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Date : 20090130

Dossier : IMM-2982-08

Référence : 2009 CF 106

Ottawa (Ontario), le 30 janvier 2009

En présence de monsieur le juge Phelan

 

 

ENTRE :

RICARDA ROSARIO HERNANDEZ

CLAUDIA GABRIELA VELASCO HERNANDEZ

demanderesses

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          INTRODUCTION

[1]               Le présent contrôle judiciaire porte sur une décision dans laquelle il a été conclu que deux citoyennes du Mexique ne sont pas des réfugiées ni des personnes à protéger pour le motif qu’elles disposaient d’une possibilité de refuge intérieur (la PRI) à Mexico ou à Guadalajara, au Mexique.

 

II.         CONTEXTE

[2]               Les demanderesses Hernandez et Velasco Hernandez sont une mère et sa fille, et étaient résidentes de Xalapa, au Mexique. La mère est dans la cinquantaine et sa fille est dans la vingtaine. Elles exploitent un commerce de vente d’or et d’argent.

 

[3]               Les demanderesses fondent leur demande d’asile sur la crainte d’être persécutées par un homme appelé « Victor » qui avait enlevé la fille contre rançon et qui les menaçaient de le refaire. Elles disent également craindre d’être persécutées par l’ex-conjoint de la mère.

 

[4]               Lorsque sa fille a été enlevée en 2003, la mère l’a signalé à la police. Les ravisseurs, ayant appris que la mère avait communiqué avec la police, l’ont avertie de ne pas le refaire. Plus tard, contre versement d’une rançon, la fille de la demanderesse a été relâchée.

 

[5]               Un an après l’enlèvement, la police a communiqué avec la mère qui a menti au sujet de l’endroit où se trouvait sa fille parce que cette dernière ne voulait pas avoir des démêlés avec la police.

 

[6]               En octobre 2007, Victor a recommencé à faire des menaces d’enlèvement. C’est à cause de ces nouvelles menaces que les demanderesses se sont enfuies du Mexique.

 

[7]               En plus de la crainte d’être enlevées par Victor, les demanderesses craignent aussi que l’ex‑conjoint de la mère leur fasse du mal. Elles ont signalé un incident survenu après que la mère eut mis un terme à la relation de violence, dans lequel la demanderesse Velasco Hernandez a vu un ami de l’ex-conjoint qui, selon elle, avait été envoyé pour la surveiller.

 

[8]               Lors de l’instruction de la présente affaire, le commissaire de la Section de la protection des réfugiés (le commissaire) a déclaré que les demanderesses étaient des personnes vulnérables selon les Directives sur les procédures concernant les personnes vulnérables qui comparaissent devant la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada données par le président (les Directives sur les personnes vulnérables). Il a donc autorisé l’avocate des demanderesses à commencer l’interrogatoire. Le commissaire a également souligné que le témoignage devait être examiné à la lumière des Directives intitulées Revendicatrices du statut de réfugié craignant d’être persécutées en raison de leur sexe données par le président (les Directives sur la persécution fondée sur le sexe). Le récit des demanderesses au sujet des menaces reçues a été jugé crédible.

 

[9]               Ayant jugé les demanderesses crédibles, le commissaire a poursuivi en examinant les questions relatives à la PRI et à la protection de l’État. Après avoir évalué les populations, les distances par rapport au territoire connu et les caractéristiques des villes de Mexico et de Guadalajara, le commissaire a conclu que les demanderesses seraient vraisemblablement en sécurité dans l’une ou l’autre de ces villes. Il a ensuite pris en considération le fait que même si des problèmes survenaient dans les villes proposées comme PRI, les demanderesses pouvaient bénéficier d’une protection de l’État adéquate dans l’une ou l’autre de celles-ci.

Bien qu’il ait reconnu que tous ne sont pas en faveur d’une conclusion selon laquelle il existe une PRI à Mexico et à Guadalajara, le commissaire a jugé qu’une preuve documentaire favorable et objective l’emportait sur les témoignages des demanderesses qui indiquaient qu’elles craignaient de s’établir dans l’une et l’autre des villes proposées, et sur les autres éléments de preuve.

 

III.       ANALYSE

A.        Norme de contrôle

[10]           La norme de contrôle applicable aux conclusions quant à la PRI et à la protection de l’État est celle de la décision raisonnable (Salazar-Sanchez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 684)).

