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Date : 20090107

Dossier : IMM-95-08

Référence : 2009 CF 20

Ottawa (Ontario), le 7 janvier 2009

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE RUSSELL

 

 

ENTRE :

GRACEL BERNADET JESSAMY

et SADREENA GRACEL JESSAMY

demanderesses

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi) en vue d’obtenir le contrôle judiciaire d’une décision d’un agent d’évaluation des risques avant renvoi (ERAR) (l’agent), en date du 3 octobre 2007 (la décision), qui a refusé la demande de protection des demanderesses.

 

LE CONTEXTE

 

[2]               Gracel Jessamy (demanderesse principale) est née à Saint-Vincent-et-les-Grenadines où elle a vécu jusqu’à l’âge de quinze ans. La demanderesse principale pense avoir perdu sa citoyenneté vincentaise du fait qu’elle a vécu cinq ans ou plus à l’extérieur de Saint-Vincent.

 

[3]               La demanderesse principale a déménagé à la Barbade et, à l’âge de dix-sept ans, elle a rencontré Nigel Jessamy et ils ont commencé à se fréquenter. Lorsque la tante de la demanderesse principale a déménagé, celle-ci n’a pas eu d’autre choix que d’emménager avec Nigel. Le fils de la demanderesse principale, Jason, est né le 28 juillet 1984 et sa fille, Sadreena, le 23 septembre 1991 à la Barbade.

 

[4]               En 1987, la demanderesse principale et Nigel se sont mariés. Peu après le début de leur mariage, Nigel est devenu violent, physiquement et verbalement. La demanderesse principale a également découvert que Nigel se droguait à la marijuana et en fumait tous les jours. Il n’a jamais exercé d’emploi au cours de leur mariage.

 

[5]               La demanderesse principale était la seule source de revenu pour sa famille. S’il ne restait plus assez d’argent pour acheter de la drogue après avoir fait les provisions, Nigel se mettait en colère et frappait la demanderesse principale. Parfois, il n’y avait pas d’argent pour faire les provisions, car Nigel l’avait tout pris pour acheter de la drogue.

 

[6]               La demanderesse principale a vécu quinze ans avec Nigel. Pendant cette période, il l’a frappée à la jambe avec un tournevis, au front avec un marteau, il l’a frappée avec une boucle de ceinture, un vase et une pelle. Il a placé une marmite chaude sur son bras gauche et l’a menacée à la gorge avec un pic à glace. Il l’a aussi menacée avec un fusil à de nombreuses reprises et a battu le fils de la demanderesse très souvent. La demanderesse principale dit qu’elle porte sur tout le corps de nombreuses cicatrices qui sont les séquelles de cette violence physique.

 

[7]               La demanderesse principale a aussi été agressée sexuellement par Nigel. Elle était si déprimée qu’elle a tenté de se suicider en se tailladant les poignets.

 

[8]               Elle a essayé très souvent d’échapper à la violence de Nigel en se réfugiant au domicile de membres de sa famille ou d’amis à la Barbade. Elle s’est enfuie à Saint-Vincent et a appelé la police à de nombreuses reprises, mais Nigel la retrouvait toujours et la forçait à rentrer à la maison.

 

[9]               La toxicomanie de Nigel s’est aggravée et il a commencé à devoir de l’argent à des revendeurs qui venaient à la maison pour exiger d’être payés. Les revendeurs menaçaient aussi de faire du mal à la demanderesse principale et à ses enfants. Nigel s’est même mis à voler l’argent de son fils pour de la drogue quand le jeune garçon a commencé à travailler.

 

[10]           En août 2002, la demanderesse principale a décidé de partir pour le Canada avec sa fille Sadreena. Elles sont arrivées le 15 août 2002 à Toronto. Le 17 novembre 2002, elle a présenté une demande du statut de réfugié et peu après Noël 2002, Jason a rejoint les demanderesses au Canada. À l’appui de leur demande, l’ancien avocat des demanderesses a produit un rapport psychologique, un rapport médical et quelques autres documents.

 

[11]           Le 22 décembre 2003, la Section de la protection des réfugiés (SPR) a été saisie de la demande des demanderesses et, le 13 février 2004, a conclu que les demanderesses n’étaient pas des réfugiées au sens de la Convention. La SPR a conclu que la demanderesse principale manquait de crédibilité parce qu’elle n’avait pas mentionné autant d’incidents de violence dans son formulaire de renseignements personnels (FRP) que dans son témoignage oral.

 

[12]           La demanderesse principale fait valoir qu’elle était tellement traumatisée au moment où elle a quitté la Barbade qu’elle a cherché à oublier la violence dont elle avait été victime et les expériences où elle avait frisé la mort, ce qui explique leur absence dans le FRP. Le rapport du psychologue confirme cette explication. Le rapport médical confirme également les sévices physiques subis par la demanderesse principale. Cependant, en raison de sa conclusion défavorable sur la crédibilité, la SPR n’a pas accordé de crédibilité à ces rapports.

 

[13]           En décembre 2004, la demanderesse principale a écrit à l’hôpital Queen Elizabeth de Saint-Michel, à la Barbade, pour tenter d’obtenir une copie du dossier d’hôpital correspondant à son séjour dans cet établissement. Le 3 janvier 2005, l’hôpital a répondu en demandant des frais de 50 $ pour la communication du rapport. La demanderesse principale a demandé à son frère de se rendre à l’hôpital pour acquitter les frais de 50 $, ce qu’il a fait, mais l’hôpital ne lui a toujours pas remis le rapport.

 

[14]           En décembre 2006, la demanderesse principale a été invitée à se présenter à une entrevue au Centre d’exécution de la loi du Toronto métropolitain. On lui a remis une demande d’ERAR, qu’elle a remplie elle-même et envoyée au Centre d’exécution de la loi du Toronto métropolitain. Le 17 janvier 2007, avec l’aide d’un ami, la demanderesse principale a présenté une lettre où elle expliquait ce qui l’empêchait de retourner à la Barbade. Cette lettre était accompagnée d’un rapport du département d’État des États-Unis pour l’année 1998, d’extraits de rapports plus récents du département d’État et d’une photo de la cicatrice au front causée par l’attaque au marteau.

 

[15]           Le 1er novembre 2007, la demanderesse principale a été invitée à se présenter au Centre d’exécution de la loi du Toronto métropolitain pour recevoir la décision d’ERAR. Son fils Jason avait présenté une demande d’ERAR distincte. La décision d’ERAR était défavorable aux demanderesses et on leur a communiqué une date de renvoi, fixée au 23 novembre 2007.

 

[16]           Le 13 novembre 2007, l’avocat actuel a produit une demande de report du renvoi des demanderesses à la fin janvier pour que Sadreena puisse terminer sa scolarité de 11e année. Environ une semaine plus tard, l’agente d’exécution a appelé l’avocat pour lui dire qu’elle accueillait la demande de report du renvoi des demanderesses. Le 30 novembre 2007, l’agente a confirmé le report par courriel adressé à l’avocat.

