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Date : 20090127

Dossier : IMM-3678-08

Référence : 2009 CF 81

Ottawa (Ontario), le 27 janvier 2009

En présence de monsieur le juge Kelen

 

 

ENTRE :

HECTOR PENA GONZALEZ, ELIDA ALICIA NUNEZ SOTO,

DAIANA GISSEL PENA NUNEZ

demandeurs

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision rendue par une agente d’évaluation des risques avant renvoi (l’agente d’ERAR) le 24 juin 2008, par laquelle celle‑ci a rejeté la demande de dispense de l’exigence que les personnes qui demandent à être admises au Canada pour des considérations humanitaires (CH) présentent leur demande avant d’entrer au Canada.

 

 

 

LES FAITS

[2]               Le demandeur principal, la demanderesse et leur fille sont des citoyens de l’Uruguay. Ils sont arrivés au Canada le 25 juin 2002 et ils ont présenté une demande d’asile. En mars 2005, la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la SPR) a rejeté leurs demandes. La demande d’autorisation et de contrôle judiciaire présentée par les demandeurs à l’encontre de la décision défavorable rendue par la Commission a été rejetée par la Cour fédérale en juillet 2005. La demande d’ERAR présentée par les demandeurs a été rejetée le 20 juin 2008 et leur demande CH a été rejetée le 24 juin 2008. Les demandeurs sollicitent maintenant le contrôle judiciaire de la décision de rejet de leur demande CH.

 

La décision faisant l’objet du présent contrôle

[3]               L’agente d’ERAR qui a examiné la demande CH des demandeurs avait déjà examiné et rejeté la demande d’ERAR présentées par ceux‑ci. L’agente d’ERAR a examiné les facteurs suivants :

a.       des difficultés ou des sanctions lors du retour des demandeurs en Uruguay;

b.      les relations conjugales, familiales ou personnelles qui entraîneraient des difficultés pour les demandeurs si elles étaient brisées;

c.       le degré d’établissement des demandeurs au Canada;

d.      l’intérêt supérieur de l’enfant;

e.       l’établissement, les liens ou la résidence dans n’importe quel autre pays;

f.        la faisabilité d’un retour dans le pays de la nationalité des demandeurs.

 

[4]               L’agente d’ERAR a souligné à la page 3 de sa décision que le tribunal de la SPR a rejeté les demandes d’asile des demandeurs au motif que ceux‑ci pouvaient se prévaloir de la protection de l’État en Uruguay et elle a examiné la preuve relative cette protection. Elle a conclu ce qui suit à la page 9 de sa décision :

[traduction]

 

Malgré certaines lacunes notoires, l’État offre une protection adéquate en Uruguay et les demandeurs peuvent s’en prévaloir. De plus, les demandeurs n’auraient aucune difficulté à se prévaloir de la protection de l’État si cela s’avérait nécessaire. Selon moi, les difficultés liées au risque ne constituent pas des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives.

 

 

[5]               Quant à la question des liens personnels ou familiaux qui entraîneraient des difficultés pour les demandeurs s’ils étaient brisés, l’agente d’ERAR a conclu que même si les demandeurs avaient établi des liens importants dans leur collectivité locale au Canada, le bris de ces liens n’entraînerait pas des difficultés excessives pour eux. 

 

[6]                L’agente d’ERAR a conclu que les demandeurs adultes avaient établi un [traduction] « degré d’établissement » au Canada en soulignant les lettres d’appui de la part de leurs employeurs ainsi que leur travail bénévole et leurs études de l’anglais, mais elle a conclu ce qui suit à la page 5 de sa décision :

[traduction]

 

Même si les aspects positifs de l’établissement des demandeurs au Canada ont été soulignés, je ne dispose pas d’une preuve suffisante pour conclure que les demandeurs sont à ce point intégrés dans la société canadienne que leur départ occasionnerait des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives ou non prévues dans la Loi.

