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Date : 20090130

Dossier : IMM-2469-08

Référence : 2009 CF 103

Ottawa (Ontario), le 30 janvier 2009

En présence de monsieur le juge Max M. Teitelbaum

 

 

ENTRE :

DAN ZHANG

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire visant une décision rendue le 7 avril 2008 par la Section de l’immigration de l’ambassade du Canada en Chine, par laquelle la première secrétaire de l’immigration, Noëlla Nincevic, agissant à titre d’agente des visas, a rejeté la demande de parrainage de la demanderesse parce que les motifs d’ordre humanitaire (CH), au sens de l’article 25 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR), L.C. 2001, ch. 27, étaient insuffisants. On avait déjà rejeté une demande de parrainage de la demanderesse en vertu de l’alinéa 117(9)d) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés (RIPR). Cette décision a été confirmée par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (CISR).

 

[2]               La demanderesse, Zhang Dan, a épousé Liu Shaojun, son parrain, au Canada en avril 2005. La demanderesse a fait la connaissance de son parrain en 1997 alors qu’ils fréquentaient tous deux l’école secondaire en Chine. Liu Shaojun est devenu résident permanent du Canada en janvier 2005 et il a voulu parrainer son épouse après leur mariage en avril 2005.

 

[3]               En 2001, la demanderesse est arrivée au Canada munie d’un visa d’étudiant alors que Liu Shaojun est resté en Chine pour terminer ses études. La demanderesse lui a rendu visite lorsqu’elle a terminé ses études.

 

[4]               En 2002, Liu Shaojun est venu au Canada et a habité avec la demanderesse jusqu’à ce qu’ils se marient.

 

[5]               En 2003, Liu Shaojun a présenté une demande de résidence permanente au Canada qui a été accueillie en janvier 2005. Il a alors présenté une demande de parrainage pour son épouse après leur mariage en avril 2005. Il convient de noter qu’après leur mariage en 2005, la demanderesse s’est rendue en Chine pour voir sa famille et ses amis et elle n’est pas revenue. Ils sont séparés depuis ce temps.

 

[6]               Le 2 mai 2006, la première demande de parrainage a été rejetée en vertu de l’alinéa 117(9)d) du RIPR parce que Liu Shaojun n’avait pas déclaré la demanderesse comme étant sa conjointe de fait dans sa demande de résidence permanente. À l’époque où il a présenté sa propre demande, le couple habitait ensemble depuis plus d’un an.

 

[7]               Il a soutenu qu’il n’avait pas déclaré la demanderesse comme étant sa conjointe de fait parce que, dans la culture chinoise, elle ne serait comptée comme membre de la famille que lorsqu’ils seraient officiellement mariés. De plus, il ne savait pas que, puisqu’ils habitaient ensemble depuis au moins un an, ils étaient considérés comme des conjoints de fait.

 

[8]               La décision rejetant la première demande de parrainage a fait l’objet d’un appel à la Section d’appel de l’immigration.

 

[9]               L’appel a été rejeté le 19 juillet 2007. Le tribunal a conclu que le parrain et la demanderesse pouvaient demander une exemption fondée sur des motifs d’ordre humanitaire parce que l’affaire était très convaincante, particulièrement compte tenu du témoignage franc et crédible de l’appelant, ainsi que des différences culturelles évidentes.

 

[10]           L’époux de la demanderesse a alors présenté une deuxième demande de parrainage fondée sur des motifs d’ordre humanitaire.

 

[11]           Le 24 février 2008, l’avocat du couple a envoyé une lettre à l’agent des visas à Beijing dans laquelle il demandait à quelle date une décision serait rendue au sujet de leur dossier, pour qu’ils puissent présenter leurs observations à temps. Ils n’ont jamais reçu de réponse.

 

[12]           Le 18 avril 2008, le couple a reçu une lettre datée du 7 avril 2008 dans laquelle il était écrit que leur demande avait été rejetée de nouveau parce que les motifs d’ordre humanitaire étaient insuffisants.

 

[13]           Le même jour, l’avocat de la demanderesse a demandé un réexamen de la décision.

 

[14]           Le 13 mai 2008, la demanderesse a reçu une lettre de rejet du réexamen.