 

[17]           Le 24 décembre 2007, le fils de la demanderesse principale a fait l’objet d’une mesure de renvoi du Canada. Il a laissé au Canada sa compagne canadienne et leur fille de six mois.

 

[18]           La demanderesse principale a parlé à de nombreuses reprises avec Jason depuis son renvoi. Jason a dit à la demanderesse que Nigel était entré en contact avec lui et le menaçait. Nigel pense que la demanderesse principale entretient une relation avec une autre femme et a menacé de la tuer pour lui avoir enlevé ses enfants.

 

[19]           Le 8 janvier 2008, la demanderesse principale a présenté une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de la décision d’ERAR.

 

[20]           Jason a tenté d’obtenir les dossiers médicaux de l’hôpital de la Barbade, mais on lui a demandé de payer 500 $ pour leur communication parce que la demanderesse principale est à l’étranger. Si elle était à la Barbade, il lui en coûterait 300 $ pour les obtenir.

 

LA DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE

 

[21]           L’agent a conclu que les risques exposés étaient fondamentalement les mêmes que ceux dont le tribunal de la SPR avait été saisi. Le tribunal de la SPR avait conclu que la demanderesse principale manquait de crédibilité en raison des omissions relevées dans son FRP en regard de son témoignage oral. Son incapacité de fournir des éléments de preuve corroborant que son mari l’avait attaquée avec un marteau en 1998 et qu’elle avait ensuite été traitée à l’hôpital entachait sa crédibilité. Le tribunal de la SPR a conclu en ces termes :

[traduction] Le tribunal a pris en considération tous les motifs de protection prévus à l’article 96 et au paragraphe 97(1) de la LIPR et il a conclu que, comme Gracel Bernadet Jessamy peut bénéficier d’une protection adéquate de l’État, il n’y a pas de possibilité sérieuse que la demanderesse et sa fille Sadreena Gracel Jessamy, qui s’appuie sur le témoignage de sa mère, subissent des préjudices à la Barbade ou à Saint-Vincent, que le préjudice allégué soit assimilé à de la persécution, à une menace à la vie, à un risque de traitements ou peines cruels et inusités ou à un risque de torture.

 

 

[22]           L’agent n’a pas accepté la photo représentant la cicatrice sur le front de la demanderesse principale comme nouvel élément de preuve répondant aux prescriptions de l’alinéa 113a) de la Loi. La cicatrice qu’elle portait au front, selon la demanderesse principale, avait été causée par l’agression de son mari avec un marteau en 1998. L’agent a conclu que la demanderesse principale aurait pu présenter la même photo au tribunal de la SPR à l’audience de sa demande d’asile en février 2004, mais avait décidé de ne pas le faire.

 

[23]           L’agent n’a pas accepté non plus que le Rapport sur les pratiques relatives aux droits de l’Homme pour l’année 1998 comportait de nouveaux éléments de preuve, car il avait été publié avant la décision de la SPR et aurait dû être facile à produire devant le tribunal de la SPR. L’agent a accepté le rapport sur la Barbade pour l’année 2005 du département d’État des États-Unis comme nouvel élément de preuve parce qu’il avait été publié après la décision de la SPR.

 

[24]           L’agent a déclaré qu’il avait examiné le rapport sur la Barbade et n’avait pas conclu qu’il appuyait la crainte subjective de la demanderesse principale d’être tuée par son mari. L’agent a conclu que la violence et la maltraitance qui s’exercent contre les femmes demeurent un problème social important à la Barbade. La législation de la Barbade interdit la violence familiale, assure la protection de tous les membres de la famille, y compris les hommes et les enfants, et s’applique à la fois au mariage et aux unions de common law. Les victimes peuvent demander des ordonnances restrictives, que les tribunaux accordent souvent. Les contrevenants sont mis en prison lorsqu’ils enfreignent une ordonnance.

 

[25]           L’agent a fait l’examen de la dernière version des rapports des États-Unis sur la situation à la Barbade et à Saint-Vincent-et-les-Grenadines pour l’année 2006 et a conclu que la situation de ces pays ne s’était pas significativement détériorée depuis la décision de la SPR.

 

[26]           Sur la foi de ce qu’il avait lu, l’agent a conclu à l’existence de la protection de l’État à la Barbade et à Saint-Vincent-et-les-Grenadines. Il a conclu que les demanderesses n’avaient pas fourni suffisamment d’éléments de preuve établissant que la police n’assurerait pas leur protection respective. En se fondant sur le témoignage écrit de la demanderesse principale, l’agent a conclu que les demanderesses pouvaient bénéficier de la protection de l’État, parce que la police avait répondu à l’appel téléphonique de la demanderesse principale et s’était rendue à son domicile.

 

[27]           L’agent a conclu en jugeant que les demanderesses n’étaient exposées qu’à une simple possibilité de persécution selon les dispositions de l’article 96 de la Loi. Il n’y avait pas de motifs sérieux de croire que les demanderesses seraient exposées à un risque de torture; ni de motifs raisonnables de croire qu’elles seraient exposées à une menace à la vie ou à un risque de peines cruelles et inusitées, selon les dispositions des alinéas 97(1)a) et b) de la Loi, en cas de renvoi à la Barbade ou à Saint-Vincent-et-les-Grenadines.

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

 

[28]           Les demanderesses soulèvent les questions suivantes :

1)      L’agent a-t-il omis d’évaluer s’il y avait de nouveaux éléments de preuve à l’égard de risques nouveaux?

2)      L’agent a-t-il commis une erreur dans son analyse de la protection de l’État?

3)      L’agent a-t-il commis une erreur de droit en n’accordant pas d’audience aux demanderesses?

 

LES DISPOSITIONS DE LA LOI

 

[29]           Les dispositions suivantes de la Loi s’appliquent à la présente procédure :

Définition de « réfugié »

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention – le réfugié – la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

Personne à protéger

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes – sauf celles infligées au mépris des normes internationales – et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

Personne à protéger

 

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

 

Demande de protection

 

112. (1) La personne se trouvant au Canada et qui n’est pas visée au paragraphe 115(1) peut, conformément aux règlements, demander la protection au ministre si elle est visée par une mesure de renvoi ayant pris effet ou nommée au certificat visé au paragraphe 77(1).

