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Date : 20090122

Dossier : IMM-248-08

Référence : 2009 CF 65

Ottawa (Ontario), le 22 janvier 2009

En présence de monsieur le juge Mandamin

 

 

ENTRE :

JOTHIRAVI SITTAMPALAM

demandeur

 

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET

DE LA PROTECTION CIVILE

défendeurs

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

[1]               Le demandeur, Jothiravi Sittampalam, fait l’objet d’un avis de danger. Il sollicite le contrôle judiciaire de l’avis de danger produit le 11 janvier 2008 par une déléguée du ministre, avis produit suivant l’ordonnance rendue par la juge Snider dans la décision Sittampalam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 687, (ci‑après la décision Sittampalam), dans lequel la déléguée a conclu que le demandeur, comparé aux autres résidents du Sri Lanka, ne serait pas exposé à un plus grand risque de torture, à une menace à sa vie ou à un risque de traitements ou peines cruels et inusités au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR).

 

LE CONTEXTE

[2]               Dans la décision Sittampalam, la juge Snider a effectué un contrôle judiciaire de l’avis de danger produit par M. Aldridge, délégué du ministre, produit le 6 juillet 2006, dans lequel le délégué avait conclu que le demandeur :

-         constitue un danger pour le public au Canada, au sens de l’alinéa 115(2)a) de la LIPR;

-         ne devrait pas être présent au Canada en raison de la nature et de la gravité de ses actes passés, au sens de l’alinéa 115(2)b) de la LIPR.

 

[3]               En raison de l’avis de danger délivré le 6 juillet 2006, le demandeur risque d’être expulsé ou refoulé vers le Sri Lanka, et ce, malgré qu’il avait été déclaré réfugié au sens de la Convention en 1990. La juge Snider a accueilli en partie le contrôle judiciaire. Elle a conclu qu’il n’y avait pas lieu de modifier les conclusions du délégué qui avait estimé que le demandeur avait été impliqué dans des crimes graves, constituait un danger pour le public au Canada et ne devrait pas avoir le droit de rester au Canada en raison de la nature et de la gravité des actes commis ici (la décision Sittampalam, paragraphe 68).

 

[4]               Selon la juge Snider, la seule erreur qu’a commise le délégué du ministre est que, lors de l’évaluation des risques auxquels le demandeur serait exposé s’il devait retourner au Sri Lanka, le délégué n’a pas tenu compte de l’ensemble des éléments de preuve dont il disposait. La juge Snider a renvoyé l’affaire au même délégué dans le seul but qu’il procède à une nouvelle évaluation des risques (la décision Sittampalam, paragraphe 68). Lorsqu’il a fallu effectuer la nouvelle évaluation, le délégué en question n’était plus disponible. La Cour a autorisé Mme Stock, déléguée du ministre (la déléguée), à effectuer la nouvelle évaluation en tenant compte de l’ordonnance suivante :

 

1.  La demande de contrôle judiciaire est accueillie en ce qui concerne la conclusion du délégué suivant laquelle le demandeur ne serait pas exposé à un risque élevé de torture ou à une menace à sa vie ou à un risque de traitements ou peines cruels et inusités s’il devait retourner au Sri Lanka;

2. L’avis du délégué du ministre est annulé et l’affaire est renvoyée au même délégué du ministre dans le seul but de lui permettre de réévaluer les risques auxquels le demandeur serait exposé s’il retournait au Sri Lanka;

3.  Pour le cas où le délégué conclurait que le demandeur serait exposé à un risque élevé, le délégué devra entreprendre l’exercice de pondération prévu dans l’arrêt Suresh;

4.  Aucune question n’est certifiée.

 

L’historique de la procédure

[5]               Je cite les paragraphes 5 à 9 de la décision Sittampalam rendue par la juge Snider, lesquels décrivent l’historique de la procédure visant le demandeur :

 

5    Les démêlés du demandeur, un citoyen du Sri Lanka, avec les autorités de l’immigration, la police et les tribunaux, y compris la Cour fédérale et la Cour d’appel fédérale, remontent à plusieurs années. En voici les faits saillants :

-  Arrivé au Canada en février 1990, le demandeur a revendiqué avec succès le statut de réfugié au sens de la Convention et a obtenu la résidence permanente le 17 juillet 1992.

-  Le demandeur a trois condamnations pénales à son actif : (1) défaut de se conformer à un engagement (24 janvier 1992); (2) trafic de stupéfiants (8 juillet 1996); (3) entrave au travail d’un agent de la paix (février 1998).

-  Le demandeur a également fait l’objet d’enquêtes quant à son rôle dans de nombreuses infractions commises par une bande – notamment tentative de meurtre, agression armée, voies de fait graves, possession d’une arme dangereuse pour le public, braquer et utiliser une arme à feu pour commettre une infraction, menaces, extorsion et trafic – qui n’ont toutefois pas mené à des déclarations de culpabilité.

La police de Toronto a identifié le demandeur comme étant le chef de la bande A.K. Kannan, l’un des deux groupes tamouls rivaux actifs à Toronto. Le demandeur a admis, devant les policiers, avoir déjà fait partie de la bande.

-  Le demandeur a fait l’objet d’un rapport en application de l’alinéa 27(1)d) de la Loi sur l’immigration, L.R.C. 1985, ch. I‑2 [abrogée] (l’ancienne loi), en raison de sa condamnation pour trafic de stupéfiants.

Il a par la suite fait l’objet d’un autre rapport en application des alinéas 27(1)a) et 19(1)c.2) de l’ancienne loi parce qu’il y avait des motifs raisonnables de croire qu’il se livrait à des activités faisant partie d’un plan d’activités criminelles organisées par plusieurs personnes agissant de concert en vue de la perpétration d’infractions criminelles. Il était allégué que le demandeur [traduction] « est ou a été membre d’une organisation connue sous le nom de bande A.K. Kannan ».

Une enquête a été ouverte en vertu de l’ancienne loi en janvier 2002. Lorsque la LIPR est entrée en vigueur en juin 2002, l’enquête s’est poursuivie sous le régime des articles 36 et 37 de la LIPR. Le demandeur a reconnu qu’il était visé à l’article 36 en raison de sa condamnation pour trafic de stupéfiants, mais il a contesté l’allégation relative à la criminalité organisée.

Dans une décision datée du 4 octobre 2004, la Commission a conclu que le demandeur était interdit de territoire pour grande criminalité (alinéa 36(1)a) de la LIPR) et pour criminalité organisée (alinéa 37(1)a) de la LIPR).

-  Saisie d’une demande de contrôle judiciaire, la Cour fédérale a confirmé la décision de la Commission selon laquelle l’appelant était interdit de territoire au Canada (Sittampalam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration et Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), [2005] A.C.F. no 1485 (C.F.) (QL) (Sittampalam I)). La Cour d’appel fédérale a, à son tour, confirmé cette décision (Sittampalam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration et Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), [2006] A.C.F. no 1512 (C.A.F.) (QL) (Sittampalam II)).

 

6     À la suite des déclarations d’interdiction de territoire de la Commission (mais avant que la Cour ne rende sa décision dans les affaires Sittampalam I et Sittampalam II), des fonctionnaires de l’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC) ont entrepris des démarches qui, si elles aboutissent, se traduiraient par le refoulement du demandeur vers le Sri Lanka. Autrement dit, l’ASFC a cherché à obtenir ce qu’on appelle communément un « avis de danger » du ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (le ministre), en vertu des alinéas 115(2)a) et 115(2)b) de la LIPR. L’ASFC a signifié au demandeur un avis, daté du 24 novembre 2004, l’informant qu’elle demanderait au ministre de se dire d’avis que le demandeur constitue un danger pour le public et/ou qu’il est une personne qui ne devrait pas être présente au Canada en raison de la nature et de la gravité de ses actes passés. La lettre précisait les éléments de preuve sur lesquels reposerait l’avis du ministre et invitait le demandeur à faire valoir son point de vue.

