Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 

 

 

Date : 20090120

Dossier : 08-T-71

Référence : 2009 CF 44

Ottawa (Ontario), le 20 janvier 2009

En présence de monsieur le juge Shore

 

ENTRE :

DANONE INC.

demanderesse

et

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET

L’AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA

défendeurs

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

I.  Introduction

Pourquoi la demanderesse s’est-elle adressée à la Cour?

[1]               Le produit DanActive est-il un yogourt à manger ou un produit santé à boire? La clé de la réponse à cette question réside dans le mode de consommation par l’acheteur; ainsi, il s’agit de savoir si le produit est fait pour être bu ou mangé. Dans la pratique, la réponse a d’importantes répercussions dans la présente affaire quant aux droits de douane en cause; mais c’est à l’organisme gouvernemental visé qu’il incombe de répondre à cette question.

 

Qu’est-ce que la demanderesse demande à la Cour?

[2]               La demande vise l’obtention d’une réparation interlocutoire en attendant la décision définitive de la Cour concernant la demande de contrôle judiciaire. La demanderesse sollicite trois ordonnances :

a)      De bene esse, une prorogation du délai pour déposer une demande de contrôle judiciaire visant les ordonnances contestées rendues par l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC), conformément au paragraphe 18.1(1) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7;

b)      Une suspension provisoire de l’application de la décision de 2008, conformément à l’article 18.2 de la Loi sur les Cours fédérales;

c)      Une ordonnance en vertu de l’article 151 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106, exigeant que la version de l’affidavit que M. Louis Frenette, président et président‑directeur général de la demanderesse, Danone Canada Inc. (Danone), a signé le 15 décembre 2008 et qui porte la mention « confidentiel » soit considérée comme confidentielle.

 

[3]               Cependant, au cours d’une discussion préliminaire au début de l’audience publique de la Cour, la demanderesse a convenu qu’en raison de l’enjeu du litige, elle demandait en fait que la décision de 2006 demeure en vigueur jusqu’au prononcé d’une décision définitive relativement à la décision de 2008; ainsi, la demanderesse demande seulement la suspension de la décision de 2008 jusqu’à ce que l’affaire fasse l’objet d’une décision définitive.

 

La Cour fédérale peut-elle acquiescer à la demande de la demanderesse?

[4]               Sur quel fondement la Cour fédérale peut-elle accueillir la requête présentée par Danone? Certaines questions préliminaires doivent être analysées puisqu’il importe de déterminer quelle entité quasi-judiciaire ou judiciaire a quelle compétence, et dans quelles circonstances. Cet examen préliminaire vise à assurer que les motifs qui suivent s’inscrivent dans un cadre législatif et jurisprudentiel. Les questions suivantes sont utiles pour statuer sur la compétence de la Cour fédérale à cet égard :

a.       La Cour fédérale a-t-elle compétence pour procéder au contrôle judiciaire de la décision de 2008, et partant, compétence pour accorder une prorogation du délai pour déposer une demande de contrôle judiciaire?

b.      Quel organisme a compétence pour accorder une injonction interlocutoire?

 

II.  Contexte

Le plan pilote de commercialisation quadriennal

 

[5]               Danone Canada Inc., de Boucherville, au Québec, a commencé en 2006 à envisager de commercialiser au Canada un produit appelé DanActive. DanActive contient une série de cultures bactériennes brevetées, dont Danone prétend qu’il a été prouvé scientifiquement qu’elles stimulent les systèmes immunitaires chez l’humain lorsqu’elles sont ingérées régulièrement. À l’heure actuelle, il n’y a aucun établissement au Canada capable de produire DanActive.

 

[6]               Avant d’engager les sommes considérables requises pour construire un établissement capable de produire DanActive au Canada, la demanderesse a décidé de procéder d’abord à la mise en œuvre d’un plan pilote de commercialisation quadriennal; pendant cette période, elle investirait des sommes considérables pour commercialiser la marque DanActive au Canada afin de déterminer s’il y avait une demande suffisante pour justifier d’investir dans un tel établissement. Dès le début de la période visée par le plan pilote de commercialisation en 2006, Danone prévoyait que, si DanActive montrait des signes de succès sur le marché canadien, elle construirait un établissement de production de DanActive à son complexe de Boucherville, au Québec, à partir de 2010. Pour mettre en œuvre ce plan, Danone devait d’abord importer DanActive de l’usine de Danone en Ohio, qui est l’établissement le plus proche du Canada capable de produire DanActive.

 

[7]               En 2007, avant que les ventes de DanActive débutent au Canada, Danone a rencontré des représentants des Producteurs laitiers du Canada (PLC) et de l’industrie laitière québécoise pour les informer que, si la phase d’essai s’avérait un succès, Danone prévoyait construire un établissement au Canada à compter de 2010. Pour approvisionner cet établissement, il faudrait acheter une quantité importante de lait liquide québécois, ingrédient qui entre dans la composition de DanActive. Ces groupes de producteurs laitiers appuyaient le plan puisque son succès pourrait éventuellement mener à la production de DanActive au Canada. Ils semblaient comprendre que Danone devrait importer temporairement le produit des États‑Unis jusqu’à ce que l’essai de commercialisation soit mené à terme avec succès, et ils reconnaissaient qu’il s’agissait là d’une étape nécessaire pour que les avantages futurs pour les producteurs canadiens puissent se concrétiser.

 

La décision anticipée de 2006

 

[8]               Avant d’investir des sommes considérables pour introduire DanActive sur le marché canadien, le plan pilote de commercialisation serait seulement mis en œuvre si les droits appliqués aux importations de DanActive des États‑Unis étaient minimes et si on n’exigeait pas l’attribution d’un contingent. Si des droits élevés ou l’exigence d’un contingent étaient imposés, les coûts liés à la mise du produit sur marché seraient prohibitifs. Par conséquent, pour plus de certitude, Danone a demandé à l’ASFC une décision anticipée concernant le classement tarifaire qui serait appliqué pour l’importation de DanActive.