 

[7]               L’agente d’ERAR a ensuite pris en compte l’intérêt supérieur de la demanderesse mineure, qui, à l’époque où la demande CH a été déposée, terminait sa dernière année du cours secondaire et avait été admise aux programmes de gestion hôtelière du George Brown College, du Humber College et du Seneca College à Toronto. L’agente d’ERAR a déclaré ce qui suit à la page 6 de sa décision :

[traduction]

 

Malgré le fait que la demanderesse mineure demeure au Canada depuis de nombreuses années, qu’elle a appris l’anglais et qu’elle s’est adaptée à la culture nord‑américaine, il est raisonnable de s’attendre à ce qu’elle ait été exposée à la langue espagnole et à la culture uruguayenne par ses parents. La demanderesse mineure a démontré qu’elle était capable de s’adapter à de nouveaux environnements. Il convient de souligner que la demanderesse mineure a passé des années importantes de son développement au Canada; toutefois, compte tenu de son âge et de ses expériences au Canada en matière d’emploi et d’études, il est raisonnable de s’entendre à ce qu’elle ait peu de difficulté à s’adapter en Uruguay. De plus, il y a le réseau de la famille étendue, notamment les grands‑parents, les tantes et les oncles qui peuvent contribuer à faciliter l’adaptation de la demanderesse mineure à la société uruguayenne.

 

[8]               En ce qui concerne l’établissement, les liens ou la résidence dans un autre pays, l’agente d’ERAR a conclu que les demandeurs avaient résidé en Uruguay avant de venir au Canada; ils ont également résidé en Espagne pendant un certain temps avec leur fils, qui vit actuellement là‑bas; les demandeurs adultes avaient un emploi et ont fait leurs études en Uruguay; ils possèdent une famille immédiate, notamment des parents, des frères et des sœurs, qui vivent en Uruguay. Enfin, l’agente d’ERAR a conclu que rien ne prouvait que le retour en Uruguay ne constituait pas une solution viable pour les demandeurs. L’agente d’ERAR a déclaré ce qui suit à la page 11 de sa décision :

[traduction]

 

Le fait que le Canada soit un endroit plus agréable pour vivre que le pays de renvoi n’est pas un facteur déterminant quant à l’issue d’une évaluation CH.

 

[9]               L’agente d’ERAR a donc conclu que les demandeurs n’avaient pas établi que leur situation personnelle faisait en sorte que les difficultés occasionnées par le fait de ne pas se voir accorder la dispense seraient « inhabituelles, injustifiées ou excessives ».

 

LA QUESTION EN LITIGE

[10]           Le demandeur prétend que l’agente d’ERAR a commis une erreur en rejetant leur demande parce qu’elle n’a pas convenablement examiné les éléments suivants :

a.       l’intérêt supérieur de l’enfant;

b.      leur degré d’établissement au Canada;

c.       les difficultés qu’ils éprouveraient à leur retour.

 

 

LA NORME DE CONTRÔLE

[11]           Dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, 372 N.R. 1, la Cour suprême du Canada a conclu, au paragraphe 62, que la première étape du processus de contrôle judiciaire consiste à « vérifie[r] si la jurisprudence établit déjà de manière satisfaisante le degré de déférence correspondant à une catégorie de questions en particulier ».

 

[12]           Dans l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, la Cour suprême du Canada a établi que la norme de la décision raisonnable est la norme applicable au contrôle des décisions rendues à l’égard des demandes CH. La Cour suprême a déclaré ce qui suit au paragraphe 62 :

¶ 62     […] Je conclus qu’on devrait faire preuve d’une retenue considérable envers les décisions d’agents d’immigration exerçant les pouvoirs conférés par la loi, compte tenu de la nature factuelle de l’analyse, de son rôle d’exception au sein du régime législatif, du fait que le décideur est le ministre, et de la large discrétion accordée par le libellé de la loi. Toutefois, l’absence de clause privative, la possibilité expressément prévue d’un contrôle judiciaire par la Cour fédérale, Section de première instance, et la Cour d’appel fédérale dans certaines circonstances, ainsi que la nature individuelle plutôt que polycentrique de la décision, tendent aussi à indiquer que la norme applicable ne devrait pas en être une d’aussi grande retenue que celle du caractère « manifestement déraisonnable ». Je conclus, après avoir évalué tous ces facteurs, que la norme de contrôle appropriée est celle de la décision raisonnable simpliciter.

[Non souligné dans l’original.]

 

[13]           En examinant la décision de la Commission en fonction de la norme de la décision raisonnable, la Cour examinera « la justification de la décision, […] la transparence et […] l'intelligibilité du processus décisionnel » ainsi que « l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, au paragraphe 47).

