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Date :  20090120

Dossiers :  T-454-08

T-455-08

 

Référence :  2009 CF 48

Ottawa (Ontario), le 20 janvier 2009

En présence de monsieur le juge Beaudry

 

ENTRE :

BROUILLETTE KOSIE PRINCE

demanderesse

et

 

GREAT HARVEST FRANCHISING, INC.

défenderesse

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit de deux appels déposée par la demanderesse en vertu de l’article 56 de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. 1985, ch. T-13 (la loi), de deux décisions de P.H. Sprung, membre de la Commission des oppositions des marques de commerce pour le Registraire des marques de commerce (le Registraire), datées du 24 janvier 2008, de maintenir deux marques de commerce de la défenderesse.

 

 

Contexte factuel

[2]               Le premier dossier, T-454-08, concerne la marque de commerce GREAT HARVEST BREAD CO. & DESIGN, numéro LMC 524,225, enregistrée le 2 mars 2000 et déposée en lien avec les services suivants : « Exploitation et franchisage de boulangeries de détail ». Il s'agit d'une marque figurative dont le dessin est le suivant :

 

 

[3]               Le deuxième dossier, T-455-08, concerne la marque de commerce GREAT HARVEST BREAD CO. & DESIGN, numéro LMC 523,778, enregistrée depuis le 24 février 2000 en association avec les services et marchandises suivants :

Services :

1)         Services de franchisage, à savoir l’offre d’aide technique relativement à l’installation et à l’exploitation de boulangeries de détail et de services de boulangerie de détail.

2)         Exploitation et franchisage de boulangeries de détail.

Marchandises :

Produits de boulangerie, à savoir du pain, des biscuits, des muffins et des brioches à la cannelle; du blé; des confitures et gelées; des vêtements à savoir des chapeaux, des chandails, des tabliers, des tee-shirts et des maillots.

 

 

 

Il s'agit d'une marque figurative dont le dessin est le suivant :

 

[4]               Le 25 juin 2003, à la suite de deux demandes de la demanderesse, le Registraire des marques de commerce a émis un avis à la défenderesse selon l’article 45 de la loi concernant les marques nommées ci-dessus. L’article 45 exige que le propriétaire de la marque déposée indique, à l’égard de chacune des marchandises ou chacun des services spécifiés dans l’enregistrement, si la marque de commerce a été employée au Canada à un moment quelconque au cours des trois années précédant la date de l’avis. Si la marque n’a pas été employée pendant cette période, il faut indiquer la date de la dernière utilisation et la raison de la non-utilisation depuis cette date. Pour les deux dossiers en cause, la période pertinente pour établir l’utilisation se situe entre le 25 juin 2000 et le 25 juin 2003.

 

[5]               Le paragraphe 45(1) de la loi prévoit ceci :

45.(1) Le registraire peut, et doit sur demande écrite présentée après trois années à compter de la date de l’enregistrement d’une marque de commerce, par une personne qui verse les droits prescrits, à moins qu’il ne voie une raison valable à l’effet contraire, donner au propriétaire inscrit un avis lui enjoignant de fournir, dans les trois mois, un déclaration solennelle ou une déclaration solennelle indiquant, à l’égard de chacune des marchandises ou de chacun des services que spécifie l’enregistrement, si la marque de commerce a été employée au Canada à un moment quelconque au cours des trois ans précédant la date de l’avis et, dans la négative, la date où elle a été ainsi employée en dernier lieu et la raison de son défaut d’emploi depuis cette date.

45.(1) The Registrar may at any time and, at the written request made after three years from the date of the registration of a trade-mark by any person who pays the prescribed fee shall, unless the Registrar sees good reason to the contrary, give notice to the registered owner of the trade-mark requiring the registered owner to furnish within three months an affidavit or a statutory declaration showing, with respect to each of the wares or services specified in the registration, whether the trade-mark was in use in Canada at any time during the three year period immediately preceding the date of the notice and, if not, the date when it was last so in use and the reason for the absence of such use since that date.