 

[11]           Bien que les Directives sur la persécution fondée sur le sexe et les Directives sur les personnes vulnérables aient été invoquées, la présente affaire ne porte pas sur la norme de contrôle applicable à ces Directives et ce, même si la question pouvait être soulevée de toute façon.

 

[12]           Les Directives sont axées sur la tenue d’une audience équitable, et une dérogation à ces Directives qui n’entraîne pas une violation de la justice naturelle ou de l’obligation d’équité ne constituerait pas en soi des motifs indépendants de contrôle judiciaire. S’il y avait violation de la justice naturelle ou de l’obligation d’équité, la norme applicable serait celle de la décision correcte. Étant donné que les demanderesses ont soulevé la question de la justice naturelle dans le cadre de l’audience, ces questions doivent être examinées selon la norme de la décision correcte.

 

[13]           Lorsqu’elles sont utilisées dans le cadre de l’appréciation de la crédibilité, les Directives deviennent subsumées sous la norme de contrôle de la décision raisonnable, telle que celle-ci s’applique aux conclusions sur la crédibilité.

 

B.         Justice naturelle

[14]           Les demanderesses contestent plusieurs aspects relatifs au déroulement de l’audience. Premièrement, elles reprochent au commissaire de ne pas avoir été sensible aux problèmes de violence conjugale et au syndrome de la femme battue et de ne pas avoir mené l’audience conformément aux Directives applicables. Deuxièmement, les demanderesses contestent la conduite du commissaire pendant l’audience.

 

[15]           Concernant le premier aspect, le commissaire a déclaré que les demanderesses étaient des « personnes vulnérables », et il a agi en conformité avec les Directives en permettant à l’avocate des demanderesses de commencer l’interrogatoire et en tentant de réduire le stress de la fille en lui évitant de raconter en détails son enlèvement. Enfin, le commissaire a jugé crédible leur témoignage à cet égard.

 

[16]           Il est difficile de comprendre ce que les demanderesses veulent obtenir de plus sur ce point. Les Directives ne soustraient pas la preuve d’un demandeur à une évaluation ni ne permettent d’accepter cette preuve sans enquête. Rien dans la conduite dite insensible du commissaire ne remet l’équité de l’audience en question. Le fait que le commissaire, l’interprète et l’APR étaient des hommes ne constitue pas en soi un motif de contestation.

 

[17]           Pour ce qui est du deuxième aspect, les demanderesses se plaignent du fait que l’audience a été interrompue par une personne qui cherchait quelqu’un qui n’était pas dans la salle d’audience et par un appel téléphonique qui provenait de l’appareil du commissaire qui se trouvait dans la salle d’audience. Les demanderesses se plaignent aussi que le fait qu’avant le début de l’audience elles ont dû laisser leur place aux parties d’une affaire devant être entendue avant la leur a porté atteinte à leur droit à une audience équitable. Enfin, les demanderesses reprochent au commissaire, à l’interprète et à l’APR de s’être moqués de plusieurs incidents survenus pendant l’audience.

 

[18]           Ces faits doivent être situés dans leur contexte. Les interruptions n’étaient pas la faute du commissaire et n’ont pas véritablement influencé le caractère équitable de l’audience ou de la décision. Le commissaire a pris la peine d’expliquer aux demanderesses que les rires au sujet des incidents n’avaient rien à voir avec elles ou avec leur témoignage.

 

[19]           Je ne vois rien de répréhensible dans la manière dont le commissaire a conduit l’audience. Même la plainte des demanderesses selon laquelle l’APR se serait endormi (un fait qui suscite un doute) est non pertinente quant à la conduite du commissaire et ne peut constituer le fondement d’une allégation de déni de justice naturelle.

 

[20]           Alléguer que ces incidents et leurs réponses ont donné lieu à un déni de justice naturelle revient à banaliser le droit à une audience équitable. Aucune personne raisonnable ne pourrait conclure à un manquement quelconque à l’équité. Bien que les demanderesses aient été particulièrement dérangées par ces incidents et qu’elles leur aient accordé une importance injustifiée, leur allégation n’est pas objectivement fondée.