 

[15]           Dans son affidavit, Liu Shaojun a mentionné qu’avant que le premier agent des visas refuse leur première demande, il leur avait envoyé une lettre dans laquelle il demandait des renseignements justifiant pourquoi la demande ne devrait pas être refusée. Leur expérience leur a laissé croire que la deuxième agente des visas ferait la même chose au sujet de leur deuxième demande.

 

[16]           Par conséquent, lorsqu’ils ont reçu la lettre de rejet le 18 avril 2008, ils ont immédiatement envoyé leurs observations par télécopieur à la deuxième agente des visas, qu’ils ont aussi envoyées par courrier express.

 

[17]           Dans le dossier se trouve aussi un affidavit de Noëlla Nincevic (première secrétaire de l’immigration - agente des visas) dans lequel elle déclare, entre autres, qu’elle a écrit les notes dans le STIDI.

 

[18]           L’agente des visas a rendu sa décision à Beijing. L’agente des visas a précisé dans sa décision que la demanderesse ne satisfait pas aux exigences en matière d’immigration au Canada. Elle a écrit dans sa décision, qui compte moins de deux pages et demi, qu’elle a examiné la demande de visa de résidente permanente de la demanderesse dans la catégorie du regroupement familial. L’agente des visas a mentionné le paragraphe 12(1) de la LIPR et le paragraphe 117(9) du RIPR.

 

[19]           L’agente des visas a noté aussi que le parrain de la demanderesse n’a pas déclaré celle-ci comme étant son épouse dans sa propre demande de résidence permanente au Canada. Elle a reconnu que le parrain de la demanderesse ne savait pas que la demanderesse était sa conjointe de fait en vertu des lois canadiennes.

 

[20]           L’agente des visas était convaincue que la relation entre la demanderesse et son parrain était authentique, mais elle n’a pas conclu qu’il existait suffisamment de motifs d’ordre humanitaire en l’espèce pour justifier que soit accordée une exemption à la restriction prévue à l’alinéa 117(9)d) du RIPR.

 

[21]           Dans sa décision, l’agente des visas a aussi conclu que la demanderesse n’est pas membre de la catégorie du regroupement familial. Elle a aussi mentionné le paragraphe 11(1) de la LIPR et a conclu que la demanderesse est interdite de territoire parce qu’elle ne satisfait pas aux exigences de la Loi. Par conséquent, elle a rejeté la demande de la demanderesse.

 

[22]           Les dispositions légales pertinentes sont les suivantes :

 

11. (1) L’étranger doit, préalablement à son entrée au Canada, demander à l’agent les visa et autres documents requis par règlement. L’agent peut les délivrer sur preuve, à la suite d’un contrôle, que l’étranger n’est pas interdit de territoire et se conforme à la présente loi.

 

 

 

(2) Ils ne peuvent être délivrés à l’étranger dont le répondant ne se conforme pas aux exigences applicables au parrainage

 

 

12. (1) La sélection des étrangers de la catégorie « regroupement familial » se fait en fonction de la relation qu’ils ont avec un citoyen canadien ou un résident permanent, à titre d’époux, de conjoint de fait, d’enfant ou de père ou mère ou à titre d’autre membre de la famille prévu par règlement.

 

25. (1) Le ministre doit, sur demande d’un étranger se trouvant au Canada qui est interdit de territoire ou qui ne se conforme pas à la présente loi, et peut, de sa propre initiative ou sur demande d’un étranger se trouvant hors du Canada, étudier le cas de cet étranger et peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s’il estime que des circonstances d’ordre humanitaire relatives à l’étranger — compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché — ou l’intérêt public le justifient.

 

 

 

 

117. (1) Appartiennent à la catégorie du regroupement familial du fait de la relation qu’ils ont avec le répondant les étrangers suivants

[...]

 

(9) Ne sont pas considérées comme appartenant à la catégorie du regroupement familial du fait de leur relation avec le répondant les personnes suivantes :

[...]

d) sous réserve du paragraphe (10), dans le cas où le répondant est devenu résident permanent à la suite d’une demande à cet effet, l’étranger qui, à l’époque où cette demande a été faite, était un membre de la famille du répondant n’accompagnant pas ce dernier et n’a pas fait l’objet d’un contrôle.