 

[6]               L’usage en lien avec des marchandises est défini au paragraphe 4(1) de la loi :

4.(1) Une marque de commerce est réputée employée en liaison avec des marchandises si, lors du transfert de la propriété ou de la possession de ces marchandises, dans la pratique normale du commerce, elle est apposée sur les marchandises mêmes ou sur les colis dans lesquels ces marchandises sont distribuées, ou si elle est, de toute autre manière, liée aux marchandises à tel point qu’avis de liaison est alors donné à la personne à qui la propriété ou possession est transférée.

4.(1) A trade-mark is deemed to be used in association with wares if, at the time of the transfer of the property in or possession of the wares, in the normal course of trade, it is marked on the wares themselves or on the packages in which they are distributed or it is in any other manner so associated with the wares that notice of the association is then given to the person to whom the property or possession is transferred.

 

[7]               L’usage en lien avec des services est défini au paragraphe 4(2) de la loi :

4.(2) Une marque de commerce est réputée employée en liaison avec des services si elle est employée ou montrée dans l’exécution ou l’annonce de ces services.

4.(2) A trade-mark is deemed to be used in association with services if it is used or displayed in the performance or advertising of those services.

 

[8]               En réponse à l’avis du Registraire, le ou vers le 20 janvier 2004, la défenderesse a produit la déclaration solennelle de Mme Dawn Eisenzimer, directrice de l’élaboration de nouvelles franchises chez Great Harvest Bread Co. Les deux parties ont soumis des arguments écrits au Registraire, et une audience a été tenue le 4 octobre 2007.

 

[9]               Le 24 janvier 2008, le Registraire, sous la plume de P.H. Sprung, a rendu ses décisions suivant lesquelles l’enregistrement de la marque de commerce LMC 524,225 était maintenue alors que l’enregistrement de la marque LMC 523,778 était maintenue en partie.

 

Questions en litige

[10]           Les questions en litige sont les mêmes pour les deux dossiers:

1.         Quelle est la norme de contrôle applicable?

2.         Quel type de preuve est nécessaire en vertu des procédures découlant de l’article 45 de la loi?

3.         La décision du Registraire concluant à l’usage de la marque de commerce au Canada par le défendeur est-elle raisonnable?

 

 

Décisions contestées

Dossier T-454-08

[11]           Pour ce qui est de la marque de commerce LMC 524,225, Mme Eisenzimer déclare dans sa déclaration solennelle que la marque de commerce a été utilisée au Canada le 25 mars 2003 dans le centre commercial Lethbridge, en Alberta, pour l’exploitation de boulangeries de détail. Pour appuyer cette affirmation, elle joint la pièce 1, une photo qu’elle a prise de cet événement. La photo montre des paniers de pain posés sur une table provisoire installée dans le centre commercial, et une bannière épinglée autour de la table, qui, bien que masquée partiellement par un client, montre la marque de commerce en question.

 

[12]           La pièce 2 est une autre photo qui montre la table, l’exposition de pain et la bannière portant ladite marque de commerce dans son intégralité. Derrière la table se trouve une personne qui semble être un vendeur. La pièce 3 est une page tirée d’une brochure d’information qui offre la possibilité de devenir franchisé. La marque de commerce en question figure en haut de la page de renseignements. Mme Eisenzimer déclare que cette publicité a été envoyée à au moins 157 personnes au Canada au cours des trois années précédant le 25 juin 2003.