 

7     Le demandeur a formulé des observations en réponse à cet avis. L’étape suivante consistait en la préparation d’une demande officielle d’avis du ministre en vertu des alinéas 115(2)a) et 115(2)b) de la Loi. Une fois de plus, le demandeur a été informé, par lettre en date du 8 avril 2005 qu’il pouvait [traduction] « présenter par écrit les observations et arguments que vous jugez nécessaires et soumettre tout élément de preuve documentaire que vous estimez pertinent ».

 

8     En réponse à cette lettre le demandeur a, par le truchement de son avocat, présenté des observations le 1er mai 2005. Le délégué du ministre a de toute évidence tenu compte de ces observations pour former son opinion.

 

9     Après que les premières observations eurent été présentées en mai 2005, il y a eu une pause dans la procédure jusqu’à ce que l’avis soit finalement émis en juillet 2006. Une seconde liasse de documents a été transmise au ministre avec une lettre datée du 19 mai 2006. Cette seconde série d’observations n’a pas été versée au dossier certifié du tribunal. Il semble que les parties acceptent que, bien qu’ils aient été reçus aux bureaux du ministre, ces documents n’ont été ni reçus ni examinés par le délégué du ministre.

 

[6]               Comme je l’ai déjà mentionné, la juge Snider a confirmé la décision du délégué, qui avait estimé que le demandeur constituait un danger pour le public au Canada. Cependant, elle a annulé la décision du délégué en ce qui concerne les conclusions portant sur le risque auquel serait exposé le demandeur s’il retournait au Sri Lanka, parce qu’elle a conclu que le délégué – en concluant que le demandeur ne serait pas exposé à un risque élevé de torture, à une menace à sa vie ou à un risque de traitements ou peines cruels et inusités s’il devait retourner au Sri Lanka – avait commis une erreur dans l’avis de danger produit le 6 juillet 2006. La juge Snider a ordonné qu’une nouvelle évaluation du risque soit effectuée et qu’elle tienne compte de l’ensemble de la preuve. Le présent contrôle judiciaire porte sur la nouvelle évaluation.

 

Le présent contrôle judiciaire

 

[7]               Dans la présente affaire, la déléguée a conclu que le demandeur ne serait pas exposé à un risque élevé de torture, à une menace à sa vie ou à un risque de traitements ou peines cruels et inusités s’il devait retourner au Sri Lanka et que, par conséquent, il pouvait être renvoyé du Canada (paragraphe 21 des motifs). 

LE CADRE LÉGAL

 

[8]               La pierre angulaire du régime de protection des réfugiés au Canada est que, une fois qu’un réfugié est déclaré personne à protéger ou réfugié au sens de la Convention, la LIPR lui fournit une protection qui fait en sorte qu’il ne peut être renvoyé, ou refoulé, dans son pays d’origine que pour des raisons exceptionnelles. La juge Snider a affirmé ce qui suit au paragraphe 11 de la décision Sittampalam :

 

11     Une déclaration d’interdiction de territoire constitue une des situations dans lesquelles le refoulement est possible. Il importe de rappeler que les faits énumérés dans la Loi emportent interdiction de territoire de l’étranger pour criminalité (article 36 de la LIPR) ou pour criminalité organisée (article 37 de la LIPR). Or, le demandeur a été déclaré interdit de territoire par application de ces deux articles (voir les affaires Sittampalam I et Sittampalam II, précitées).

 

[9]               Une personne déclarée interdite de territoire n’est pas automatiquement expulsée. Le principe de non‑refoulement qui sous‑tend le régime d’immigration s’applique. Le paragraphe 115(1) de la LIPR établit le principe de non‑refoulement, et le paragraphe 115(2) en expose les exceptions :

Principe

115. (1) Ne peut être renvoyée dans un pays où elle risque la persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques, la torture ou des traitements ou peines cruels et inusités, la personne protégée ou la personne dont il est statué que la qualité de réfugié lui a été reconnue par un autre pays vers lequel elle peut être renvoyée.

Exclusion

(2) Le paragraphe (1) ne s’applique pas à l’interdit de territoire :

a) pour grande criminalité qui, selon le ministre, constitue un danger pour le public au Canada;

b) pour raison de sécurité ou pour atteinte aux droits humains ou internationaux ou criminalité organisée si, selon le ministre, il ne devrait pas être présent au Canada en raison soit de la nature et de la gravité de ses actes passés, soit du danger qu’il constitue pour la sécurité du Canada.

Protection

115. (1) A protected person or a person who is recognized as a Convention refugee by another country to which the person may be returned shall not be removed from Canada to a country where they would be at risk of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion or at risk of torture or cruel and unusual treatment or punishment.

Exceptions

(2) Subsection (1) does not apply in the case of a person

(a) who is inadmissible on grounds of serious criminality and who constitutes, in the opinion of the Minister, a danger to the public in Canada; or

(b) who is inadmissible on grounds of security, violating human or international rights or organized criminality if, in the opinion of the Minister, the person should not be allowed to remain in Canada on the basis of the nature and severity of acts committed or of danger to the security of Canada.

 

[10]           La juge Snider, aux paragraphes 15 à 17 de la décision Sittampalam, donne le contexte du présent contrôle judiciaire. La juge Snider a confirmé la conclusion tirée en juillet 2006 par le délégué, selon laquelle le demandeur « constitue un danger actuel et futur pour le public au sens de l’alinéa 115(2)a) de la LIPR et, pour cette raison, il ne devrait pas être présent au Canada ». La juge Snider a également confirmé la conclusion tirée en juillet 2006 selon laquelle le demandeur était interdit de territoire pour grande criminalité et qu’il ne devrait pas avoir le droit de rester au Canada en raison de la nature et de la gravité des actes commis. 

 

[11]           Vu la décision de la juge Snider, il est incontestable que le demandeur a été déclaré être une personne visée par les alinéas 115(2)a) et b) en juillet 2006. Cependant, avant d’être renvoyé du Canada, on doit déterminer si le demandeur serait exposé à un risque élevé de torture, à une menace à sa vie ou à un risque de traitements ou peines cruels et inusités s’il devait retourner au Sri Lanka. La décision rendue en juillet 2006 a été annulée entre autres parce que le délégué n’avait pas tenu compte de l’ensemble de la preuve deposée. La décision contestée en l’espèce, soit la décision prononcée en janvier 2008 par la déléguée, a été rendue par suite de l’ordonnance de la juge Snider, selon laquelle une nouvelle évaluation du risque devait être effectuée. 

 

La question préliminaire soulevée par le demandeur

 

[12]           Dans son exposé des arguments supplémentaire, le demandeur conteste les conclusions tirées par la juge Snider dans la décision Sittampalam. Il conteste particulièrement la conclusion du délégué, selon laquelle il ne devrait pas avoir le droit de rester au Canada en raison de la nature des actes commis. Le récent changement dans la jurisprudence apporté par les arrêts Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, et Nagalingam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 153, constitue le fondement de cette contestation.

 

[13]           Lorsque l’avis de danger a été produit en juillet 2006, la norme de contrôle applicable à la question de savoir si le demandeur constituait un danger pour le public et s’il devait être renvoyé du Canada en raison de la nature et de la gravité des actes commis, était la décision manifestement déraisonnable. Dans l’arrêt Dunsmuir, la Cour suprême du Canada a fondu la décision manifestement déraisonnable et la décision raisonnable simpliciter en une norme, la raisonnabilité. Le demandeur soutient que, au regard de la raisonnabilité, la conclusion du délégué au sujet du danger que le demandeur représente n’est pas viable.