 

Examen de la demande

 

113. Il est disposé de la demande comme il suit :

 

 

a) le demandeur d’asile débouté ne peut présenter que des éléments de preuve survenus depuis le rejet ou qui n’étaient alors pas normalement accessibles ou, s’ils l’étaient, qu’il n’était pas raisonnable, dans les circonstances, de s’attendre à ce qu’il les ait présentés au moment du rejet;

 

b) une audience peut être tenue si le ministre l’estime requis compte tenu des facteurs réglementaires;

 

 

c) s’agissant du demandeur non visé au paragraphe 112(3), sur la base des articles 96 à 98;

 

 

 

d) s’agissant du demandeur visé au paragraphe 112(3), sur la base des éléments mentionnés à l’article 97 et, d’autre part :

 

(i) soit du fait que le demandeur interdit de territoire pour grande criminalité constitue un danger pour le public au Canada,

 

 

(ii) soit, dans le cas de tout autre demandeur, du fait que la demande devrait être rejetée en raison de la nature et de la gravité de ses actes passés ou du danger qu’il constitue pour la sécurité du Canada.

 

 

 

 

Convention refugee

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

Person in need of protection

 

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

Person in need of protection

 

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

 

 

 

Application for protection

 

112. (1) A person in Canada, other than a person referred to in subsection 115(1), may, in accordance with the regulations, apply to the Minister for protection if they are subject to a removal order that is in force or are named in a certificate described in subsection 77(1).

 

 

Consideration of application

 

113. Consideration of an application for protection shall be as follows:

 

(a) an applicant whose claim to refugee protection has been rejected may present only new evidence that arose after the rejection or was not reasonably available, or that the applicant could not reasonably have been expected in the circumstances to have presented, at the time of the rejection;

 

(b) a hearing may be held if the Minister, on the basis of prescribed factors, is of the opinion that a hearing is required;

 

(c) in the case of an applicant not described in subsection 112(3), consideration shall be on the basis of sections 96 to 98;

 

(d) in the case of an applicant described in subsection 112(3), consideration shall be on the basis of the factors set out in section 97 and

 

(i) in the case of an applicant for protection who is inadmissible on grounds of serious criminality, whether they are a danger to the public in Canada, or

 

(ii) in the case of any other applicant, whether the application should be refused because of the nature and severity of acts committed by the applicant or because of the danger that the applicant constitutes to the security of Canada.

 

 

 

[30]           S’applique également la disposition suivante du Règlement (Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés DORS/2002-227) :

167. Pour l’application de l’alinéa 113b) de la Loi, les facteurs ci-après servent à décider si la tenue d’une audience est requise :

 

a) l’existence d’éléments de preuve relatifs aux éléments mentionnés aux articles 96 et 97 de la Loi qui soulèvent une question importante en ce qui concerne la crédibilité du demandeur;

 

b) l’importance de ces éléments de preuve pour la prise de la décision relative à la demande de protection;

 

c) la question de savoir si ces éléments de preuve, à supposer qu’ils soient admis, justifieraient que soit accordée la protection.

167. For the purpose of determining whether a hearing is required under paragraph 113(b) of the Act, the factors are the following:

 

(a) whether there is evidence that raises a serious issue of the applicant's credibility and is related to the factors set out in sections 96 and 97 of the Act;

 

 

 

(b) whether the evidence is central to the decision with respect to the application for protection; and

 

(c) whether the evidence, if accepted, would justify allowing the application for protection.

 

LA NORME DE CONTRÔLE

 

[31]           Dans l’arrêt Dunsmuir c. New Brunswick, 2008 CSC 9, la Cour suprême du Canada a reconnu que, bien que les normes du caractère raisonnable simpliciter et du caractère manifestement déraisonnable soient différentes en théorie, « les difficultés analytiques soulevées par l’application des différentes normes réduisent à néant toute utilité conceptuelle découlant de la plus grande souplesse propre à l’existence de normes de contrôle multiples » (Dunsmuir, au paragraphe 44). Par conséquent, la Cour suprême du Canada a conclu qu’il y avait lieu de fondre en une seule les deux normes de raisonnabilité.

 

[32]           Dans l’arrêt Dunsmuir, la Cour suprême du Canada a également conclu que l’analyse de la norme de contrôle n’était pas toujours nécessaire. En effet, dans le cas où la norme de contrôle applicable à une question particulière dont la cour est saisie est bien établie dans la jurisprudence, la cour chargée du contrôle peut l’adopter. Ce n’est que lorsque l’examen de la jurisprudence se révèle infructueux que la cour chargée du contrôle doit entreprendre l’examen des quatre facteurs constitutifs de l’analyse de la norme de contrôle.

 

[33]           Il s’ensuit qu’à la lumière de l’arrêt Dunsmuir de la Cour suprême du Canada et de la jurisprudence de la Cour, je conclus que la norme de contrôle applicable aux questions 1) et 2) est la décision raisonnable. Dans le contrôle d’une décision selon la norme du caractère raisonnable, l’analyse s’attache « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, au paragraphe 47). En d’autres termes, la Cour ne doit intervenir que si la décision était déraisonnable en ce qu’elle n’entre pas dans les « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

 

[34]           La question 3) soulève des points d’équité procédurale et doit faire l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision correcte : Sketchley c. Canada (Procureur général), [2005] A.C.F. n° 2056; Rahman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2006] A.C.F. n° 1661; Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] 1 R.C.S. 3.

 

L’ARGUMENTATION

            Les demanderesses

                        Les nouveaux éléments de preuve

 

[35]           Les demanderesses citent et invoquent la décision Elezi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 240, aux paragraphes 26 et 27, à l’égard des règles applicables aux nouveaux éléments de preuve selon l’alinéa 113a) de la Loi :

26 Je suis disposé à admettre que l’alinéa 113a) mentionne trois possibilités distinctes et que ces trois volets doivent être lus en tant que propositions disjonctives. Si l’emploi de la conjonction « ou » doit avoir un sens, alors les trois volets de l’alinéa 113a) doivent manifestement être considérés comme trois éventualités distinctes. Le premier volet concerne les éléments de preuve qui sont postérieurs à la décision de la Commission, mais les deuxième et troisième volets concernent de toute évidence les éléments de preuve qui sont antérieurs à sa décision. Seuls les éléments de preuve qui existaient avant la décision défavorable de la Commission requièrent une explication avant de pouvoir être admises dans une demande d’ERAR. Quant aux éléments de preuve dont l’existence est postérieure à la décision de la Commission, ils ne requièrent aucune explication. Le simple fait qu’ils n’existaient pas à l’époque où la décision a été rendue suffit à établir qu’ils n’auraient pas pu être présentés plus tôt à la Commission.

