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Date : 20090127

Dossier : IMM‑4838‑07

Référence : 2009 CF 86

Ottawa (Ontario), le 27 janvier 2009

En présence de monsieur le juge Russell

 

 

ENTRE :

YONG GANG LIANG

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), à l’égard de la décision rendue le 26 octobre 2007 (la décision) par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission), qui a conclu que le demandeur n’était pas un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger, au sens des articles 96 et 97 de la Loi.

 

LE CONTEXTE

 

[2]               Le demandeur est un citoyen de la République populaire de Chine de 36 ans qui demande l’asile. Il habite présentement à Scarborough en Ontario. Il soutient que les autorités chinoises le recherchent parce qu’il a violé la politique chinoise de l’enfant unique.

 

[3]               Il a épousé sa femme, Dai Xue Zhen, en 1995. Ils ont eu un fils le 17 septembre 1998. Après la naissance de leur fils, l’épouse du demandeur a dû se faire insérer un dispositif intra‑utérin (DIU) en novembre 1998 et elle avait l’obligation de se présenter à des examens médicaux trimestriels. En septembre 2004, malgré le DIU, l’épouse du demandeur est tombée enceinte de leur deuxième enfant.

 

[4]               Comme un deuxième enfant viole la politique chinoise de l’enfant unique, le demandeur et son épouse se sont séparés et se sont cachés chez des parents avant le rendez‑vous de l’épouse du demandeur pour l’examen de son DIU, prévu le 29 octobre 2004. L’agent de contrôle des naissances local a commencé à chercher le demandeur et son épouse après que l’épouse ait manqué son rendez‑vous d’examen du DIU.

 

[5]               Les agents ont menacé les parents du demandeur et leur ont expliqué que soit le demandeur, soit son épouse, serait stérilisé s’il était découvert que l’épouse était enceinte. Le 1er novembre 2004, les agents ont laissé un avis ordonnant à l’épouse du demandeur de se présenter pour son examen du DIU dans les 15 jours. Le 16 novembre 2004, les agents de contrôle des naissances sont revenus et ont laissé une deuxième note dans laquelle il était ordonné que soit le demandeur, soit son épouse soit stérilisé.

 

[6]               Le 28 novembre 2004, les agents de contrôle des naissances ont découvert où se trouvait l’épouse et elle a été amenée à l’hôpital où elle a subi un avortement. Comme elle était en hémorragie, elle n’a pas pu être stérilisée. Les agents de contrôle des naissances ont décidé de stériliser le demandeur. Un avis au sujet de la stérilisation du demandeur a été émis le 29 novembre 2004. Pour éviter la stérilisation et d’autres sanctions, le demandeur a quitté le lieu où il se cachait et il s’est rendu à la maison d’un cousin éloigné dans une région très éloignée de Guangzhou. Il est resté caché jusqu’à ce que sa famille trouve un passeur de clandestins pour l’aider à s’enfuir au Canada. Il est arrivé au Canada par avion à l’Aéroport international Pearson de Toronto le 12 janvier 2005.

 

[7]               Le demandeur a présenté une demande d’asile au Canada à la Commission canadienne de l’immigration (CIC) à Etobicoke le 18 janvier 2005. Il a subi une entrevue à la CIC d’Etobicoke le 24 janvier 2005.

 

[8]               L’audience de sa première demande d’asile a eu lieu le 2 novembre 2005 et une décision défavorable a été rendue le 23 novembre 2005. Le demandeur a présenté une demande de contrôle judiciaire de cette décision à la Cour fédérale. La Cour a annulé la décision défavorable de novembre 2005 le 31 octobre 2006 au motif que la Commission avait examiné de façon trop critique la preuve dont elle était saisie.

 

[9]               Après l’accueil de la demande de contrôle judiciaire, le journal Sing Tao Daily de Toronto a publié le nom du demandeur et a indiqué qu’il avait demandé l’asile en raison de sa crainte de subir une stérilisation forcée en Chine. Le Toronto Sun a aussi publié son nom et le fondement de sa demande. Cela a été fait sans que le demandeur ou son avocat ne soit au courant ou ne donne son consentement. Le demandeur n’a eu connaissance de la publication qu’après avoir lu l’article lui‑même. Lorsque le Toronto Sun a communiqué avec l’avocat du demandeur, l’avocat a refusé de discuter de l’affaire puisqu’elle était toujours en instance.

