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Date : 20090203

Dossier : IMM-2470-08

Référence : 2009 CF 95

Montréal (Québec), le 3 février 2009

En présence de l’honorable Maurice E. Lagacé

 

ENTRE :

KLARA LUGOSSY

 

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défenderesse

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en vertu de l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), d’une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) datée du 16 avril 2008, par laquelle celle‑ci a jugé que la demanderesse n’était pas une « réfugiée au sens de la Convention » ou une « personne à protéger » car son renvoi en Hongrie ne l’exposerait pas personnellement à une menace à sa vie ou à des peines ou traitements cruels ou inusités ou à la torture.

I.          Les faits

[2]               La demanderesse est une citoyenne de la Hongrie qui prétend avoir été harcelée, menacée verbalement et physiquement et continuellement agressée sexuellement par son époux jusqu’à ce qu’elle décide de sortir les objets personnels de son époux de l’appartement et de changer les serrures de la porte.

 

[3]               Pendant plusieurs semaines après cet événement, l’époux de la demanderesse a continué de la menacer et comme elle a fini par craindre pour sa sécurité elle est partie pour le Canada où elle a demandé l’asile au motif qu’elle était victime de violence conjugale.

 

[4]               La Commission a accepté que la demanderesse vivait une relation marquée par la violence avec son époux et qu’elle était soignée par un médecin pour sa dépression. Toutefois, la Commission a conclu que l’État offrait une protection adéquate en Hongrie. Elle a souligné que la Hongrie est une démocratie fonctionnelle qui a ratifié la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes adoptée par les Nations Unies.

 

[5]               La Commission a également souligné que la demanderesse n’avait pas tenté d’obtenir la protection de l’État et qu’elle n’avait pas réfuté la présomption de la protection de l’État.

 

[6]               La Commission a tenu compte, pour conclure comme elle l’a fait, que la demanderesse n’avait pas dénoncé le harcèlement commis et les menaces proférées par son ex-époux à son endroit parce que celui‑ci avait des amis dans la police. La Commission a cependant tenu compte de la preuve documentaire qui mentionnait que l’État faisait de sérieux efforts pour combattre l’abus et la corruption, notamment au sein des forces policières.

 

II.         La question en litige

La Commission a‑t‑elle mal apprécié la preuve, ce qui l’a amenée à tirer une conclusion déraisonnable quant à l’existence de la protection de l’État?

 

III.       L’analyse

[7]               La norme de contrôle qu’il convient d’appliquer est celle de la décision raisonnable. La question en litige relève de l’expertise de la Commission et, par conséquent, il faut faire preuve de retenue à l’égard de la décision de la Commission (Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9; Zamora Huerta c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 586).

 

[8]               La protection de l’État est la question déterminante en l’espèce. La demanderesse prétend qu’elle ne bénéficiait pas d’une protection adéquate de l’État en Hongrie. Toutefois, elle « supporte la charge de présentation de produire des éléments de preuve en ce sens et la charge ultime de convaincre le juge des faits que cette prétention est fondée » (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Flores Carrillo, 2008 CAF 94).

 

[9]               La demanderesse se heurte à la présomption relative à la protection de l’État dans son pays d’origine, c’est‑à‑dire que l’État hongrois doit « être présumé être capable de protéger ses citoyens », notamment la demanderesse. La demanderesse peut toutefois réfuter cette présomption par une preuve « claire et convaincante » de l’incapacité de l’État à la protéger (Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689). De plus, la demanderesse devait demander la protection des autorités de son pays d’origine sauf s’il était objectivement déraisonnable pour elle de le faire.

 

[10]           La Commission a appris, par la preuve documentaire, que l’État hongrois prévoit plusieurs voies de recours pour les femmes qui sont victimes de violence conjugale, comme, par exemple, une ligne téléphonique d’urgence 24 heures et des refuges pour femmes victimes de mauvais traitements. Il existe également un système d’ordonnance d’interdiction de communiquer visant à protéger les personnes contre les conjoints violents et il existe des peines de prison pour viol. La preuve au dossier indique que la demanderesse n’a fait aucun effort pour explorer ces voies ou pour demander la protection de l’État avant de quitter pour le Canada et d’y demander l’asile.

 

[11]           La demanderesse ne s’est jamais adressée aux autorités afin de dénoncer le présumé viol ou les présumés agressions physiques dont elle aurait été victime, même si elle a amplement eu le temps de le faire avant de décider de demander l’asile au Canada. La conséquence de son inaction est que nous ne savons pas si la protection qui lui était offerte dans son pays d’origine était inadéquate compte tenu de sa situation et compte tenu des prétendus liens de son ex‑époux avec des policiers.