 

C.        Possibilité de refuge intérieur/Protection de l’État

[21]           Les demanderesses allèguent que le commissaire n’a pas tenu compte des deux Directives lorsqu’il a conclu qu’il existait des PRI à Mexico et à Guadalajara. De plus, elles soutiennent que le commissaire a omis de prendre en considération des documents pertinents et qu’il a tenu compte d’information non pertinente en tirant cette conclusion.

 

[22]           Le dossier relatif à la situation régnant au Mexique est assez volumineux, et il n’était pas raisonnable ni possible pour le commissaire de se prononcer sur tous et chacun des faits contenus dans ce dossier.

 

[23]           Un élément fort pertinent est que le commissaire a relevé que les deux villes connaissaient des problèmes et des difficultés mais finalement, après avoir apprécié l’ensemble des circonstances, il a reconnu, selon la prépondérance de la preuve, que Mexico, en particulier, et Guadalajara constituaient des PRI raisonnables.

 

[24]           La conclusion du commissaire selon laquelle ni Victor ni l’ex-conjoint ne se rendraient dans l’une ou l’autre de ces villes pour retrouver les demanderesses ou, s’ils s’y rendaient, qu’il était peu probable qu’ils les retrouvent, est raisonnable compte tenu de l’ensemble des faits qui lui ont été présentés. Le commissaire a procédé à un examen sur la taille et les caractéristiques des deux villes, ainsi que sur leur nature variée et cosmopolite, qui traite en partie de l’improbabilité que les demanderesses soient poursuivies ou recherchées dans ces deux villes.

 

[25]           Le commissaire a également pris en considération la capacité des demanderesses à s’adapter à de grandes villes, et il a bien reconnu leurs qualités d’entrepreneur comme moyen de gagner leur vie.

 

[26]           Comme il a été signalé plus tôt, le commissaire a tenu compte de certaines incohérences entre diverses sources sur la situation au Mexique et il a conclu, tout bien considéré, que tant la ville de Mexico que celle de Guadalajara constituaient d’éventuelles PRI. Le commissaire a procédé au type même d’analyse qui s’imposait, et il a tiré le type même de conclusions raisonnables qui s’imposaient.

 

[27]           Les demanderesses soutiennent que le commissaire a conclu que Mexico et Guadalajara étaient en quelque sorte des villes davantage sécuritaires du fait qu’elles étaient des destinations touristiques. Cette description ne rend pas justice à l’analyse faite par le commissaire. L’essentiel du commentaire du commissaire est que les deux villes étaient des destinations touristiques internationales qui créaient une atmosphère de diversité où différents styles de vie cohabitaient. Le commissaire a souligné que les villes en question avaient un profil relativement plus occidentalisé que d’autres régions rurales du Mexique, dont vraisemblablement Xalapa.

 

[28]           La conclusion du commissaire quant à l’existence d’une protection de l’État est raisonnable, particulièrement dans le cas de la ville de Mexico. Il est vrai que la conclusion selon laquelle les influences étrangères ont aidé à assurer la sécurité et la sûreté de la ville ne ressort pas immédiatement des preuves documentaires, et que le commissaire ne donne pas la source d’où il a tiré cette conclusion. Cependant, ces derniers commentaires sont tangentiels à l’analyse importante de la protection de l’État, à l’existence des organisations (tant gouvernementales que non gouvernementales) chargées de protéger et d’aider les demanderesses et à d’autres facteurs qui appuient à la fois la conclusion relative à l’existence d’une PRI et celle relative à l’existence d’une protection de l’État.

 

[29]           Les demanderesses ne se sont pas acquittées de leur fardeau de la preuve qui consistait à établir qu’il n’y avait aucune PRI pour elles.

 

[30]           Par conséquent, je conclus que la décision, à l’égard de toutes ses parties importantes, et lue dans son ensemble, est raisonnable.

 

IV.       CONCLUSION

[31]           La présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée. Aucune question n’est proposée aux fins de certification.

JUGEMENT

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

 

« Michael L. Phelan »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Caroline Tardif, LL.B., B.A. Trad.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2982-08

 

INTITULÉ :                                       RICARDA ROSARIO HERNANDEZ

                                                            CLAUDIA GABRIELA VELASCO HERNANDEZ

 

                                                            et

 

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 22 janvier 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge Phelan

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 30 janvier 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Aisling Bondy

 

POUR LES DEMANDERESSES

Ned Djordjevic

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Aisling Bondy

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDERESSES

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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