 

27 Cela dit, un élément de preuve n’entrera pas dans la première catégorie, ni ne sera qualifié de « nouveau » du seul fait qu’il porte une date postérieure à la décision de la Commission. Si tel était le cas, une demande d’ERAR pourrait facilement être transformée en un appel à l’encontre de la décision de la Commission. Un demandeur d’asile débouté pourrait aisément réunir des preuves documentaires et des affidavits « nouveaux » de nature à réfuter les conclusions de la Commission et à faire prévaloir son récit. C’est précisément la raison pour laquelle la jurisprudence insiste pour que les nouveaux éléments de preuve se rapportent à des faits nouveaux, concernant soit la situation ayant cours dans le pays, soit la situation personnelle du demandeur, au lieu de mettre l’accent sur la date à laquelle les éléments de preuve sont apparus. Voir par exemple les jugements suivants : Perez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1379; Yousef c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 864; Aivani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1231.

 

 

[36]           Les demanderesses citent et invoquent aussi la décision De Silva c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2007 CF 841, au paragraphe 17 :

17 Bien que le processus d’ERAR soit conçu pour évaluer seulement les preuves de nouveaux risques, cela ne veut pas dire que l’on ne peut pas prendre en considération des éléments de preuve nouveaux concernant d’anciens risques. En outre, il ne faut surtout pas confondre la question de savoir si des éléments de preuve sont de nouveaux éléments de preuve au sens de l’alinéa 133a) et celle de savoir si les éléments de preuve établissent l’existence d’un risque. L’agent d’ERAR doit d’abord vérifier si le document est visé par l’un des trois volets de l’alinéa 113a). Dans l’affirmative, il doit ensuite vérifier si le document en question prouve l’existence d’un risque nouveau. (Souligné dans l’original.)

 

[37]           Selon les demanderesses, l’arrêt récent de la Cour d’appel fédérale Raza c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2007 CAF 385, au paragraphe 13, appuie leur argumentation que l’agent a commis une erreur en l’espèce. Dans l’arrêt Raza, la Cour a conclu que tout élément fournissant la preuve d’un événement qui est survenu après la décision de la SPR doit être pris en compte par l’agent d’ERAR à moins qu’il ne soit pas crédible, pertinent, nouveau ou important.

 

[38]           Les demanderesses soutiennent qu’elles ont identifié des risques nouveaux qui sont postérieurs à la décision de la SPR, notamment une crainte nouvelle du fait que le mari croit que la demanderesse principale entretient une relation avec une femme. En outre, le mari a menacé de tuer la demanderesse principale parce qu’elle avait enlevé leur fille et encouragé leur fils à partir et à se retourner contre son père.

 

[39]           Les demanderesses font valoir que l’agent a commis une erreur dans son évaluation du caractère nouveau ou ancien de la preuve. L’agent n’a pas établi, avant de rejeter la preuve, si elle tombait dans l’un des trois volets de l’alinéa 113a) de la Loi. Comme la déclaration et la preuve des demanderesses sont postérieures à la décision de la SPR, l’agent aurait dû pousser plus loin et décider si elles établissaient un risque nouveau, ou une preuve nouvelle d’un risque qui avait été présenté à la SPR. L’agent a commis une erreur en n’examinant ni l’un ni l’autre.

 

[40]           Les demanderesses soulignent qu’il n’est pas fait mention dans la décision d’une menace à la vie des demanderesses, fondée sur la croyance du mari que la demanderesse principale entretient une relation avec une femme. Il n’est pas fait mention non plus d’une menace à la vie de la demanderesse principale fondée sur la colère du mari à son endroit parce qu’elle avait emmené leurs enfants à l’étranger. L’agent avait l’obligation d’évaluer si la protection de l’État serait adéquate au cas où la demanderesse principale y ferait appel. L’agent a commis une erreur en n’effectuant pas cette évaluation.

 

[41]           L’agent aurait dû consulter la documentation sur la situation des gais et des lesbiennes à la Barbade. S’il l’avait fait, il aurait constaté qu’à la Barbade les relations entre les membres du même sexe sont interdites et sont passibles d’une peine de prison. Les demanderesses font valoir qu’étant donné la criminalisation de l’activité homosexuelle à la Barbade, il est peu vraisemblable que la demanderesse principale obtienne la protection de la police. Comme l’agent n’a jamais effectué cette évaluation, il a commis une erreur de droit.

 

[42]           Les demanderesses invoquent aussi la décision Hassaballa c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2007 CF 489, au paragraphe 33, qui examine la question de savoir si l’agent d’ERAR a l’obligation de notifier aux demandeurs les rapports par pays mis à jour sur lesquels il s’appuie, même si la décision est rendue deux ans après la présentation de la demande :

En premier lieu, il importe de souligner que l’agente d’ERAR a non seulement le droit, mais l’obligation, d’examiner les sources d’information les plus récentes lorsqu’elle procède à l’évaluation des risques; elle ne saurait se limiter aux pièces produites par le demandeur.

 

 

[43]           Les demanderesses concluent que les documents de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (CISR), que l’agent n’a pas consultés, sont postérieurs au rapport du département d’État des États-Unis et portent sur des questions spécifiques : la disponibilité de la protection de l’État aux victimes de violence familiale et le traitement fait aux homosexuels, sous l’angle notamment de la protection de l’État.

 

La protection de l’État

 

[44]           Les demanderesses font valoir que la demanderesse principale a témoigné avoir appelé la police maintes fois, mais que la police ne se présentait pas toujours. Quand elle le faisait, l’agent de police parlait à son mari puis s’en allait. Les demanderesses disent que l’agent ne tient pas compte du fait que même si la police se présente effectivement, elle laisse l’auteur des mauvais traitements continuer de tourmenter la personne qui l’a l’appelée.

[45]           Les demanderesses soutiennent que l’agent a commis une erreur dans l’évaluation des faits dont il était saisi. La présence de la police à la maison des demanderesses ne signifie pas que la police offre sa protection. Selon la jurisprudence, pour qu’une protection soit adéquate, elle doit être efficace. Les demanderesses citent et invoquent la décision Elcock c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] A.C.F. n° 1438 (C.F.), au paragraphe 15 :

[…] J'estime qu’il doit en être de même en l’espèce, et que la SSR a commis une erreur donnant ouverture à révision en omettant d’examiner effectivement non seulement s’il existait des mécanismes légaux et procéduraux de protection mais encore si l’État, par l’intermédiaire de la police, était disposé à mettre ces mesures en œuvre. Non seulement le pouvoir protecteur de l’État doit-il comporter un encadrement légal et procédural efficace mais également la capacité et la volonté d’en mettre les dispositions en œuvre.

 

[46]           La décision Garcia c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2007 CF 79, aux paragraphes 13 à 16, expose ce qui constitue une protection de l’État efficace :

13 En ce qui concerne le principe énoncé au paragraphe [4], l’expression « sérieux efforts » dans cette phrase équivaut à la « diligence raisonnable » déployée par l’État pour assurer concrètement la protection des personnes. Cependant, il y a une nette différence entre la diligence raisonnable relative à l’élaboration d’une politique et à la sensibilisation à certaines questions, d’une part, et la mise en œuvre concrète de cette politique ou des mesures de sensibilisation, d’autre part. Cet élément revêt une importance particulière en matière de protection des femmes d’actes de violence si cette expression est rattachée à des situations autres que le terrorisme.