 

[12]           La demanderesse invoque l’arrêt Ward, susmentionné, pour affirmer que le demandeur d’asile n’a pas à mettre sa vie en danger « en sollicitant la protection inefficace d’un État, simplement pour démontrer cette inefficacité ». Toutefois, l’arrêt Ward, susmentionné, mentionne également que le demandeur ne peut pas obtenir l’asile s’il n’a pas tenté adéquatement d’obtenir la protection que lui offrait son pays d’origine. En ce qui concerne l’arrêt Ward, il est maintenant reconnu en droit que la Cour suprême du Canada, dans cette décision « n’avait pas pour but de permettre au demandeur d’asile de se soustraire facilement à l’exigence de demander la protection de son pays d’origine avant de demander l’asile à l’étranger » (Hinzman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 171, aux paragraphes 50, 51, 52 et 56. Le raisonnement de la Commission reflète cette jurisprudence.

 

[13]           Il est vrai que la preuve démontre qu’il y a de nombreux problèmes en Hongrie avec les cas de victimes de violence conjugale. La Commission n’a toutefois pas fait fi de ces problèmes contrairement à ce que prétend la demanderesse; la Commission a renvoyé à de la preuve documentaire qui mentionnait que la protection de l’État n’était peut‑être pas parfaite dans le pays d’origine de la demanderesse; la protection de l’État n’a toutefois pas à être parfaite.

 

[14]           La demanderesse prétend que la Commission a mal interprété la preuve en ce qui concerne le fait que l’ex‑époux a continué à exercer de la violence contre la demanderesse. Toutefois, les motifs de la Commission indiquent clairement que la demanderesse a compris que l’ex‑époux ne dormait plus dans la maison de la demanderesse après le 9 juin 2006 et que la violence s’est poursuivie jusqu’au 1er août 2007 et que, en conséquence, « elle a sorti les objets personnels de son époux de l’appartement et a changé les serrures de la porte ».

 

[15]           De toute façon, en ce qui concerne le passage cité par la demanderesse à l’appui de sa prétention selon laquelle la Commission a mal interprété la preuve, que la Commission ait oui ou non mal interprété la preuve relative à la violence continue dont la demanderesse a été victime ne change rien au fond de la conclusion défavorable tirée par la Commission en ce qui concerne la prétention de la demanderesse selon laquelle elle n’a pas pu s’adresser aux autorités au cours de la période pendant laquelle son ex‑époux exerçait de la violence sur elle. La Cour conclut que la conclusion de la Commission sur cette question était raisonnable et qu’elle touche à l’essence de la décision de la Commission quant à l’omission de la part de la demanderesse de tenter d’obtenir la protection de l’État.

 

[16]           Contrairement à la prétention de la demanderesse, la Commission n’avait pas à renvoyer à chaque élément de preuve qu’elle a invoqué ni à formuler des observations quant à ceux‑ci (Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] A.C.F. no 1425 (1re inst.) (QL)). Jusqu’à preuve contraire, la Commission est présumée avoir examiné l’ensemble de la preuve et elle n’est pas tenue de renvoyer à l’ensemble des éléments de preuve (Florea c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 598 (C.A.F.) (QL)). En l’espèce, il ressort des motifs de la Commission qu’elle a tenu compte des éléments de preuve essentiels étayant la thèse de la demanderesse.

 

[17]           Après examen, il semble que la Commission a bel et bien examiné les renseignements disponibles concernant la Hongrie avant de tirer une conclusion claire et raisonnable en se fondant sur la preuve qui lui a été soumise, même s’il ne s’agissait peut‑être pas de la seule conclusion raisonnable possible.

 

[18]           Pour tous ces motifs, la Cour n’a d’autre choix que de conclure que la décision contestée entre dans l’éventail des issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit et statue que la demanderesse, pour sa part, n’a pas démontré que la décision de la Commission était déraisonnable.

 

[19]           La Cour est d’accord avec les parties pour affirmer qu’il n’y a aucune question grave de portée générale à certifier.


JUGEMENT

 

POUR LES MOTIFS QUI PRÉCÈDENT, LA COUR rejette la demande.

 

« Maurice E. Lagacé »

Juge suppléant

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2470-08

 

 

INTITULÉ :                                       KLARA LUGOSSY c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 4 décembre 2008

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT              

ET JUGEMENT :                              LE JUGE SUPPLÉANT LAGACÉ

 

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       Le 3 février 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Jack C. Martin

 

POUR LA DEMANDERESSE

Suran Bhattacharyya

 

POUR LE DEMANDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Jack C. Martin

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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