 

[13]           Le Registraire note que l’inscrivante n’a aucune obligation de démontrer la présence de franchisés au Canada; en vertu du paragraphe 4(2) de la loi, il est suffisant que « l’emploi » de la marque soit établi dans l’exécution ou l’annonce des services. Par exemple, la jurisprudence démontre que l’emploi d’une marque de commerce dans des annonces au Canada pour des services uniquement disponibles aux États-Unis ne satisfait pas aux dispositions du paragraphe 4(2) (voir Porter c. Don the Beachcomber (1966), 48 C.P.R. 280). Toutefois, lorsque le propriétaire de la marque de commerce offre des services au Canada, l’emploi de la marque de commerce dans l’annonce de ces services répond aux exigences du paragraphe 4(2) (voir Wenward (Canada) Ltd. c. Dynaturf Co. (1976), 28 C.P.R. (2d) 20).

 

[14]           Bien que le prospectus ne soit pas fourni dans son intégralité, le Registraire estime que la page distribuée aux Canadiens pendant la période concernée, qui montre clairement la marque de commerce en question, sollicite de nouveaux franchisés et offre des services de franchise et satisfait aux exigences du paragraphe 4(2) de la loi par rapport au « franchisage de boulangeries de détail ».

 

[15]           Eu égard à « l’exploitation de boulangeries de détail », le Registraire estime qu’il y a eu exploitation d’une boulangerie temporaire une fois au Canada pendant la période concernée. Le fait que ces activités ont été menées pour susciter un intérêt par rapport à des possibilités de franchise n’élimine pas moins leur caractère d’activités de vente au détail, étant donné que la présence de pain à vendre était un avantage distinct pour les consommateurs ce jour-là (Carling O’Keefe Breweries of Canada Ltd. c. Anheuser-Busch, Inc. (1985), 4 C.P.R. (3d) 216).

 

[16]           Bien qu’il s’agisse d’un cas moins évident et qu’il aurait été préférable d’avoir d’autres renseignements, d’après son interprétation de l’ensemble de déclaration solennelle, le Registraire estime que la preuve est suffisante pour démontrer que la marque de commerce a été employée en liaison avec « l’exploitation et le franchisage de boulangeries de détail » au sens du paragraphe 4(2) de la loi.

 

Dossier T-455-08

[17]           Pour ce qui est de la marque de commerce LMC 523,778, Mme Eisenzimer déclare dans sa déclaration solennelle que la marque a été utilisée au Canada le 25 mars 2003 dans le centre commercial Lethbridge, en Alberta, pour la vente de produits de boulangerie, à savoir du pain. Trois échantillons des étiquettes apparaissant sur les emballages de pain vendus sont joints à la pièce 1. Le Registraire note qu’une des étiquettes fournies montre la marque de commerce en question telle qu’elle est enregistrée. La pièce 2 comprend 49 factures relatives à la vente de pain le 25 mars 2003. Le Registraire estime que cette preuve établit l’emploi au Canada pendant la période concernée de la marque de commerce en question en lien avec des produits de boulangerie, soit du pain. Aucune vente pour « des biscuits, des muffins et des brioches à la cannelle; du blé; des confitures et gelées; des vêtements, à savoir des chapeaux, des chandails, des tabliers, des tee-shirts et des maillots » n’est revendiquée ou démontrée par la déclarante.

 

[18]           La pièce 3 est une copie d’une annonce de l’inscrivante figurant dans le répertoire 2003 des franchises canadiennes. Le titre « Canadian Business Franchise 2003 Directory » apparaît au bas de la page. Mme Eisenzimer déclare que la marque de commerce est utilisée dans ce répertoire depuis janvier 2003 environ. Le Registraire accepte cette déclaration, étant donné qu’il est raisonnable de supposer qu’un répertoire annuel serait disponible au début de chaque année.

 

[19]           La pièce 4 est un exemple de cartes de visite qui, selon les affirmations de la déclarante, étaient exposées et distribuées dans les locaux du centre commercial Lethbridge le 25 mars 2003. La pièce 5 est un échantillon d’un prospectus donné le 25 mars 2003 pour solliciter les franchisés par rapport à des services de franchisage. Le prospectus contient visiblement la marque de commerce en question et se compose de deux pages d’images colorées et brillantes, ainsi que des témoignages d’actuels franchisés aux États-Unis. Le Registraire estime que toutes les preuves combinées établissent l’emploi de la marque de commerce dans la publicité relative au franchisage de boulangeries de détail au Canada.