 

14 On ne saurait dire que l’État fait de « sérieux efforts » pour protéger les femmes du seul fait qu’il prend certaines mesures préventives avec diligence, par exemple en instituant des commissions d’enquête chargées d’examiner la réalité de la violence contre les femmes, en créant des postes de médiateurs chargés de recevoir les plaintes de femmes contre l’inertie policière, ou en organisant à l’intention des policiers des séminaires destinés à les sensibiliser à l’égalité des sexes. De tels efforts ne prouvent pas que l’État assure concrètement la protection des femmes, en d’autres termes, qu’il est capable, à l’heure actuelle de les protéger (voir la décision Franklin c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] A.C.F. n° 1508, paragraphe 21).

 

15 De plus, les femmes ne sont pas protégées par les organismes non gouvernementaux dont la mission est de conseiller les femmes ou de les mettre à l’abri de la violence. En effet, vont dans ce sens les Directives émises par le président de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié conformément au paragraphe 65(3) de la Loi sur l’immigration, intitulées « Directives concernant les revendicatrices du statut de réfugié craignant d’être persécutées en raison de leur sexe (Directives concernant la persécution fondée sur le sexe) » :

 

En outre, que la revendicatrice ait ou non cherché à obtenir la protection de groupes non gouvernementaux ne doit avoir aucune incidence sur l’évaluation de la protection qu’offre l’État.

(Section C.2)

[Non souligné dans l’original.]

 

Par conséquent, le sérieux des efforts faits doit être apprécié au regard de la protection des personnes assurée par l’État sur le terrain. Comme le disait la Cour dans la décision Elcock c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] A.C.F. n° 1438, au paragraphe 15 :

 

Non seulement le pouvoir protecteur de l’État doit‑il comporter un encadrement légal et procédural efficace, mais également la capacité et la volonté d’en mettre les dispositions en œuvre.

[Non souligné dans l’original.]

 

16 Par exemple, lorsqu’une femme appelle la police à 3 heures du matin pour lui dire que son mari dont elle est séparée est en train de s’introduire chez elle en passant par la fenêtre, la question est la suivante : la police est‑elle prête, disposée et apte à faire de sérieux efforts pour arriver chez elle à temps, avant qu’il ne la tue? Il est vrai que même le corps policier le mieux formé, le plus sensibilisé et le plus motivé pourrait ne pas arriver à temps, mais le critère des « efforts sérieux » ne sera rempli que s’il est établi que la capacité et l’expertise du corps policier sont suffisamment au point pour le rendre apte à prendre véritablement les moyens requis, tant du point de vue de la femme concernée que du point de vue de la collectivité où elle vit. Le même critère s’applique à l’aide qu’une femme pourrait espérer recevoir au comptoir des plaintes d’un poste de police local. En d’autres termes, la police est‑elle en mesure de recevoir sa plainte et d’agir avec empressement et bonne volonté? C’est là à mon avis le critère qui non seulement doit être suivi quand on apprécie le sérieux des efforts faits par l’État pour protéger les femmes, mais aussi doit être reconnu comme le critère pertinent quant à toutes les causes mettant en jeu la protection étatique.

 

[47]           Les demanderesses soutiennent qu’étant donné les efforts de la police dans le cas présent, il n’y a pas de protection de l’État efficace à la Barbade. En outre, le seul document sur lequel s’est appuyé l’agent était le rapport du département d’État des États-Unis, qui présente un portrait différent de celui que donnaient les autres documents disponibles. Ce rapport ne mentionne rien qui établit la disponibilité de la protection de l’État. Les demanderesses soutiennent que l’agent a commis une erreur en prenant les signes d’amélioration des mesures de protection comme la preuve du caractère adéquat de la mise en œuvre des mesures de protection. L’agent n’était saisi d’aucun élément de preuve que la Barbade assurait une protection de l’État adéquate aux victimes de la violence familiale.

 

[48]           Les demanderesses invoquent également la décision Garcia, au paragraphe 18, où la Cour a analysé ce qui constitue une preuve « claire et convaincante » à la lumière de l’arrêt Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689 et conclut que la décision Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c. Villafranca, [1992] A.C.F. n° 1189 n’est plus un point de droit valide :

18 Je suis d’avis que la jurisprudence Ward modifie la jurisprudence Villafranca sous un aspect particulièrement important. Dans l’arrêt Ward, la Cour suprême s’est exprimée clairement sur la quantité et la qualité des preuves que le demandeur d’asile doit produire pour réfuter la présomption que l’État assure la protection des personnes; en d’autres termes, le demandeur d’asile est uniquement tenu de produire une preuve claire et convaincante. Par conséquent, je suis d’avis que l’observation de l’arrêt Villafranca selon laquelle « il ne suffit pas que le demandeur démontre que son gouvernement n’a pas toujours réussi à protéger des personnes dans sa situation » n’est plus d’actualité juridiquement. Ainsi, la preuve de l’échec des autorités publiques à réagir efficacement aux appels à l’aide venant de femmes menacées par des prédateurs sexuels violents peut, à elle seule, être considérée comme une preuve claire et convaincante qui réfute la présomption que l’État concerné assure la protection des personnes. Tout dépend de la force probante de la preuve produite aux yeux du décisionnaire.

 

[49]           Les demanderesses font valoir qu’elles ont produit une preuve claire et convaincante de l’incapacité de l’État d’assurer leur protection et que si l’agent s’était acquitté de son obligation d’approfondir le dossier dont il était saisi et avait consulté les documents de la CISR, il en serait venu à une conclusion différente au sujet de la protection de l’État. Les demanderesses signalent aussi que la décision Hinzman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2007] A.C.F. n° 584, au paragraphe 41 (C.A.F.) (Hinzman), invoquée par le défendeur, appuie la position des demanderesses que dans le cas où une demanderesse appelle la police à de nombreuses reprises et que la police répond une seule fois, et de manière inefficace, on peut dire que la demanderesse a cherché sans succès à obtenir la protection de son pays d’origine.

 

Le défaut d’accorder la tenue d’une audience

 

[50]           Les demanderesses citent l’article 167 du Règlement, qui expose les facteurs à prendre en considération dans la décision relative à l’obligation de tenir une audience. Elles soutiennent que l’agent a commis une erreur en n’accordant pas d’audience à la demanderesse principale pour statuer sur les questions de crédibilité. La SPR a conclu que la demanderesse principale n’était pas crédible. L’agent a fait l’examen de la décision de la SPR et en a repris les constatations et la conclusion sur la crédibilité. L’agent n’a fait aucune analyse de la décision de la SPR. L’agent refuse même de prendre en compte la photo de la cicatrice au front de la demanderesse principale, déclarant que la photo aurait pu être présentée à la SPR en février 2004. L’agent ne fait pas mention non plus que la cicatrice a été portée à l’attention de la SPR par des rapports médicaux et psychologiques, que la SPR a tous rejetés.