 

[14]           Je ne suis pas d’accord avec le demandeur. Bien que les termes utilisés dans le domaine du contrôle judiciaire aient changé, je suis d’avis que, si la norme actuelle, la raisonnabilité, avait été appliquée, la décision du délégué quant aux alinéas 115(2)a) et b) aurait malgré tout été confirmée. Tout comme dans la décision Sittampalam, la plupart des arguments préliminaires du demandeur sont fondés sur l’allégation selon laquelle le délégué, en 2006, avait négligé certains éléments de preuve et en avaient retenu d’autres de façon sélective. Les propros tenus par la juge Snider au paragraphe 26 répondent aux arguments du demandeur et tranchent la question en l’espèce :

 

26    L’essentiel des arguments avancés par le demandeur se résume à un désaccord quant à la valeur que le délégué du ministre a accordée à la preuve. Examinons d’abord les nombreuses assertions suivant lesquelles le délégué a ignoré des éléments de preuve. Compte tenu du fait que la preuve dont disposait le délégué consistait en 14 gros recueils d’éléments de preuve, on peut comprendre qu’il ne mentionne pas expressément chaque document dans son avis. Vu l’ensemble des faits dont il disposait, le délégué n’a pas commis d’erreur en ne citant pas expressément le témoignage du détective Fernandez ou les éléments de preuve relatifs à l’entreprise de camionnage constituée en 1999 ou ceux relatifs à la collaboration du demandeur avec la police. Ce n’est pas parce qu’il a omis ces détails que le délégué n’a pas examiné et apprécié les éléments de preuve portant sur ces aspects de l’affaire. Je suis convaincue que le délégué du ministre a tenu compte de l’ensemble de la preuve sur ces questions lorsqu’il a conclu :

 

[traduction] Je dispose de bien peu d’éléments de preuve pour pouvoir conclure que M. Sittampalam est déterminé à modifier les comportements qui ont conduit à ses condamnations au criminel. Je dispose également de peu d’éléments de preuve qui me permettraient de conclure qu’il a entrepris des démarches sérieuses pour se réadapter et pour devenir un membre productif de la société.

 

[15]           Au paragraphe 48 de l’arrêt Dunsmuir, la Cour suprême du Canada a affirmé que le changement vers une seule norme, la raisonnabilité, n’ouvrait pas la voie à une approche du contrôle judiciaire faisant appel à une plus grande immixtion judiciaire.

 

[16]           Une décision est raisonnable si elle appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit, Dunsmuir, paragraphe 47. À mon avis, même si la norme établie par l’arrêt Dunsmuir, la raisonnabilité, avait été appliquée, l’issue aurait été la même.

 

LA DÉCISION CONTESTÉE

[17]           Lorsqu’elle a évalué le risque, la déléguée a reconnu que le demandeur était un Tamoul originaire du Nord du Sri Lanka. Elle a résumé les arguments du demandeur en ce qui concerne les organismes non gouvernementaux (ci‑après ONG), notamment ce qui suit :

a.       En octobre 2006, la mission Hotham (une ONG australienne) a rapporté une montée de violence dans le nord et l’est du Sri Lanka, une augmentation des incidents où la milice et l’État ont autorisé la torture et la persécution de Tamouls du fait de leur origine et de leur appartenance alléguée aux Tigres de libération de l’Eelam tamoul ou d’autres groupes;

b.      En décembre 2006, le Haut-commissariat des Nations Unies pour les réfugiés a témoigné de la quasi-inexistence de la protection des droits de la personne vu la violence des Tigres de libération de l’Eelam tamoul.

c.       Le 6 août 2007, le Human Rights Watch a fait savoir que le gouvernement sri‑lankais avait donné l’autorisation aux forces de sécurité et à l’armée d’utiliser « des tactiques de guerre déloyales ».

 

[18]           La déléguée a accepté les observations des avocats du demandeur, selon lesquelles le demandeur serait exposé à un risque pour les raisons suivantes : il était un Tamoul originaire du Nord du Sri Lanka; il n’avait pas de carte d’identité nationale; s’il était reconnu, il pourrait être renvoyé de Colombo; il avait fait l’objet de reportage dans la presse et il a quitté le Sri Lanka sans document valide.

 

[19]           La déléguée a reconnu que, il y a 17 ans, le demandeur a été déclaré réfugié au sens de la Convention et, sous une série de sous‑titres, elle a examiné le risque auquel serait exposé le demandeur s’il devait retourner au Sri Lanka.

 

La situation au pays

[20]           La déléguée a affirmé ce qui suit :

            [traduction]

Malgré l’affirmation des avocats – selon laquelle [traduction] « même si les fonctionnaires du Sri Lanka essaient parfois de donner l’impression qu’il y a un certain degré de normalité dans le pays ou que l’entente de cessez-le-feu est toujours en vigueur, la réalité sur le terrain contredit de telles affirmations » –, il y a des articles plus positifs qui sont parus dans le Daily News au sujet du tourisme et d’autres faits : par exemple, l’approvisionnement alimentaire se rend à destination et les nationaux sont avantageusement « replacés » après avoir été déplacés.

 

 

[21]           Par la suite, la déléguée fait référence à ce qui suit : un discours prononcé par le président; un article de Lankaweb portant sur une réponse donnée par le Secrétariat à la coordination du processus de paix au sujet d’une déclaration d’Amnestie internationale; le site Internet officiel du Secrétariat à la coordination du processus de paix et une déclaration d’un ministre du Sri Lanka qui fait état d’un retour à la normale. La déléguée a trouvé que ces sources présentaient [traduction] « une perspective bien différente de ce qui figure dans les rapports d’Amnestie internationale, de Hotham ou du Human Rights Watch entre autres ».

 

[22]           La déléguée a par la suite examiné des rapports critiquant la mission de surveillance au Sri Lanka, ainsi que le Country Report sur les pratiques en matière de droits de la personne de 2006 produit par les États‑Unis, qui fait état de l’éclatement bien réel du cessez‑le‑feu et du fait que le gouvernement respecte de moins en moins les droits de la personne . La déléguée a conclu ainsi : « Clairement, la situation au pays laisse grandement à désirer. »

 

Le retour au Sri Lanka – Le traitement qui serait réservé au demandeur à l’aéroport

[23]           La déléguée a de nouveau résumé les observations du demandeur sur la détention et la torture auxquelles seraient soumis les demandeurs d’asile qui retournent au Sri Lanka. Elle a noté qu’il y avait également des rapports sur le retour de personnes au Sri Lanka produits par les autorités allemandes, suisses et britanniques qui font état d’un processus particulier dans le cas des demandeurs d’asile qui retournent au Sri Lanka. La déléguée a mentionné des renseignements qui se trouvaient dans une lettre du 26 septembre 2005 rédigée par le haut‑commissariat du Royaume‑Uni à Colombo, laquelle était tirée d’un Rapport sur la situation au pays produit le 11 mai 2007 au sujet du Sri Lanka par l’Agence des services frontaliers et de l’immigration du Home Office du Royaume-Uni.

 

[24]           La déléguée a rappelé les observations du demandeur, selon lesquelles les demandeurs d’asile qui retournent au Sri Lanka risquent grandement d’être détenus et torturés et que les années qui se sont écoulées n’avaient pas atténué la crainte de persécution fondée du demandeur, crainte en raison de laquelle le demandeur avait été déclaré réfugié au sens de la Convention. La déléguée a mentionné le rapport du Home Office du Royaume-Uni qui renvoyait à la Réponse aux demandes d’information no LKA102038.EF du 22 décembre 2006 (la RDI) produite par le Canada.