 

[9]               Le 17 novembre 2006, l’ASFC a rendu la décision anticipée 219663 (la décision de 2006), qui concluait que DanActive serait classé sous le numéro tarifaire 2202.90.49.00, qui vise une « boisson contenant du lait ». Sous ce classement, il n’y a aucun contingent tarifaire puisque DanActive bénéficie d’un accès en franchise de droits à titre de produit originaire d’un pays partie à l’ALÉNA (Accord de libre-échange nord-américain). Se fiant au fait que les droits imposés à l’importation de DanActive des États-Unis ne seraient pas prohibitifs, Danone a commencé à mettre en œuvre son plan pilote de commercialisation et à importer et vendre DanActive au Canada en 2007.

 

La décision anticipée de 2008

 

[10]           Selon Danone, le plan pilote de commercialisation a été couronné de succès. Danone y a consacré des millions de dollars en 2006 et 2007, et elle affirme que DanActive a atteint le seuil de rentabilité en 2008 et devrait générer des profits en 2009. En outre, Danone prévoit que les ventes et les profits continueront de croître dans des mesures appréciables pendant plusieurs années après 2009. Danone affirme aussi que les ventes de DanActive rapportent des profits importants aux détaillants, en partie parce que les consommateurs ne réduisent généralement pas leurs achats d’autres aliments lorsqu’ils achètent DanActive : en effet, les consommateurs qui achètent DanActive ne le considèrent pas comme un produit utilisé pour les repas ou les collations, mais plutôt comme un petit supplément nutritionnel.  Ainsi, les producteurs d’autres produits, dont les produits laitiers, n’en subiraient aucune conséquence négative.

 

[11]           Les résultats encourageants du plan pilote de commercialisation ont amené Danone à décider de construire le rajout à son usine de Boucherville, au Québec, afin qu’elle puisse produire DanActive au Canada. Danone prévoit entreprendre la construction en 2010, et la parachever en 2011. Ce nouvel établissement créerait un nouveau débouché pour le lait québécois ainsi que de nouveaux emplois à Boucherville et partout au Canada.

 

[12]           En mai 2008, l’ASFC a informé Danone que la décision de 2006 faisait l’objet d’un réexamen et lui a demandé des renseignements. Le 27 octobre 2008, l’ASFC a avisé Danone de la décision anticipée 232911 (la décision de 2008). Cet avis informait Danone que l’ASFC annulait la décision de 2006 et la remplaçait par une décision qui classait DanActive comme un « yogourt » sous la position tarifaire 0403.10. La décision de 2008 prend effet le 27 janvier 2009.

 

[13]           Ce nouveau classement impose un contingent d’importation de 330 tonnes. Les sociétés qui possèdent une attribution de ce contingent peuvent importer du yogourt des États-Unis en franchise de droits. Toutes les importations de DanActive visées par la décision de 2008 qui ne bénéficient pas d’une attribution de contingent se verront imposer des droits de 237,5 %, ce qui constituerait un coût prohibitif au point d’empêcher la vente de DanActive au Canada.

 

[14]           Danone ne possède aucun contingent d’importation parce qu’elle s’est fiée à la décision de 2006 qui l’assurait qu’aucune attribution de contingent ne serait nécessaire pour les importations de DanActive. Danone affirme qu’elle ne pourra importer aucun DanActive à la suite de la prise d’effet de la décision de 2008. En outre, même si Danone possédait quelque 330 tonnes de contingent déjà attribué, cela ne suffirait pas à répondre aux besoins de Danone, qui a besoin de beaucoup plus que cela pour répondre à la demande des consommateurs en 2009.

 

III.  Analyse

La Cour fédérale a-t-elle compétence pour procéder au contrôle judiciaire de la décision de 2008 et, partant, pour accorder une prorogation du délai pour déposer une demande de contrôle judiciaire?

 

[15]           La  Loi sur les douanes, L.R., 1985, ch. 1 (2e suppl.) (la Loi), établit un régime législatif complet de réexamen qui fait échec à la compétence de la Cour fédérale en matière de contrôle judiciaire. Dans Abbott Laboratories, Ltd. c. Canada (Ministre du Revenu national – M.R.N.), 2004 CF 140, 246 F.T.R. 128, le juge François Lemieux a statué qu’un régime législatif complet de réexamen des décisions rendues en vertu de la Loi sur les douanes exprimait l’intention du législateur de faire échec à la compétence de la Cour fédérale en matière de contrôle judiciaire :

[38]      [...] La présente affaire est peut-être unique parce que le mécanisme de révision prévu aux articles 59 à 68 de la Loi prévoit trois clauses privatives. D’après ces dispositions, les décisions de Ross Le Clair ne peuvent être révisées que par un réexamen effectué par le commissaire. Seul le TCCE peut annuler ou modifier le réexamen du commissaire et la décision du TCCE peut faire l’objet d’un appel devant la Cour d’appel fédérale, mais uniquement sur une question de droit.

 

[39]      Je ne pense pas qu’en adoptant cette structure, le législateur aurait pu exprimer son intention plus clairement. Le législateur voulait que les intéressés utilisent les recours administratifs, quasi judiciaires et judiciaires à l’exclusion de toute autre voie de révision ou d’appel. Cette structure comprend des organismes, comme le commissaire et le TCCE, qui possèdent une expertise reconnue dans le domaine. En outre, c’est la Cour d’appel fédérale et non pas la Cour fédérale qui exerce un pouvoir de surveillance judiciaire sur le TCCE, conformément à l’alinéa 28(1)b) de la Loi sur la Cour fédérale.

 

 

[16]           Tout comme dans Abbott Laboratories, en l’espèce, il existe un régime législatif complet de réexamen et d’annulation des décisions anticipées. Ce régime est complet parce que le paragraphe 60(2) de la Loi prévoit la révision d’une décision anticipée prise en application de l’article 43.1 de la Loi. En vertu de l’alinéa 60(4)b), le président de l’ASFC, représenté par un agent d’appel, doit confirmer, modifier ou annuler la décision anticipée. Selon l’article 62, une telle décision prise par un agent d’appel en vertu de l’article 60 de la Loi ne peut faire l’objet d’un appel que devant le Tribunal canadien du commerce extérieur (TCCE). Enfin, l’article 68 dispose que les décisions du TCCE ne peuvent faire l’objet d’un appel devant la Cour d’appel fédérale que sur une question de droit.