 

L’ANALYSE

 

La question en litige no 1 : L’agente a‑t‑elle omis de prendre en compte comme elle le devait l’intérêt supérieur de l’enfant?

 

[14]           Les demandeurs prétendent que l’agente d’ERAR n’a pas tenu compte des nombreuses observations formulées à l’égard de la situation économique et du statut et du traitement réservés aux femmes en Uruguay et prétendent que ces deux questions ont un effet préjudiciable sur l’intérêt supérieur de la demanderesse mineure. Ils affirment que la conclusion de l’agente d’ERAR selon laquelle il y avait des preuves suffisantes que des possibilités semblables à celles qui étaient offertes à la demanderesse mineure au Canada lui seraient offertes en Uruguay est par conséquent déraisonnable.

 

[15]           L’agente d’ERAR a souligné à la page 11 de sa décision que les demandeurs adultes ont fait leurs études et occupaient un emploi en Uruguay :

 

[traduction]

 

Le demandeur principal possède huit années de scolarité. En Uruguay, le demandeur principal a travaillé comme tailleur chez Textile Sadil et il a travaillé à son propre compte comme peintre. La demanderesse possède six années de scolarité et elle a travaillé comme opératrice de machine en Uruguay. Il semble que les demandeurs étaient établis lorsqu’ils demeuraient en Uruguay. Ils ont une proche famille en Uruguay, notamment des parents, des frères et des soeurs.

 

 

 

[16]           Par conséquent, l’agente d’ERAR a conclu que les demandeurs ne seraient pas confrontés à des difficultés importantes à leur retour. Malgré la preuve généralisée concernant la mauvaise situation économique qui prévaut en Uruguay, notamment le taux de chômage de 30 p. 100, les demandeurs n’ont fourni aucune preuve établissant qu’ils auraient particulièrement de la difficulté à trouver de l’emploi ou à s’établir de nouveau en Uruguay en raison de leur situation. Selon la preuve soumise à l’agente d’ERAR, ils n’ont eu aucune difficulté particulière à trouver et à conserver un emploi pendant qu’ils demeuraient en Uruguay et ils y avaient de la famille. Il était raisonnable que l’agente conclut qu’il n’y avait pas suffisamment de preuve pour établir que les demandeurs auraient particulièrement de la difficulté à trouver de l’emploi et à s’établir de nouveau en Uruguay.

 

[17]           Même si les demandeurs ont inclus dans leurs observations des renseignements sur le statut et le traitement réservés aux femmes en Uruguay, notamment sur la violence conjugale en Uruguay, ils n’ont formulé aucune observation concernant les difficultés auxquelles la demanderesse mineure serait confrontée à titre de femme en Uruguay. Le fait que les conditions sociales et économiques sont meilleures au Canada ne suffit pas à établir qu’il est justifié de faire une exception pour des conditions humanitaires. L’agente d’ERAR a déclaré ce qui suit à la page 10 de sa décision :

[traduction]

 

Même si la demanderesse mineure qui réside au Canada jouit peut‑être de meilleures possibilités sur le plan social et sur le plan économique qu’en Uruguay, la preuve dont je suis saisie ne suffit pas à me démontrer que ses besoins fondamentaux ne seraient pas comblés dans son pays d’origine.

 

 

[18]           Il était raisonnable que l’agente d’ERAR tire cette conclusion compte tenu de la preuve qui lui a été soumise.

 

[19]           Les observations formulées par les demandeurs relativement à l’intérêt supérieur de l’enfant ont essentiellement porté sur le fait que la demanderesse mineure a été admise dans de nombreux collèges communautaires et sur les excellents résultats scolaires qu’elle a obtenus à l’école secondaire. L’agente d’ERAR a pris note de ces résultats et elle a déclaré ce qui suit à la page 10 de sa décision :

[traduction]

 

Le degré d’établissement de la demanderesse mineure, ses relations avec ses amis et ses contributions positives ont été prises en note. Les demandeurs n’ont pas fourni assez de documents démontrant que la demanderesse ne jouirait pas des mêmes possibilités en Uruguay.