 

[25]           La déléguée a alors mentionné une décision rendue le 14 février 2004 par la Cour européenne des droits de la personne, qui avait formulé des observations sur le traitement réservé à des demandeurs d’asile qui étaient retournés au Sri Lanka en 2003.

 

[26]           La déléguée a accordé peu de poids à la mention qui se trouvait dans le rapport de Hotham, selon laquelle une personne était décédée en détention, parce que, à son avis, même s’il se peut que le demandeur soit interrogé à son retour au Sri Lanka, il n’avait aucun casier judiciaire au Sri Lanka et rien ne donnait à penser qu’il serait perçu comme étant un membre d’un groupe présentant un risque très élevé.

 

[27]           La déléguée a noté la Réponse aux demandes d’information du 5 août 2003, qui mentionnait que les allégations selon lesquelles les demandeurs d’asile retournant au Sri Lanka étaient torturés avaient été inventées de toutes pièces.

 

[28]           La déléguée a affirmé ce qui suit :

            [traduction]

Après avoir examiné de nombreux rapports crédibles qui se trouvaient au dossier, nombre de Sri‑Lankais sont retournés au Sri Lanka ou ont été renvoyés vers le Sri Lanka sans qu’il y ait de problèmes. Je n’ai eu connaissance d’aucun demandeur d’asile débouté et d’aucune personne réputée membre de gang qui aurait été détenue à son arrivée à l’aéroport à Colombo. […]

 

 

[29]           La déléguée a estimé que la preuve n’établissait pas que les agents à l’aéroport aurait un dossier au nom du demandeur en raison d’une diffusion datant de plusieurs années, à savoir un reportage en français datant de 2006, lequel faisant l’historique des gangs sri‑lankais au Canada et qui était accompagné de noms et de photographies tirés d’un reportage fait à Toronto en 2002. La déléguée a affirmé que des reportages dans la presse au Canada et au Sri Lanka avaient fait état du profil du demandeur, mais que les reportages n’avaient pas fait l’objet d’une grande diffusion, ce qui aurait pu lui nuire à son retour au Sri Lanka. Si le profil du demandeur avait fait l’objet d’une grande diffusion, le risque personnel auquel il aurait été exposé aurait diminué étant donné que les organisations internationales en matière de droits de la personne auraient surveillé son statut à son retour au Sri Lanka.

 

Le Conseil aux voyageurs

[30]           La déléguée a noté que le demandeur avait présenté un Conseil aux voyageurs produit par Affaires étrangères, lequel mettait en garde contre les voyages dans le Nord et l’Est du Sri Lanka; cependant, elle a relevé dans le Conseil aux voyageurs que le Sri Lanka n’était pas dans le désordre le plus complet et que les touristes pouvaient encore se rendre à Colombo et dans les régions côtières dans l’Ouest et le Sud‑Ouest.

 


L’absence de carte d’identité nationale ou d’autres documents appropriés

[31]           La déléguée n’a pas estimé que le demandeur serait interrogé sur le fait qu’il avait quitté le Sri Lanka il y a 17 ans sans document valide, et elle ne voit pas comment le demandeur pourrait avoir des difficultés du fait qu’il doive présenter une demande de carte d’identité nationale.

 

La menace à la vie du demandeur

[32]           La déléguée a reconnu qu’on lui avait présenté la décision Fabian c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1527. Dans cette affaire, il était allégué que M. Fabian était le chef d’un gang sri‑lankais, le VVT, et qu’il avait été pris pour cible. 

 

[33]           La déléguée a cité une lettre du président du Front uni de libération tamoul (le TULF) qui faisait état d’une rumeur selon laquelle le demandeur serait le chef du gang A.K. Kannan et qu’il aurait amassé des fonds pour les TLET, ainsi que d’une autre rumeur selon laquelle il serait lié à un autre groupe militaire, soit l’Organisation de libération du peuple de l’Eelam tamoul :

                        [traduction]

Moi, Veersingham Anadasangaree, avocat, ex‑parlementaire et président du Front uni de libération tamoul, j’affirme que M. Sittampalam Sinnathamby, qui était le directeur d’une école à Jaffna et qui est à la retraite, est, à mon avis, une personne très respectable. Il est très malheureux que son fils, M. Jothiravi Sittampalam, soit en détention depuis octobre 2001. La rumeur dans son village veut qu’il ait été détenu parce qu’il était le chef du gang A.K. Kannan et qu’il ait amassé des fonds pour les TLET. Il serait également un sympathisant de l’Organisation de libération du peuple de l’Eelam tamoul, un autre groupe militaire. […] En raison de toutes ces rumeurs qui courent à son sujet dans cette région, je suis d’avis que, si M. Jothiravi Sittampalam était renvoyé au Sri Lanka, il serait exposé à une grande menace à sa vie.

 

[34]           La déléguée a également cité un affidavit daté du 27 janvier 2005 rédigé par le père du demandeur :

[traduction]

 

Le rapport produit par la police de Toronto sur la violence dans les rues mentionne que mon fils, Sittampalam Jothiravi, est le chef d’un gang formé de survivants de deux groupes politiques, à savoir l’Organisation de libération du peuple de l’Eelam tamoul et l’Organisation de libération de l’Eelam tamoul, deux groupes rivaux des Tigres de libération de l’Eelam tamoul (les TLET). […] Le gang VVT, qui a un lien fort avec les TLET, est un groupe rival du gang A.K. Kannan, et, par conséquent, la vie de mon fils serait menacée s’il était expulsé vers le Sri Lanka. […] J’ai cru comprendre que la Gendarmerie royale du Canada avait informé le gouvernement du Sri Lanka que mon fils, Jothiravi, est le collecteur de fonds des TLET au Canada. S’il était expulsé vers le Sri Lanka, il serait immédiatement arrêté par la police sri‑lankaise et sa vie serait menacée. Son épouse et ses deux enfants se trouveraient alors sans ressource au Canada.

 

 

[35]           La déléguée n’a accordé que peu de poids à ces deux documents parce qu’ils ne renfermaient aucune preuve corroborante et qu’ils avaient été rédigés il y deux ans. Après des commentaires supplémentaires au sujet de la couverture médiatique, la déléguée a conclu comme suit :

                        [traduction]

J’ai mis en balance les observations des avocats du demandeur sur cette question avec l’ensemble de la preuve et, selon la prépondérance de la preuve, je suis convaincue que le demandeur n’est pas et ne serait pas une cible particulière s’il devait retourner au Sri Lanka ni qu’il serait immédiatement arrêté par la police sri‑lankaise.

 

 


Les articles trouvés sur Internet et les reportages déposés par le demandeur

 

[36]           La déléguée a noté de nombreux articles présentés par le demandeur, notamment un reportage produit par la BBC en 2002; un dictionnaire Internet de rap; un article du National Post; un récit sur les sites Internet Lankaeverything.com (qui est accessible à l’étranger) et Lanka Web (avril 2000); un exemplaire de la revue Now et un rapport produit par la police de Toronto au sujet des gangs tamouls, lequel a été utilisé dans le cadre du Projet 1050. Les articles mentionnaient la participation du demandeur en qualité de chef du gang A.K. Kannan, ainsi que ses liens avec les TLET.

 

[37]           La déléguée n’a accordé que peu de poids aux arguments du demandeur au motif qu’elle n’était pas convaincue que, selon la prépondérance de la preuve, le gouvernement du Sri Lanka s’intéressait au demandeur parce que le demandeur avait été mentionné dans des reportages. La déléguée a estimé que l’affaire Fabian s’appliquait, étant donné que la Cour avait conclu que M. Fabian, un chef du gang rival VVT, ne serait pas exposé à un plus grand risque à son retour au Sri Lanka que les autres demandeurs d’asile ayant été expulsés vers le Sri Lanka.