 

[10]           Le demandeur croit que le fait que sa demande d’asile a été rendue publique est un facteur de risque additionnel, puisque les documents sur la situation du pays au sujet de la politique chinoise de l’enfant unique indiquent que les autorités chinoises tentent de dissimuler la pratique continue de la stérilisation et de l’avortement forcés.

 

[11]           Le demandeur a soulevé la question de la publicité non sollicitée comme fondement additionnel « sur place » pour sa demande d’asile lors de la deuxième audience qui a eu lieu le 15 octobre 2007. Pendant cette deuxième audience, le demandeur a présenté des documents additionnels, y compris les articles de journaux qui le liaient à la question de la stérilisation forcée en Chine, ainsi que des documents au sujet d’espions chinois au Canada. Le demandeur a présenté un témoignage au sujet de sa crainte de la stérilisation forcée en Chine. La Commission a rendu une décision défavorable au sujet du réexamen de la demande d’asile, décision que le demandeur a reçue le 5 novembre 2007.

 

[12]           Le demandeur est troublé par la décision défavorable et il est d’avis que la Commission a une fois de plus examiné de façon trop critique la preuve dont elle était saisie. Il s’oppose particulièrement au point de vue de la Commission selon lequel il aurait lui‑même communiqué avec les journaux pour pouvoir ajouter une demande « sur place » à sa première demande.

 

LA DÉCISION CONTESTÉE

 

[13]           La Commission a conclu que le demandeur n’est pas un réfugié au sens de la Convention, ni une personne à protéger. Elle a conclu que, selon la prépondérance de la preuve, le demandeur n’était pas un témoin crédible en ce qui a trait à sa crainte concernant la stérilisation forcée.

 

[14]           Les documents médicaux les plus récents que le demandeur a présentés au sujet de son épouse dataient de décembre 2004. La Commission a conclu qu’il s’agissait d’un point important parce que le demandeur soutient que son épouse aurait été stérilisée si son état médical avait permis la tenue de l’opération. Le prétendu danger du demandeur est lié à la supposée incapacité de l’épouse de subir la chirurgie de stérilisation. La Commission a conclu, selon la prépondérance de la preuve, que l’explication du demandeur au sujet du fait qu’il n’a pas présenté ces documents n’était pas crédible. Le manque de documents médicaux au sujet de son épouse mettait en doute la supposée incapacité de celle‑ci de subir l’opération de stérilisation, ainsi que le danger auquel il prétend faire face à son retour en Chine.

 

[15]           La Commission a conclu, en se fondant sur la preuve documentaire, que bien qu’il existait des « contradictions », « au cours des dernières années, une tendance s’était manifestée au profit de l’imposition d’amendes et de l’élimination de la coercition », plutôt qu’au recours à la stérilisation forcée pour les naissances non autorisées en Chine. La Commission a conclu que le témoignage du demandeur au sujet de la stérilisation forcée contredisait la preuve documentaire venant de documents officiels gouvernementaux et de sources indépendantes. Le demandeur n’a pas pu présenter de preuve documentaire à l’appui de sa déclaration selon laquelle des stérilisations forcées avaient lieu dans sa région.

 

[16]           La Commission a aussi trouvé peu convaincante la preuve du demandeur au sujet de la raison pour laquelle son épouse et lui se sont séparés pour se cacher. Elle n’a pas non plus accepté sa prétention selon laquelle il avait craint la stérilisation dès le début de la deuxième grossesse. La Commission a conclu que les trois avis venant des autorités de contrôle des naissances présentés par le demandeur n’étaient pas des documents authentiques et qu’ils n’avaient aucun poids en l’espèce.

 

[17]           La Commission a rejeté le fondement « sur place » de la demande en concluant qu’il n’était pas crédible. De plus, la Commission a conclu que les articles de journaux à eux seuls n’entraîneraient pas un risque de persécution.

 

[18]           Le commissaire a conclu que le demandeur ne s’était pas déchargé du fardeau qui lui incombait d’établir qu’il y avait une possibilité sérieuse qu’il soit persécuté ou qu’il soit personnellement exposé à une menace à sa vie, au risque de peines cruelles et inusitées ou à la torture par quelque autorité de la République populaire de Chine que ce soit. La demande a donc été rejetée.

