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Date : 20090115

Dossier : IMM-360-08

Référence : 2009 CF 38

Montréal (Québec), le 15 janvier 2009

En présence de l’honorable Maurice E. Lagacé

 

ENTRE :

ABDULLAH MOHAMMED ALEZIRI

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), d’une décision rendue le 6 décembre 2007 par un agent d’immigration, dans laquelle l’agent d’immigration a rejeté la demande d’examen des risques avant renvoi (la demande d’ERAR) présentée par le demandeur.

 

I.          Aperçu

[2]               Le demandeur, citoyen de l’Arabie saoudite, est arrivé au Canada muni d’un visa d’étudiant. Un an plus tard, il a présenté une demande d’asile qui a été rejetée. Le demandeur a contesté la décision, mais la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire a été rejetée. Le demandeur a alors présenté la demande d’ERAR, laquelle était fondée sur les mêmes moyens que sa demande d’asile. La demande d’ERAR a également été rejetée, au motif que le demandeur n’avait pas fourni de nouveaux éléments de preuve qui auraient justifié une décision différente de celle rendue dans le cadre de sa demande d’asile. Le demandeur conteste en l’espèce la décision défavorable quant à l’ERAR.

 

II.        Les faits

[3]               Le demandeur affirme avoir été harcelé, détenu et accusé par la police religieuse saoudienne parce qu’il avait commencé à étudier le christianisme en Arabie saoudite. Le demandeur a été baptisé au Canada le 19 mars 2006, le jour précédant son audience devant la Section de la protection des réfugiés (la SPR). L’audience a été ajournée et la SPR a permis à l’avocat du demandeur de présenter d’autres observations écrites, ce qu’il n’a pas fait, car il n’avait pas reçu la preuve documentaire que le demandeur devait lui fournir.

 

[4]               Le demandeur affirme que, le jour précédant l’audience, son avocat l’a informé qu’il devait obtenir un certificat de baptême, mais il allègue qu’il a été incapable de l’obtenir avant le 23 avril 2006 et que, la journée même, il a immédiatement téléphoné au bureau de son avocat afin de demander un rendez‑vous afin de lui donner le certificat de baptême. L’avocat n’a pas répondu au message laissé lors de cet appel ni aux autres messages que le demandeur lui a laissés à son bureau après l’audience.

 

[5]               La demande d’asile du demandeur a été rejetée le 9 mai 2006, et ce, sans que le certificat de baptême ait été déposé. Dans sa décision, la SPR a noté ce qui suit au sujet de la conversion au christianisme du demandeur : « [l]e demandeur d’asile a témoigné de façon très confuse », et « [b]ien que le demandeur d’asile puisse maintenant fréquenter régulièrement l’église, […] il n’y a pas d’élément de preuve crédible ou digne de foi à l’appui de la conclusion selon laquelle il s’est converti au christianisme. Il se peut que le demandeur d’asile soit "véritablement intéressé" à étudier le christianisme, mais je ne peux pas accepter, selon la prépondérance des probabilités, qu’il soit motivé par la foi. » La demande d’autorisation et de contrôle judiciaire a été rejetée par la Cour le 27 novembre 2006.

 

[6]               Le demandeur a par la suite présenté la demande d’ERAR. Le certificat de baptême était joint à la demande d’ERAR en tant que nouvelle preuve, mais il a été refusé par l’agent d’ERAR parce qu’il aurait dû être déposé auprès de la SPR avant que la SPR rende sa décision. 

 

[7]               La décision quant à l’ERAR rendue le 6 décembre 2007 est la décision contestée en l’espèce. En appui à sa demande d’ERAR, le demandeur a allégué craindre d’être grandement persécuté à son retour en Arabie saoudite en raison de sa conversion au christianisme.

 

III.       La décision d’ERAR contestée

[8]               Le demandeur, dans sa demande d’ERAR, a invoqué les mêmes moyens que dans sa demande d’asile. L’agent d’ERAR a fondé ses conclusions défavorables sur ce qui suit :

1.       La SPR a conclu que le demandeur n’était pas un réfugié, parce qu’elle a estimé que le demandeur n’était pas crédible et que sa conversion au christianisme n’était pas authentique.