 

[51]           Les demanderesses soutiennent en outre que l’agent ne tire aucune conclusion de crainte subjective. L’agent ne conclut qu’à une crainte objective sur la foi du rapport du département d’État des États-Unis. La raison en est que l’agent s’est fié entièrement à la conclusion défavorable de la SPR en matière de crédibilité et n’a jamais pris en considération la preuve dont il était saisi.

 

[52]           Les demanderesses invoquent la décision Latifi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2006 CF 1388, aux paragraphes 49, 64, 52 et 53. Dans cette affaire, l’agent d’ERAR a entièrement adopté les conclusions de la SPR en matière de crédibilité et a commis une erreur en ne procédant pas à une évaluation indépendante de la demande d’ERAR.

 

[53]           Les demanderesses renvoient aussi à la décision Tekie c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2005 CF 27, au paragraphe 17, pour étayer la thèse que décider d’une demande d’ERAR sur des motifs autres que la crédibilité n’affecte pas le droit à l’audience. Les demanderesses soutiennent que l’agent n’a jamais examiné la conclusion de la SPR en matière de crédibilité ni établi sa propre conclusion en matière de crédibilité. La conclusion de la SPR en matière de crédibilité a été importée telle quelle dans la décision. En n’accordant pas d’audience à la demanderesse principale pour traiter des questions de crédibilité, l’agent a commis une erreur.

 

Le défendeur

Les éléments nouveaux de preuve

 

[54]           Le défendeur fait valoir que le dossier de la demande renferme divers documents dont l’agent n’était pas saisi, notamment les suivants :

a)         une demande de report de la date du renvoi fixée au 13 novembre 2007;

b)         un courriel de l’agent Tokunbo Famewo daté du 30 novembre 2007;

c)         des lettres « À qui de droit » datées des 4 et 7 janvier 2008 ;

d)         les Citizenship Laws of the World du United States Officer of Personnel Management Investigation Service.

 

[55]           Le défendeur soutient que l’agent ne disposait pas des renseignements que contiennent ces documents. Les éléments de preuve dont l’agent n’était pas saisi ne sont pas pertinents pour le contrôle judiciaire : Asafov c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] A.C.F. n° 713 (C.F. 1re inst.); Franz c.  Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] A.C.F. n° 862 (C.F. 1re inst.); Barran c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] A.C.F. n° 258 (C.F. 1re inst.); Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1997] A.C.F. n° 566, et Lemiecha c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. n° 1333.

 

[56]           Le défendeur déclare que la seule exception à cette règle est que sont admissibles pour le contrôle judiciaire les nouveaux éléments de preuve qui établissent un déni de la justice naturelle ou un manquement à l’équité procédurale : Beci c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1997] A.C.F. n° 584, et Qazi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] A.C.F. n° 2069. Les documents présentés ne relevant pas de cette exception, ils ne doivent pas être pris en considération.

 

[57]           Le défendeur soutient que la décision faisant l’objet du contrôle est une évaluation des risques. Considérant l’objectif de cette évaluation, l’agent est le seul compétent au regard des faits et la Cour ne doit pas réévaluer la preuve. Le défendeur souligne aussi qu’une décision d’ERAR appelle une grande déférence : Ahani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2002 CSC 2, au paragraphe 17, et Suresh, au paragraphe 39.

 

La protection de l’État

 

[58]           Le défendeur fait valoir que les demanderesses doivent produire des éléments de preuve suffisants pour soutenir leur revendication. Deux renvois indirects concernant deux craintes distinctes, sans autre élément de preuve, n’obligent pas l’agent à pousser son examen plus loin. Dans le contexte d’une demande pour des raisons humanitaires, la Cour d’appel, dans l’arrêt Owusu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2004 CAF 38, aux paragraphes 5, 8 et 9, a conclu que les demandeurs sont tenus de fournir une preuve suffisamment claire à l’appui de l’obligation positive d’un décideur de tirer une conclusion au sujet d’un aspect particulier de la demande.

 

[59]           Le défendeur rappelle à la Cour que le fardeau de la preuve à l’égard de leur demande incombe aux demanderesses et qu’il n’incombe pas à l’agent d’établir que les demanderesses n’ont pas droit à la protection du Canada. Le défendeur renvoie à l’arrêt Ward, dans lequel la Cour suprême du Canada a conclu à la présomption qu’un État a la capacité d’assurer la protection de ses citoyens, en l’absence d’un effondrement complet de l’appareil étatique. Un demandeur ne peut réfuter cette présomption qu’en produisant une « preuve claire et convaincante » de l’incapacité de l’État d’assurer cette protection.

 

[60]           Le défendeur soutient que les demanderesses n’ont pas produit de preuve « claire et convaincante » au sens de l’arrêt Ward que la protection de l’État n’est pas disponible. Il ne suffit pas que les demanderesses établissent simplement que leur gouvernement n’a pas toujours réussi à protéger des personnes dans leur situation. La preuve que la protection offerte, « sans être nécessairement parfaite, [est] adéquate » n’est pas une « preuve claire et convaincante » de l’incapacité de l’État d’assurer la protection. Le défendeur invoque la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Villafranca c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1992), 99 D.L.R. (4th) 334, au paragraphe 7 :

Aucun gouvernement qui professe des valeurs démocratiques ou affirme son respect des droits de la personne ne peut garantir la protection de chacun de ses citoyens en tout temps. Ainsi donc, il ne suffit pas que le demandeur démontre que son gouvernement n’a pas toujours réussi à protéger des personnes dans sa situation. […]

 

 

[61]           Le défendeur invoque ensuite l’arrêt Hinzman, au paragraphe 41, où la Cour a insisté sur le fait que la protection des réfugiés est censée constituer une forme de protection auxiliaire qui ne doit être invoquée que dans les cas où le demandeur d’asile a tenté en vain d’obtenir la protection de son État d’origine. Dans l’arrêt Hinzman, la Cour a aussi insisté sur l’importance de s’adresser d’abord à son État d’origine pour obtenir la protection avant de demander asile dans un autre pays. Le défaut de procéder ainsi entraîne l’échec de la demande d’asile, à tout le moins dans les situations où l’État d’origine est une démocratie qui fonctionne, disposée à assurer une certaine protection à ses citoyens et dotée de l’appareil nécessaire pour le faire.