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

 

[19]           Le demandeur soulève les questions suivantes :

1.                   La Commission a‑t‑elle commis une erreur susceptible de révision dans son évaluation de la demande d’asile fondée sur la crainte concernant la stérilisation forcée?

2.                   La Commission a‑t‑elle commis une erreur susceptible de révision dans son évaluation du fondement de la partie « sur place » de la demande?

 

 

LES DISPOSITIONS LÉGALES

 

[20]           Les dispositions suivantes de la Loi sont applicables en l’espèce :

Définition de « réfugié »

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

Convention refugee

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

Personne à protéger

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

Person in need of protection

 

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles‑ci ou occasionnés par elles,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

Personne à protéger

 

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

Person in need of protection

 

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

 

LA NORME DE CONTRÔLE

 

[21]           Dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, http://www.lexisnexis.com/ca/legal/search/runRemoteLink.do?service=citation&langcountry=CA&risb=21_T3720961608&A=0.07431028869968037&linkInfo=CA%23CSC%23onum%259%25year%252008%25decisiondate%252008%25sel1%252008%25&bct=A, la Cour suprême du Canada a reconnu que, même si la norme de la décision raisonnable simpliciter et celle de la décision manifestement déraisonnable sont théoriquement différentes, « les difficultés analytiques soulevées par l’application des différentes normes réduisent à néant toute utilité conceptuelle découlant de la plus grande souplesse propre à l’existence de normes de contrôle multiples » (Dunsmuir, au paragraphe 44). Par conséquent, la Cour suprême du Canada a conclu qu’il faut fondre en une seule les deux normes de raisonnabilité.

 

[22]           Dans l’arrêt Dunsmuir, la Cour suprême du Canada a également conclu qu’il n’est pas toujours nécessaire de se livrer à une analyse de la norme de contrôle. En fait, lorsque la norme de contrôle applicable à une question en particulier soumise à la cour de révision est bien arrêtée par la jurisprudence, la cour de révision peut adopter cette norme de contrôle. Ce n’est que lorsque les recherches sont vaines que le tribunal de révision doit entreprendre l’examen des quatre facteurs constituant l’analyse relative à la norme de contrôle.

 

[23]           Avant l’arrêt Dunsmuir, la norme de contrôle applicable aux questions soulevées par le demandeur était la décision manifestement déraisonnable : voir Kovacs c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2006] 2 R.C.F. 455 (C.F.), qui cite la décision Harb c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2003), 238 F.T.R. 194, au paragraphe 14.

 

[24]           De ce fait, compte tenu de l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans Dunsmuir et de la jurisprudence antérieure de la Cour, je conclus que la norme de contrôle applicable à la question qui est en litige en l’espèce est la décision raisonnable. Lorsqu’on contrôle une décision en fonction de cette norme, l’analyse a trait « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, au paragraphe 47). En d’autres termes, la Cour ne doit intervenir que si la décision est déraisonnable, c’est‑à‑dire qu’elle se situe en dehors du cadre des « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

 

LES ARGUMENTS

            Le demandeur

                        La crédibilité

 

[25]           Le demandeur soutient que la Commission a commis plusieurs erreurs susceptibles de révision dans son évaluation défavorable de la crédibilité. Lorsqu’un demandeur d’asile jure que certaines allégations sont vraies, cela crée une présomption de véracité, à moins qu’il n’existe des raisons valides d’en douter : Permaul c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1983] A.C.F. no 1082 (C.A.F.) et Armson c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1989] A.C.F. no 800 (C.A.F.).

 

[26]           Le demandeur conteste la conclusion suivante de la Commission : « La question déterminante à trancher dans ce dossier touche [tant] à la crédibilité de l’exposé circonstancié figurant dans le Formulaire de renseignements personnels (FRP) du demandeur d’asile qu’au témoignage oral de ce dernier concernant les démarches des agents du contrôle des naissances visant l’avortement forcé. Je conclus, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur d’asile n’est pas un témoin crédible à cet égard. » Le demandeur soutient que la Commission n’a cité aucune incohérence importante ou contradiction dans ses motifs à l’appui d’un examen défavorable de la crédibilité. Le témoignage du demandeur a été cohérent de sa première déclaration en janvier 2005 jusqu’à son audience de réexamen de la demande en octobre 2007.