 

La possibilité de refuge intérieur

[38]           La déléguée a noté l’observation du demandeur qui alléguait que, selon un rapport du Haut-commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, il n’existait pas de possibilité de refuge intérieur au Sri Lanka et que, parce qu’il avait été mentionné dans des reportages, il était exposé à un plus grand risque.

 

[39]           La déléguée a noté la décision Sinnathurai c. Canada (M.C.I.), 2007 CF 2003, dans laquelle le juge Hughes avait conclu que Colombo ne constituait pas une possibilité de refuge intérieur déraisonnable, et le juge Lemieux a tiré la même conclusion dans la décision Tharmaratnam c. Canada (M.C.I.), 2007 CF 1153. La déléguée a particulièrement souligné que le juge Lemieux, dans la décision Tharmaratnam, n’avait vu aucune erreur dans la conclusion de l’agent d’ERAR relativement à l’existence d’une possibilité de refuge intérieur à Colombo, selon laquelle la preuve ne révélait pas que « les membres de gangs liés aux TLET au Canada étaient persécutés au Sri Lanka que ce soit par les TLET ou par le gouvernement ».

 

[40]           La déléguée a conclu qu’il existait une possibilité de refuge intérieur pour le demandeur ailleurs qu’à Colombo, dans le Sud ou l’Est du Sri Lanka.

 

L’analyse fondée sur l’article 97

[41]           La déléguée a mentionné que, dans le cadre de l’examen des questions relatives à l’article 97 de la LIPR, elle devait garder à l’esprit que le risque en question doit être un risque auquel est exposé le demandeur en tous lieux dans le pays en cause, et non un risque général auquel les autres personnes qui se trouvent au Sri Lanka sont également exposées. Elle a noté que le demandeur a quitté le Sri Lanka quand il était jeune homme, il y a 17 ans. Il ne faisait l’objet d’aucun mandat d’arrestation et la preuve ne révélait pas que les réfugiés étaient généralement détenus. La déléguée n’a pas été convaincue que le demandeur serait ciblé ou recherché pour les raisons qu’il avait données.

 

[42]           La déléguée a conclu que, bien qu’il soit possible qu’il y ait un risque général, elle n’était pas convaincue que l’expulsion du demandeur l’exposerait à un risque de persécution, de torture ou bien à des traitements ou peines cruels et inusités.

 

La mise en balance du risque

[43]           La déléguée a conclu que le demandeur n’avait pas établi, par une preuve prima facie, qu’il serait exposé à un risque élevé de torture, à une menace à sa vie ou à un risque de traitements ou peines cruels et inusités s’il retournait au Sri Lanka. Bien qu’il y ait un risque général auquel sont exposés tous les Tamouls, rien ne donne à penser que le demandeur serait plus exposé à un risque que les autres résidants du Sri Lanka ou bien que les autorités du Sri Lanka ou le TLET le recherchaient.

 

[44]           La déléguée a conclu que l’avis de danger l’emporte sur la possibilité d’un risque minimal quelconque auquel serait exposé le demandeur.

 

[45]           La déléguée a conclu que le demandeur pouvait être expulsé du Canada malgré le paragraphe 115(1) de la LIPR étant donné que son renvoi vers le Sri Lanka ne violerait pas ses droits garantis par l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés.

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

 

[46]           Le demandeur a présenté sept questions en litige à la Cour, lesquelles se lisent comme suit :

1.                  L’appréciation de la preuve effectuée par la déléguée est viciée : sa décision d’accorder plus de poids à certains éléments de preuve plutôt qu’à d’autres est non justifiée en droit et n’est pas motivée;

2.                  L’appréciation de la preuve effectuée par la déléguée est tellement déséquilibrée que, vu le dossier, une crainte raisonnable de partialité est soulevée;

3.                  La déléguée a commis une erreur de droit et a outrepassé sa compétence en concluant que le demandeur ne craignait pas avec raison d’être persécuté au Sri Lanka et en omettant de mettre en balance les risques auxquels le demandeur serait exposé en qualité de réfugié au sens de la Convention au regard du danger qu’il constitue pour le public au Canada;

4.                  La déléguée a commis une erreur de fait et de droit en concluant que le renvoi du demandeur vers le Sri Lanka ne l’exposerait pas à un risque élevé de torture ou bien de traitements ou peines cruels et inusités, parce qu’elle a estimé que : 

a.                   le demandeur serait exposé à un risque général;

b.                  il ne serait pas exposé à un risque en tous lieux au Sri Lanka;

5.                  La déléguée a commis une erreur de droit en négligeant la preuve ou en l’interprétant de façon erronée;

6.                  La déléguée a commis une erreur de droit en traitant les précédents comme étant des faits;

7.                  La déléguée a commis une erreur de droit en ne fournissant pas de motifs valables dans son examen pro forma de l’intérêt supérieur des enfants du demandeur.

 

 

[47]           Les points 2 et 7 ne sont pas pertinents en l’espèce. Toute question quant à la crainte raisonnable de partialité est englobée dans l’examen sur le traitement de la preuve. En ce qui concerne l’intérêt supérieur de l’enfant, la juge Snider, dans la décision Sittampalam, a conclu que le délégué avait dûment tenu compte de l’intérêt supérieur de l’enfant et la question n’a pas été examinée lors de l’audience. Par conséquent, je n’examinerai pas ces deux points.

 

[48]           L’ordonnance rendue par la juge Snider est spécifique et se limite à la question de savoir si le demandeur serait exposé à un risque élevé s’il retournait au Sri Lanka, et, dans l’affirmative, le délégué devait entreprendre l’exercice de mise en balance établi par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Suresh (voir la décision Sittampalam, paragraphes 68 et 69).

 

[49]           À mon avis, les questions en litige portent sur l’appréciation de la preuve effectuée par la déléguée et sur la question de savoir si la décision de la déléguée, vu la preuve, était raisonnable. Je formule les questions en litige comme suit :

 

1.                  L’appréciation de la preuve effectuée par la déléguée était‑elle viciée, en ce sens que la déléguée a accordé trop de poids à certains éléments de preuve plutôt qu’à d’autres, et ce, d’une façon injustifiée et sans fournir de motifs?

 

2.                  La déléguée a‑t‑elle commis une erreur en omettant d’examiner les risques auxquels serait exposé le demandeur à la suite de son refoulement vers le Sri Lanka et en omettant de mettre en balance les risques auxquels le demandeur serait exposé en qualité de réfugié au sens de la Convention au regard du danger qu’il constitue pour le public au Canada?

 

 

LA NORME DE CONTRÔLE

 

[50]           Le présent contrôle judiciaire porte sur la question de savoir si le demandeur serait exposé à un risque élevé de torture, à une menace à sa vie ou à un risque de traitements ou peines cruels et inusités s’il était expulsé vers le Sri Lanka. Au paragraphe 39 de l’arrêt Suresh, la Cour suprême du Canada a établi que la question préliminaire dépendait en grande partie des faits.

 

[51]           Au paragraphe 62 de l’arrêt Dunsmuir, la Cour suprême du Canada a affirmé ce qui suit :

Premièrement, la cour de révision vérifie si la jurisprudence établit déjà de manière satisfaisante le degré de déférence correspondant à une catégorie de questions en particulier.  En second lieu, lorsque cette démarche se révèle infructueuse, elle entreprend l’analyse des éléments qui permettent d’arrêter la bonne norme de contrôle.

