Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

Date : 20090122

Dossiers : IMM‑2207‑08

IMM‑2209‑08

 

Référence : 2009 CF 61

Ottawa (Ontario), le 22 janvier 2009

En présence de monsieur le juge de Montigny

 

 

ENTRE :

GIFTY OBENG

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

[1]               La demanderesse sollicite le contrôle judiciaire de deux décisions rendues le même jour par la même agente d’examen des risques avant renvoi (ERAR). Dans une décision (le dossier n° IMM‑2209‑08), l’agente a conclu que la demanderesse ne serait pas exposée plus qu’à une simple possibilité de persécution et qu’elle ne serait vraisemblablement pas exposée à un risque de torture, à une menace à sa vie ou au risque de peines cruelles et inusitées, selon les critères prévus aux articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (2001, ch. 27) (LIPR). Dans l’autre décision (le dossier n° IMM‑2207‑08), l’agente a également conclu que les considérations humanitaires (CH) invoquées étaient insuffisantes pour que soit approuvée la demande de dispense des exigences prévues à la LIPR présentée par la demanderesse.

 

[2]               Ces deux demandes connexes de contrôle judiciaire n’ont pas été réunies en application de l’article 105 des Règles des Cours fédérales (DORS/98‑106), mais leur instruction a été fixée l’une immédiatement après l’autre. Les présents motifs serviront donc pour l’une et l’autre instance et ils seront versés dans chacun des dossiers.

 

I. Contexte

[3]               La demanderesse est une citoyenne du Ghana née le 16 août 1978, à Accra. Mme Obeng raconte que sa famille l’a mariée à un homme beaucoup plus âgé qu’elle, qui avait déjà quatre ou cinq épouses. Pendant son mariage, la demanderesse aurait été maltraitée par son époux et par le fils de ce dernier. La demanderesse a tenté en vain d’obtenir l’aide de la police et de sa famille. En fin de compte, son oncle, M. Mensah, l’a aidée à quitter son pays.

 

[4]               À son arrivée au Canada, le 5 juin 2005, la demanderesse a présenté une demande d’asile, en invoquant comme motif sa crainte d’être persécutée en tant que femme ayant été forcée de se marier et victime de violence familiale.

 

[5]               Le 30 novembre 2005, la CISR a rejeté la demande d’asile de la demanderesse après avoir conclu qu’elle manquait de crédibilité. Sa demande d’autorisation et de contrôle judiciaire visant à contester la décision de la CISR a été rejetée par le juge Kelen le 27 mars 2006.

 

[6]               La demanderesse fait l’objet d’une ordonnance d’expulsion valide et la date prévue de l’expulsion était le 12 juin 2008. Le 9 juin 2008, toutefois, la Cour fédérale a fait droit à la requête en sursis de l’expulsion présentée par la demanderesse.

 

II. Décisions contestées

A.     Décision quant à l’ERAR

 

[7]               Le 28 mars 2008, l’agente Josée Bonin a rendu une décision quant à l’examen des risques avant renvoi (ERAR).

 

[8]               L’agente a d’abord résumé la décision par laquelle la CISR avait rejeté la demande d’asile de la demanderesse en raison de nombreuses contradictions et omissions entachant la preuve orale et écrite (le récit de la demanderesse manquait de crédibilité).

 

[9]               L’agente a fait remarquer qu’il ne fallait pas recourir à une demande d’ERAR comme à un mode de révision de la décision de la CISR, et a rappelé que la demande de contrôle judiciaire de cette dernière décision présentée par la demanderesse avait été rejetée le 27 mars 2006.

 

[10]           L’agente a procédé à l’analyse de chaque lettre produite par la demanderesse. L’agente a formulé des commentaires à l’égard de chacune des lettres, puis a conclu que nombre d’entre elles provenaient de parties intéressées et renfermaient des éléments que la CISR avait jugé non crédibles. Les faits rapportés n’étaient donc pas corroborés par une preuve documentaire émanant de sources neutres et objectives. L’agente a en outre fait remarquer que certains faits mentionnés dans ces lettres ne corroboraient pas ceux rapportés par la demanderesse. Elle a par conséquent décidé de ne leur reconnaître aucune force probante.