 

[27]           Le demandeur cite le juge Gibson de la Cour, qui a annulé la première décision de la Commission contre le demandeur. Il note que le juge Gibson n’a pas conclu que ses allégations étaient impossibles ou incohérentes par rapport à la preuve portant sur l’application coercitive de la politique de l’enfant unique par les autorités locales chinoises. Le juge Gibson a conclu que la Commission avait manifesté une vigilance excessive en examinant la preuve à la loupe.

 

[28]           Le demandeur fait valoir que la décision défavorable rendue dans le réexamen de sa demande est à nouveau fondée sur une vigilance excessive de la part de la Commission dans l’examen de la preuve. La Commission s’est fondée de façon sélective sur un examen déséquilibré de la preuve portant sur la situation du pays afin de conclure que le récit du demandeur n’était pas crédible.

 

La preuve documentaire

 

[29]           Le demandeur soutient que la Commission a aussi commis une erreur susceptible de révision en n’examinant pas de façon appropriée la preuve documentaire. La Commission n’a pas tenu compte des documents sur la situation du pays qui indiquaient que les agents locaux en Chine ont toujours recours à la pratique de l’avortement forcé et de la stérilisation forcée afin de satisfaire à la politique chinoise de l’enfant unique. Le demandeur s’appuie sur plusieurs passages de la preuve documentaire qui, à son avis, soutiennent son point de vue.

 

[30]           Le demandeur fait valoir que la Commission a reconnu qu’il y avait des « contradictions » dans la preuve documentaire. Cependant, il soutient que la Commission a écarté les documents qui appuyaient sa prétention quant à sa crainte de stérilisation forcée en Chine. Il prétend que les motifs de la Commission indiquent qu’elle a effectué un examen sélectif de la preuve documentaire dont elle était saisie, ce qui est injuste et inapproprié : Yu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2005 CF 794 (Yu).

 

[31]           Le demandeur soutient que la Commission était saisie de preuves documentaires crédibles à l’appui de sa demande. Avant la fin de l’audience, l’avocat du demandeur a aussi demandé la possibilité de présenter des documents supplémentaires au sujet de la stérilisation et de l’avortement forcés dans la province de Guangdong, mais la Commission a déclaré que ce n’était pas nécessaire. Le demandeur soutient que la Commission lui a fait croire qu’elle avait été convaincue, selon la prépondérance de la preuve, que les documents sur la situation du pays ne minaient pas sa crédibilité. Comme la Commission a dit que ce n’était pas nécessaire, le demandeur n’a pas présenté d’autres preuves pour corroborer la pratique continue de la stérilisation et de l’avortement forcés de la part des responsables de la planification familiale locaux dans toute la Chine.

 

[32]           Le demandeur soutient que le Commission n’a pas de connaissances spécialisées au sujet des documents sur la situation du pays. La Commission a simplement fait des hypothèses au sujet de ce qui aurait dû, ou n’aurait pas dû, se trouver dans les avis de stérilisation que le demandeur a présentés. Compte tenu du manque de connaissances spécialisées et du fait que la Commission n’avait aucune preuve comparable, son évaluation des avis de stérilisation était viciée.

 

[33]           La Commission a déclaré que « [d]ans les documents sur le pays, il est dit qu’il est facile de se procurer de faux documents en Chine. Je n’accorde à ces trois documents aucune crédibilité ». Le demandeur souligne que la Cour a déclaré que la Commission ne devrait pas faire d’hypothèse sur la façon de penser et sur l’efficacité des autorités chinoises : Chen c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 996 (C.A.F.). La décision Jiang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 499, est révélatrice à ce sujet :

11     Étant donné qu’il était facile d’obtenir des documents contrefaits, on peut supposer que les documents en question étaient contrefaits, mais cela ne suffit pas comme preuve à partir de laquelle tirer une inférence appropriée. Comme le juge von Finckenstein l’a dit dans la décision Cheema c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 224 :

 

Les documents produits par le demandeur peuvent fort bien être des faux. Toutefois, la preuve d’une pratique répandue de fabrication de faux documents dans un pays n’est pas en soi suffisante pour justifier le rejet de documents étrangers au motif qu’il s’agit de faux. Comme l’a souligné le défendeur, la preuve d’une pratique répandue de fabrication de faux documents démontre uniquement que le demandeur pouvait se procurer des faux documents.