 

[20]           L’agente d’ERAR a ensuite fait mention du Country Report on Human Rights Practices for Uruguay de l’année 2006 publié par le Département d'État des États-Unis, dans lequel il est mentionné ce qui suit :

[traduction]

 

Le gouvernement s’est engagé à protéger les droits et le bien‑être des enfants et il a fait de l’éducation et de la santé des enfants sa principale priorité. Le National Institute for Adolescents and Children (INAU) supervise la mise en œuvre des programmes destinés aux enfants du gouvernement. Le gouvernement a institué la maternelle, l’école primaire et l’école secondaire obligatoires gratuites et 95 p. 100 des enfants terminent l’école primaire. Les filles et les garçons sont traités sur un pied d’égalité. L’instruction gratuite est offerte jusqu’au premier cycle des études à l’université nationale.

 

[21]           Le défendeur souligne que la demanderesse mineure a terminé ses études secondaires au Canada et qu’elle se dirige maintenant vers la prochaine étape de ses études. La preuve invoquée par l’agente d’ERAR mentionne que les études de ce niveau existent dans le pays d’origine des demandeurs. Les demandeurs n’ont soumis aucune preuve que la demanderesse mineure ne pourrait pas faire des études de ce niveau en Uruguay. La conclusion de l’agente d’ERAR selon laquelle la demanderesse mineure jouirait, en Uruguay, de possibilités semblables à celles dont elle jouit au Canada est, par conséquent, une conclusion tout à fait raisonnable.

 

[22]           Le demandeur affirme que le récent jugement rendu par le juge Zinn dans Ranji c. MCI, 2008 CF 521, 167 A.C.W.S. (3d) 163, affaire dans laquelle les demandeurs avaient besoin qu’on leur accorde la résidence permanente pour des considérations humanitaires afin de faciliter les études des enfants, est applicable en l’espèce. Dans cette affaire, les demandeurs ont fourni la preuve que, s’ils étaient renvoyés en Inde, ils devraient, à titre d’agriculteurs, retourner dans une région rurale où l’accès aux établissements d’enseignement serait très limité. Dans Ranji, les enfants n’étaient même pas au Canada. Ils étaient en Inde dans une école privée. Si les demandeurs étaient renvoyés en Inde, le demandeur adulte perdait son revenu canadien qui lui permettait d’envoyer ses enfants à l’école privée. Ironiquement, le prétendu « intérêt supérieur » des enfants se trouvait en Inde en permettant au demandeur adulte de demeurer au Canada pour des considérations humanitaires. J’aurais cru que cet « intérêt supérieur » des enfants était trop indirect pour que l’on permette au père de demeurer au Canada pour des considérations humanitaires.

 

[23]           S’il y a une preuve semblable en l’espèce, il incombait aux demandeurs de la fournir. Rien ne prouve qu’une situation quelconque empêcherait la demanderesse mineure d’étudier gratuitement au premier cycle à l’université nationale de l’Uruguay ou d’étudier dans une autre institution d’études post‑secondaires.

 

[24]           Enfin, les demandeurs prétendent que la demanderesse mineure serait exposée à des « difficultés très importantes » si elle réintégrait le système uruguayen car elle a étudié en anglais au Canada pendant six ans et qu’il lui serait très difficile de s’adapter à la vie sociale en Uruguay. Ils affirment que la conclusion de l’agente d’ERAR selon laquelle la demanderesse mineure s’était bien adaptée à son déménagement au Canada et que, par conséquent, elle serait capable de s’adapter à son retour en Uruguay est déraisonnable. Toutefois, l’agente d’ERAR a fondé sa conclusion non seulement sur l’expérience de déménagement antérieur dans un autre pays vécue par la demanderesse mineure mais également sur sa familiarité avec la langue et la culture en Uruguay. L’agente d’ERAR a également déclaré ce qui suit :

[traduction]

 

Malgré le fait que la demanderesse mineure a vécu pendant plusieurs années au Canada, qu’elle a appris l’anglais et qu’elle s’est adaptée à la culture nord‑américaine, il est raisonnable de s’attendre à ce qu’elle ait été exposée à la langue espagnole et à la culture uruguayenne par ses parents. La demanderesse mineure a démontré qu’elle était capable de s’adapter à de nouveaux environnements. Il convient de signaler que la demanderesse mineure a passé un certain nombre d’années importantes de son développement au Canada; toutefois, compte tenu de son âge et de ses expériences au Canada en matière d’emploi et d’études, il est raisonnable de s’attendre à ce qu’elle ait peu de difficulté à s’adapter en Uruguay.

