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Date : 20090123

Dossier : T-919-08

Référence : 2009 CF 74

Ottawa (Ontario), le 23 janvier 2009

En présence de monsieur le juge Martineau

 

ENTRE :

NORTHVIEW APARTMENTS LTD.

demanderesse

et

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision prise par le ministre du Revenu national (le ministre), qui a rejeté la demande de la demanderesse d’être dispensée du paiement des intérêts et des pénalités, lesquels s’élevaient à 6 101,70 $ en date du 21 mars 2008 et découlaient d’une nouvelle cotisation à son égard établie pour ses déclarations de revenus des exercices allant de 1998 à 2002. Le rejet a été prononcé sur le fondement du paragraphe 220(3.1) de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985 (5e suppl.), ch. 1 (la Loi), l’une des dispositions communément appelées « disposition d’équité ». Suivant l’ordonnance de la Cour rendue le 4 juillet 2008, M. Irwin Fineberg, dentiste praticien et président de Northview Apartments Ltd., a été autorisé à représenter la demanderesse en l’espèce.

 

[2]               Le 29 novembre 2007, la première demande fondée sur les dispositions d’équité présentée par la demanderesse a été accueillie en partie : une exemption partielle a été accordée en ce qui concerne les pénalités pour avoir produit en retard des déclarations de revenus pour les exercices 1999 et 2000, ainsi que les intérêts sur les arriérés et sur les acomptes provisionnels pour la période du 10 novembre 1999 au le 31 décembre 2001. La demanderesse a invoqué le décès et la maladie de ses dirigeants survenus pendant la période en cause pour appuyer sa demande fondée sur les dispositions d’équité. Le 21 novembre 1997, la présidente à l’époque, Mme Polly Namerow, est décédée. Environ un an plus tard, Mme Charlotte Fineberg lui a succédé. Elle est décédée le 10 mars 2001 des suites d’une tumeur cérébrale. M. Irwin Fineberg a pris la relève le 7 janvier 2002. Entre-temps, M. Fineberg a subi une chirurgie et on lui a posé un stimulateur cardiaque. En outre, en tant que [traduction] « dentiste praticien qui ne s’est jamais intéressé de près aux questions financières de la société », M. Fineberg, en qualité de nouveau président, a affirmé trouver [traduction] « très difficile de retenir les services de comptables professionnels sur lesquels on peut se fier ». C’est ainsi que [traduction] « les maladies de Mme Charlotte Fineberg et du Dr Irwin Fineberg » ont constitué le fondement de l’exemption partielle fondée sur les dispositions d’équité. Néanmoins, le solde des intérêts et des pénalités est encore exigible. 

 

[3]               La décision contestée en l’espèce découle de la deuxième demande fondée sur les dispositions d’équité. À l’appui de cette demande au deuxième palier, la demanderesse a présenté plusieurs arguments qu’elle avait présentés dans sa première demande fondée sur les dispositions d’équité, mais elle a également plaidé un retard imputable à des tiers, étant donné que [traduction] « les comptables antérieurement en possession des dossiers financiers de la société étaient les seules personnes qui avaient la compétence nécessaire pour produire les déclarations de revenus ». En outre, elle a affirmé que les pénalités et les intérêts dus [traduction] « constituaient des difficultés supplémentaires tellement importantes qu’elles devraient être considérées excessives et inéquitables ». Il semble qu’aucune autre preuve n’ait été présentée en appui à la seconde demande. Dans une lettre du 8 mai 2008, le délégué du ministre, M. Gilles Lavergne, a par conséquent refusé d’accorder à la demanderesse une exemption supplémentaire des intérêts et des pénalités; il a affirmé que [traduction] « la société n’avait pas fait des efforts raisonnables dans la conduite de ses affaires et n’avait pas agi avec diligence pour remédier à tout retard ou à toute omission. Dans le cadre du régime d’autocotisation, il incombe à la société de produire sa déclaration de revenus au plus tard à la date d'échéance de production. » En l’espèce, la demanderesse conteste la décision de M. Lavergne.