 

[17]           Le caractère complet du régime législatif est suffisant, suivant la décision Abbott Laboratories, pour faire échec à la compétence de la Cour fédérale. Le fait que Danone ait déjà fait une demande en vertu du paragraphe 60(2) de la Loi pour interjeter appel de la décision de 2008 indique qu’elle a déjà pris des mesures pour protéger ses droits. Danone ne peut pas contourner le processus multi‑étapes de réexamen complet en demandant à la Cour de procéder à un contrôle judiciaire (1099065 Ontario Inc. (faisant affaire sous le nom de Outer Space Sports) c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2006 CF 1263, 301 F.T.R. 291, conf. par 1099065 Ontario Inc. (faisant affaire sous le nom de Outer Space Sports) c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2008 CAF 47, 164 A.C.W.S. (3d) 636) :

[36]      À la fin de la journée, il est apparu que la principale raison pour laquelle OSS refusait de se prévaloir du processus d’examen prévu dans la Loi sur les douanes était sa réticence à suivre les différentes procédures d’examen prévues dans la Loi et son désir de voir ces questions tranchées par la Cour fédérale dès maintenant.

 

[37]      En toute déférence, les préférences d’une partie quant au choix du forum ne sont pas un motif suffisant pour justifier de contourner l’intention clairement exprimée du Parlement que de tels litiges soient instruits devant un autre tribunal.

 

Permettre le contrôle judiciaire par la Cour fédérale entraînerait aussi une multiplicité d’instances.

 

[18]           Même à supposer que le régime législatif ne soit pas suffisant pour faire échec à la compétence de la Cour fédérale, l’article 18.5 de la Loi sur les Cours fédérales a cet effet. En effet, l’article 18.5 écarte la compétence de la Cour fédérale dans la mesure où une décision administrative peut faire l’objet d’un appel en vertu d’un régime législatif créé par une loi du Parlement :

18.5

 

Par dérogation aux articles 18 et 18.1, lorsqu’une loi fédérale prévoit expressément qu’il peut être interjeté appel, devant la Cour fédérale, la Cour d’appel fédérale, la Cour suprême du Canada, la Cour d’appel de la cour martiale, la Cour canadienne de l’impôt, le gouverneur en conseil ou le Conseil du Trésor, d’une décision ou d’une ordonnance d’un office fédéral, rendue à tout stade des procédures, cette décision ou cette ordonnance ne peut, dans la mesure où elle est susceptible d’un tel appel, faire l’objet de contrôle, de restriction, de prohibition, d’évocation, d’annulation ni d’aucune autre intervention, sauf en conformité avec cette loi.

18.5 

 

Despite sections 18 and 18.1, if an Act of Parliament expressly provides for an appeal to the Federal Court, the Federal Court of Appeal, the Supreme Court of Canada, the Court Martial Appeal Court, the Tax Court of Canada, the Governor in Council or the Treasury Board from a decision or an order of a federal board, commission or other tribunal made by or in the course of proceedings before that board, commission or tribunal, that decision or order is not, to the extent that it may be so appealed, subject to review or to be restrained, prohibited, removed, set aside or otherwise dealt with, except in accordance with that Act.

 

Comme nous l’avons indiqué précédemment, les décisions prises en application de l’article 43.1 peuvent être réexaminées par un agent d’appel, dont la décision peut à son tour être réexaminée par le TCCE. Enfin, les décisions du TCCE peuvent être réexaminées par la Cour d’appel fédérale.

 

[19]           Puisqu’en l’espèce toute décision d’un agent d’appel peut faire l’objet d’un appel en vertu du régime législatif établi aux articles 58 à 68 de la Loi, l’article 18.5 de la Loi sur les Cours fédérales a pour effet de faire échec à la compétence de la Cour fédérale.

 

Quel organisme a compétence pour accorder une injonction interlocutoire?

[20]           Bien qu’elle n’ait pas compétence pour contrôler les décisions des agents d’appel, la Cour fédérale semble être le seul organisme compétent pour accorder une injonction interlocutoire suspendant l’exécution de la décision anticipée de 2008.

 

Le processus de l’ASFC

[21]           Aux termes de l’article 16 du Règlement sur les décisions anticipées en matière de classement tarifaire, DORS/2005-256, l’agent qui modifie ou annule une décision anticipée peut en reporter la prise d’effet d’au plus 90 jours :

16.     (1) L’agent reporte, d’au plus quatre-vingt-dix jours, la prise d’effet de la modification ou de l’annulation de la décision anticipée dans le cas où le destinataire de celle-ci démontre qu’il s’est fondé de bonne foi, à son détriment, sur la décision.

 

 

 

[...]

16.      (1) An officer shall postpone the effective date of a modification or revocation of an advance ruling for a period not exceeding 90 days where the person to whom the advance ruling was given demonstrates that the person has relied in good faith on that advance ruling to the person’s detriment.

...

 

[22]           En l’espèce, l’agent a reporté la date de prise d’effet de la décision de 2008 de 90 jours, soit jusqu’au 27 janvier 2009. L’ASFC ne semble avoir aucune autre compétence pour reporter ou suspendre l’exécution de la décision de 2008.

 

[23]           D’après le Mémorandum (Mémo D11-11-3), le processus habituel dans une situation où un importateur conteste une décision anticipée consiste à interjeter un appel. Le Mémo D11-11-3 décrit la situation qui s’applique le mieux à Danone :

37.      La contestation d’une décision anticipée peut correspondre à un des scénarios suivants :

[...]

c) Le client a importé des marchandises conformément à une décision anticipée qui est contestée en vertu du paragraphe 60(2) de la Loi et n’a pas reçu de notification subséquente en vertu du paragraphe 59(2) découlant d’une activité de rajustement. Le client peut présenter une demande de remboursement en vertu de l’article 74 de la Loi pour obtenir un remboursement après avoir reçu une décision anticipée favorable ou pour que l’ASFC laisse l’affaire en suspens en attendant le résultat de la contestation.

 

 

37.      Disputing an advance ruling may involve any of the following scenarios:


...

(c) The client has imported goods in accordance with an advance ruling that is in dispute under subsection 60(2) of the Act and has had no subsequent subsection 59(2) notice resulting from adjustment activity. Clients may file a refund application under section 74 of the Act either to obtain a refund after receiving a favourable advance ruling decision or for the CBSA to hold in abeyance pending the dispute outcome.