11. (1) A foreign national must, before entering Canada, apply to an officer for a visa or for any other document required by the regulations. The visa or document may be issued if, following an examination, the officer is satisfied that the foreign national is not inadmissible and meets the requirements of this Act.

 

(2) The officer may not issue a visa or other document to a foreign national whose sponsor does not meet the sponsorship requirements of this Act.

 

12. (1) A foreign national may be selected as a member of the family class on the basis of their relationship as the spouse, common-law partner, child, parent or other prescribed family member of a Canadian citizen or permanent resident.

 

 

25. (1) The Minister shall, upon request of a foreign national in Canada who is inadmissible or who does not meet the requirements of this Act, and may, on the Minister’s own initiative or on request of a foreign national outside Canada, examine the circumstances concerning the foreign national and may grant the foreign national permanent resident status or an exemption from any applicable criteria or obligation of this Act if the Minister is of the opinion that it is justified by humanitarian and compassionate considerations relating to them, taking into account the best interests of a child directly affected, or by public policy considerations.

 

 

117. (1) A foreign national is a member of the family class if, with respect to a sponsor, the foreign national is

[...]

 

 

(9) A foreign national shall not be considered a member of the family class by virtue of their relationship to a sponsor if:

[...]

 

 

(d) subject to subsection (10), the sponsor previously made an application for permanent residence and became a permanent resident and, at the time of that application, the foreign national was a non-accompanying family member of the sponsor and was not examined.

 

 

[23]           La demanderesse se fonde sur l’arrêt Baker c. Canada (MCI), [1999] 2 R.C.S. 817, pour soutenir que la décision raisonnable est la norme de contrôle applicable aux décisions d’agents des visas au sujet des demandes CH.

 

[24]           La norme de la décision correcte s’applique aux questions d’équité procédurale : voir l’arrêt Pushpanathan c. Canada (MCI), [1998] 1 R.C.S. 982.

 

[25]           La demanderesse soutient que la décision de l’agente des visas n’est pas raisonnable parce qu’elle a commis une erreur de droit dans son interprétation du paragraphe 25(1) de la LIPR et de l’alinéa 117(9)d) du RIPR.

 

[26]           La demanderesse fait valoir que l’objectif de l’alinéa 117(9)d) du RIPR n’est certainement pas de rejeter les demandes de résidence permanente au Canada de conjoints authentiques de citoyens canadiens ou de résidents permanents du Canada. De plus, la demanderesse cite certaines parties d’un document de Citoyenneté et Immigration Canada :

 

Les R117(9)d), R117(10) et R117(11) visent à faire en sorte que seules les personnes que le répondant a sciemment décidé d’exclure (soit en omettant de les déclarer ou en interdisant qu’elles se soumettent à un contrôle) de sa demande de résidence permanente ne puissent pas plus tard être parrainées par ce répondant à titre de membres de la catégorie du regroupement familial. [...]

 

Les motifs d’exclusion prévus au R117(9)d) existent en vue d’encourager l’honnêteté et d’empêcher les immigrants de contourner le règlement. Plus précisément, cet alinéa existe pour empêcher les demandeurs de pouvoir parrainer plus tard des membres de la famille autrement interdits de territoire aux termes des généreux règlements de parrainage de la catégorie de la famille alors que d’avoir déclaré ces mêmes membres aurait empêché l’immigration du demandeur au Canada pour des motifs relatifs à l’admissibilité (c.-à-d. fardeau excessif).

 

 

[27]           D’après la demanderesse, l’alinéa 117(9)d) du RIPR a deux objectifs : premièrement, empêcher les fausses représentations qui permettraient à un individu d’obtenir un statut ou un privilège auquel il n’aurait pas droit autrement et deuxièmement, éviter qu’un demandeur et son parrain contournent les dispositions du Règlement en matière d’interdiction de territoire pour des raisons médicales.