 

[4]               Le paragraphe 220(3.1) de la Loi, communément appelé « disposition d’équité », se lit comme suit :

 

220. (3.1) Le ministre peut, au plus tard le jour qui suit de dix années civiles la fin de l’année d’imposition d’un contribuable ou de l’exercice d’une société de personnes ou sur demande du contribuable ou de la société de personnes faite au plus tard ce jour-là, renoncer à tout ou partie d’un montant de pénalité ou d’intérêts payable par ailleurs par le contribuable ou la société de personnes en application de la présente loi pour cette année d’imposition ou cet exercice, ou l’annuler en tout ou en partie. Malgré les paragraphes 152(4) à (5), le ministre établit les cotisations voulues concernant les intérêts et pénalités payables par le contribuable ou la société de personnes pour tenir compte de pareille annulation.

220.(3.1) The Minister may, on or before the day that is ten calendar years after the end of a taxation year of a taxpayer (or in the case of a partnership, a fiscal period of the partnership) or on application by the taxpayer or partnership on or before that day, waive or cancel all or any portion of any penalty or interest otherwise payable under this Act by the taxpayer or partnership in respect of that taxation year or fiscal period, and notwithstanding subsections 152(4) to (5), any assessment of the interest and penalties payable by the taxpayer or partnership shall be made that is necessary to take into account the cancellation of the penalty or interest.

 

[5]               En vertu du paragraphe 220(3.1) de la Loi, le ministre a le pouvoir discrétionnaire de renoncer à tout ou partie d’un montant de pénalité ou d’intérêts payable par ailleurs par le contribuable ou la société de personnes en application de la présente loi. Selon les Lignes directrices concernant l'annulation des intérêts et des pénalités, le ministre accordera l’exemption si le défaut de paiement qui a entraîné les pénalités ou les intérêts en question était dû à des circonstances extraordinaires indépendantes de la volonté du contribuable, à des actes de l’Agence du revenu du Canada (l’ARC), ou bien à une incapacité de payer ou à des difficultés financières. Le ministre peut également accorder une exemption même si la situation du contribuable ne se trouve pas parmi les situations susmentionnées (circulaire d’information nIC07‑1, Dispositions d’allègement pour les contribuables, le 31 mai 2007, paragraphes 23 et 24).

 

[6]               Enfin, d’autres facteurs peuvent entrer en jeu et possiblement limiter le montant de l’exemption accordée quant aux intérêts. Ainsi, l’ARC doit tenir compte des facteurs qui suivent pour déterminer si elle renonce aux pénalités et aux intérêts : a) le contribuable a respecté, par le passé, ses obligations fiscales; b) le contribuable a, en connaissance de cause, laissé subsister un solde en souffrance qui a engendré des intérêts sur arriérés; c) le contribuable a fait des efforts raisonnables et n’a pas été négligent dans la conduite de ses affaires dans le cadre du régime d’autocotisation; d) le contribuable a agi avec diligence pour remédier à tout retard ou à toute omission (circulaire d’information nIC07‑1, Dispositions d’allègement pour les contribuables, le 31 mai 2007, paragraphe 33).

 

[7]               Lorsque l’ARC prend la décision de ne pas accorder l’exemption demandée par le contribuable, la Loi donne à ce contribuable l’occasion de présenter une demande d’examen administratif au deuxième palier qui sera effectué par l’ARC. L’examen administratif au deuxième palier est effectué par le directeur du bureau des services fiscaux ou du centre fiscal en cause. Si la demande d’exemption du contribuable est rejetée lors de l’examen administratif au deuxième palier, le contribuable débouté peut présenter, auprès de la Cour fédérale, une demande de contrôle judiciaire de la décision de l’ARC concernant l’exemption (circulaire d’information nIC07‑1, Dispositions d’allègement pour les contribuables, le 31 mai 2007, paragraphes 103 à 108).