 

 

[52]           Au paragraphe 32 de l’arrêt Nagalingam, la Cour d’appel fédérale, après avoir examiné les arrêts Suresh et Dunsmuir rendus par la Cour suprême du Canada, a affirmé qu’il y a lieu de faire preuve d’un degré élevé de retenue à l’égard des conclusions d’un délégué et que, par conséquent, la norme de contrôle applicable était la raisonnabilité. Je conclus que la raisonnabilité est la norme applicable en l’espèce en ce qui concerne l’appréciation de la preuve.

 

[53]           Également au paragraphe 32 de l’arrêt Nagalingam, la Cour d’appel fédérale a conclu que la norme de contrôle applicable à la conclusion tirée par un délégué dans le cadre d’une analyse fondée sur l’article 115(1) de la LIPR est aussi la raisonnabilité. En l’espèce, la norme applicable est la même.

 

ANALYSE

L’appréciation de la preuve effectuée par la déléguée était‑elle viciée, en ce sens que la déléguée a accordé trop de poids à certains éléments de preuve plutôt qu’à d’autres, et ce, d’une façon injustifiée et sans fournir de motifs?

 

Les observations du demandeur

[54]            Le demandeur soutient que la déléguée a clairement privilégié certaines sources de preuve à d’autres sources. Le problème est que la déléguée n’a pas expliqué pourquoi elle a privilégié certaines sources. Plus particulièrement, le demandeur conteste le fait que la déléguée a privilégié les déclarations faites par le gouvernement sri‑lankais sur les déclarations qui se trouvent dans des rapports produits par des ONG.

 

[55]           De plus, le demandeur allègue que la déléguée s’est fondée sur d’anciens éléments de preuve alors que, à l’inverse, elle n’a pas accepté d’autres éléments de preuve parce qu’ils étaient anciens. 

 

[56]           En outre, le demandeur soutient que, lorsqu’une preuve importante n’est ni mentionnée expressément ni analysée dans les motifs du délégué, la Cour devrait alors être plus disposée à inférer de ce silence que le délégué a tiré une conclusion de fait erronée « sans tenir compte des éléments dont il [disposait] » : Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] A.C.F. n1425, paragraphe 17 (C.F.).

 

[57]           Par conséquent, le demandeur soutient que la déléguée n’a pas apprécié la preuve de façon appropriée et sa décision ne peut donc pas être raisonnable.

 

Les observations du défendeur

[58]           Le défendeur allègue que la Cour doit faire preuve d’une grande retenue envers la conclusion du ministre portant sur la question de savoir si le demandeur serait exposé à un risque élevé de persécution s’il était expulsé. « Le tribunal ne peut soupeser à nouveau les facteurs pris en compte par le ministre, mais il peut intervenir si la décision n’est pas étayée par la preuve ou si elle n’a pas été prise en tenant compte des facteurs pertinents », l’arrêt Suresh, paragraphe 39.

 

[59]           Le défendeur soutient que l’allégation du demandeur, selon laquelle la déléguée a, sans motif légitime, privilégié certains éléments de preuve à d’autres, n’a aucun fondement. Selon le demandeur, au regard de la décision dans son ensemble, il est clair que la déléguée a souligné la position qui ressort de tous les éléments de preuve présentés par le demandeur, à savoir que la situation au Sri Lanka laisse à désirer. Par la suite, la déléguée a également souligné d’autres éléments de preuve selon lesquels, bien que la situation au Sri Lanka laisse à désirer, le pays fonctionne encore. La conclusion tirée par la déléguée était qu’il y avait un risque général au Sri Lanka et que, dans le Nord et dans l’Est, les hostilités se poursuivaient. Cependant, la déléguée a également noté que dans d’autres régions du pays, comme à Colombo, la vie sri‑lankaise suivait son cours. Le défendeur mentionne que la déléguée a décrit la situation au pays comme [traduction] « laissant beaucoup à désirer ».

 

[60]           Le défendeur a noté que la déléguée s’était penchée sur tous les éléments de preuve déposés par le demandeur.

 

[61]           Le défendeur soutient que, jusqu’à preuve du contraire, un tribunal est présumé avoir apprécié et pris en considération l’ensemble de la preuve dont il est saisi : Florea c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 598 (C.A.F.).

 

 

[62]           Le défendeur allègue que la déléguée a clairement expliqué pourquoi elle avait privilégié certains éléments de preuve à d’autres, et pourquoi elle avait choisi d’accorder moins de poids à certains éléments de preuve.

 

LA JURISPRUDENCE

[63]           Au paragraphe 22 de l’arrêt Via Rail Canada Inc. c. Lemonde, [2001] 2 C.F. 25, le juge Sexton de la Cour d’appel fédérale a énoncé l’obligation de donner des motifs suffisants :

 

22     On ne s’acquitte pas de l’obligation de donner des motifs suffisants en énonçant simplement les observations et les éléments de preuve présentés par les parties, puis en formulant une conclusion. Le décideur doit plutôt exposer ses conclusions de fait et les principaux éléments de preuve sur lesquels reposent ses conclusions. Les motifs doivent traiter des principaux points en litige. Il faut y retrouver le raisonnement suivi par le décideur et l’examen des facteurs pertinents. [Renvois omis.]

 

 

Les rapports des organisations internationales

[64]           Les rapports produits par Amnistie internationale, Human Rights Watch et le Haut‑commissariat des Nations Unies pour les réfugiés sont utilisés de façon régulière par les tribunaux et les cours de révision et sont considérés comme étant des sources crédibles en ce qui concerne la situation des droits de la personne dans de nombreux pays. Dans la décision Mahjoub c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1503, la juge Tremblay-Lamer a affirmé ce qui suit :

72     Le rejet en bloc par la représentante de renseignements provenant d’organismes de renom dans le monde entier quant à leur fiabilité comme AI et HRW est surprenant, surtout compte tenu du fait que les cours de justice et les tribunaux canadiens s’appuient systématiquement sur ces mêmes sources. D’ailleurs, le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration consulte fréquemment les renseignements publiés par ces organismes en vue d’établir des rapports sur la situation dans certains pays, qui sont à leur tour utilisés par les tribunaux dans les causes d’immigration et de protection des réfugiés, en reconnaissance de leur réputation générale sur le plan de la crédibilité (France Houle, « Le fonctionnement du régime de preuve libre dans un système non‑expert : le traitement symptomatique des preuves par la Section de la protection des réfugiés » (2004) 38 R.J.T. 263, au paragraphe 71 et à la note 136).

73     Cette réputation sur le plan de la crédibilité a été confirmée par les tribunaux canadiens à tous les niveaux. La Cour suprême du Canada s’est appuyée sur des renseignements compilés par AI, de même que sur l’un de ses rapports, dans l’arrêt Kindler c. Canada (Ministre de la Justice), [1991] 2 R.C.S. 779 (aux pages 829, 830 et 839). Elle a également cité AI dans l’arrêt Suresh, précité, au paragraphe 11, pour signaler l’utilisation de la torture dans cette affaire.

 

[…]

 

81     J’abonde dans le sens du juge Marshall Rothstein qui a dit dans la décision Rosales c. Canada (M.E.I.), [1993] A.C.F. no 1454 (C.F. 1re inst.) (QL), au paragraphe 7, qu’une erreur susceptible de contrôle est commise quand le décideur « arrive à une conclusion qui ne tient manifestement pas compte d’une preuve pertinente et écrasante opposée à cette conclusion ». 