 

[20]           Le Registraire estime aussi que l’utilisation de la marque de commerce en question a été démontrée par rapport à l’exploitation de boulangeries de détail, étant donné qu’il est évident que ladite marque apparaissait clairement lorsque la vente de pain a été réalisée, à savoir sur les emballages de pain et sur l’enseigne des locaux. Des photos qui montrent un vendeur vendant du pain, portant une toque de boulanger et un tablier avec la marque de commerce en question, sont aussi jointes. La pièce 8 montre des ballons portant la marque exposée dans les locaux.

 

[21]           Le Registraire note qu’il y a eu emploi de la marque de commerce en question au sens du paragraphe 4(2) de la loi en lien avec « des services de franchisage, à savoir l’offre d’aide technique relative à l’installation et à l’exploitation de boulangeries de détail et de services de boulangerie de détail », et avec « l’exploitation et le franchisage de boulangeries de détail » ainsi qu’avec marchandises « de boulangerie, à savoir du pain ». Il y a aussi eu emploi de la marque au sens du paragraphe 4(1) de la loi en lien avec des produits de boulangerie, à savoir du pain.

 

[22]           En conséquence, l’enregistrement LMC 523,778 est modifiée pour supprimer « des biscuits, des muffins et des brioches à la cannelle; du blé; des confitures et gelées; des vêtements, à savoir des chapeaux, des chandails, des tabliers, des tee-shirts et des maillots » conformément aux dispositions de l’article 45 de la loi.

 

Analyse

1.         Quelle est la norme de contrôle applicable?

[23]           Les deux parties sont d’accord que la norme de contrôle applicable en l’espèce est celle de la décision raisonnable simpliciter (Barreau du Nouveau-Brunswick c. Ryan, 2003 CSC 20, [2003] 1 R.C.S. 247 et plus récemment, le critère de la raisonnabilité prononcé dans Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190). L’arrêt Brasseries Molson c. John Labatt Ltée (C.A.), [2000] 3 C.F. 145, a établi que les décisions du Registraire qui relèvent de son champ d’expertise, qu’elles soient fondées sur les faits, sur le droit ou qu’elles résultent de l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, doivent être révisées suivant la norme de la décision raisonnable simpliciter (Neptune S.A. c. Canada (Procureur général), 2003 CFPI 715, 237 F.T.R. 240 au paragraphe 27). La Cour doit conclure que la décision du Registraire n’est pas raisonnable ou qu'une erreur manifeste existe avant de substituer sa propre décision à celle du Registraire (Société nationale des chemins de fer français c. Venice Simplon-Orient Express Inc. (2000), 9 C.P.R. (4th) 443, 102 A.CW.S. (3d) 189; Lang Michener c. United Grain Growers c., 2001 CAF 66, [2001] 3 C.F. 102). La défenderesse soutient que si le Registraire ne remarque pas de faille dans la preuve, la Cour ne devrait pas intervenir dans la décision rendue par ce dernier (Footlocker Group Canada Inc. c. Steinberg, 2004 CF 717, 253 F.T.R. 109). Même si cette cause a été renversée par la Cour d’appel par la suite, le principe ci-haut mentionné a été confirmé.

 

2.         Quel type de preuve est nécessaire en vertu des procédures découlant de l’article 45 de la loi?

 

Dossier T-454-08 :

[24]           La demanderesse fait remarquer que la défenderesse aurait pu, suite à la réception de l’avis et en vertu du paragraphe 56(5) de la loi, produire une preuve supplémentaire devant la Cour. Cette preuve aurait pu répondre aux ambiguïtés et aux questionnements soulevés par le Registraire, mais la défenderesse a choisi de ne produire aucune preuve supplémentaire.