[24]           Pendant qu’un appel est en instance, l’importateur doit agir en conformité avec la décision anticipée contestée en payant les droits exigés. Comme l’explique le Mémo D11-11-3, aux paragraphes 49 à 51, si l’agent d’appel fait droit à l’appel de l’importateur, celui-ci peut réclamer un remboursement de tous les droits payés.

 

[25]           Dans le cas de Danone, si l’agent d’appel ne prend pas de décision avant le 27 janvier 2009, date de prise d’effet de la décision de 2008, Danone devra alors commencer à payer des droits de 237,5 % sur les importations de DanActive. Si Danone obtient plus tard gain de cause en appel, elle pourra alors demander un remboursement en vertu de l’article 74 de la Loi. Même avant le prononcé de la décision, Danone peut toutefois demander un remboursement; elle doit alors demander à l’ASFC de mettre la demande en suspens jusqu’au prononcé de la décision statuant sur l’appel.

 

Le TCCE

[26]           Aux termes du paragraphe 67(1) de la Loi, la décision d’un agent d’appel peut faire l’objet d’un appel devant le TCCE. Une fois saisi de l’appel, le TCCE a alors compétence pour accorder une réparation interlocutoire :

67.

 

[...]

 

(3) Le Tribunal canadien du commerce extérieur peut statuer sur l’appel prévu au paragraphe (1), selon la nature de l’espèce, par ordonnance, constatation ou déclaration, celles-ci n’étant susceptibles de recours, de restriction, d’interdiction, d’annulation, de rejet ou de toute autre forme d’intervention que dans la mesure et selon les modalités prévues à l’article 68.

67.

 

...

 

(3) On an appeal under subsection (1), the Canadian International Trade Tribunal may make such order, finding or declaration as the nature of the matter may require, and an order, finding or declaration made under this section is not subject to review or to be restrained, prohibited, removed, set aside or otherwise dealt with except to the extent and in the manner provided by section 68.

 

[27]           La Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, 1985, ch. 47 (4e suppl.) énonce la mission du TCCE :

16.      Le Tribunal a pour mission

[...]

c) de connaître de tout appel pouvant y être interjeté en vertu de toute autre loi fédérale ou de ses règlements et des questions connexes;


d) d’exercer les attributions qui lui sont conférées en vertu de toute autre loi fédérale ou de ses règlements.

16.     The duties and functions of the Tribunal are to

...

(c) hear, determine and deal with all appeals that, pursuant to any other Act of Parliament or regulations thereunder, may be made to the Tribunal, and all matters related thereto; and

(d) exercise and perform such other duties or functions that, pursuant to any other Act of Parliament or regulations thereunder, shall or may be exercised or performed by the Tribunal.

 

[28]           La mission du TCCE ne commence que lorsqu’un appel est interjeté de la décision de l’agent d’appel, et pas avant.

 

Cour d’appel fédérale

[29]           Le paragraphe 67(3) de la Loi sur les douanes exige que les appels des décisions du TCCE soient examinés en conformité avec l’article 68 de la Loi. Le paragraphe 68(1) permet les appels des décisions du TCCE devant la Cour d’appel fédérale. En vertu du paragraphe 68(2), la Cour d’appel fédérale « peut statuer sur le recours, selon la nature de l’espèce, par ordonnance ou constatation, ou renvoyer l’affaire au Tribunal canadien du commerce extérieur pour une nouvelle audience ».

 

[30]           Le paragraphe 28(1) de la Loi sur les Cours fédérales confirme la compétence de la Cour d’appel fédérale pour statuer sur les appels des décisions du TCCE :

28      (1) La Cour d’appel fédérale a compétence pour connaître des demandes de contrôle judiciaire visant les offices fédéraux suivants :

 

 

 

[...]

 

e) le Tribunal canadien du commerce extérieur constitué par la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur;

 

28      (1) The Federal Court of Appeal has jurisdiction to hear and determine applications for judicial review made in respect of any of the following federal boards, commissions or other tribunals:

 

...

 

(e) the Canadian International Trade Tribunal established by the Canadian International Trade Tribunal Act;

 

[31]           La Loi sur les Cours fédérales ne confère toutefois pas compétence à la Cour fédérale pour accorder une injonction interlocutoire avant qu’une demande de contrôle judiciaire d’une décision du TCCE ait été faite.

 

[32]           Ce n’est qu’après que la décision d’un agent d’appel est prise que la Cour d’appel fédérale a compétence. Puisque l’article 28 de la Loi sur les Cours fédérales constitue une exception à l’article 18 de la Loi sur les Cours fédérales, qui confère à la Cour fédérale une compétence de surveillance exclusive à l’égard de tout office fédéral, il faut l’interpréter restrictivement. La Cour d’appel fédérale a compétence pour procéder au contrôle judiciaire des décisions du TCCE, mais le paragraphe 28(3) de la Loi sur les Cours fédérales écarte cette compétence dans le contexte d’une demande de contrôle judiciaire.

 

[33]           En l’espèce, puisqu’il n’y a aucune demande de contrôle judiciaire existante, le paragraphe 28(3) de la Loi sur les Cours fédérales n’a pas pour effet de priver la Cour fédérale de sa compétence.

 

Cour fédérale

[34]           Bien qu’elle n’ait pas compétence pour contrôler les décisions d’un agent d’appel, la Cour fédérale a compétence pour accorder des injonctions interlocutoires afin de suspendre l’exécution de la décision d’un agent d’appel. Dans ITO - International Terminal Operators Ltd. c. Miida Electronics Inc., [1986] 1 R.C.S. 752, [1986] A.C.S. no 38 (QL), la Cour suprême du Canada a énoncé les trois conditions qui doivent être remplies pour pouvoir conclure à la compétence de la Cour fédérale :

1.  Il doit y avoir attribution de compétence par une loi du Parlement fédéral.

2.  Il doit exister un ensemble de règles de droit fédérales qui soit essentiel à la solution du litige et constitue le fondement de l’attribution légale de compétence.

3.  La loi invoquée dans l’affaire doit être « une loi du Canada » au sens où cette expression est employée à l’art. 101 de la Loi constitutionnelle de 1867.

