent pas radiées même si les demanderesses affirment pendant l’audience que ces parties de l’affidavit de Lenz ne doivent pas être prises en considération.

 

[21]              Avant de laisser cette question de côté, il est utile de tenir compte de certaines jurisprudences générales de la Cour concernant la radiation d’affidavit. Alors que l’avocat a renvoyé la cour aux décisions de principe dans les procédures en vertu du Règlement portant sur la suppression de preuves, la Cour s’est prononcée de nombreuses fois sur les principes régissant la radiation des témoignages par affidavit de façon générale. Par exemple, une affaire utile est celle du juge Hugessen, à titre de membre de la Cour fédérale, dans Sawridge Band c. Canada, [2000] A.C.F. no 192, lorsqu’il a fait face à une requête visant à radier un affidavit. Il a constaté aux paragraphes 5 et 6 de sa décision :

 

5.  J’examinerai d’abord la première requête présentée par les intervenants afin de faire radier l’affidavit de Clara Midbo pour cause de non conformité aux règles. Après avoir examiné cet affidavit, je suis absolument certain qu’il est irrégulier. Il déborde d’allégations constituant des conclusions et des arguments, touchant presque toutes des questions de droit à l’égard desquelles son auteur n’est apparemment pas qualifiée. Je reproduis ci-dessous, simplement à titre d’exemple, les paragraphes 3 et 4 de l’affidavit dans lesquels son auteur tente d’interpréter les actes de procédure, les Règles et différentes ordonnances prononcées en l’espèce, alors qu’elle est éminemment incompétente dans ce domaine et que ces questions ne relèvent manifestement pas de la preuve de toute façon :

 

6.  Cela dit, je ne suis pas convaincu que cet affidavit doit être radié. Selon moi, dans une procédure moderne saine, les irrégularités dans les actes de procédure ne doivent pas faire l’objet d’une requête et ne doivent pas commander que la Cour prononce des ordonnances radiant ou corrigeant de telles irrégularités à moins que la partie qui soulève l’irrégularité puisse démontrer qu’elle lui cause un préjudice quelconque. J’ai expliqué ce point clairement à l’avocat des intervenants et le seul préjudice causé éventuellement à ses clients qu’il a pu mentionner était que la Cour, lorsqu’elle entendra la requête principale, pourrait être incitée à croire que ces allégations très tendancieuses de l’affidavit sont des questions de fait non contestées. Je crois que l’avocat attribue à la Cour un degré de crédulité qui n’est, je l’espère, pas justifié. Par conséquent, en l’absence de la preuve d’un préjudice et même si presque tout l’affidavit est irrégulier et n’aurait pas dû être présenté à la Cour, aucun motif ne justifierait que je radie l’affidavit. L’avocat des intervenants reconnaît d’emblée que pratiquement chaque paragraphe de l’affidavit énonce un argument admissible qui peut être invoqué régulièrement par l’avocate des demandeurs et qu’elle a effectivement fait valoir dans sa plaidoirie écrite à l’appui de la requête principale. Je vais donc rejeter la requête en radiation de l’affidavit. [Non en gras dans l’original]

 

[22]           Une autre affaire traitant de cette question est celui du juge Richard lorsqu’il était membre de la Section de première instance de la Cour fédérale dans Unitel Communications Co. c. MCI Communications Corp., [1996] A.C.F no 1126, où il a refusé de radier un affidavit. Il souligne ce qui suit dans le paragraphe 6 de sa décision :

[TRADUCTION]

 

L’avocat des défendeurs canadiens s’est appuyé sur un jugement de la cour dans Home Juice Company c. Orange Maison Limited [voir la note 1 ci-dessous], une décision de l’ancien président Jackett. Dans ce cas, l’objection avait été soumise à la pertinence ou à l’admissibilité des affidavits portés au dossier dans des procédures relatives à la marque de commerce, et monsieur le juge Jackett a examiné la chronologie de la demande à des fins de radiation. Il a dit : [TRADUCTION] En pratique, la façon la plus efficiente et économique de décider de telles questions est de les poser et de les décider à l’audience et en tant qu’exercice pratique de pouvoir discrétionnaire que les parties ne doivent pas être autorisées à soulever avant l’audience. Voici les deux exceptions à cette règle générale que j’étudie pour le moment :