 

[11]           Les autres lettres, l’une provenant d’un pasteur et l’autre de la présidente de la Women Fellowship, ne se sont vu reconnaître, au mieux, qu’une faible valeur probante. Après avoir examiné attentivement ces lettres, l’agente en a signalé les lacunes, comme l’absence d’une date, d’une signature ou de détails précis.

 

[12]           L’analyse de l’agente s’est ensuite portée sur les photographies et les documents présentés pour attester le décès de membres de la famille de la demanderesse. L’agente a reconnu qu’il se pouvait bien que ces personnes soient décédées, mais elle a conclu qu’aucune preuve ne liait ces décès à des actions du mari de la demanderesse.

 

[13]           L’agente s’est dite d’avis, sur le fondement de la preuve subjective, que la demanderesse n’avait pas démontré

- que sa vie ou sa sécurité était menacée par un époux violent ou le fils de ce dernier,

- qu’on l’avait forcée à se marier et maltraitée,

- que les décès de membres de sa famille étaient liés à sa situation ou à celle de son époux, et

- qu’elle serait exposée à un risque en cas de retour dans son pays.

 

 

[14]           Comme la demanderesse n’avait pas fourni suffisamment de documents ayant force probante, l’agente n’était pas convaincue de devoir s’écarter des conclusions tirées par la CISR. Compte tenu ainsi de l’analyse de la CISR concernant les faits allégués et l’absence d’éléments ayant force probante, l’agente n’était pas convaincue que la crainte de la demanderesse d’être persécutée était bien fondée ou que la demanderesse serait exposée au risque de traitements ou peines cruels et inusités.

 

[15]           Pour ce qui est de la preuve objective, l’agente a évalué les divers documents présentés par la demanderesse relativement à la protection offerte par l’État au Ghana, et reconnu que la situation pouvait actuellement être difficile dans certaines circonstances et que la violence envers les femmes constituait toujours un problème au Ghana. Cela dit, l’agente a jugé que la demanderesse n’avait pas réussi à établir qu’elle avait des motifs sérieux de croire qu’elle serait exposée à un risque de torture ou de traitements cruels et inusités, ou encore qu’elle avait une crainte justifiée d’être persécutée pour l’un des motifs énumérés de la Convention. L’agente a par conséquent conclu que la demanderesse n’était ni une réfugiée au sens de la Convention suivant l’article 96 de la LIPR, ni une personne à protéger suivant son article 97.

 

B. Décision pour CH

 

[16]           Le 28 mars 2008, l’agente Josée Bonin a refusé, en l’absence de considérations humanitaires suffisantes, de dispenser la demanderesse des exigences prévues pour la délivrance d’un visa de résidence permanente.

 

[17]           Tout en reconnaissant la capacité de la demanderesse de s’adapter à un nouvel environnement, l’agente n’a pas estimé que les motifs invoqués (concernant l’emploi, les amis, l’autonomie financière, la maîtrise de l’anglais et la durée du séjour) suffisaient pour justifier l’octroi d’une dispense. L’agente a insisté sur le fait qu’une dispense des exigences en matière de visa constituait une mesure exceptionnelle qui requérait l’existence de circonstances exceptionnelles. Elle a ajouté que la demanderesse n’avait guère développé d’attaches avec le Canada, tandis qu’elle en avait conservé d’importantes avec son pays d’origine où sa mère et ses frères vivaient toujours.