 

[28]           Par conséquent, la demanderesse soutient que l’agente des visas a rendu une décision déraisonnable en se fondant sur l’alinéa 117(9)d) du RIPR pour rejeter la demande, parce qu’elle n’a pas conclu que la demanderesse et son conjoint ont fait de fausses représentations. La demanderesse a subi tous les examens médicaux requis pour sa demande de visa étudiant et sa demande de résidence permanente. En fait, qu’elle soit déclarée comme conjointe ou non dans la demande de son parrain n’aurait rien changé à l’issue de cette demande : il aurait tout de même obtenu le droit d’établissement au Canada.

 

[29]           La demanderesse cite la décision De Guzman c. Canada (MCI), 2004 CF 1276, et soutient que la Cour a déclaré que la LIPR prévoit au paragraphe 25(1) un mécanisme d’exemption permettant aux membres de la famille qui sont visés par la restriction de l’alinéa 117(9)d) d’obtenir un examen complet de leur situation.

 

[30]           La demanderesse fait valoir que l’agent des visas doit tenir compte de tous les facteurs pertinents quant à une relation visée par la restriction à l’alinéa 117(9)d) du RIPR lorsqu’il prend une décision par rapport au paragraphe 25(1) de la LIPR. De plus, dans le cas d’un refus, l’agent des visas doit fournir une analyse et des motifs adéquats qui exposent la raison pour laquelle une exemption à la restriction de l’alinéa 117(9)d) ne devrait pas être accordée.

 

[31]           La demanderesse soutient que l’agente des visas n’a pas tenu compte de toute la preuve dont elle était saisie lorsqu’elle a rejeté la demande de parrainage. Elle n’a pas tenu compte des circonstances entourant le premier refus, de l’authenticité et de la durée de la relation, des différences culturelles en ce qui a trait aux conjoints de fait en Chine, de la santé émotionnelle et financière du couple, du fait que le parrain de la demanderesse est bien établi au Canada et des effets dévastateurs que le couple a subis en raison de la séparation prolongée.

 

[32]           La demanderesse fait valoir que la décision Li c. Canada (MCI), 2006 CF 1109, s’applique en l’espèce. Dans cette affaire, la Cour fédérale a déclaré que la décision de l’agente des visas ne permettait pas de penser qu’elle avait analysé les facteurs applicables pour déterminer si, eu égard à la situation du demandeur, il existait des raisons d’ordre humanitaire justifiant d’écarter l’application de l’alinéa 117(9)d) du RIPR.

 

[33]           La demanderesse soutient aussi que la décision de l’agente des visas n’est pas raisonnable parce que l’agente n’a pas présenté suffisamment de motifs. Elle fonde cet argument sur l’arrêt Baker, précité, et sur les décisions Via Rail Canada Inc. c. Office national des transports, [2001] 2 C.F. 25, et Mendoza c. Canada (MCI), 2004 CF 687. Pour les décisions administratives, les motifs adéquats :

 

a) aident le décideur à tenir compte des questions et à prendre de meilleurs décisions;

b) permettent aux parties d’évaluer quels sont leurs choix en matière d’appel;

c) aident le tribunal de révision à décider si une erreur a été commise en première instance.

 

[34]           La demanderesse cite en particulier la décision Via Rail, précitée, au paragraphe 22 :

 

On ne s’acquitte pas de l’obligation de donner des motifs suffisants en énonçant simplement les observations et les éléments de preuve présentés par les parties, puis en formulant une conclusion. Le décideur doit plutôt exposer ses conclusions de fait et les principaux éléments de preuve sur lesquels reposent ses conclusions. Les motifs doivent traiter des principaux points en litige. Il faut y retrouver le raisonnement suivi par le décideur et l’examen des facteurs pertinents.

 

[35]           La demanderesse soutient que l’agente des visas a simplement déclaré qu’elle avait examiné la demande CH et qu’elle avait conclu que les motifs d’ordre humanitaire n’étaient pas suffisants pour écarter l’application de l’alinéa 117(9)d) du RIPR, sans donner de détails.

 

[36]           La demanderesse fait aussi valoir que l’agente des visas l’a privée du droit à l’équité procédurale parce que l’agente a rejeté la demande sans lui donner la chance de présenter ses observations au sujet des motifs d’ordre humanitaire, malgré les demandes répétées de la demanderesse à ce sujet. De plus, il semble que, pour la première demande, la demanderesse avait reçu une lettre d’équité dans laquelle on lui avait demandé des renseignements supplémentaires qui pourraient dissuader l’agent de rejeter la demande. Cela a donné à la demanderesse la conviction légitime qu’on lui demanderait à nouveau de présenter des renseignements supplémentaires avant que l’agente rejette sa demande.