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

Se fonder sur la preuve produite par l’une des parties au conflit

 

[65]           Aux paragraphes 124 et 125 de l’arrêt Suresh, la Cour suprême du Canada a fait un commentaire au sujet des assurances fournies par les gouvernements étrangers. Bien que le contexte portait sur l’assurance que le demandeur ne serait pas exposé à la torture à son retour dans son pays d’origine, à mon avis, une approche semblable peut être envisagée en ce qui concerne les déclarations d’un gouvernement d’un pays où l’État est l’une des parties à un conflit :

124     Il est peut‑être utile d’ajouter quelques remarques sur les assurances obtenues.  Il faut établir une distinction entre les assurances selon qu’elles sont fournies par un État qui promet de ne pas appliquer la peine de mort (conformément à un processus légal) ou par un État qui promet de ne pas avoir recours à la torture (un processus illégal).  Nous tenons à souligner le problème que crée le fait d’accorder trop de poids à l’assurance donnée par un État qu’il n’aura pas recours à la torture à l’avenir, alors que par le passé il s’y est livré illégalement ou a permis que d’autres s’y livrent sur son territoire.  Ce problème est exacerbé dans les cas où la torture n’est pas infligée seulement avec l’accord tacite de l’État, mais aussi à cause de son incapacité à contrôler la conduite de ses représentants.  D’où la nécessité de distinguer les assurances portant sur la peine de mort de celles portant sur la torture, les premières étant plus faciles à contrôler et généralement plus dignes de foi que les secondes.

125     Lorsqu’elle évalue les assurances fournies par un gouvernement étranger, la ministre peut aussi vouloir tenir compte des antécédents de ce gouvernement en matière de respect des droits de la personne, de la mesure dans laquelle il s’est conformé dans le passé à de telles assurances et de sa capacité de le faire, plus particulièrement lorsqu’il n’est pas certain qu’il soit en mesure de contrôler ses forces de sécurité.  Il faut en outre se rappeler que, avant de se voir reconnaître le statut de réfugié au sens de la Convention, l’intéressé doit établir qu’il craint avec raison d’être persécuté (mais pas nécessairement torturé) s’il est expulsé.

[Non souligné dans l’original.]

 

[66]           Je ne propose pas d’appliquer la même norme aux déclarations faites par un gouvernement qui est engagé dans un conflit acharné avec un groupe terroriste insurgé. Cependant, il me semble qu’une certaine prudence est nécessaire lorsque l’on reçoit des déclarations d’un tel gouvernement et qu’il y a des éléments de preuve crédibles qui les contredisent.

 

[67]           Dans la partie sur la situation au pays, la déléguée a reconnu que des éléments de preuve documentaire crédibles produits par des ONG témoignaient de la détérioration de la situation au Sri Lanka, mais, afin de discréditer ces rapports des ONG, elle a par la suite mentionné des déclarations du gouvernement du Sri Lanka, selon lesquelles la situation au pays était de retour à la normale. Selon la preuve documentaire, le gouvernement du Sri Lanka lui‑même est impliqué dans des violations des droits de la personne contre les Tamouls originaires du Nord du pays dans le cadre du conflit qui l’oppose aux TLET. Par conséquent, une certaine prudence est de mise lors de l’appréciation des déclarations d’un tel gouvernement.

 

[68]           La déléguée ne compare pas directement les deux séries de rapports, ni ne donne de raison expliquant pourquoi elle semble privilégier les rapports du défendeur à ceux du demandeur. Cependant, la déléguée a conclu en mentionnant un Country Report sur les pratiques en matière de droits de la personne de 2006 produit par les États‑Unis, qui fait état de l’éclatement bien réel du cessez‑le‑feu et du fait que le gouvernement respecte de moins en moins les droits de la personne. La conclusion de la déléguée, selon laquelle [traduction] « [c]lairement, la situation au pays laisse grandement à désirer », même si elle est quelque peu conservatrice, appartient aux issues possibles vu l’ensemble de la preuve.

 

L’appréciation des anciens éléments de preuve effectuée par la déléguée

[69]           La déléguée s’est fondée sur un rapport de 2005 produit par le haut‑commissariat du Royaume-Uni, dans lequel il est mentionné que les Tamouls ne font face à aucun problème lorsqu’ils retournent au Sri Lanka. Elle s’est également fondée sur une décision rendue en 2004 par la Cour européenne des droits de la personne, selon laquelle la situation des Tamouls au Sri Lanka s’améliorait, ainsi que sur une Réponse aux demandes d’information produite en 2003 par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, selon laquelle les demandeurs d’asile qui retournent au Sri Lanka ne font face à aucun problème à l’aéroport. La déléguée a accepté ces rapports produits au cours des années 2003 et 2005 et s’est fondée sur eux.    

 

[70]           La déléguée disposait d’un affidavit du père du demandeur ainsi que d’une lettre du président du TULF, un parti démocratique tamoul qui participe au processus politique. Ces éléments de preuve avaient clairement de l’importance pour le demandeur. Tant la lettre que l’affidavit mentionnent que, si le demandeur retournait au Sri Lanka, il serait exposé à un risque en raison de son profil et de la situation au pays. La déléguée a rejeté l’affidavit et la lettre en partie parce qu’ils dataient de 2005.

 

[71]           La déléguée n’a pas accepté la lettre du président et l’affidavit du père du demandeur parce qu’ils dataient de 2005, mais elle n’a pas justifié pourquoi alors elle a accepté des rapports datant de 2003 et de 2005. Cette différence dans l’appréciation de la preuve n’est pas justifiée.

 

L’absence de preuve corroborante

[72]           Toujours en ce qui concerne le rejet par la déléguée de l’affidavit du père du demandeur et de la lettre déposés en appui, la déléguée a également affirmé qu’elle ne les avait pas acceptés en raison du manque de preuve corroborante.

 

[73]           Dans les documents acceptés par la déléguée et dont elle a tenu compte en ce qui concerne le traitement réservé au demandeur à l’aéroport et le risque, le seul élément de preuve contemporain qui a été cité par la déléguée était la RDI :

Dans une communication écrite du 19 décembre 2006 envoyée à la Direction des recherches, un représentant du haut-commissariat du Canada à Colombo a fourni de l’information corroborante [concernant une lettre du 26 septembre 2005 du Haut‑commissariat du Royaume‑Uni à Colombo] au sujet du traitement réservé aux demandeurs d’asile déboutés retournant au Sri Lanka en affirmant que [traduction] [u]ne procédure est prévue pour les personnes rapatriées au Sri Lanka, si les responsables de l’immigration les présentent comme telles aux transporteurs aériens. Premièrement, l’agent d’immigration en chef (arrivées) prend note de l’arrivée et recueille une déclaration, puis détermine si la personne rapatriée devrait obtenir le droit d’entrer au Sri Lanka en tant que ressortissante du Sri Lanka. Ensuite, un agent du service de renseignement de l’État (State Intelligence Service - SIS) prend note de l’arrivée et recueille une déclaration. Finalement, un agent du service des enquêtes criminelles (Criminal Investigation Department - CID) de la police du Sri Lanka prend note de l’arrivée, vérifie s’il y a des mandats non exécutés et recueille une déclaration. S’il y a un mandat d’arrestation non exécuté, la personne rapatriée peut être arrêtée; sinon, elle est libre.

 

 

[74]           La déléguée a estimé que la citation ci‑dessus étayait sa conclusion selon laquelle [traduction] « il y a un processus en place qui fait en sorte qu’un résidant qui retourne au Sri Lanka n’est détenu qu’à des fins d’inspection ». La citation précédente appuie clairement la conclusion tirée par la déléguée.