 

2.       Le demandeur a déposé trois documents comme nouveaux éléments de preuve. Aucun de ces documents ne constitue un nouvel élément de preuve au sens de l’article 113 de la LIPR. Le premier document avait déjà été examiné par la SPR. Le deuxième document datait d’avant l’audience devant la SPR et aucune explication n’a été donnée quant à savoir pourquoi il n’avait pas été déposé avant. De toute façon, le deuxième document, un dossier médical, ne renferme aucun renseignement qui aurait pu faire en sorte qu’il ait une valeur probante.

 

Le troisième document, le certificat de baptême, devait être envoyé à la SPR immédiatement après l’audience, mais il n’a pas été envoyé. Aucune explication raisonnable n’a été donnée quant à savoir pourquoi le certificat de baptême n’avait pas été déposé avant. De toute façon, même s’il était considéré comme une nouvelle preuve, le certificat de baptême seul n’aurait pas été suffisant pour dissiper les importantes réserves de la SPR quant à la crédibilité du demandeur.

 

3.       La preuve documentaire relative à la situation au pays fournie par le demandeur n’établissait pas que la situation en Arabie saoudite s’était aggravée depuis l’audience du demandeur devant la SPR.

 

4.       Le rapport du Département d’État des États‑Unis révèle que les chrétiens peuvent librement pratiquer leur religion en Arabie saoudite et qu’aucun citoyen musulman converti au christianisme n’avait été poursuivi en justice pour apostasie depuis des années.

 

 

[9]               Enfin, l’agent d’ERAR a conclu qu’il ne croyait pas que le demandeur serait exposé à plus qu’une simple possibilité de persécution du fait de l’un des motifs prévus à la Convention, et qu’il était improbable qu’il soit exposé à une menace à sa vie ou à un risque de torture ou de traitements ou peines cruels et inusités.

 

IV.       Questions en litige

[10]           La présente demande soulève les questions suivantes :

1.       L’agent d’ERAR a‑t‑il commis une erreur dans son interprétation de la nouvelle preuve fondée sur l’alinéa 113a) de la LIPR?

2.       L’agent d’ERAR a‑t‑il commis une erreur de fait ou de droit dans son examen de la demande « sur place » du demandeur?

3.       L’agent a‑t‑il mal interprété la preuve dont il disposait et fondé sa décision sur des facteurs non pertinents?

 


V.        Analyse

La norme de contrôle

[11]           La présente affaire fait uniquement appel à l’application du droit à une situation factuelle. La norme de contrôle applicable est donc la raisonnabilité. La question en cause appartient au domaine d’expertise de l’agent d’ERAR et la Cour doit donc faire preuve de déférence à son égard (Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9). La Cour ne devrait pas intervenir à moins que la décision de l’agent d’ERAR n’appartienne pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, précité, paragraphe 47). 

 

La nouvelle preuve

[12]           Le défendeur soutient que le certificat de baptême devrait être considéré comme une nouvelle preuve étant donné qu’il faut tenir son ancien avocat responsable du non‑dépôt du certificat de baptême auprès de la SPR. Le demandeur allègue que la négligence et l’incompétence de son ancien avocat constituent des manquements à la justice naturelle.

 

[13]           Il y a un problème dans le raisonnement du demandeur : c’est lui qui devait obtenir et remettre le certificat de baptême, et non son avocat. Il se peut très bien que le demandeur ait attendu un retour d’appel de son avocat à la suite des messages qu’il lui avait laissés, mais l’obligation du demandeur n’est jamais disparue. Ni son avocat, ni la SPR n’a reçu le certificat de baptême à temps, et ce, même si le demandeur savait que la SPR attendait de recevoir le certificat avant de rendre sa décision. 

 

[14]           En outre, la Cour note qu’il n’y avait aucune mention de la négligence de l’avocat du demandeur dans les observations présentées par le demandeur dans le cadre de l’ERAR; l’agent d’ERAR ne peut donc pas être blâmé pour ne pas avoir tenu compte d’observations qui ne lui avaient pas été présentées. Il s’agit de la première instance où le demandeur plaide la négligence de son ancien avocat. Avant la présente demande de contrôle judiciaire, le demandeur n’avait présenté aucune explication acceptable justifiant le temps mis pour fournir le certificat de baptême et ni aucune allégation de négligence de la part de l’ancien avocat du demandeur. La décision de l’agent d’ERAR de ne pas accepter le certificat de baptême parce qu’il ne constituait pas une preuve nouvelle n’était pas déraisonnable. Cependant, l’agent d’ERAR a conclu que, même si le certificat de baptême avait été accepté, cela n’aurait nullement modifié sa décision; dans les circonstances de l’espèce, la Cour ne voit pas pourquoi cette conclusion supplémentaire serait déraisonnable.