 

[37]           La demanderesse fait valoir que les principes de justice naturelle et d’équité procédurale exigent qu’on lui donne la possibilité de présenter ses observations au sujet des motifs d’ordre humanitaire avant que sa demande soit rejetée. L’agente des visas n’aurait pas dû faire fi de la demande expresse de la demanderesse.

 

[38]           La demanderesse soutient aussi que la décision a été rendue plusieurs mois avant la date à laquelle la demanderesse attendait une réponse. En se fiant à son expérience précédente, la demanderesse croyait que la décision serait rendue après environ six mois. Si la demanderesse avait su que la décision serait rendue plus rapidement, elle aurait présenté ses observations à l’agente des visas plus tôt.

 

[39]           La demanderesse cite aussi les directives de CIC au sujet du droit à l’audience.

 

[40]           La demanderesse demande que je rende une ordonnance annulant la décision de l’agente des visas, que je renvoie l’affaire à un autre agent pour nouvel examen conforme aux motifs de la Cour et que je rende une ordonnance au sujet des dépens.

 

[41]           Le défendeur soutient que les dispositions législatives n’exigent pas que le conjoint non déclaré soit admissible. Elles ne précisent pas non plus que le parrain qui n’a pas déclaré un membre de la famille devait nécessairement avoir des intentions malveillantes ou inappropriées. Cela a été reconnu dans toute la jurisprudence au sujet de l’alinéa 117(9)d) du RIPR. Il n’est pas nécessaire que le parrain ait fait de fausses déclarations au sens de l’article 40 de la LIPR pour que la personne qu’il parraine soit exclue en vertu de l’alinéa 117(9)d) du RIPR.

 

[42]           Le défendeur cite les décisions Natt c. Canada (MCI), [2005] A.C.F. no 2119, Azizi c. Canada (MCI), [2006] 3 R.C.F. 118, 344 N.R. 174, De Guzman, précitée, et de la Fuente c. Canada (MCI), [2006] A.C.F. no 774.

 

[43]           Le défendeur soutient qu’une personne qui n’est pas membre de la catégorie du regroupement familial en vertu de l’alinéa 117(9)d) a d’autres possibilités pour immigrer au Canada, y compris les motifs d’ordre humanitaire. La demanderesse a choisi cette option, mais sa demande a été rejetée.

 

[44]           Le défendeur fait valoir que la demanderesse n’a présenté aucune observation au sujet de la demande CH avant que sa demande soit rejetée, malgré le fait qu’elle savait que l’agente des visas traitait son dossier. On ne peut pas reprocher à l’agente des visas d’avoir rendu sa décision avant que la demanderesse décide de lui envoyer ses observations au sujet des motifs d’ordre humanitaire le 18 avril 2008, après que la décision ait été rendue.

 

[45]           Le défendeur soutient que l’agente des visas a effectué une analyse complète du dossier de la demanderesse par rapport aux motifs d’ordre humanitaire. Dans les notes du STIDI et dans son affidavit, l’agente des visas indique les facteurs qu’elle a examinés pour conclure qu’une exemption prévue au paragraphe 25(1) de la LIPR n’était pas justifiée.

 

[46]           Le défendeur affirme que l’agente des visas a tenu compte de nombreux facteurs dans sa décision, comme le fait que le parrain de la demanderesse ne l’avait pas déclarée comme étant sa conjointe, les conclusions de la SAI, le fait que le parrain est un réfugié de la Chine, le fait que la demanderesse et son parrain sont séparés depuis leur mariage, sauf pour un voyage en Thaïlande, et le fait que leur mariage est authentique. Malgré ces faits, l’agente des visas a conclu que la raison pour laquelle le parrain n’avait pas déclaré sa conjointe n’est pas raisonnable. Le défendeur fait valoir que le parrain aurait dû savoir que la demanderesse était sa conjointe de fait puisqu’il habitait au Canada depuis deux ans et demi au moment où il a obtenu la résidence permanente.