 

[18]           Avant de résumer les allégations de la demanderesse et les conclusions de la CISR, l’agente a rappelé qu’il était nécessaire, dans le cadre d’une demande de résidence fondée sur des considérations humanitaires, d’évaluer si les risques allégués pouvaient objectivement constituer des risques personnels pour la vie ou la sécurité occasionnant des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives. L’agente a réitéré dans sa décision pour CH les conclusions quant à l’évaluation des risques qu’elle avait tirées dans le cadre de la décision quant à l’ERAR. Elle a conclu que la demanderesse ne constituerait pas une cible en tant que femme ou victime de violence familiale. Elle a également conclu que la demanderesse ne serait pas exposée à un risque personnel si elle devait retourner dans son pays d’origine.

 

[19]           Comme la demanderesse n’avait pas fourni suffisamment de documents ayant de force probante, l’agente n’était pas convaincue de devoir s’écarter des conclusions tirées par la CISR. Compte tenu ainsi de l’analyse de la CISR concernant les faits allégués et l’absence d’éléments ayant force probante, l’agente n’était pas convaincue que la demanderesse serait confrontée, en raison de sa situation personnelle, à des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives si elle devait présenter à l’extérieur du Canada sa demande de visa de résidence permanente.

 

[20]           Prenant en compte le fait que la demanderesse ne s’était pas acquittée du fardeau lui incombant de prouver l’existence de difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives justifiant d’approuver la présentation au Canada de sa demande de résidence permanente, et le fait en outre que sa situation mettait en cause trop peu de considérations humanitaires, l’agente a rejeté la demande par la demanderesse d’une dispense pour considérations humanitaires des exigences prévues pour la délivrance d’un visa de résidence permanente.

 

III. Questions en litige

[21]           La seule question à trancher dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire est de savoir si la décision défavorable rendue quant à l’ERAR et la décision de refuser d’accorder une dispense des exigences relatives aux visas de résidence permanente étaient déraisonnables, ou encore ont été rendues sans égard pour la preuve.

 

IV. Analyse

A.  Norme de contrôle

 

[22]           La Cour suprême du Canada a récemment statué dans l’arrêt Dunsmuir qu’il n’y avait plus désormais que deux normes de contrôle : la décision raisonnable et la décision correcte. La Cour suprême du Canada a également déclaré qu’il n’était pas toujours nécessaire de se livrer à une analyse relative à la norme de contrôle dans les cas où était bien établie en jurisprudence la norme applicable à la question particulière dont la cour était saisie.

 

[23]           Dans l’arrêt Baker, on a statué que la norme de contrôle applicable à la décision d’un agent d’accorder ou non une dispense pour considérations humanitaires était la décision raisonnable simpliciter (Baker c. MCI, [1999] 2 R.C.S. 817). Vu la nature discrétionnaire d’une telle décision et son caractère essentiellement factuel, la Cour a confirmé à maintes reprises que la norme de la raisonnabilité était bien celle qui convenait (se reporter, par exemple, à Zambrano c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 481).

 

[24]           De même, la Cour a déclaré de nombreuses fois qu’elle devait s’abstenir d’intervenir relativement à l’analyse de la preuve faite par un agent d’ERAR, sauf s’il pouvait être prouvé de manière concluante que l’agent n’avait pas pris en compte une preuve du risque très pertinente ou l’avait arbitrairement écartée (Da Mota c. MCI, 2008 CF 386; Mahdi c. MCI, 2008 CF 1160).

 

[25]           Le contrôle en fonction de la norme de la raisonnabilité nécessite la prise en compte par la Cour tant du processus décisionnel que des issues. Le caractère raisonnable « tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, précité, au paragraphe 47).

 

[26]           Pour apprécier le caractère raisonnable ou non de conclusions de fait, la Cour doit également avoir pour guide l’alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F‑7, qui prévoit que des mesures seront prises lorsque la décision a été tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont on disposait.