 

[25]           La demanderesse soumet que la preuve du propriétaire d’une marque de commerce doit être rigoureuse (Plough (Canada) Limited c. Aerosol Fillers Inc., [1981] 1 C.F. 679). Un affiant ne peut simplement énoncer mais doit indiquer et démontrer que la marque a été employée durant la période pertinente. Il appartient au propriétaire inscrit de convaincre le Registraire qu’il a employé la marque au sens de l’article 4 de la loi durant la période pertinente (National Sea Products Ltd. c. Scott & Aylen (1988), 20 F.T.R. 62, 19 C.P.R. (3d) 481 (F.C.T.D.).

 

[26]           La demanderesse soumet aussi que lorsqu’un affiant dépose des éléments de preuve vagues et imprécis et une déclaration solennelle ambiguë, cela équivaut à un manque total de preuve (S.C. Johnson & Son, Inc. c. Canada (Registraire des marques de commerce) (1981), 55 C.P.R. (2d) 34, 8 A.C.W.S. (2d) 71; John Labatt Ltd. c. Rainier Brewing Co. (1984), 54 N.R. 296, 80 C.P.R. (2d) 228 (C.A.F.)). Ce serait le cas dans la présente affaire devant le Registraire.

 

[27]           D’après la demanderesse, les pièces 1 et 2 ne démontrent aucunement l’usage par la défenderesse de la marque en association avec les services qui y sont décrits. Il est impossible de conclure que les photos ont été prises au Canada ou que des services de franchisage ont été présentés et offerts aux consommateurs le 25 mars 2003. Il n'est pas raisonnable pour le Registraire de conclure que les pièces 1 et 2 démontrent l’usage par la défenderesse de la marque dans le cadre de la promotion des services.

 

[28]           D’ailleurs, la demanderesse plaide qu’il est de jurisprudence constante que lorsqu’une marque de commerce est également le nom de l’entreprise, la présence de la marque de commerce sur une bannière sera considérée ou perçue comme étant le nom de l’entreprise, et ne pourra servir à démontrer un usage de la marque en association avec les services de l’entreprise (Jalite Public Ltd. v. Suarez Lencina (2001), 19 C.P.R. (4th) 406). Cet argument est énoncé aussi dans les prétentions écrites de la demanderesse pour le dossier T-455-08.

 

[29]           La demanderesse soulève que la pièce 3 consiste seulement en une brochure dont les informations entourant l’annonce sont inconnues. Il n’y a rien qui indique qu’une franchise a été vendue au Canada ou est en opération au Canada. D’ailleurs, un extrait d’un magazine, d’un catalogue ou d’un répertoire ne permet pas de démontrer l’emploi de marchandises ou services reliés à une marque de commerce (American Soccer Company (Re) (2002), 21 C.P.R. (4th) 571; Boutiques Progolf Inc. c. Canada (Registraire des marques de commerce) (1993), 164 N.R. 264, 54 C.P.R. (3d) 451 (C.A.F.); Cornerstone Securities Canada Inc. c. North-American Trust Co. (1994), 86 F.T.R. 53, 58 C.P.R. (3d) 184).

 

[30]           La défenderesse répond que le propriétaire de la marque doit établir une preuve prima facie d’emploi de la marque de commerce. Il ne doit pas nécessairement produire toute la preuve détaillée et complète de l’utilisation de la marque de commerce (Jagotec AG c. Riches, Mckenzie & Herbert LLP, 2006 CF 1468, 153 A.C.W.S. (3d) 1222).