 

[47]           Le défendeur soutient que ce fait, à lui seul, constitue des motifs suffisants pour que l’agente des visas rejette la demande CH. De plus, les observations de la demanderesse portent presque exclusivement sur les mêmes facteurs que l’agente a examinés de son propre chef.

 

[48]           Le défendeur cite l’arrêt R. c. Sheppard, [2002] 1 R.C.S. 869, et soutient que le caractère inadéquat des motifs n’entraîne pas un droit indépendant d’appel parce qu’il constitue automatiquement une erreur susceptible de révision. La Cour suprême a conclu que « [l]’obligation de donner des motifs, peu importe le contexte dans lequel elle est invoquée, devrait recevoir une interprétation fonctionnelle et fondée sur l’objet ». Lorsque le dossier en entier donne une indication du fondement sur lequel un décideur a tiré ses conclusions, la partie qui cherche à faire annuler la décision en raison du caractère inadéquat des motifs doit prouver que le manque de motifs a causé un préjudice pour pouvoir exercer son droit d’appel.

 

[49]           Le défendeur soutient que la demanderesse n’a pas précisé de quelle façon les motifs de décision de l’agente des visas lui causent un préjudice et n’a pas prouvé qu’elle satisfaisait au critère énoncé dans la décision Via Rail, précitée. Les motifs de la décision en l’espèce ont clairement répondu aux deux objets énoncés dans la décision Via Rail, précitée.

 

[50]           De plus, le défendeur fait valoir que les motifs de l’agente satisfont aux normes précisées par la Cour fédérale dans la décision Mendoza, précitée, et approuvées dans la décision Nguyen et al. c. MCI, 2005 CF 349.

 

[51]           Le défendeur soutient que l’agente n’a pas privé la demanderesse de son droit à l’équité procédurale. La demanderesse n’a pas prouvé qu’elle avait le droit d’être prévenue de la date à laquelle la décision serait rendue. De plus, la lettre que la demanderesse a reçue ne mentionnait pas qu’une décision serait rendue au moins six mois plus tard.

 

[52]           Le défendeur note que la demanderesse a reçu une lettre d’équité dans le cadre de sa première demande de résidence permanente. Lorsqu’elle a présenté sa deuxième demande, il n’était clairement pas nécessaire de lui donner un préavis du fait que sa demande serait rejetée puisqu’il avait déjà été conclu deux fois qu’elle était interdite de territoire.

 

[53]           Finalement, le défendeur demande que la présente demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

 

[54]           La demanderesse fait valoir que le défendeur a commis une erreur de droit parce qu’il n’a pas compris l’influence réciproque entre l’alinéa 117(9)d) du RIPR et le paragraphe 25(1) de la LIPR. Le défendeur aurait commis une erreur lorsqu’il a conclu que certains faits importants n’étaient pas pertinents quant au rejet de la demande. Ces faits sont les suivants : la demanderesse n’est pas membre de la catégorie du regroupement familial au sens de l’alinéa 117(9)d) du RIPR parce qu’elle n’a pas été déclarée, la demanderesse n’était pas interdite de territoire pour des raisons médicales, ni la demanderesse ni son parrain n’ont fait de fausses déclarations et l’omission de déclarer la demanderesse était une erreur innocente de la part du parrain.

 

[55]           La demanderesse soutient que les facteurs susmentionnés, ainsi que les facteurs qu’elle a présentés dans ses observations, auraient dû être examinés attentivement en fonction du paragraphe 25(1) de la LIPR et que des motifs adéquats et raisonnables auraient dû être rendus afin d’expliquer de quelle façon la décision a été prise.

 

[56]           En ce qui a trait à l’argument portant sur les notes du STIDI, la demanderesse fait valoir qu’il n’est pas étayé par la preuve ni les faits.

 

[57]           La demanderesse soutient que les notes du STIDI ne sont qu’un résumé des renseignements qui se trouvaient sur les formulaires de demande du couple. Ils ne comprennent aucune analyse des motifs d’ordre humanitaire.

 

[58]           De plus, la demanderesse fait valoir que l’agente n’aurait pas dû utiliser le défaut du parrain de déclarer sa conjointe comme motif pour rejeter la demande CH. En fait, l’agente des visas aurait dû tenir compte des autres points susmentionnés qui appuient la demande de la demanderesse.