 

B.  Décision quant à l’ERAR

 

[27]           Le rôle de l’agent d’ERAR consiste à établir si le demandeur serait ou non exposé à des risques qui sont énoncés aux articles 96 et 97 de la LIPR et qui sont survenus depuis la décision de la CISR. D’après l’alinéa 113a) de la Loi, le demandeur ne peut présenter que des éléments de preuve survenus depuis le rejet de la demande d’asile ou qui n’étaient pas normalement accessibles au moment de l’audience. Le juge Shore a écrit ce qui suit à cet égard dans la décision Doumbouya c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1187 :

[36] La nouvelle preuve ne peut être une simple répétition de la preuve présentée à la SPR; la nature de l’information qu’elle contient, son importance pour le dossier et la crédibilité de sa source, sont tous des facteurs à considérer pour déterminer si une preuve revêt le caractère de nouvelle preuve. (Elezi, ci‑dessus, par. 39 et 41.)

 

[37] C’est l’évolution de nouveaux risques, entre le moment de l’audience devant la CISR et la date prévue pour le renvoi, que le processus ERAR sert à apprécier. (Ould c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 83, [2007] A.C.F. no 103 (QL), par. 19; Quiroga c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1306, [2006] A.C.F. no 1640 (QL), par. 12; Klais c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 783, [2004] A.C.F. no 949 (QL), par. 14.)

 

[38] En examinant la preuve sous l’angle du critère de la nouvelle preuve, l’agent ERAR doit se demander si l’information qu’elle contient est significative ou considérablement différente de celle qui a été présentée antérieurement. (Elezi, ci‑dessus, par. 29; Raza c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1385, [2006] A.C.F. no 1779 (QL), par. 22‑23.)

 

 

[28]           Il importe de souligner une fois encore que la nouvelle preuve n’a pas seulement à être postérieure à la décision de la CISR; elle doit également se rapporter à des faits nouveaux concernant soit la situation ayant cours dans le pays, soit la situation personnelle du demandeur (se reporter à Elezi, précitée, au paragraphe 27).

 

[29]           En l’espèce, comme l’agente l’a signalé, la demanderesse alléguait exactement le même risque que celui qu’elle avait invoqué devant la CISR et qui a été jugé non crédible en raison des nombreuses omissions et contradictions entachant le récit de la demanderesse. L’agente a à juste titre souligné dans ses motifs qu’elle ne pouvait s’écarter de la conclusion de la CISR à moins que la demanderesse n’ait présenté des éléments suffisamment probants établissant l’existence des risques allégués (se reporter, par exemple, à Mikiani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 810, aux paragraphes 14 et 15).

 

[30]           Le seul élément nouveau du récit de la demanderesse, c’est que son oncle et son père seraient morts depuis son départ du Ghana, et que son époux aurait eu quelque chose à voir avec ces décès. La demanderesse n’a toutefois pu démontrer l’existence d’un lien entre ces décès et les agissements de son époux, ni étayer sa prétention quant au risque auquel, d’après la nouvelle preuve soumise, elle serait ainsi exposée.

 

[31]           Il est manifeste que l’agente a pris en compte et commenté chaque document que la demanderesse lui a présenté. Il était loisible à l’agente de ne reconnaître qu’une très faible – ou même aucune – valeur probante aux lettres rédigées par des parties intéressées. L’appréciation de la preuve soumise relève d’ailleurs entièrement de sa compétence, et la retenue est de mise à son endroit (Morales Alba c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1116, au paragraphe 36; Chakrabarty c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2008 CF 695, aux paragraphes 10 à 14; Chang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 157, au paragraphe 37).

 

[32]           En tout état de cause, je partage l’avis du défendeur selon lequel pas un seul document n’a été rejeté du seul fait de sa rédaction par une partie intéressée. Il ressort en effet clairement des motifs de l’agente que les documents émanant de ces personnes comportaient d’autres lacunes fondamentales (comme l’absence de date ou de signature).