 

[25]           La demanderesse mineure a de la famille immédiate en Uruguay; elle y est demeurée jusqu’à l’âge de douze ans et elle parle la langue du pays. Il était raisonnable que l’agente d’ERAR conclut qu’elle pourrait s’adapter à la vie en Uruguay sans difficultés excessives et que son adaptation réussie à la vie au Canada démontrait qu’elle n’aurait aucun problème particulier qui lui occasionnerait des difficultés plus importantes que celles qui sont normalement occasionnées par un déménagement.

 

 

La question en litige no 2 : L’agente d’ERAR a‑t‑elle omis d’examiner comme elle le devait le degré d’établissement des demandeurs au Canada?

 

[26]           Les demandeurs prétendent que l’agente d’ERAR a commis une erreur en n’examinant pas leur situation personnelle lorsqu’elle a évalué leur degré d’établissement. L’agente d’ERAR a déclaré ce qui suit à la page 9 de sa décision :

[traduction]

 

Les demandeurs ont présenté des éléments de preuve faisant état d’un degré d’établissement au Canada depuis juin 2002. Pendant qu’ils étaient au Canada, les demandeurs ont bénéficié de l’application régulière du programme de la protection des réfugiés et, par conséquent, un certain degré d’établissement est censé se produire. Les demandeurs ont un bon dossier en tant que citoyens au Canada […]

 

 

[27]           Les demandeurs prétendent que la conclusion selon laquelle ils avaient atteint un « certain degré d’établissement » est déraisonnable et que, compte tenu de leur situation particulière, ils avaient atteint un degré très élevé d’établissement. Les demandeurs ont soumis des lettres d’appui de la part de leurs employeurs ainsi qu’un avis concernant l’impact sur le marché du travail mentionnant que l’emploi de peintre du demandeur était en très forte demande. Ils ont suivi des cours afin d’actualiser leurs qualifications et ils disposent d’un réseau social. Ils prétendent que l’agente d’ERAR a omis de tenir compte des « circonstances particulières » de leur demande en concluant que leur degré d’établissement n’était pas à ce point élevé qu’il rendrait leur retour en Uruguay excessivement difficile.

 

[28]           En toute déférence, les demandeurs n’ont pas établi que l’agente d’ERAR a omis de tenir compte d’éléments de preuve relatifs à leur degré d’établissement. L’agente d’ERAR a reconnu tous les faits susmentionnés, mais elle a également souligné que les demandeurs avaient de la famille immédiate en Uruguay et demeuraient et travaillaient en Uruguay il y a six ans. L’agente d’ERAR a conclu que les demandeurs étaient demeurés volontairement au Canada après que leur demande d’asile a été refusée en 2005 et qu’ils ont choisi de présenter leurs demandes d’ERAR et leurs demandes CH après cette date. Il était loisible à l’agente d’ERAR de conclure que les demandeurs n’avaient pas démontré que leur établissement et leur intégration dans la société canadienne étaient tels que le fait qu’ils doivent demander, à l’étranger, le statut de résident permanent constituerait une difficulté inhabituelle ou injustifiée.

 

[29]           Même si des personnes peuvent être autorisées à demeurer au Canada en attendant que leur demande d’asile, leur demande d’ERAR, leur demande CH et leur appel en instance devant la Cour fédérale soient tranchés, le temps écoulé (de 2002 à 2008 en l’espèce) ne sont pas des éléments qui les justifient de demeurer au Canada à titre de résidents permanents. L’immigration « détournée » serait ainsi encouragée. En accueillant les demandes CH, les agents d’immigration et les cours de justice doivent tenir compte de la politique publique qui consiste à respecter les lois en matière d’immigration et ils doivent apprécier cette politique.

 

 

 

La question en litige no 3 : L’agente d’ERAR a‑t‑elle omis de tenir compte comme elle se devait des difficultés auxquelles seraient confrontés les demandeurs à leur retour, et ce, en fonction des critères d’évaluation opportuns en matière de demande CH?