 

[59]           La demanderesse soutient aussi que l’arrêt Sheppard, précité, ne s’applique pas en l’espèce parce que le rejet de la demande n’était pas étayé par la preuve. De plus, seule une hypothèse de l’agente de visas justifie le rejet de la demande.

 

[60]           En ce qui a trait aux arguments fondés sur les décisions Via Rail et Mendoza, précitées, la demanderesse soutient que la décision de l’agente des visas ne satisfaisait pas aux critères juridiques mentionnés dans ces arguments, critères qui ont été précisés plus tôt dans la présente décision.

 

[61]           Quant à la question de l’équité procédurale, la demanderesse répète que l’agente des visas a manqué à l’équité procédurale lorsqu’elle a empêché la demanderesse de présenter ses observations au sujet des motifs d’ordre humanitaire en rejetant la demande de façon prématurée. En outre, l’agente des visas savait que la demanderesse souhaitait présenter des observations au sujet des motifs d’ordre humanitaire. La demanderesse l’en avait avisée lorsqu’elle lui a demandé à quel moment la décision serait rendue.

 

[62]           La demanderesse déclare que la décision était injuste, eu égard aux nombreuses conséquences de la décision sur la vie du couple.

 

[63]           Compte tenu des observations de la demanderesse, il y a deux questions à trancher :

 

1.      La décision de l’agente des visas était-elle raisonnable, vu la situation de la demanderesse et l’interprétation fondée sur l’objet de l’alinéa 117(9)d) du RIPR et du paragraphe 25(1) de la LIPR?

2.      Y a-t-il eu manquement à l’équité procédurale envers la demanderesse?

 

[64]           Je préciserai la norme de contrôle applicable à chaque question dans mon analyse.

 

[65]           Je ne traiterai que deux des arguments soulevés dans les observations des parties. Le premier argument porte sur le manque de motifs détaillés dans la décision de l’agente des visas. Le deuxième porte sur l’équité procédurale. Je traiterai d’abord de la norme de contrôle dans mon analyse.

 

[66]           Comme la demanderesse l’a mentionné, les arrêts Baker et Pushpanathan, précités, traitent de la norme de contrôle applicable aux deux questions qui font partie de mon analyse. En ce qui a trait aux motifs d’ordre humanitaire, l’arrêt Baker, précité, précise que la décision raisonnable est la norme de contrôle applicable. Quant à la question de l’équité procédurale, l’arrêt Baker propose d’appliquer la norme de la décision correcte.

 

[67]           Il y a un manque évident de motifs détaillés dans la décision. L’arrêt Baker, précité, et la décision Via Rail, précitée, exigent que le décideur fournisse des motifs détaillés de sa décision. Dans l’arrêt Baker, la Cour suprême a précisé au paragraphe 43 :

 

À mon avis, il est maintenant approprié de reconnaître que, dans certaines circonstances, l’obligation d’équité procédurale requerra une explication écrite de la décision. Les solides arguments démontrant les avantages de motifs écrits indiquent que, dans des cas comme en l’espèce où la décision revêt une grande importance pour l’individu, dans des cas où il existe un droit d’appel prévu par la loi, ou dans d’autres circonstances, une forme quelconque de motifs écrits est requise. Cette exigence est apparue dans la common law ailleurs. Les circonstances de l’espèce, à mon avis, constituent l’une de ces situations où des motifs écrits sont nécessaires. L’importance cruciale d’une décision d’ordre humanitaire pour les personnes visées, comme celles dont il est question dans les arrêts Orlowski, Cunningham et Doody, milite en faveur de l’obligation de donner des motifs. Il serait injuste à l’égard d’une personne visée par une telle décision, si essentielle pour son avenir, de ne pas lui expliquer pourquoi elle a été prise.