 

 

a)      Attribution de compétence par une loi fédérale : article 44 de la Loi sur les Cours fédérales

 

[35]           L’article 44 de la Loi sur les Cours fédérales attribue à la Cour fédérale une compétence résiduelle pour accorder une injonction. Dans Canada (Commission des droits de la personne) c. Canadian Liberty Net, [1998] 1 R.C.S. 626, 78 A.C.W.S. (3d) 705 (plus récemment, Canada (Commission des droits de la personne) c. Winnicki, 2005 CF 1493, [2006] 3 R.C.F. 446), la majorité a jugé que la Cour fédérale a une compétence résiduelle pour accorder une injonction autonome même si la décision définitive relative au différend est laissée à un décideur administratif et la Cour n’est pas saisie du différend.

 

[36]           S’exprimant au nom de la majorité des juges de la Cour suprême du Canada, le juge Michel Bastarache a jugé que la Loi canadienne sur les droits de la personne, 1985, ch. H-6, ne conférait pas au Tribunal des droits de la personne le pouvoir d’accorder des injonctions. Malgré l’absence d’une attribution de compétence aux termes de la Loi sur les droits de la personne, le juge Bastarache a estimé que le libellé de l’article 44 de la Loi sur les Cours fédérales indiquait que le Parlement avait voulu conférer à la Cour fédérale une compétence administrative générale sur les tribunaux administratifs fédéraux :

[36]      Comme l’indique clairement le texte de la Loi sur la Cour fédérale et le confirme le rôle additionnel qui est confié à cette cour par d’autres lois fédérales, dans le présent cas la Loi sur les droits de la personne, le Parlement a voulu conférer à la Cour fédérale une compétence administrative générale sur les tribunaux administratifs fédéraux.  Pour ce qui concerne son rôle de surveillance des décideurs administratifs, les pouvoirs confiés par une loi à la Cour fédérale à cet égard ne doivent pas être interprétés de façon restrictive.  Cela signifie que, lorsqu’il s’agit d’une question relevant clairement de son rôle de surveillance d’un organisme administratif, ce qui inclut la prise de mesures provisoires visant à régir des différends dont l’issue finale est laissée au décideur administratif concerné, la Cour fédérale peut être considérée comme ayant plénitude de compétence.

 

[37]      En l’espèce, je suis d’avis qu’il ressort clairement de l’objet de la Loi sur la Cour fédérale et de la Loi sur les droits de la personne que l’art. 44 confère à la Cour fédérale la compétence d’accorder une injonction dans le cadre de l’application de la Loi sur les droits de la personne.  Je fonde cette conclusion sur le fait que la Cour fédérale a le pouvoir d’accorder toute « autre forme de réparation » dans les affaires soumises au Tribunal des droits de la personne, et que ce pouvoir n’est pas altéré du seul fait que le Parlement a confié à un décideur administratif spécialisé le rôle de statuer sur le fond de ces affaires.  Comme je l’ai souligné plus tôt, les décisions et le fonctionnement du Tribunal sont assujettis de façon étroite aux pouvoirs de surveillance et de contrôle de la Cour fédérale, y compris son pouvoir de transformer les ordonnances du tribunal en ordonnances de la cour.  Ces pouvoirs équivalent à une « autre forme de réparation » pour l’application de l’art. 44.

 

 

[37]           En l’espèce, la Loi sur les douanes n’attribue pas non plus, ni expressément ni implicitement, compétence à la Cour fédérale pour accorder une injonction interlocutoire. Comme dans Canadian Liberty Net, la décision définitive relative à l’appel est laissée à un décideur administratif, soit l’agent d’appel. En outre, la Cour fédérale joue déjà un rôle sous le régime de la Loi sur les douanes. En effet, en vertu de la partie V.1 de la Loi sur les douanes, la Cour fédérale a compétence quant au recouvrement des créances visées par la Loi sur les douanes. Ces dispositions démontrent que la Cour fédérale a effectivement un rôle de surveillance dans des circonstances précises, que l’on peut qualifier de pouvoir d’accorder « une autre forme de réparation » au sens de l’article 44 de la Loi sur les Cours fédérales.

 

b)      Un ensemble de règles de droit fédérales qui soit essentiel à la solution du litige et constitue le fondement de l’attribution légale de compétence

 

[38]           Le juge Bastarache a exposé les exigences de ce volet du critère dans Canadian Liberty Net :

[43] La condition relative à l’existence d’un ensemble de règles de droit fédérales constituant le fondement de l’attribution législative de compétence vise principalement à garantir le respect par les tribunaux fédéraux des limites constitutionnelles de leur compétence.  Comme l’a souligné le juge Wilson dans Roberts, précité, les deuxième et troisième conditions énoncées dans l’arrêt ITO, précité -- règles de droit fédérales servant de fondement et validité constitutionnelle de ces règles de droit -- sont indispensables (aux pp. 330 et 331) :

 

Bien qu’il y ait nettement un chevauchement entre les deuxième et troisième éléments du critère applicable pour établir la compétence de la Cour fédérale, le deuxième, tel que je le comprends, exige qu’il existe un ensemble de règles de droit fédérales applicables à l’objet de la contestation, en l’espèce le droit relatif aux Indiens et à leurs intérêts dans les terres des réserves . . . [Je souligne.]

                                 

Le différend à l’égard duquel on plaide l’existence d’une compétence doit être principalement et essentiellement fondé sur des règles de droit fédérales.  Si le différend ne se rattache qu’indirectement à un ensemble de règles de droit fédérales, il est alors possible que, en exerçant compétence, la Cour fédérale outrepasse son rôle au regard de la Constitution.

 

[39]           Le juge Bastarache a jugé que la Loi canadienne sur les droits de la personne, confinée comme elle l’est à la compétence fédérale sur les moyens de communication téléphonique, constituait la source du droit fédéral pertinent.

 

[40]           En l’espèce, la Loi sur les douanes constitue un ensemble de règles de droit fédérales qui constitue le fondement de l’attribution légale de compétence.