 

a) lorsqu’une partie doit obtenir une autorisation pour admettre une preuve et qu’il est évident selon la cour qu’elle est inadmissible; 

 

b) lorsque la cour peut être convaincue en pratique que l’admissibilité des affidavits déposés par l’une des parties doit être prise en considération quelque temps avant l’audience pour que l’audience puisse se dérouler de façon organisée.   [Non en gras dans l’original]

 

[23]              Une affaire supplémentaire appuyant la proposition selon laquelle le juge de l’audience est mieux placé pour régler les questions relatives aux preuves est Chopra c. Canada (Conseil du Trésor), [1999] A.C.F no 835. Dans ce cas, le juge Dubé l’opinion suivante au paragraphe 6 de ses motifs :

 

D’autre part, il existe également des arrêts dans lesquels il a été statué que la Cour n’a pas compétence pour radier les affidavits au moyen d’une requête en prévision d’un contrôle judiciaire. La procédure appropriée consiste à laisser le juge qui entend la demande au fond apprécier l’affidavit. Le contrôle judiciaire est une procédure sommaire, qui vise à faire avancer la demande au stade de l’audition le plus rapidement possible. La pertinence de la preuve et des allégations doit être appréciée en définitive par le juge qui entendra la demande au fond. Le juge a le pouvoir discrétionnaire exceptionnel de radier les affidavits, mais il ne devrait pas exercer ce pouvoir à la légère. Pour assurer l’efficacité d’une procédure de contrôle judiciaire, il faut empêcher les contestations interlocutoires relatives aux affidavits et laisser le juge qui entend la demande les examiner. [Non en gras dans l’original]

 

[24]           Finalement, l’avertissement du protonotaire Hargrave dans Yazdanian et coll. c. MCI, (IMM-4894-97, 29 juin 1998), au paragraphe 2, est à propos : 

[TRADUCTION]

 

Par souci d’efficience et à titre exercice pratique du pouvoir judiciaire discrétionnaire, les parties ne doivent pas être autorisées à radier leurs affidavits respectifs. Bien entendu, cela est assujetti à des circonstances particulières, par exemple lorsqu’un affidavit est injurieux ou manifestement hors de propos, lorsqu’une partie a reçu l’autorisation d’admettre une preuve qui s’avère en fin de compte manifestement inadmissible, ou lorsque la cour est convaincue que la question de l’admissibilité doit être réglée plus tôt afin que l’audience puisse se dérouler de façon organisée. Il existe une jurisprudence à cet égard dans un certain nombre de décisions, dont Home Juice Company c. Orange Maison Ltd., [1968] 1 Ex.C.R. 163 à la page 166 (président Jackett) et dans Unitel Communications Co. c. MCI Communications Corporation [1997], 119 R.C.S. 142 à la page143. Dans ce dernier, monsieur le juge Richard (comme il l’était à l’époque) a indiqué que le juge de première instance serait mieux placé pour évaluer le poids et l’admissibilité de tels documents d’affidavit (pages 143 et 145). Bien entendu, les hypothèses, les rumeurs et les opinions juridiques n’ont pas leur place dans un affidavit. [Non en gras dans l’original]

 