 

[30]           Les demandeurs prétendent que l’agente d’ERAR a commis une erreur en appliquant les mêmes critères et le même raisonnement qu’elle a appliqués en évaluant la demande d’ERAR des demandeurs lorsqu’elle a examiné le volet des difficultés plutôt que d’appliquer les critères opportuns en matière de demande CH. L’agente d’ERAR a déclaré ce qui suit à la page 7 de sa décision :

[traduction]

 

Dans la présente décision, j’ai examiné les demandes CH et les demandes d’ERAR des demandeurs ainsi que les observations formulées au regard des risques mentionnés. Toutefois, je reconnais que le critère opportun en matière de demande CH est le critère des difficultés et non pas l’article 96 ou 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la LIPR). La présente demande CH a été appréciée en fonction des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives.

 

 

[31]           Par conséquent, l’agente d’ERAR connaissait parfaitement la distinction entre les demandes d’ERAR et les demandes CH ainsi que la norme applicable en matière d’évaluation des risques dans le cadre d’une demande CH. Les demandeurs prétendent que l’agente d’ERAR n’a pas tenu compte de leurs préoccupations en effectuant une [traduction] « analyse apparentée à une analyse en matière d’asile » et que la décision comprenait des [traduction] « extraits de compte rendu textuel de la décision d’ERAR [de l’agente d’ERAR] » (Dossier du demandeur, à la page 460). Les demandeurs invoquent la décision rendue par le juge de Montigny dans Ramirez dans laquelle il est mentionné ce qui suit :

 

Il se peut que la violence, le harcèlement et les mauvaises conditions sanitaires ne constituent pas un risque personnalisé pour l'application de la LIPR, mais ces facteurs peuvent bien être suffisants pour établir des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives.

 

[32]           Toutefois, en l’espèce, les demandeurs n’ont présenté aucun élément de preuve attestant qu’ils seraient confrontés à des difficultés économiques et sociales lors de leur retour en Uruguay. L’agente d’ERAR n’a pas conclu que les mauvaises conditions économiques et sociales ne suffisaient pas à établir le degré de difficulté exigé pour une demande CH. Toutefois, les demandeurs travaillaient en Uruguay avant leur arrivée au Canada et ils n’ont soumis aucun élément de preuve attestant qu’ils vivraient dans une région où ils seraient confrontés à une mauvaise situation économique ou sociale. La preuve ne démontre pas que de telles conditions prévalent dans la plus grande partie du pays. Il était raisonnable que l’agente d’ERAR conclut que la meilleure situation économique et sociale qui prévaut au Canada ne constituait pas le fondement d’une demande CH et il lui était raisonnablement loisible de conclure que les demandeurs ne seraient pas confrontés à des difficultés inhabituelles ou excessives s’ils retournaient en Uruguay.

 

CONCLUSION

[33]           La preuve relative à la situation économique et sociale en Uruguay n’a pas été présentée comme étant propre à l’avenir probable des demandeurs s’ils retournaient en Uruguay. Cette situation a été présentée comme étant la situation économique et sociale générale. Même si cette situation est répandue, elle ne s’applique pas à tout le monde et la preuve n’a pas démontré qu’il existait un lien entre cette situation et celle que vivraient les demandeurs s’ils retournaient en Uruguay. Par conséquent, la Cour ne conclut pas que l’agente d’ERAR a omis de tenir compte d’éléments de preuve importants relatifs aux demandeurs comme le juge Zinn l’a conclu dans Ranji, précité. Pour ces motifs, la Cour doit rejeter la demande de contrôle judiciaire.

 

[34]           Aucune des parties n’a formulé de question à certifier. La Cour souscrit à l’affirmation que la présente demande de contrôle judiciaire ne soulève aucune question sérieuse qui devrait être certifiée en appel.


 

JUGEMENT

 

 

LA COUR ORDONNE :

La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

 

 

« Michael A. Kelen »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-3678-08

 

INTITULÉ :                                       HECTOR PENA GONZALEZ, ELIDA ALICIA NUNEZ SOTO, DAIANA GISSEL PENA NUNEZ c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 13 janvier 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE KELEN

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       Le 27 janvier 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Lorne Waldman

 

POUR LES DEMANDEURS

Laoura Christodoulides

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Lorne Waldman,

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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