 

[31]           La défenderesse fait remarquer qu'elle a satisfait au fardeau de preuve qu'elle avait à  rencontrer en démontrant l’utilisation de la marque de commerce pendant la période pertinente et ceci fut accepté par le Registraire. En appel, la Cour doit seulement être satisfaite que le Registraire a rendu une décision raisonnable selon une évaluation de l’utilisation prima facie de la marque à n’importe quel moment pendant la période pertinente. La Cour n’a pas à déterminer si le Registraire en est parvenu à une décision raisonnable portant sur l’utilisation « absolue » de la marque au Canada.

 

[32]           L’article 45 de la loi prévoit une procédure simple, sommaire et expéditive. Cet article permet l'élimination des marques de commerce déjà déposées qui sont devenues désuètes ou dépassées (Prince c. Orange Cove-Sanger Citrus Assn., 2007 CF 1229, 322 F.T.R. 212 (C.F. 1ère inst.) au paragraphe 7; Saks & Co. c. Canada (Registraire des marques de commerce) (1988), 25 F.T.R. 65, (1989), 24 C.P.R. (3d) 49). Le fardeau de preuve incombe au propriétaire inscrit de la marque de commerce, il doit démontrer « l'emploi » afin de maintenir la marque au registre. Selon la jurisprudence, ce fardeau n'est pas rigoureux, une preuve prima facie suffit pour rencontrer l'objectif prévu à l'article 4 de la loi.

 

Dossier T-455-08 :

[33]           La demanderesse plaide que des trois autocollants et non étiquettes, seul le premier ressemble à la marque de commerce enregistrée. Le deuxième, selon elle comporte des caractéristiques différentes de la marque déposée (Riches, Mckenzie & Herbert LLP, ci-dessus), le troisième ressemblant en rien à la marque. Donc, seul le premier autocollant doit être considéré.

 

[34]           Même si Mme Eisenzimer indique que les autocollants étaient apposés sur les emballages des marchandises, il est impossible selon la demanderesse de savoir si les factures produites à la pièce 2 portaient tous les autocollants ou un seul. Il est aussi impossible de déterminer si les emballages utilisés le 25 mars 2003 employaient effectivement le premier autocollant.

 

[35]           La demanderesse soutient que le propriétaire doit démontrer que la marque est apposée sur les marchandises ou les emballages lors du transfert de propriété. Or, dans le cas qui nous occupe, il est impossible de conclure que la marque était bel et bien apposée sur les emballages vendus le 25 mars 2003.

 

[36]           Quant à la pièce 3 tendant à démontrer la marque en liaison avec des services de franchisage, la demanderesse soumet que cette pièce consiste uniquement en une annonce ayant paru dans le « Canadian Business Franchise Directory ». Ceci ne démontre en rien l'usage de la marque en association avec les services de franchisage. D’ailleurs, un extrait d’un magazine, d’un catalogue ou d’un répertoire ne permet pas de démontrer l’emploi de marchandises ou services reliés à une marque de commerce (American Soccer, ci-dessus; Boutiques Progolf, ci-dessus).

 

[37]           La demanderesse attaque aussi la pièce 4 qui représente une carte d’affaires alors que la pièce 6 consiste en un exemple d’enveloppes qui auraient été, selon Mme Eisenzimer, envoyé à plus de 157 personnes. La demanderesse argumente que ces pièces ne constituent pas une preuve d’usage de la marque en liaison avec des services ou des marchandises.

 

[38]           La jurisprudence en semblable matière établit que la preuve par déclaration solennelle n’a pas à être parfaite (Footlocker Group Canada Inc. c. Steinberg, ci-dessus au paragraphe 73).

 

[39]           Même si la preuve soumise par le propriétaire n'est pas particulièrement forte, prise dans son ensemble, je considère que tous les éléments de preuve déposés permettent la reconnaissance d'une utilisation prima facie de la marque en lien avec des services de franchise, notamment par l’annonce dans le répertoire des franchises, par la publicité effectuée par la boulangerie au centre commercial et par les cartes d’affaires.