 

c)      La loi invoquée dans l’affaire doit être « une loi du Canada » au sens où cette expression est employée à l’art. 101 de la Loi constitutionnelle de 1867

 

[41]           La loi en cause doit relever d’un des champs de compétence du Parlement. Dans l’arrêt ITO, précité, la Cour suprême du Canada a jugé que le droit maritime canadien et d’autres lois relatives à la navigation et à la marine marchande relevaient du chef de compétence prévu au paragraphe 91(10) de la Loi constitutionnelle de 1867, ce qui confirmait la compétence législative fédérale.

 

[42]           En l’espèce, la Loi sur les douanes relève du chef de compétence « règlementation du trafic et du commerce » prévu au paragraphe 91(2) de la Loi constitutionnelle de 1867, ce qui confirme la compétence législative fédérale.

 

Conclusion au sujet de la compétence de la Cour fédérale pour accorder des injonctions interlocutoires

 

[43]           La Cour fédérale n’a pas compétence pour procéder au contrôle judiciaire de la décision de 2008 puisqu’il existe un régime législatif complet prévoyant des appels et des réexamens de pareilles décisions. La Cour fédérale a toutefois compétence pour accorder une injonction interlocutoire en attendant une décision du décideur administratif.

 

La Cour devrait-elle accorder une  suspension provisoire de la décision de 2008?

 

[44]           Étant donné que la Cour a compétence pour accorder une injonction interlocutoire, il reste à savoir si une telle mesure est indiquée dans les circonstances. Le critère à appliquer pour déterminer si l’octroi d’une suspension provisoire d’une ordonnance est justifié est exposé dans RJR-MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 R.C.S. 311, [1994] A.C.S. no 17 :

a)      Y-a-t-il une question sérieuse à juger?

b)      Le demandeur subira-t-il un préjudice irréparable si la réparation provisoire n’est pas accordée?

c)      Quelle partie subirait le plus grand préjudice selon que l’on accorde ou refuse la réparation provisoire en attendant une décision sur le fond (la prépondérance des inconvénients)?

 

a)   Question sérieuse

 

[45]           Dans une demande de suspension provisoire, le demandeur doit satisfaire à un critère peu exigeant pour démontrer que la cause sous-jacente soulève une question suffisamment sérieuse à juger. Dans TPG Technology Consulting Ltd. c. Canada (Ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux), 2007 CAF 219, 367 N.R. 47, la Cour d’appel fédérale a cité RJR‑MacDonald pour expliquer la nature de l’analyse relative à l’existence d’une question sérieuse :

[traduction] [7]   [...] les exigences minimales sont très peu élevées lorsqu’il s’agit de déterminer s’il y a une question sérieuse à juger; ainsi, si une évaluation préliminaire, et non un long examen, du fond de la question révèle que celle-ci n’est pas futile ou vexatoire, le juge des requêtes devrait examiner les deux autres volets du critère.

 

 

[46]           Dans Remo Imports Ltd. c. Jaguar Cars Ltd. (faisant affaire sous le nom de Jaguar Canada), 2006 CF 188, 47 C.P.R. (4th) 135, le juge Pierre Blais, alors juge de la Cour fédérale, a précisé en outre :

[7]       [...] Il n’appartient pas à la Cour, à ce stade peu avancé de l’instance, d’apprécier le bien-fondé de la question; il s’agit plutôt d’établir, sur examen du dossier et des prétentions des parties, que la question n’est pas futile ou vexatoire.

 

 

[47]           Danone soutient que la décision de 2008 causera un dommage important parce qu’elle a agi sur la foi de l’assurance expresse qu’elle pouvait se fier à la décision de 2006. En outre, elle fait valoir que l’ASFC a refusé de lui fournir les motifs détaillés de l’annulation et de l’imposition de la nouvelle décision de 2008.

 

[48]           Danone affirme qu’il y a des indications selon lesquelles la décision de 2008 a pu résulter de partialité, d’une influence indue et/ou d’une prise de décision mal éclairée. Ces affirmations, selon Danone, pourraient se fonder principalement sur une rencontre du 26 novembre 2008 avec l’ASFC au cours de laquelle il a été expliqué à Danone que le réexamen avait été entrepris à la suite de « plaintes » au sujet des importations de DanActive, reçues de plaignants non nommés de « l’industrie » (affidavit de Louis Frenette, dossier de requête de la demanderesse à la p. 9). Danone trouve troublant que des plaignants de « l’industrie » aient connu les détails de la décision de 2006 puisque, selon elle, tous les renseignements relatifs à cette décision devaient être considérés comme confidentiels. Elle allègue que l’ASFC a divulgué ses renseignements confidentiels. Ainsi, Danone soutient que les questions qui précèdent « révèlent clairement » plusieurs questions juridiques sérieuses.

 

[49]           En vertu de l’article 12 du Règlement sur les décisions anticipées en matière de classement tarifaire, DORS/2005-256 (le Règlement), un agent peut modifier ou annuler une décision anticipée pour certains motifs :

12.      L’agent peut modifier ou annuler la décision anticipée dans les cas suivants :

 

a) la décision est fondée soit sur une erreur de fait, soit sur une erreur dans le classement tarifaire des marchandises;

 

b) la décision doit se conformer à la décision d’un tribunal canadien ou à une modification législative au Canada;

 

c) les faits ou circonstances essentiels sur lesquels est fondée la décision changent;

 

d) le commissaire modifie la décision anticipée en application de l’alinéa 60(4)b) de la Loi.

 

12.      An officer may modify or revoke an advance ruling given in respect of goods

 

(a) if the advance ruling is based on an error of fact or in the tariff classification of the goods;

 

(b) to conform with a decision of a Canadian court or tribunal or a change in the laws of Canada;

 

(c) if there is a change in the material facts or circumstances on which the advance ruling is based; or

 

(d) if the Commissioner revises an advance ruling under paragraph 60(4)(b) of the Act.

 

[50]           En outre, en vertu de l’article 7 du Règlement, l’agent doit motiver ses décisions anticipées.

 

[51]           Les motifs de la décision de 2008 invoquent une erreur dans le classement tarifaire des marchandises. La décision de 2008 énonce comme motifs qu’« [u]n examen détaillé du SRT#219663 [la décision de 2006], boisson probiotique Danactive, émis le 16 novembre 2006, sous la sous-position SH 2202.90, a déterminé que ce classement est inexact » (dossier de requête de la demanderesse à la p. 34). La décision poursuit en énonçant qu’“[u]ne analyse en laboratoire a établi que le produit en question est du yoghourt liquide. Le yoghourt est prévu sous la position 04.03 [...] ».