 

La partie « sur place » de la demande

 

[34]           Le demandeur soutient que la Commission a aussi commis des erreurs susceptibles de révision en ce qui a trait à la façon dont elle a traité les aspects « sur place » de sa demande. Comme le nom du demandeur a été publié dans le journal Sing Tao Daily, il risque de subir des sanctions et des mauvais traitements de la part des autorités chinoises. Les preuves sur la situation du pays indiquent que la stérilisation et l’avortement forcés sont toujours pratiqués en Chine, même si le gouvernement tente de dissimuler ce fait. La Commission était aussi saisie d’autres preuves selon lesquelles les citoyens chinois ont été punis sévèrement et ont subi de mauvais traitements parce qu’ils ont exposé ces pratiques ou qu’ils y ont résisté.

 

[35]           Le demandeur soutient que la distinction que la Commission a faite entre les personnes qui ont exposé les pratiques de la politique chinoise de l’enfant unique, ou qui y ont résisté, et le demandeur, qui n’est pas un dissident connu et qui n’a fait des déclarations qu’au Canada, est injuste.

 

[36]           Il fait valoir que la Commission n’a pas tenu compte de la preuve pertinente et crédible dont elle était saisie selon laquelle il y a des espions chinois au Canada qui surveillent les activités des citoyens chinois qui habitent ici. Par conséquent, il est très probable que la publication du nom du demandeur et de sa déclaration selon laquelle il avait été menacé d’être stérilisé de force sera portée à l’attention des autorités chinoises.

 

[37]           Le demandeur soutient que la Commission n’a pas examiné de façon juste et attentive sa demande parce qu’elle le soupçonnait d’avoir communiqué avec le journal Sing Tao Daily. Il soutient que la Commission n’avait aucune preuve à l’appui de ce doute. La demande « sur place » ne visait aucunement à étayer la première demande du demandeur. Il n’avait aucune idée que son avocat soulèverait une demande « sur place » en raison de la publication de la demande d’asile du demandeur dans le journal Sing Tao Daily.

 

[38]           Le demandeur soutient que les doutes de la Commission, qui ne sont appuyés par aucune preuve, selon lesquelles il aurait peut‑être raconté son récit au journal afin d’étayer sa preuve, entachent et minent l’évaluation de la Commission du fondement « sur place » de sa demande.

 

Conclusions

 

[39]           Le demandeur termine en déclarant que la Commission a commis plusieurs erreurs susceptibles de révision dans son examen de sa demande d’asile et que, une deuxième fois, la Commission a manifesté une vigilance excessive en examinant la preuve.

 

[40]           Il soutient aussi que, comme la Commission était saisie de preuves documentaires qui appuyaient ses allégations, elle n’aurait pas dû conclure que ses allégations étaient impossibles ou incohérentes par rapport à la situation du pays en Chine. Le demandeur prétend que sa plainte ne porte pas sur l’examen de la preuve au sujet du pays; elle porte sur la façon dont la Commission a traité les « contradictions » dans les documents sur le pays.

 

[41]           Le demandeur cite et fait valoir la décision Maldonado c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1980] 2 C.F. 302, pour son argument selon lequel s’il y a des contradictions entre les documents relatifs au pays, la Commission doit donner le bénéfice du doute au demandeur. Il soutient que le fait que la Commission a utilisé de façon sélective les contradictions dans les documents sur le pays pour le discréditer était inapproprié, particulièrement compte tenu du principe de la présomption de véracité.

 

[42]           Le demandeur fait valoir que la Commission a traité les renseignements crédibles qu’il avait présentés en reconnaissant dans ses motifs qu’il existait des « contradictions » entre ces renseignements et la preuve documentaire et qu’elle a écarté les documents à l’appui du demandeur. Une analyse et un examen sélectifs des documents sur le pays sont injustes et inappropriés : Yu. Plus la preuve qui n’a pas été expressément mentionnée ni analysée dans les motifs de la Commission est importante, et plus une cour de justice sera disposée à inférer de ce silence que la Commission a tiré une conclusion de fait erronée sans tenir compte des éléments dont elle disposait : Bains c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 497.

 

Le défendeur

La crédibilité

 

[43]           Le défendeur souligne qu’il s’agissait d’une nouvelle audition de la demande.

 

[44]           Le défendeur cite et fait valoir la décision Shen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2007 CF 1001 (Shen), aux paragraphes 1 à 14, pour réfuter le point de vue du demandeur selon lequel la Commission aurait dû le croire parce qu’il n’existait aucune incohérence importante dans son témoignage.