 

[68]           Dans la lettre datée du 7 avril 2008, avant d’analyser les motifs d’ordre humanitaire, l’agente des visas a déclaré qu’il était raisonnable de s’attendre à ce que le parrain de la demanderesse, comme il a habité plus de deux ans au Canada, connaisse la définition de conjoint de fait ou qu’il ait au moins demandé des précisions, lorsqu’il a lui-même présenté une demande de résidence permanente, afin de déterminer si la demanderesse était visée par la définition. Elle a ensuite mentionné les motifs d’ordre humanitaire comme suit :

[traduction]

Bien que je sois convaincue que votre relation avec votre parrain est authentique, j’ai examiné les renseignements présentés dans la demande ainsi que les motifs d’ordre humanitaire qui ont été précisés et je ne crois pas qu’il existe suffisamment de motifs d’ordre humanitaire en l’espèce pour justifier une exemption à l’interdiction de territoire prévue à l’alinéa 117(9)d) du Règlement.

 

J’en conclus donc que vous n’appartenez pas à la catégorie du regroupement familial.

 

 

[69]           Il ne s’agit pas là de motifs suffisamment détaillés et la décision ne satisfait pas aux critères énoncés dans les décisions précitées. Par conséquent, la décision fondée sur les motifs d’ordre humanitaire n’est pas raisonnable.

 

[70]           La question portant sur l’équité procédurale n’est pas aussi claire que la question précédente, mais elle est tout de même défendable. Dans l’arrêt Baker, précité, la Cour suprême a présenté une liste non exhaustive de facteurs importants dont il faut tenir compte lors de l’examen d’une question portant sur l’équité procédurale :

 

(1)        la nature de la décision recherchée et le processus suivi pour y parvenir;

(2)        la nature du régime législatif et les termes de la loi en vertu de laquelle agit l’organisme en question;

(3)        l’importance de la décision pour les personnes visées;

(4)        les attentes légitimes de la personne qui conteste la décision;

(5)        les choix de procédure faits par l’organisme.

 

[71]           Premièrement, le fait que la demanderesse et son parrain aient reçu une lettre d’équité qui leur permettait de présenter des observations quant à la première demande de parrainage a créé une attente légitime. De plus, leur avocat a envoyé à l’agente une lettre dans laquelle il demandait d’être avisé de la date à laquelle la décision serait rendue, afin qu’il puisse envoyer des observations quant aux motifs d’ordre humanitaire. L’agente des visas a bien reçu cette demande, mais n’y a jamais répondu. Bien qu’il soit vrai que la demanderesse et son parrain auraient pu envoyer les observations immédiatement plutôt que d’attendre une lettre d’équité, ce n’est pas le processus auquel ils s’attendaient, compte tenu du fait qu’on leur avait demandé des observations pour leur première demande.

 

[72]           Dans la décision de la Commission d’appel de l’immigration, le commissaire a conclu que l’affaire en l’espèce était particulièrement convaincante en ce qui a trait aux motifs d’ordre humanitaire fondés sur les différences culturelles. L’agente des visas n’a pas examiné correctement cette question.

 

[73]           En ce qui a trait à la norme de contrôle de la décision correcte, il y a eu manquement à l’équité procédurale dans la décision de l’agente en raison des facteurs susmentionnés.

 

[74]           J’ai délibérément examiné les observations de la demanderesse et du défendeur, puisqu’il s’agit en l’espèce d’un exemple de cas où l’agent de révision du défendeur n’a pas rempli ses fonctions.

 

[75]           La Section d’appel de l’immigration a clairement précisé le 19 juillet 2007 que le parrain et la demanderesse pouvaient présenter une demande d’exemption fondée sur des motifs d’ordre humanitaire parce que l’affaire était convaincante.

 

[76]           J’ai du mal à comprendre les raisons pour lesquelles l’agente de révision a rejeté de nouveau la demande CH.

 


 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE que la présente demande de contrôle judiciaire soit accueillie et que l’affaire soit renvoyée à un autre agent pour nouvel examen conformément aux présents motifs.

 

            Il n’y a pas d’adjudication de dépens.

 

            Aucune question de portée générale n’a été soumise aux fins de certification.

 

 

 

« Max M. Teitelbaum »

Juge suppléant

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

Dossier :                                        IMM-2469-08

 

INTITULÉ :                                       Zhang Dan c. Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 17 décembre 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge suppléant Teitelbaum

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 30 janvier 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Lihua Bao

 

POUR LA DEMANDERESSE

Maria Burgos

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Lihua Bao

Avocate

Oakville (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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