 

[15]           En ce qui concerne les conclusions défavorables relatives à la crédibilité tirées par la SPR, le demandeur ne qualifie pas correctement la décision en affirmant qu’elle portait essentiellement sur l’absence d’une preuve objective de sa conversion. Il s’agissait d’une des conclusions, mais il y avait bien d’autres conclusions négatives, y compris en ce qui concerne les nombreuses contradictions entre le Formulaire de renseignements personnels du demandeur et son témoignage oral; les parties du témoignage oral que la SPR a estimé improbable ou contradictoire, ainsi que les divergences entre les observations selon lesquelles des accusations avaient été portées contre le demandeur en Arabie saoudite alors qu’il se trouvait au Canada muni d’un passeport et d’un visa. La conclusion de l’agent d’ERAR – selon laquelle, même s’il avait accepté le certificat de baptême, cela n’aurait pas été suffisant pour modifier la conclusion négative relative à crédibilité du demandeur – n’était pas déraisonnable.

 

Le risque

[16]           L’appréciation de la preuve relevait clairement du pouvoir discrétionnaire de l’agent d’ERAR; la Cour n’interviendra donc pas dans la conclusion de l’agent d’ERAR, selon laquelle, même si le certificat de baptême avait été accepté comme nouvelle preuve, cela n’était pas suffisant pour modifier les conclusions relatives à la crédibilité tirées par la SPR. L’agent d’ERAR a expliqué pourquoi le certificat de baptême n’était pas suffisant : il n’y avait aucune autre preuve que la conversion était authentique, ou encore que le demandeur avait participé à des messes ou avait participé à la vie communautaire chrétienne. Cette conclusion devrait également être lue de concert avec les autres motifs donnés par la SPR pour trouver le demandeur non crédible.

 

[17]           Il ne s’agit pas d’un cas de demande « sur place », car le demandeur a affirmé avoir commencé à étudier le christianisme avant de venir au Canada et il n’a pas présenté de preuve crédible établissant qu’il avait vécu une conversion authentique au Canada.

 

[18]           Que l’agent d’ERAR ait appliqué ou non le critère applicable à l’article 97 de la LIPR  lorsqu’il a conclu que le demandeur ne serait exposé à aucun risque objectif est sans importance en l’espèce, car le contrôle judiciaire ne sera pas accueilli en raison des questions relatives à la crédibilité.

 

[19]           Il est vrai que le demandeur n’est pas satisfait des conclusions de l’agent d’ERAR et qu’il est en désaccord avec l’agent à cet égard. Cependant, l’agent d’ERAR, en qualité de juge des faits, avait le droit d’apprécier la preuve documentaire et de tirer ses propres conclusions. Étant donné que le demandeur n’a pas convaincu la Cour que la décision contestée ne pouvait se justifier au regard des faits et du droit, la Cour ne peut voir de motifs valables pour intervenir.

 

[20]           Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire de la décision de l’agent d’ERAR sera rejetée, et la Cour convient avec les parties qu’il n’y a aucune question grave de portée générale à certifier.

 

 

 

 


JUGEMENT

 

POUR LES MOTIFS EXPOSÉS, LA COUR STATUE que la demande est rejetée.

 

« Maurice E. Lagacé »

Juge suppléant

 

 

 

Traduction certifiée conforme,

Jean-François Martin, LL.B., M.A.Trad.jur.

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-360-08

 

 

INTITULÉ :                                                  ABDULLAH MOHAMMED ALEZIRI c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                            TORONTO (ONTARIO)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 3 DÉCEMBRE 2008

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                         LE JUGE SUPPLÉANT LAGACÉ

 

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                                   LE 15 JANVIER 2009

 

COMPARUTIONS :

 

D. Clifford Luyt

 

POUR LE DEMANDEUR

Judy Michaely

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

D. Clifford Luyt

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada                                                         FOR THE RESPONDENDepartment of Justice

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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