 

[52]           La décision de 2008 explique ensuite l’erreur de classement qui a mené à l’annulation de la décision de 2006. La décision de 2008 cite la définition tarifaire du yogourt sous la position 04.03, et démontre ensuite au moyen des notes explicatives des chapitres 22 et 4 que DanActive n’aurait jamais dû être classé sous la position 22.02 :

La Note explicative du Chapitre 22 énonce : « Ne sont pas compris dans ce Chapitre : a) Les produits laitiers liquides du Chapitre 4. » La Note explicative de la position 22.02 énonce : « Sont exclus de la présente position : a) le yoghourt à l’état liquide et les autres laits et crèmes fermentés ou acidifiés, additionnés de cacao, de fruits ou d’aromatisants (no 04.03). » 

 

La Note explicative de la position 04.03 énonce : « les produits de la présente position peuvent se présenter à l’état liquide, pâteux ou solide (y compris congelé) et être concentrés (...) ou conservées (...). Les produits de la présente position peuvent être additionnés de sucre ou d’autres édulcorants, d’aromatisants, de fruits (y compris les pulpes et confitures) ou de cacao.

 

 

[53]           Danone prétend que l’ASFC a refusé de communiquer son analyse de laboratoire de DanActive qui a mené au nouveau classement du produit comme yogourt liquide. L’ASFC a cité cette analyse de laboratoire comme fondement de sa décision de 2008. Le refus de l’ASFC de communiquer l’analyse de laboratoire à Danone constitue un défaut de fournir des motifs adéquats à l’appui de sa décision, ce qui soulève une question juridique sérieuse.

 

Conclusion au sujet de l’existence d’une question sérieuse

 

[54]           Dans le cadre d’une requête en injonction interlocutoire, la Cour n’a pas à statuer sur le bien-fondé de l’argumentation juridique, mais n’a qu’à déterminer s’il existe une question sérieuse à examiner. En l’espèce, la non-divulgation des résultats de laboratoire sur lesquels l’ASFC a fondé sa décision de 2008 soulève une question juridique sérieuse quant à savoir si la décision de 2008 est adéquatement motivée. 

 

a)   Préjudice irréparable

 

[55]           Dans RJR-MacDonald, la Cour suprême du Canada a expliqué le critère du « préjudice irréparable » comme suit :

[58]     À la présente étape, la seule question est de savoir si le refus du redressement pourrait être si défavorable à l’intérêt du requérant que le préjudice ne pourrait pas faire l’objet d’une réparation, en cas de divergence entre la décision sur le fond et l’issue de la demande interlocutoire.

 

[56]           Une perte commerciale permanente ou un tort irrévocable à la réputation commerciale pourraient être considérés comme un préjudice irréparable (RJR-MacDonald, précité, au paragraphe 59; voir aussi TPG Technology, précité, au paragraphe 23). En outre, le retrait relativement soudain d’un produit du marché est susceptible de « compromettre à jamais » les rapports entre le manufacturier et ses clients (Remo Imports, précité, au paragraphe 19).

 

[57]           L’imposition de la décision de 2008 par l’ASFC le 27 janvier 2009 aura plusieurs conséquences permanentes et irréversibles pour Danone auxquelles il ne pourra pas être remédié même dans l’éventualité d’une décision en sa faveur. L’exécution de la décision de 2008 forcera Danone à cesser les ventes de DanActive après qu’elle aura épuisé ses stocks existants en raison du coût d’importation prohibitif, qui assujettira DanActive à des droits de 237,5 %.

 

[58]           Premièrement, cesser les ventes de DanActive pendant la période visée par le plan pilote de commercialisation détruira la fidélité du consommateur qui est allée grandissant, et les concurrents s’approprieront vraisemblablement la position sur le marché, les profits et l’attachement de la clientèle que Danone a acquis.

 

[59]           Deuxièmement, les investissements considérables effectués pour bâtir la marque seraient irrémédiablement perdus, puisque Danone ne pourrait pas tirer parti des profits projetés pour 2009. Danone a investi des millions de dollars en études de marché, en commercialisation, en distribution, en frais de listage et en approbations réglementaires afin d’amener DanActive au Canada dans le cadre de son plan pilote de commercialisation. Des pertes étaient naturellement prévues au cours des premières années, mais on s’attendait à ce que les profits croissent à mesure que les initiatives de commercialisation entraîneraient une augmentation des ventes. Après l’atteinte du seuil de rentabilité en 2008, il était prévu que DanActive génère des profits en 2009. Une partie de ces profits servirait alors à compenser les pertes antérieures. Si elle ne peut pas commercialiser DanActive en 2009, Danone ne pourra pas récupérer ces millions de dollars d’investissements. Même si son appel de la décision de 2008 est finalement accueilli, ces profits seront perdus.

 

[60]           Enfin, le retrait soudain de DanActive du marché causera un tort permanent au marché de Danone pour ses autres produits ainsi qu’à sa réputation auprès des détaillants alimentaires. D’après Danone, 80 % de ses produits sont vendus par trois grands détaillants. Ceux‑ci sont satisfaits de DanActive, car ils obtiennent une marge de profit importante sur ce produit. Pour les manufacturiers dans le secteur de l’alimentation, maintenir des liens solides avec les détaillants qui fournissent leurs produits directement aux consommateurs est essentiel pour stimuler les ventes.

 

b)   La prépondérance des inconvénients

 

[61]           Dans Turbo Resources Ltd. c. Petro Canada Inc., [1989] 2 C.F. 451, 13 A.C.W.S. (3d) 371 (C.A.), la Cour d’appel fédérale a expliqué qu’en cas de doute quant à savoir si le demandeur subira ou non un préjudice irréparable, l’analyse de la question de savoir quelle partie subirait le plus d’inconvénients du fait de l’octroi ou du refus de la suspension peut constituer un facteur à prendre en compte. Ce volet du critère peut comprendre plusieurs facteurs, qui varieront dans chaque cas. Deux de ces facteurs sont les questions de savoir si la suspension provisoire préserve le statu quo et s’il serait dans l’intérêt public d’accorder la suspension provisoire. La question de savoir si c’est l’octroi ou le refus d’une suspension provisoire qui servirait le mieux l’intérêt du public, à la fois la société en général et des groupes particuliers identifiables, est aussi examinée dans le cadre de l’analyse de la prépondérance des inconvénients.