 

[62]           Le défendeur fait valoir que l’agent avait la latitude de conclure que les demanderesses n’avaient pas renversé la présomption relative à la protection de l’État. La preuve dont était saisi l’agent indiquait que la Barbade, où réside l’agent persécuteur, est un État démocratique parlementaire pluripartite où les autorités civiles maintiennent un contrôle efficace sur les forces de sécurité. Selon la preuve dont l’agent était saisi, la Barbade a fait de sérieux efforts pour lutter contre la violence familiale en créant au sein des forces policières des unités de soutien des victimes, en conférant le droit de demander des ordonnances restrictives et d’obtenir leur exécution en plus d’adopter des lois interdisant la violence familiale. De même, selon le propre témoignage des demanderesses, la police a répondu, ne serait-ce qu’une fois, à son appel.

 

[63]           Le défendeur soutient que la présence de certains éléments à l’appui de la position de la demanderesse dans la preuve documentaire ne démontre pas l’erreur. La possibilité de trouver une perspective contradictoire dans la preuve documentaire ne justifie pas de conclure que la décision est déraisonnable. La décision doit être erronée à première vue : Conkova c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. nº 300, au paragraphe 5. Aucun des arguments des demanderesses n’indique la présence d’une erreur dominante dans les motifs et les conclusions de l’agent. Par conséquent, l’agent pouvait raisonnablement conclure que les demanderesses ne s’étaient pas acquittées du fardeau de preuve à l’égard de la défaillance de la protection de l’État.

 

Le défaut de tenir une audience

 

[64]           Le défendeur soutient que l’agent n’a pas commis d’erreur en ne tenant pas d’audience. L’audience n’est nécessaire que dans le cas où la crédibilité est au cœur d’une décision, ce qui n’était pas le cas dans la présente demande.

 

[65]           Le défendeur fait valoir que l’agent a simplement préféré une certaine preuve documentaire, ce qui n’entraîne pas la nécessité d’une audience : Iboude c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2005 CF 1316, au paragraphe 13; Sen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2006 CF 1435, aux paragraphes 24 et 25; Selliah c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2004 CF 872, conf. pour d’autres motifs par 2005 CAF 160; alinéa 167a) du Règlement. Le défendeur affirme que l’évaluation de l’agent est fondée sur la preuve documentaire, qui indique la disponibilité de la protection de l’État.

 

[66]           L’agent ne s’est pas prononcé sur la crédibilité et, par conséquent, aucune audience n’est nécessaire. L’agent ne déclare nulle part dans la décision que la demande a été rejetée au motif du manque de crédibilité des demanderesses. Le défendeur soutient qu’il n’entre pas dans la compétence de l’agent de contrôler le caractère raisonnable des conclusions de la SPR, en particulier une décision touchant la crédibilité.

 

[67]           Le défendeur conclut en déclarant que la demanderesse principale a affirmé qu’elle avait été informée par son avocat qu’elle avait peut-être perdu sa citoyenneté à Saint-Vincent. L’objet de ce renseignement n’est pas clair, de l’avis du défendeur, car selon les renseignements dont était saisi l’agent, la demanderesse principale était une ressortissante de la Barbade et de Saint-Vincent.

 

L’ANALYSE

 

[68]           À mon avis, la question de la crédibilité ne joue aucun rôle dans la décision de l’agent. L’agent renvoie à la décision de la SPR qui a tiré une conclusion au sujet de la crédibilité. Mais il établit très clairement que sa décision est fondée sur les craintes que la demanderesse principale a exposées dans sa demande d’ERAR, à savoir [traduction] « qu’elle et sa fille feront l’objet de violence et qu’elle sera tuée par son mari ». L’agent a dit qu’il conclut que [traduction] « les risques exposés [dans la demande] sont fondamentalement les mêmes que ceux dont le tribunal de la SPR a été saisi »; quand on lit la décision dans son ensemble, il est clair que la protection de l’État est la question déterminante et que la protection de l’État est examinée dans la perspective des craintes exposées par les demanderesses dans leur demande. Dans les circonstances, aucune audience n’était prescrite par l’alinéa 113b) de la Loi.

 

[69]           Sur ce point, les faits de l’espèce sont très différents de ceux des décisions Latifi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2006 CF 1388 et Shafi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2005 CF 714, sur lesquelles s’appuient les demanderesses. En l’espèce, l’agent n’a pas simplement accepté à première vue les conclusions de la SPR sur la crédibilité sans se demander si les nouveaux éléments de preuve pouvaient les infirmer, comme l’allèguent les demanderesses. L’agent a déclaré que les risques exposés par les demanderesses étaient [traduction] « fondamentalement les mêmes que ceux dont le tribunal de la SPR a été saisi » et il a examiné ensuite si la protection de l’État était disponible pour protéger les demanderesses contre ces risques. Il n’a tiré aucune conclusion sur la crédibilité de manière explicite ou implicite.

 

[70]           Les demanderesses affirment également que l’agent a commis une erreur dans sa conclusion relative à l’absence de risques nouveaux en l’espèce, étant donné que [traduction] « les risques exposés […] sont fondamentalement les mêmes que ceux dont le tribunal de la SPR a été saisi ». Elles disent que la demande soulevait les risques nouveaux suivants :

a.                   Le mari de la demanderesse principale cherchait toujours à la traquer et il la tuerait, comme [traduction] « il a dit que je lui ai enlevé sa fille, que j’ai encouragé son fils à le quitter et que je les ai montés contre lui »;

b.                  Il l’accusait aussi [traduction] « d’entretenir une relation avec une femme ».

 

[71]           Les demanderesses disent que l’agent aurait dû examiner ces nouveaux éléments de preuve de risque selon une double perspective, du point de vue des agissements éventuels du mari à l’égard des demanderesses à leur retour et de celui de la possibilité d’accès de la demanderesse principale à la protection de l’État dans un pays où l’homosexualité constitue une infraction criminelle.

 

[72]           Premièrement, il ressort clairement de la décision que l’agent a examiné spécifiquement l’observation de la demanderesse principale qui dit [traduction] « craindre que sa fille et elle soient victimes de violence et tuées par son mari ».

 

[73]           Le fait que le mari puisse avoir conçu de nouveaux motifs pour vouloir faire du mal aux demanderesses ne change rien au fait que le mari et sa violence sont toujours la cause des craintes des demanderesses. Quels que soient les motifs du comportement du mari, l’agent a admis qu’il poursuivait toujours les demanderesses. Compte tenu de cela, l’agent s’est penché sur la protection de l’État.

 

[74]           Lorsque l’agent dit qu’il [traduction] « conclut que les risques […] sont fondamentalement les mêmes que ceux dont le tribunal de la SPR a été saisi », cela ne l’empêche pas de prendre ces risques en considération. Comme il ressort clairement de la décision dans son ensemble, la décision est fondée sur la protection de l’État et sur le fait de savoir si cette protection est adéquate pour protéger les demanderesses contre le risque [traduction] « de violence et [d’être] tuées par son mari ».