 

[8]               En ce qui concerne le dépôt de la demande, les lignes directrices énoncent que les contribuables doivent fournir tous les renseignements pertinents quant à leur demande, notamment tout document pouvant l’appuyer. Dans les cas où il est question de difficultés financières (incapacité à payer), un arrangement de paiement sensé qui couvre au moins la partie de l’impôt et la pénalité, s’il y a lieu, et une divulgation financière complète, comprenant un état des revenus et des dépenses, ainsi qu’un état des actifs et des passifs doivent être fournis (circulaire d’information nIC07‑1, Dispositions d’allègement pour les contribuables, le 31 mai 2007, alinéa 32g)). Enfin, en ce qui concerne les actes des tiers, les contribuables sont généralement considérés responsables des erreurs commises par des tiers qui agissent en leur nom pour leurs affaires fiscales. Cependant, il peut exister des situations exceptionnelles dans lesquelles il peut être approprié d’accorder une exemption au contribuable en raison d’erreurs ou de retards imputables à des tiers (circulaire d’information nIC07‑1, Dispositions d’allègement pour les contribuables, le 31 mai 2007, paragraphe 35).

 

[9]               La norme de contrôle applicable à une décision prise par le ministre dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire de renoncer, en tout ou en partie, aux pénalités et aux intérêts autrement exigibles du contribuable en vertu de la Loi, est maintenant la « raisonnabilité ». Dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, la raisonnabilité a été définie de la façon suivante :

[47]           La norme déférente du caractère raisonnable procède du principe à l’origine des deux normes antérieures de raisonnabilité : certaines questions soumises aux tribunaux administratifs n’appellent pas une seule solution précise, mais peuvent plutôt donner lieu à un certain nombre de conclusions raisonnables.  Il est loisible au tribunal administratif d’opter pour l’une ou l’autre des différentes solutions rationnelles acceptables.  La cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité.  Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 

 

 

[10]           Bien qu’il ne soit pas nécessaire que chaque élément du raisonnement de la décision contestée soit raisonnable, le juge saisi du contrôle doit tout de même être convaincu que le décideur administratif a pris, dans l’ensemble, une décision raisonnable à la suite d’un examen du dossier du contribuable lors duquel tous les éléments pertinents ont été examinés.

 

[11]           La demanderesse a présenté plusieurs arguments à l’appui de sa demande de contrôle judiciaire de la décision prise le 8 mai 2008. Premièrement, elle soutient que l’absence de motifs dans la décision prise le 29 novembre 2007 l’a empêchée de répondre, dans sa demande d’examen administratif présentée au deuxième palier, aux motifs précis qui ont poussé le ministre à rejeter l’exemption intégrale. Des motifs justifiant l’exemption partielle avaient été fournis à la demanderesse, comme le prévoient les lignes directrices (circulaire d’information nIC07‑1, Dispositions d’allègement pour les contribuables, le 31 mai 2007, paragraphe 11). Ainsi, en affirmant précisément que [traduction] « les maladies de Mme Charlotte Fineberg et du Dr Irwin Fineberg » constituaient le fondement de l’exemption partielle, le ministre a exercé son pouvoir discrétionnaire de façon appropriée, et a rejeté tous les autres arguments présentés par la demanderesse. Dans sa demande d’examen administratif présentée au deuxième palier, la demanderesse a donc davantage mis l’accent sur le retard imputable aux tiers comme argument justifiant l’exemption. Le ministre a de nouveau rejeté cet argument. La Cour a, de façon constante, refusé d’accepter que la faute d’un tiers constitue un fondement valide des demandes fondées sur les dispositions d’équité (Légaré c. L’Agence des douanes et du revenu du Canada), [2004] 5 C.T.C. 44, 2003 CF 1047, paragraphe 10; Tadross c. Canada (Ministre du Revenu national), [2005] 1 C.T.C. 201, 2004 CF 1698, paragraphes 10 et 11; Babin c. Canada (L’Agence des douanes et du revenu du Canada), [2005] 4 C.T.C. 1, 2005 CF 972, paragraphe 12). Le régime fiscal repose sur l’autocotisation et l’autodéclaration, dont sont responsables les contribuables envers l’ARC. Par conséquent, il était loisible au ministre de conclure que la demanderesse avait été négligente dans la conduite de ses affaires fiscale, parce qu’elle avait attendu un avis de son comptable pendant plus de huit ans avant d’enfin remédier à son omission de respecter ses obligations en matière de déclaration fiscale.