 

[33]           Après avoir analysé la preuve personnelle produite, l’agente a conclu que la demanderesse n’avait pas démontré que sa vie ou sa sécurité serait menacée au Ghana, que son époux avait quelque chose à voir avec le décès de son père et de son oncle ni qu’elle serait exposée à des risques personnels advenant son retour au Ghana. Cette conclusion était raisonnable et elle était étayée par la preuve. On peut concevoir le désaccord de la demanderesse avec les conclusions de l’agente, mais cela ne saurait justifier seul l’intervention de la Cour. Il n’y a aucune raison pour la Cour d’intervenir si l’on n’a pas été démontré que l’agente a agi de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont elle disposait.

 

[34]           La demanderesse a également soutenu que l’agente avait apprécié erronément sa situation et avait fait abstraction des Directives concernant la persécution fondée sur le sexe. Cet argument est mal fondé. Pour en arriver à sa décision, en effet, l’agente a émis des commentaires non pas sur la crédibilité de la demanderesse, mais bien plutôt sur l’absence d’éléments ayant force probante.

 

[35]           J’estime encore une fois comme le défendeur que l’agente était parfaitement au courant de la situation de la demanderesse, puisqu’elle a analysé toutes ses allégations et examiné l’ensemble de sa preuve. L’agente n’avait pas à se référer expressément aux Directives concernant la persécution fondée sur le sexe (se reporter à Fernandez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 232, au paragraphe 6).

 

[36]           Quoi qu’il en soit et même si l’on devait supposer pour fins d’argumentation que l’agente a bel et bien fait abstraction des Directives concernant la persécution fondée sur le sexe – ce qui n’est pas le cas –, les conclusions qu’elle a tirées ne reposaient pas sur la preuve de la demanderesse quant à la persécution fondée sur le sexe. La mention expresse des Directives, par conséquent, n’aurait eu aucune incidence sur l’appréciation globale de l’agente (Klais c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 785, paragraphes 9 et 10; Vargas c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1347, au paragraphe 15).

 

[37]           La demanderesse a finalement fait valoir que l’agente n’avait pas dûment pris en compte la documentation objective sur le Ghana. Cet argument, lui aussi, doit être rejeté. Tout en reconnaissant que la preuve révélait une situation loin d’être idéale au Ghana, l’agente a conclu que la demanderesse ne s’était pas acquittée du fardeau lui incombant de prouver qu’elle courrait un risque en cas de retour au Ghana. Cette conclusion était raisonnable et conforme à la jurisprudence de la Cour. Il est en effet de jurisprudence constante que la documentation générale sur un pays ne permet pas à elle seule d’établir l’existence d’un risque personnel (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Fouodji, 2005 CF 1327, au paragraphe 20; Zeballos c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1206, au paragraphe 6; Mathewa c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 914, au paragraphe 10; Pannu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1356, au paragraphe 37).

 

[38]           J’estime par conséquent que la décision quant à l’ERAR, lorsqu’on l’examine globalement en fonction de la norme de la raisonnabilité, n’a pas été tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans que l’agente tienne compte des éléments dont elle disposait. C’est là assurément une décision qui, pour reprendre le libellé de l’arrêt Dunsmuir, précité, appartient « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ». La demande de contrôle judiciaire pour le dossier IMM‑2209‑08 doit donc être rejetée.

 

C. Décision pour CH

 

[39]           En présentant une demande fondée sur des CH, la demanderesse demandait au ministre de la dispenser de toute obligation prévue à la LIPR ou de lui octroyer la résidence permanente s’il était d’avis que des considérations humanitaires le justifiaient. C’est une règle de droit bien connue qu’une décision pour CH constitue une mesure exceptionnelle de caractère discrétionnaire. Cette mesure permet la prise en compte de facteurs spéciaux et additionnels pour dispenser une personne des exigences de la législation sur l’immigration canadienne d’application générale (Legault c. MCI, 2002 CAF 125; Pannu c. MCI, 2006 CF 1356).