 

La preuve documentaire

 

[45]           Le défendeur soutient que la Commission a examiné la preuve dont elle était saisie et qu’elle a reconnu l’utilisation de tactiques coercitives par les agents de contrôle des naissances dans certaines parties de la Chine. Cependant, les documents n’appuyaient pas l’allégation du demandeur selon laquelle un individu qui se trouve à l’extérieur de Beijing subirait une stérilisation forcée en guise de sanction pour la deuxième grossesse de son épouse, même si l’épouse avait subi un avortement forcé et que son état de santé ne permettait pas la stérilisation.

 

[46]           Le défendeur soutient que, lorsqu’ils examinent la preuve, les commissaires sont « maîtres chez eux » et qu’ils peuvent décider quel poids donner à la preuve. De plus, la Commission peut préférer certaines preuves documentaires à celles d’un demandeur et se fonder sur ces preuves : Zvonov c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] A.C.F. no 1089 (C.F. 1re inst.) et Zhou c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] A.C.F. no 1087 (C.A.F.).

 

[47]           Le défendeur fait valoir que le demandeur est simplement en désaccord avec la conclusion de la Commission. Cependant, la Commission pouvait tirer cette conclusion en fonction de la preuve dont elle était saisie et, par conséquent, la Cour ne peut pas intervenir : Brar c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1986] A.C.F. no 346 (C.A.F.).

 

[48]           Le défendeur souligne que le demandeur a présenté trois lettres qui venaient supposément des autorités en matière de contrôle des naissances. La Commission a noté un certain nombre de préoccupations au sujet des lettres, y compris les dates et les destinataires. La Commission a conclu que ces lettres n’étaient pas authentiques, conclusion qu’elle pouvait tirer.

 

[49]           Le défendeur soutient que le demandeur n’a pas présenté de preuve corroborant l’état de santé de son épouse. La Commission n’a pas laissé entendre qu’une preuve corroborante était nécessaire, ou que la preuve du demandeur avait été rejetée par manque de corroboration. Cependant, la Commission a conclu qu’il aurait été raisonnable de s’attendre à une preuve corroborante dans une situation où la corroboration est disponible. Cela ne constitue pas une erreur susceptible de révision : Ortiz Juarez c. Canada (Ministre de la  Citoyenneté et de l’Immigration) 2006 CF 288 et Uppal c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2006 CF 1142.

 

La partie « sur place » de la demande

 

[50]           Le défendeur soutient que les documents sur lesquels se fonde le demandeur en ce qui a trait aux sanctions sévères imposées aux personnes qui s’opposent à la politique de contrôle des naissances en Chine mentionnent tous deux la même personne (Chen Guanchen), qui a exposé publiquement une campagne d’avortements forcés à Shandong. Le traitement d’un homme dans une région différente de la Chine, qui s’est opposé publiquement à l’imposition de la politique dans sa région, n’est pas nécessairement pertinent quant à la situation du demandeur. La Commission s’est fondée sur des documents au sujet du retour de demandeurs d’asile déboutés en Chine et d’organismes qui aident ces personnes à leur retour en Chine.

 

[51]           Le défendeur souligne que, bien que le demandeur laisse entendre que la Commission a exprimé en termes voilés une conclusion défavorable quant à la crédibilité au sujet de la question de savoir s’il avait avisé la presse lui‑même, l’identité de la personne qui a avisé la presse n’est pas importante pour la décision. La Commission s’est fondée sur des renseignements dans les documents sur le pays au sujet de ce qui arrive aux personnes qui se trouvent dans la situation du demandeur. Le défendeur note que l’un des documents sur lequel le demandeur s’appuie mentionne un couple en Chine qui porte en appel une décision d’une cour locale dans laquelle les autorités locales de contrôle des naissances ont été exonérées de toute faute dans un cas d’avortement forcé. Le couple a rendu l’affaire publique en Chine, mais rien ne donne à penser qu’il a subi des problèmes par la suite. Par conséquent, le demandeur n’a pas démontré qu’il y avait une erreur à ce sujet.

 

ANALYSE

 

[52]           Comme la décision l’indique clairement, la question déterminante en l’espèce était la crédibilité. Le demandeur a soutenu qu’il subirait une stérilisation forcée en Chine simplement parce que son épouse est tombée enceinte d’un deuxième enfant et qu’elle ne pouvait pas être stérilisée, même si elle a subi un avortement.