 

[12]           La demanderesse soutient également que le ministre a omis de tenir compte de l’ensemble de la preuve dont il disposait. Alors que la décision du 8 mai 2008 mentionne expressément que l’ensemble de la preuve documentaire fournie a été examinée, la demanderesse aurait dû présenter une preuve qu’il y avait des circonstances extraordinaires, en application des lignes directrices (circulaire d’information nIC07‑1, Dispositions d’allègement pour les contribuables, le 31 mai 2007, alinéa 32g)). Mais, aucun élément de preuve documentaire ne corrobore les difficultés financières alléguées par la demanderesse. En l’absence de preuve à ce sujet, le ministre n’avait aucune obligation d’examiner plus à fond l’incapacité de payer de la demanderesse. En outre, le rapport du 22 mai 2008 portant sur la demande fondée sur les dispositions d’équité, rapport joint en tant que pièce A à l’affidavit de M. Gilles Lavergne, donne des précisions supplémentaires quant à l’analyse d’ensemble de la demande présentée par la demanderesse. Je ne peux pas voir d’erreur susceptible de contrôle qui aurait pu mener à une autre décision en l’espèce.

 

[13]           Peu importe que M. Fineberg ait communiqué oralement avec son comptable à de multiples reprises ou non, il n’en demeure pas moins qu’il était satisfait de l’apparente négligence dont avait fait preuve le comptable au cours des huit années en question.

 

[14]           Si la version des faits de M. Fineberg est véridique, il a peut‑être un recours direct contre son comptable; cependant, cet aspect de la demande ne concerne pas l’ARC (Babin c. Canada (L’Agence des douanes et du revenu du Canada), [2005] 4 C.T.C. 1, 2005 CF 972, paragraphe 12). À ce sujet, la preuve dont a tenu compte le décideur révèle que le fisc avait déjà communiqué avec M. Fineberg en 2002 et en 2005 au sujet des déclarations de revenus manquantes. Les déclarations de revenus ont enfin été produites plus de deux ans après que l’ARC eut demandé à la demanderesse de se conformer à la Loi. Malgré ces demandes de l’ARC, M. Fineberg n’a apparemment pris aucune mesure pour changer de comptable.

 

[15]           En dernière analyse, la Cour conclut que la décision contestée est raisonnable dans les circonstances, et, en outre, elle rejette l’argument de la demanderesse selon lequel il y a eu manquement à la justice naturelle et à l’équité procédurale.

 

[16]           Pour ces motifs, la présente demande de contrôle judiciaire doit être rejetée. Dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, la Cour n’adjugera aucuns dépens vu le contexte factuel de l’espèce.

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que :

 

La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée, sans adjudication des dépens.

 

« Luc Martineau »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jean-François Martin, LL.B., M.A.Trad.jur.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    T-919-08

 

INTITULÉ :                                                   NORTHVIEW APARTMENTS LTD c.

                                                                        LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 20 janvier 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                        LE JUGE MARTINEAU

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 23 JANVIER 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Irwin Fineberg

(Autorisé à représenter la demanderesse, par la Cour fédérale dans une ordonnance rendue le 4 juillet 2008.)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Ian Demers

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Sans objet

 

POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

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