 

[40]           Quant aux factures, elles portent la date des ventes de pain (25 mars 2003) au centre commercial à Lethbridge. L’utilisation prima facie de la marque est donc démontrée en lien avec des produits de boulangerie, à savoir du pain, compte tenu notamment des étiquettes sur les emballages de pain et la marque de commerce figurant sur les factures. Le type de preuve soumis par le propriétaire permet de démontrer l’utilisation de la marque de commerce en lien avec les services et marchandises énumérés.

 

3.         La décision du Registraire concluant à l’usage de la marque de commerce au Canada par le défendeur est-elle raisonnable?

 

Dossier T-454-08 :

[41]           D'après la demanderesse, le Registraire a erré en faits et en droit car la preuve qu'on lui a soumise ne démontre aucunement l’usage de la marque par le propriétaire au Canada durant la période pertinente en lien avec les services énumérés à l’enregistrement. La preuve n'est pas suffisante pour satisfaire à l'existence d’une boulangerie car les photos montrent une installation temporaire, dépourvue de tous les éléments essentiels à l’exploitation d’une boulangerie.

 

[42]           De plus, la vente pendant une seule journée pendant la période pertinente ne sert qu’à démontrer que la défenderesse tente par cette activité isolée de maintenir une marque de commerce qui devrait être radiée.

 

[43]           Finalement, le fait que la défenderesse n’a pas déposé de preuve supplémentaire est un autre indice que la preuve est imprécise (Cordon Bleu International ltée c. Renaud Cointreau & Cie (2000), 10 C.P.R. (4th) 367, 102 A.C.W.S. (3d) 1150).

 

[44]           Dans l’affaire Boutiques Progolf, ci-dessus, le juge Létourneau a écrit ceci :

[14]      Je ne crois pas que l’article 45 requiert un emploi continu de la marque de commerce, c’est-à-dire un emploi qui ne souffre aucune interruption dans le temps. […] un détenteur n’a pas à faire la preuve d’un emploi hebdomadaire, mensuel ou même annuel. Il suffit qu’il fasse la preuve d’un emploi dans la pratique normale de son commerce. …

 

[15]      … Ce que l’article 45 requiert, c’est la preuve d’une certaine actualité ou contemporanéité dans l’emploi, c’est-à-dire la preuve d’un usage au moment même de l’avis du registraire ou d’un usage dans un passé récent de sorte qu’on peut dire que l’emploi est actuel ou encore contemporain à l’avis du registraire. Dans le cas d’un commerce très particularisé ou saisonnier où la pratique commerciale peut différer, on ne peut exiger et s’attendre à la même contemporanéité ou actualité qu’à l’égard, par exemple, d’une marque de commerce dans le domaine alimentaire où la consommation des articles est fréquente et régulière.

 

[45]           Dans la cause qui nous occupe, je suis satisfait que le Registraire a rendu une décision raisonnable selon la preuve soumise par la demanderesse. Je crois en effet qu'il s'est bien dirigé en droit en estimant qu'une page provenant d'une brochure d'information démontrant la marque de commerce, qui sollicite des nouveaux franchisés et qui offre des services de franchisage, constitue une utilisation de la marque de commerce en lien avec des services selon le paragraphe 4(2) de la loi.

 

[46]           Le Registraire a reconnu à bon droit que la marque de commerce fut employée dans l'offre de services en lien avec l'opération d'une boulangerie au détail car la marque de commerce figurait clairement sur une bannière épinglée à la table devant le vendeur le 25 mai 2003. L'utilisation de la marque de commerce cette journée en particulier pouvait constituer une publicité pour des services de franchise au Canada (Wenward, ci-dessus).

 

[47]           Je considère donc que l'intervention de la Cour n'est pas nécessaire.

 

Dossier T-455-08 :

[48]           La demanderesse argue que le Registraire a erré en faits et en droit en concluant que les photos produites qui montrent un vendeur effectuant des ventes de pain, portant une toque de boulanger et un tablier avec la marque de commerce en question, constituait l’exploitation d’une boulangerie.