 

[75]           La déléguée ne mentionne aucunement une autre partie de la RDI, laquelle corrobore la preuve du demandeur et contredit la conclusion de la déléguée, concernant le traitement que l’on pourrait réserver au demandeur. La partie de la RDI produite par le Canada qui a été négligée par la déléguée se lit comme suit :

Personnes affiliées aux (TLET) ou à d’autres organisations politiques

 

            Dans son rapport d’octobre 2006, la mission Hotham fournit de l’information concernant le retour des demandeurs d’asile déboutés, information qui a été obtenue au cours de consultations avec la mission de surveillance au Sri Lanka (Sri Lanka Monitoring Mission - SLMM), groupe international d’observateurs qui surveille le respect de l’accord de cessez-le-feu entre le gouvernement sri-lankais et les TLET (SLMM s.d.). La SLMM indique que si une personne de retour au Sri Lanka a déjà été affiliée aux TLET, elle peut être ciblée par la police (ibid.). L’organisation souligne également que si une personne a déjà été associée à certaines personnes ou organisations politiques, elle peut être ciblée par les TLET (ibid.). La SLMM présente l’exemple de personnes qui ont été membres de l’Organisation de libération [du peuple] de l’Eelam tamoul (People’s Liberation Organisation of Tamil Eelam - PLOTE), organisation inactive tamoule regroupant des militants (SATP s.d.); ces personnes étaient encore ciblées par les TLET au Sri Lanka au moment de la publication du rapport de la mission Hotham

[…]. [Note : la RDI se termine ici, à la page 00307 du dossier du Tribunal et ne se poursuit pas à la page 00308]                              

                                                            [Non souligné dans l’original.]

 

[76]           Il est très difficile de comprendre pourquoi la déléguée n’a pas relevé le passage ci‑dessus étant donné que ce passage renfermait le document même que la déléguée avait expressément mentionné, qu’il a un sous‑titre apparent en caractère gras et qu’il est pertinent. En outre, les renseignements ont été tirés d’un rapport de la mission de surveillance au Sri Lanka, des observateurs internationaux que l’on peut présumer être une source crédible. La déléguée n’a pas fourni de motifs justifiant pourquoi elle n’a pas considéré ce passage comme corroborant l’affidavit du père du demandeur et la lettre du président du TULF. De façon semblable, la déléguée n’a pas fourni de motifs justifiant pourquoi elle n’a pas tenu compte du passage ci‑dessus lors de l’examen du traitement réservé aux demandeurs d’asile qui retournent au Sri Lanka étant donné que la lettre et l’affidavit mentionnaient qu’il y avait une rumeur locale qui voulait que le demandeur soit lié aux TLET et à l’Organisation de libération du peuple de l’Eelam tamoul.

 

[77]           Je conclus que l’appréciation de la preuve effectuée par la déléguée est viciée. La déléguée a négligé de fournir des motifs expliquant pourquoi elle a accepté certains anciens éléments de preuve alors qu’elle a rejeté d’autres datant de la même période; voir l’arrêt Via Rail Inc., précité. La déléguée a également omis de tenir compte d’éléments de preuve documentaire dont elle disposait clairement et qui étaient pertinents quant à l’appréciation de la preuve du demandeur et quant à la question du traitement qui serait réservé au demandeur à l’aéroport s’il retournait au Sri Lanka, voir l’arrêt Cepeda-Gutierrez, précité.

 

La déléguée a‑t‑elle commis une erreur en omettant d’examiner les risques auxquels serait exposé le demandeur à la suite de son refoulement vers le Sri Lanka et en omettant de mettre en balance les risques auxquels le demandeur serait exposé en qualité de réfugié au sens de la Convention au regard du danger qu’il constitue pour le public au Canada?

 

[78]           Puisque l’appréciation de la preuve effectuée par la déléguée était viciée, il est possible que le risque auquel pourrait être exposé le demandeur s’il retournait Sri Lanka n’ait pas été examiné de façon adéquate par la déléguée. Dans les circonstances, l’exercice de mise en balance n’a pas pu être effectué de façon appropriée.

 

[79]           Il était loisible à la déléguée de conclure que le demandeur pouvait néanmoins retourner au Sri Lanka malgré les risques auxquels il serait exposé, mais cette conclusion doit être précédée d’une appréciation adéquate de la preuve relative aux risques et être suivie d’un exercice de mise en balance effectué suivant les principes établis dans l’arrêt Suresh.

 

CONCLUSION

[80]           Je conclus que l’appréciation de la preuve effectuée par la déléguée n’était pas raisonnable. La décision de la déléguée, selon laquelle le demandeur ne serait pas exposé à un risque élevé de torture, de menace à sa vie ou de risque de traitements ou peines cruels et inusités s’il retournait au Sri Lanka, est annulée.

 

[81]           Je conclus également que l’examen effectué dans le cadre de la mise en balance du risque auquel le demandeur serait exposé s’il retournait au Sri Lanka au regard du danger qu’il constitue pour le public au Canada n’était pas raisonnable étant donné que l’examen était fondé sur une appréciation viciée de la preuve relative au risque. La décision de la déléguée portant sur la mise en balance du risque auquel serait exposé le demandeur s’il retournait au Sri Lanka au regard du danger qu’il constitue pour le public au Canada, est également annulée.

 

[82]           La présente affaire a un long et complexe historique. Dans la décision Sittampalam, la juge Snider voulait renvoyer l’affaire au même délégué, mais c’est la déléguée dont il est question en l’espèce qui en a hérité. La déléguée actuelle est bien au fait de l’affaire et de la liasse de documents en cause. Par conséquent, l’affaire sera renvoyée à la même déléguée pour nouvel examen.

 

[83]           Le demandeur a proposé des questions graves de portée générale aux fins de certification.

1.      Un juge de la Cour fédérale a‑t‑il compétence pour connaître d’une affaire qui a déjà été tranchée par un autre juge de la Cour fédérale (ou peut‑il exercer son pouvoir discrétionnaire pour l’entendre) si les facteurs établis par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Danyluk c. Ainswroth Technologies Inc., [2001] 2 R.C.S. 460, le justifient?

2.      Un juge de la Cour fédérale a‑t‑il compétence pour connaître d’une affaire qui a déjà été tranchée par un autre juge de la Cour fédérale (ou peut‑il exercer son pouvoir discrétionnaire pour l’entendre), si l’affaire fait partie d’une instance plus grande dont est encore saisie la Cour, si on ne peut interjeter appel de la décision sur l’affaire, si des précédents ultérieurs établissent que la première décision sur l’affaire était erronée ou si les questions en cause portent sur les droits fondamentaux de la personne?

                       

[84]            Étant donné la conclusion que j’ai tirée au sujet de l’examen des conclusions de fait, je ne proposerai aucune question grave de portée générale aux fins de certification.


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que :

1.                  La demande de contrôle judiciaire est accueillie;

2.                  L’affaire est renvoyée à la même déléguée du ministre pour nouvel examen conformément aux mêmes directives que celles ordonnées par la juge Snider :

1.                  l’affaire est renvoyée dans le seul but de lui permettre de réévaluer les risques auxquels le demandeur serait exposé s’il retournait au Sri Lanka;

 

2.                  pour le cas où la déléguée conclurait que le demandeur serait exposé à un risque élevé, la déléguée devra entreprendre l’exercice de mise en balance prévu dans l’arrêt Suresh.

 

3.                  Aucune question de portée générale n’est certifiée.

 

 

« Leonard S. Mandamin »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jean-François Martin, LL.B., M.A.Trad.jur.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                     IMM-248-08

 

 

INTITULÉ :                                                    JOTHIRAVI SITTAMPALAM

                                                                        c.

            MCI, MSPPC

                                                                       

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             TORONTO (ONTARIO)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :                            LE 5 JUIN 2008

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LE JUGE MANDAMIN

 

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 22 JANVIER 2009

 

 

COMPARUTIONS :

 

Barbara Jackman                                              POUR LE DEMANDEUR

Andrew Brower

 

Greg George                                                    POUR LES DÉFENDEURS

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Jackman & Associates

Avocats

Toronto (Ontario)                                             POUR LE DEMANDEUR

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada                   POUR LES DÉFENDEURS

 

 

 

 

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