 

[75]           Les demanderesses affirment que l’accusation portée par le mari, soit que la demanderesse principale [traduction] « entretenait une relation avec une femme », nuirait à leur capacité d’avoir accès à la protection de l’État. Mais cela est une pure spéculation. La demanderesse principale n’entretient pas ce type de relation et aucun élément de preuve ne suggère que les autorités de l’État à la Barbade accepteraient même la simple accusation du mari. Les demanderesses cherchent à laisser croire que la police de la Barbade accepterait simplement à première vue l’accusation du mari et serait incapable d’en vérifier le bien-fondé, ou non disposée à le faire, et de prendre les mesures nécessaires. Je ne suis saisi d’aucune preuve à l’appui de cette position et l’agent n’était saisi d’aucune preuve établissant que la simple accusation d’un mari agressif menacerait l’accessibilité à la protection de la police.

 

[76]           Comme la Cour l’a souligné à maintes reprises, le fardeau de la preuve incombe au demandeur, qui doit établir toute prétention sur laquelle sa demande se fonde. Voir, par exemple, l’arrêt Owusu, au paragraphe 5.

 

[77]           La question centrale de la présente demande est de savoir si les conclusions de l’agent au sujet de la protection de l’État sont raisonnables. Sur ce point, l’agent s’appuie sur les conclusions de la SPR, mais il prend aussi en compte les éléments nouveaux de preuve en vue de déterminer s’ils établissent ou étayent la crainte de la demanderesse principale d’être tuée par son mari.

 

[78]           L’agent a admis en preuve et examiné la dernière version du Rapport par pays du département d’État présentée par les demanderesses et conclu que [traduction] « la situation à la Barbade et à Saint-Vincent-et-les-Grenadines ne s’était pas significativement détériorée depuis la décision de la SPR ». La SPR a conclu que [traduction] « la protection de l’État est disponible à la Barbade » et, même si les demanderesses disent maintenant que la SPR s’est trompée sur la question, elles n’ont pas attaqué la décision au moment où elle a été rendue.

 

[79]           Par conséquent, il n’y avait rien de déraisonnable dans la conclusion de la Commission fondée sur le rapport du département d’État pour l’année 2006.

 

[80]           Les demanderesses disent toutefois que l’agent était tenu de consulter la Réponse à la Demande d’information du 8 mars 2007 et qu’il aurait dû le faire.

 

[81]           Je conviens avec les demanderesses que l’agent aurait dû consulter ce document même si elles ne l’ont pas présenté. Voir la décision Roger George S. Rizk Hassaballa c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2007 CF 489, au paragraphe 33.

 

[82]           La question sur laquelle je dois maintenant me prononcer est de savoir si la Réponse à la Demande d’information du 8 mars 2007, à supposer que l’agent l’ait consultée, aurait fourni des renseignements contraires qui auraient dû être pris en compte sur la question de la protection de l’État. Dans la décision Pinky Lourice Mark Adaina Theresa Tenisha c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) du juge en chef Lutfy, datée du 4 mars 2008 et invoquée par les demanderesses, le juge en chef a clairement établi que le rapport RDI visé dans cette affaire était important en raison de [traduction] « l’importance différente qu’il accorde à des questions pertinentes ».

 

[83]           Selon le défendeur, il n’y a pas en l’espèce de véritable contradiction entre le rapport du département d’État pour l’année 2006 et la Réponse à la Demande d’information. Les deux documents affirment l’existence d’un problème culturel de violence familiale à la Barbade. Selon les demanderesses, la différence entre les deux est importante parce que le rapport du département d’État concerne simplement le cadre des mesures de protection et ne touche ni leur efficacité ni leur mise en œuvre, alors que la Réponse à la Demande d’information traite de l’efficacité de ces mesures et attaque directement les conclusions du rapport du département d’État confirmant qu’il existe un cadre de mesures de protection et qu’il fonctionne.

 

[84]           La Réponse à la Demande d’information renvoie à la communication écrite du 26 janvier 2007 de l’Association des organisations non gouvernementales de la Barbade (BANGO), qui donnait des renseignements [traduction] « sur les voies de droit offertes aux femmes victimes de violence conjugale à la Barbade ». La lettre indiquait ce qui suit :

a.                   La violence conjugale, étant profondément ancrée dans la culture, [traduction] « échappe parfois » à l’application de la Loi sur la violence conjugale (ordonnances de protection) (Domestic Violence (Protection Orders) Act) et de la Loi sur les infractions sexuelles (Sexual Offences Act);

b.                  Les tribunaux ont tendance à être indulgents quand ils imposent des peines aux auteurs de violence conjugale et [traduction] « très peu sympathiques envers les femmes victimes »;

c.                   Un homme [traduction] « faisant l’objet d’une ordonnance de non-communication continue quand même de traquer, de harceler et de maltraiter ou violenter physiquement sa victime en toute impunité »;

d.                  Un grand nombre de femmes hésitent à signaler des incidents de violence familiale par crainte de représailles.

 

[85]           La Réponse à la Demande d’information ajoute qu’aucune information [traduction] « corroborante n’a pu être trouvée parmi les sources consultées par la Direction des recherches dans les délais prescrits de la Réponse », mais elle fait aussi référence aux Country Reports on Human Rights Practices for 2005, document qui conclut que [traduction] « même si la Barbade possède des lois et des programmes conçus pour protéger les femmes, les mauvais traitements et la violence à l’endroit des femmes demeurent “des problèmes sociaux importants” dans ce pays », ce qui suggère que le cadre de protection n’est peut-être pas efficace.

 

[86]           Néanmoins, ces renseignements indiquent très fortement que la recherche indépendante de l’agent (c.-à-d. le rapport du département d’État pour l’année 2006) et les conclusions qu’il en tire auraient pu aboutir à un résultat différent si l’agent avait consulté la Réponse à la Demande d’information et vu [traduction] « l’importance différente qu’[elle] accorde à des questions pertinentes », pour reprendre les termes du juge en chef Lutfy dans la décision Thomas.

 

[87]           L’agent aurait dû consulter et prendre en considération la Réponse à la Demande d’information dans sa Décision. Il ne l’a pas fait, ce qui rend sa Décision déraisonnable au regard des faits de l’espèce, et la décision doit être renvoyée pour un nouvel examen.

 


 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que

 

1.      la demande est accueillie et l’affaire est renvoyée à un autre agent en vue d’un nouvel examen;

2.      aucune question n’est certifiée.

 

 

James Russell

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-95-08

 

INTITULÉ :                                       GRACEL BERNADET JESSAMY

                                                            ET AL.

                                                            c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 4 novembre 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT 

ET JUGEMENT :                              LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       Le 7 janvier 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Richard Wazana

 

POUR LES DEMANDERESSES

Tamrat Gebeyehu

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Richard Wazana

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDERESSES

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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