[25]           En tenant compte de ces principes, il me semble que, même si certaines parties des preuves contestées de l’affidavit de Lenz dépassent la portée de l’AA, les demanderesses ne subiront aucune circonstance particulière ni atteinte quant au fait de lasser les parties contestées de l’affidavit de Lenz à titre de preuve à ce stade-ci des procédures. Les demanderesses invoquent des circonstances particulières en ce sens qu’ils subiront un préjudice parce que, si le maintien de ces sections contestées de l’affidavit de Lenz est autorisé, les demanderesses devront répondre à ces parties des preuves autorisées à des frais et du temps supplémentaires dans le cas où ils affirment qu’un juge de l’audience devra les ignorer de toute façon. Toutefois, on peut difficilement affirmer que l’une quelconque de ces preuves contestées est nouvelle pour eux ou constitue une surprise puisque la majorité se rapporte aux formules chimiques du médicament en question et que certaines renvoient aux écritures de l’inventeur. De plus, comme je l’ai mentionné ci-dessus, il existe un lien entre les preuves contestées et l’AA, ou il confirme une opinion exprimée dans l’affidavit de Lenz.   

 

[26]           Il convient de noter que le juge Hughes a traité, dans Pfizer et coll. c. le ministre de la Santé, [2008] A.C.S no 630, de la question de savoir si une question soulevée qui n’est pas dans un AA doit être prises en considération à l’audience. Il remarque aux paragraphes 88 et 89 :

[TRADUCTION]

 

[88]  Cet argument est un concept apporté après que la preuve a été présentée et vérifiée par contre-interrogatoire et après que Pfizer a déposé son exposé des arguments. Il ne s’agit pas d’un argument qui a été présenté dans l’avis d’allégation. Il n’y a pas de preuve manifeste des témoins de Pharmascience quant à ces questions. L’affaire est débattue à partir d’éléments provenant de la contre-interrogation des témoins de Pfizer. Cette affaire est étroitement reliée à la situation débattue par la Cour d’appel fédérale dans « celecoxib » G.D. Searle & Co. c. Novopharm Ltd., 2007 CAF 173.  J’avais soulevé, à l’audience de l’affaire à la première instance, un problème important de validité en fonction des preuves présentées au cours du contre-interrogatoire par l’avocat du fabricant de produits génériques de l’un des inventeurs désignés présentées comme preuves par l’innovateur. La question n’avait pas été soulevée dans l’avis d’allégation. Ce que la Cour d’appel a indiqué aux paragraphes 33 et 34 de ses motifs est erroné :

 

[TRADUCTION]

 

[33]  L’AA définit les questions à régler dans les procédures en vertu du Règlement. De plus, le fait de juger un cas en fonction d’un motif qui n’a pas été soulevé par les parties entraîne une question quant à l’équité de la procédure (voir AB Hassle c. le Canada (ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (2000), 7 CAF 421 (4e) 272 (CAF), paragraphes 16 à 21; Règlement, paragraphe 5(1), alinéa 5(3)a); Pfizer Canada Inc. c. Canada (ministre de la Santé) [2006], 46 C.P.R. (4e) 281 (CAF), paragraphe 32. L’avocat de Searle a fait valoir que, si elle avait été soulevée devant le juge saisi des demandes, la preuve aurait pu être recueillie et des observations faites en conséquence.

[34]   Selon mon analyse, examinée en fonction d’une norme du bien-fondé, en procédant à sa manière, le juge saisi des demandes n’a pas accordé l’équité de la procédure à Searle, commettant ainsi une erreur de droit (voir McConnell c. Canada (Commission des droits de la personne), 2005 CAF 389, paragraphe7). De plus, la décision selon laquelle Searle n’est pas le demandeur en vertu de l’article 2 de la Loi n’est pas appuyée par le dossier. Il est exact que les ententes d’affection n’ont été exécutées qu’en mai-juillet 1996. Toutefois, cela ne démontre pas que Searle n’était pas le propriétaire de l’invention au moment de la découverte. De toute évidence, une personne qui est propriétaire des droits de l’invention peut être un demandeur. Selon moi, le juge saisi des demandes a commis une erreur lorsqu’il a limité la définition de « demandeur » dans ce cas [TRADUCTION] « à un représentant légal des inventeurs désignés Talley et coll. » (voir le passage des raisons du jugement citées au paragraphe 27 ci-dessus).