 

[62]           Comme nous l’avons indiqué plus haut, l’exécution de la décision de 2008 le 27 janvier 2009 pourrait causer un préjudice irréparable à Danone. Inversement, l’octroi d’une suspension maintiendrait le statu quo. La décision de 2006 a été en vigueur au cours des deux dernières années, de sorte que le statu quo pour une période provisoire ne fait pas pencher la balance en faveur des défendeurs. En outre, il n’est pas allégué que l’application de la décision de 2006 menace la santé publique, la sécurité publique ou le bien-être de la population.

 

[63]           Une importante question d’intérêt public est le risque de pertes d’emplois à la suite de l’imposition de la décision. Danone prétend que même si la décision de 2008 est annulée à l’avenir, la cessation des ventes de DanActive après le 27 janvier 2009 obligera Danone à réduire son personnel des ventes et de la commercialisation en raison de la perte d’un de ses produits faisant l’objet de la plus importante campagne de promotion. L’établissement de Danone en Ohio à partir duquel DanActive est actuellement importé aura besoin de moins d’employés comme conséquence de la perte d’un marché important; ainsi, les deux pays subiront des pertes d’emplois dans le marché économique actuel. Enfin, le projet de construction d’un nouvel établissement de production à Boucherville, au Québec, sera annulé, et ainsi sera perdue une occasion de créer des emplois dans les domaines de la construction et de l’entretien ainsi que de nouveaux emplois permanents dans les secteurs de la fabrication, des ventes et de la distribution à une époque critique. En outre, la construction du nouvel établissement de production pourrait constituer un nouveau débouché pour le lait liquide des producteurs québécois, et ainsi assurer également une plus grande sécurité d’emploi dans ce secteur.

 

La Cour devrait-elle ordonner que l’affidavit confidentiel du président et chef de la direction de Danone soit considéré comme confidentiel?

 

[64]           La divulgation de certains passages de l’affidavit de M. Frenette, au soutien de la présente requête, contient des renseignements commerciaux et des renseignements de nature exclusive confidentiels. Leur divulgation pourrait causer de sérieux préjudices financiers et autres à Danone; par conséquent, la version confidentielle de l’affidavit de M. Frenette sera considérée comme confidentielle conformément à l’article 151 des Règles des Cours fédérales.

 

IV.  Conclusion

 

[65]           La version confidentielle de l’affidavit susmentionné sera considérée comme telle.

 

[66]           En ce qui concerne le cœur du litige, qui relève de la compétence de la Cour fédérale, en raison de l’analyse qui précède, la Cour a compétence pour examiner la demande de suspension de la décision de 2008; ainsi, sur le fondement du critère énoncé dans RJR-MacDonald, la Cour accorde la suspension jusqu’à ce que la question fasse l’objet d’une décision définitive à tous les niveaux de tous les organismes concernés. Par conséquent, la décision de 2006 demeure en vigueur jusqu’à ce que l’affaire soit définitivement tranchée.


 

ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE :

            a) la version confidentielle de l’affidavit de M. Frenette sera considérée comme confidentielle conformément à l’article 151 des Règles des Cours fédérales;

b) une suspension est accordée de la façon décrite à la conclusion des motifs.

 

REMARQUES INCIDENTES

 

Autres considérations relatives aux trois volets du critère énoncé dans l’arrêt RJR-MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 R.C.S. 311, à la suite des observations présentées de vive voix et par écrit à la salle d’audience

 

Compte tenu de la séparation des pouvoirs, il revient au pouvoir exécutif du gouvernement d’examiner en profondeur les répercussions d’ordre politique dans le contexte économique actuel aux niveaux micro-économique et macro-économique.

 

Considérations d’ordre économique

 

·        Danone Canada emploie 500 personnes à son établissement de Boucherville, au Québec, et a des revenus annuels de 500 millions de dollars au Canada;

·        Dans le cadre de son plan pilote de commercialisation quadriennal, Danone a investi des millions de dollars pour commercialiser la marque DanActive au Canada afin d’évaluer s’il y avait suffisamment de demande pour justifier d’investir dans un établissement capable de produire DanActive au Canada;

·        Selon Danone, DanActive a atteint le seuil de rentabilité en 2008 et devrait générer des profits en 2009;

·        Danone affirme qu’elle planifie la construction d’un établissement à Boucherville, au Québec, capable de produire DanActive. Cet établissement entrerait en service en 2010 et créerait de nouveaux emplois dans la région;

·        Danone affirme aussi qu’elle prévoit se procurer au Canada tous les produits laitiers liquides nécessaires à la production de DanActive;

·        La cessation des exportations de DanActive de l’établissement de production de Danone en Ohio pourrait entraîner une réduction des activités de production et la perte d’emplois, tant au Canada qu’aux États-Unis, de sorte qu’il y aurait des répercussions pour ces deux États parties à l’ALÉNA.

 

Considérations d’ordre social et politique

 

·        L’imposition d’un tarif de 237,5 % pourrait être contre-productive si la décision de 2008 est modifiée aux termes d’une décision ultérieure. Le fait que la décision de 2008 puisse entraîner des pertes d’emploi aux États-Unis ainsi qu’au Canada justifie en soi une analyse approfondie;

·        Compte tenu de la situation qui prévaut dans les régions rurales du Québec, si elle est telle qu’il appert des documents présentés à la Cour, le soutien aux producteurs laitiers et à l’industrie laitière locaux dans la province est un facteur à prendre en compte, indépendamment de la décision finale que prendra l’autorité exécutive au terme d’une analyse plus poussée.

« Michel M.J. Shore »

uge

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    08-T-71

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :                        DANONE INC. c.

                                                                        PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,

                                                                        MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE et

                                                                        AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 14 janvier 2009

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                   LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 20 janvier 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Mme Brenda C. Swick

M. Simon V. Potter

 

POUR LA DEMANDERESSE

M. Michael Roach

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

McCARTHY TÉTRAULT s.r.l.

Ottawa (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

JOHN H. SIMS, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.