 

[53]           Le demandeur prétend que la Commission a omis de mentionner précisément certains documents et renseignements qui accordaient une crédibilité à son récit au sujet des dangers auxquels il fera face s’il retourne en Chine.

 

[54]           Comme la Commission l’a noté, la preuve documentaire sur la stérilisation forcée comprend des « contradictions ». Par conséquent, la Commission a dû examiner cette preuve et tirer une conclusion. Elle a aussi dû tenir compte du récit du demandeur au sujet de ce qu’il connaissait personnellement sur la stérilisation forcée des hommes dans sa région. Compte tenu des documents dont elle était saisie, je ne peux pas conclure que la Commission a été déraisonnable lorsqu’elle a conclu que le demandeur ne risquait pas de subir une stérilisation s’il retournait en Chine.

 

[55]           Bien entendu, il est possible de ne pas souscrire aux conclusions de la Commission quant à ces questions, mais je ne peux pas conclure que la décision était déraisonnable et qu’elle n’appartenait pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit en ce qui a trait aux conclusions en matière de crédibilité de la Commission. À mon avis, il aurait aussi été raisonnable de rendre une décision favorable au demandeur. Cependant, cela ne rend pas la décision de la Commission déraisonnable.

 

[56]           Le demandeur n’a pas non plus présenté d’explication convaincante pour le manque de documents portant sur l’état de son épouse. La Commission a conclu que les lettres que le demandeur avait présentées n’étaient pas authentiques en raison d’anomalies et d’incohérences, et non simplement parce qu’il était facile d’obtenir de faux documents en Chine. À mon avis, les motifs de la Commission pour le rejet des documents du demandeur, particulièrement en ce qui a trait aux incohérences chronologiques, ne constituaient pas un examen à la loupe et ne sont pas déraisonnables.

 

[57]           Enfin, les allégations du demandeur selon lesquelles il n’y avait pas d’incohérence dans sa demande et que la Commission avait fait un usage sélectif des documents ne sont pas étayées par les faits; le demandeur demande à la Cour de réexaminer la preuve et de tirer une conclusion différente de celle de la Commission. Cependant, le rôle de la Cour n’est pas de déterminer si elle souscrit à l’évaluation de la Commission, mais plutôt de déterminer si la décision était raisonnable. Voir Shen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1001, au paragraphe 8.

 

[58]           Mon examen de la décision révèle que la Commission a tenu compte de la preuve du demandeur et des documents sur le pays et qu’elle a conclu qu’elle ne pouvait pas accepter ses allégations selon lesquelles il subirait une stérilisation forcée s’il retournait en Chine. La Commission pouvait tirer cette conclusion. Il ne s’agit pas d’une conclusion déraisonnable et la Cour ne peut pas intervenir.

 

[59]           En ce qui a trait à la demande « sur place » du demandeur, comme la Commission ne pouvait pas accepter ses allégations au sujet de la stérilisation forcée, elle ne pouvait pas accepter que les autorités chinoises étaient à ses trousses. Les publications mentionnées sont locales et le demandeur n’a simplement pas un profil qui attirerait l’attention s’il retournait en Chine.

 

[60]           Une fois de plus, il est possible de ne pas souscrire aux conclusions de la Commission à ce sujet, mais ces conclusions n’étaient pas déraisonnables et elles appartiennent aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 

[61]           Le commentaire de la Commission selon lequel « il est raisonnable de se demander si le demandeur d’asile n’aurait pas lui‑même contacté le journal Singtao concernant la demande d’asile faite sur place », ce commentaire ne sert pas de fondement pour le rejet de la Commission de la demande « sur place ». La Commission s’est fondée sur les documents sur le pays et sur le profil peu menaçant du demandeur. La Cour ne peut pas intervenir au sujet des conclusions de la Commission quant à cette question.


 

JUGEMENT

 

 

LA COUR STATUE que :

 

1.      La présente demande est rejetée.

2.      Il n’y a aucune question à certifier.

 

 

« James Russell »

Juge

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM‑4838‑07

 

INTITULÉ :                                       YONG GANG LIANG

 

                                                                        c.

 

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 3 NOVEMBRE 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 27 janvier 2009

 

COMPARUTIONS :

 

MARK ROSENBLATT

 

POUR LE DEMANDEUR

NED DJORDJEVIC

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

MARK ROSENBLATT

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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