 

[89]  Je conclus qu’il serait tout aussi erroné de tenir compte ici de la question des produits anhydres ou hydratés lorsque l’affaire n’a pas été soulevée dans l’avis d’allégation et que Pfizer n’a pas eu de véritables occasions de présenter des preuves ou des arguments sur la question. Même si ma conclusion est erronée, je ne peux donner aucun avis sur les preuves présentées. Les preuves ne sont pas concluantes et ne concernent pas clairement la question soulevée. Je dirais même que la question aurait dû être présentée comme une « affirmation plus large » que l’invention fabriquée ou une question présentée, mais aucune allégation de la sorte n’a été faite. Je ne peux tout simplement pas donner d’avis adéquat sur ce que j’aurais conclu si Pharmascience avait fait une allégation à cet égard pour une question présentée comme « affirmation plus large » ou autre. J’aurais conclu, en fonction des preuves que j’ai bel est bien en ma possession, que Pharmascience n’a pas respecté la prépondérance des probabilités. [Non en gras dans l’original]

 

 

[27]           Ici, les demanderesses ont amplement l’occasion de répondre aux preuves de ratiopharm et ne subiront de préjudices d’aucune façon qui ne peuvent être indemnisés en dépens si le juge de l’audience décide au bout du compte que cette preuve ne doit pas être admise.    

 

[28]           Finalement, il faut encore une fois insister sur le fait que ces types de requêtes constituent l’exception, et non la règle. Les parties prennent beaucoup de temps en cour en se disputant sur des questions de procédure qui sont souvent mieux traitées soit par le juge de l’audience ou lorsqu’un dossier plus complet est disponible. Les procédures en vertu du Règlement doivent être isolées davantage des subtilités sur le plan de la procédure en raison de la nature contre-intuitive des procédures faites en vertu du Règlement. Le fait de réaliser une analyse, pour appliquer la description de l’interrogatoire préalable avancée par le juge Hughes [voir AstraZeneca et coll. c. Apotex Inc., 2008 CF1301, au paragraphe 19], de chaque terme et référence d’un affidavit dans le but de décider s’ils se rapportent aux questions soulevées dans l’AA ne contribue pas à la rapidité de la progression des procédures en vertu du Règlement.  

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

ORDONNANCE

 

LA COUR STATUE que :

1.                   La présente requête est rejetée, toutefois sans atteinte au droit des demanderesses de soulever, au moment de l’audience de la demande, le fait que les références contestées de l’affidavit du Dr Lenz sont inadmissibles.

2.                  Si les parties ne sont pas en mesure de s’entendre sur la question des dépens, ratiopharm Inc. est autorisée à présenter des observations écrites, limitées à trois pages, à la Cour dans les 15 jours suivants la date de la présente ordonnance, et les demanderesses peuvent répondre dans les 10 jours, aussi dans une limite de trois pages. 

« Kevin R. Aalto »

Protonotaire


COUR FÉDÉRALE

 

NOM DE L’AVOCAT ET DES AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER :                                                    T-818-08

 

INTITULÉ :                                                   PROCTER & GAMBLE PHARMACEUTICALS CANADA INC. et THE PROCTER & GAMBLE COMPANY c. LE MINISTRE DE LA SANTÉ et RATIOPHARM INC.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 15 décembre 2008

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                   AALTO P.

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 2 février 2009

 

COMPARUTIONS :

 

Alisse Houweling                                                          POUR LE DEMANDEUR

 

          POUR LES DEMANDERESSES

Marguerite Ethier

Elizabeth S. Dipchand

 

          POUR LA DÉFENDERESSE (ratiopharm inc.)                                                            

         

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

TORYS LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

 

POUR LES DEMANDERESSES

 

Me John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

LENCZNER SLAGHT ROYCE SMITH GRIFFIN

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR (ministre de la Santé)

 

POUR LA DÉFENDERESSE (ratiopharm inc.)

 

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