 

[49]           Selon le Registraire, il ressort de la preuve que le cœur des activités du propriétaire de la marque de commerce est le franchisage. Conclure par la suite que des ventes accessoires ont été effectuées dans le but de faire la promotion des franchises démontre que le Registraire ne percevait pas la preuve comme étant liée à des marchandises, mais plutôt à des services. D’après la demanderesse, il est faux de prétendre que la preuve que la marque a été utilisée en association avec des marchandises, nommément des produits de boulangerie et du pain, n’a pas été faite.

 

[50]           Il aurait été très simple selon la demanderesse que la défenderesse produise des emballages des marchandises indiquant la marque, et il aurait également aussi été très simple pour la défenderesse qu'elle dépose une preuve supplémentaire pour éviter toute ambiguïté. Ceci n'ayant pas été fait, il devient évident qu'elle n'utilise pas cette marque.

 

[51]           La défenderesse de son côté cite Fasken Martineau DuMoulin c. In-N-Out Burgers, (2007), 61 C.P.R. (4th) 183 pour appuyer sa prétention à l'effet que l'utilisation pendant un événement isolé satisfait l'exigence prévue à l'article 45. Toujours selon la défenderesse, le Registraire a correctement noté que les étiquettes sur les sacs de pain vendus et les 49 factures pour la vente du pain pendant une journée à l’intérieur de la période pertinente, qui portent la marque de commerce, établit, selon le paragraphe 4(1) de la loi, l’utilisation au Canada de la marque concernée sur les marchandises prévues pendant la période pertinente.

 

[52]           Je suis d'avis que le Registraire a raison en considérant l’ensemble de la preuve, que l’opération d’une boulangerie de détail temporaire afin de vendre du pain au public dans un centre commercial constitue une opération de vente de marchandises qui est une des activités de boulangerie au détail même si un des objectifs du propriétaire est de solliciter de l’intérêt dans les ventes de franchises.

 

[53]           Bien qu'il ait été souhaitable que la défenderesse ajoute d'autres preuves pertinentes, il n’y a aucune raison en l’espèce de ne pas conclure à la véracité des déclarations contenues dans la déclaration solennelle de Mme Eisenzimer.

 

[54]           La décision du Registraire est raisonnable et ses conclusions sont appuyées par la preuve et rencontre les critères de l'arrêt Dunsmuir, ci-dessus.

 

[55]           En conclusion, les décisions du Registraire de confirmer l’enregistrement de la marque de commerce LMC 524,225 et de modifier l’enregistrement de la marque de commerce LMC 523,778 sont justifiées et l'intervention de la Cour n'est pas souhaitable.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que les appels dans les dossiers T-454-08 et T-455-08 soient rejetés. Une somme globale à titre de frais est accordée à la défenderesse. La demanderesse devra payer à la défenderesse une somme de 3 000 $ (1 500 $ dans le dossier T-454-08 et 1 500 $ dans le dossier T-455-08) en plus des déboursés et la TPS.

 

« Michel Beaudry »

Juge

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIERS :                                      T-454-08 et T-455-08

 

INTITULÉ :                                       BROUILLETTE KOSIE PRINCE et

GREAT HARVEST FRANCHISING, INC.

                                                           

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal, (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 13 janvier 2009

 

MOTIFS DE JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge Beaudry

 

DATE DES MOTIFS :                      le 20 janvier 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Benoit Huard                                                                POUR LA DEMANDERESSE

 

David Aylen                                                                 POUR LA DÉFENDERESSE

Natalie Rizkalla-Hamel

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Stikeman Elliott S.E.N.C.R.L., s.r.l.                              POUR LA DEMANDERESSE

Montréal, (Québec)

 

Gowling Lafleur  Henderson LLP                                  POUR LA DÉFENDERESSE

Toronto, (Ontario)

 

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