 

[40]           Il appartient à la demanderesse, pour avoir droit à cette mesure d’exception, de démontrer l’existence de considérations humanitaires suffisantes dans son affaire, c’est‑à‑dire que sa situation personnelle met en cause suffisamment de facteurs d’ordre humanitaire pour que soit justifié l’octroi d’une dispense. La demanderesse doit établir qu’en raison de sa situation personnelle, l’obliger à présenter à l’extérieur du Canada une demande de visa de résidence permanente lui occasionnerait des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives.

 

[41]           En l’espèce l’agente a examiné deux questions dans sa décision, soit le degré d’établissement au Canada de la demanderesse et ses attaches avec la société canadienne, ainsi que les allégations de risque personnel.

 

[42]           En ce qui concerne le degré d’établissement, l’agente a fait remarquer qu’il ne suffisait pas que la demanderesse subisse des difficultés si elle devait présenter au Ghana sa demande de visa de résidence permanente. Elle a d’abord souligné à cet égard que la demanderesse n’avait au Canada ni époux ni conjoint de fait. En fait, aucun membre de la famille de la demanderesse ne vit au Canada et elle n’y a pas d’enfant.

 

[43]           L’agente a en outre relevé que la demanderesse restait au Canada depuis moins de trois ans. Cette dernière a fourni des documents attestant qu’elle a occupé deux emplois, le premier pendant une période de dix‑huit mois et le second pendant une période de neuf mois. La demanderesse a également transmis à l’agente la lettre d’un représentant de l’Église apostolique, qui fait état de sa participation aux activités de l’Église.

 

[44]           L’agente a conclu que ces éléments (soit l’occupation d’un emploi au Canada, l’usage de l’anglais et la participation aux activités de l’Église) ne justifiaient pas l’octroi d’une dispense. Selon ses conclusions, les attaches de la demanderesse avec le Canada étaient de peu d’importance, alors que ses attaches avec le Ghana, où vit toute sa famille, étaient toujours solides.

 

[45]           Cette conclusion était raisonnable, et elle était conforme à la jurisprudence de la Cour. Quoi qu’il en soit, même si la demanderesse avait démontré s’être bien intégrée à la société canadienne, ce facteur ne suffit pas à lui seul pour l’octroi d’une dispense :

Il appartient au demandeur de prouver que la règle l’obligeant à demander un visa depuis l’extérieur du Canada entraînerait pour lui des difficultés inhabituelles, injustes ou indues. Le demandeur a pris le risque de s’établir au Canada alors que son statut d’immigrant était incertain, et en sachant qu’il pourrait avoir l’obligation de partir. Maintenant qu’il peut être tenu de partir et de demander le droit d’établissement depuis l’extérieur du Canada, le demandeur ne peut aujourd’hui, puisqu’il a pris ce risque, et compte tenu des faits, prétendre que les difficultés sont inhabituelles, injustes ou indues.

 

Uddin c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 937, au paragraphe 22 (C.F.).  Se reporter aussi à Souici c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 66; Samaroo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 292; Buio c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 157.

 

 

[46]           Il était par conséquent raisonnable pour l’agente de conclure que le degré d’établissement de la demanderesse au Canada ne suffisait pas pour que l’obligation de demander au Ghana la délivrance d’un visa de résidence permanente lui cause des difficultés. Cette décision était raisonnable et elle tenait compte de la preuve; l’intervention de la Cour n’est donc pas justifiée.

 

[47]           L’agente a ensuite examiné si les risques allégués étaient susceptibles d’occasionner des difficultés. Appliquant le critère en matière de CH des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives, l’agente a alors repris l’analyse des risques faite dans sa décision quant à l’ERAR. Vu l’absence d’éléments ayant force probante et pour les motifs déjà mentionnés, l’agente a conclu que la demanderesse n’avait pas démontré qu’elle serait exposée à une menace objective et personnelle pour sa vie ou sa sécurité, qui équivaudrait à des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives, si elle devait retourner au Ghana.

 

[48]           On ne m’a pas convaincu, si je garde à l’esprit la nature fortement discrétionnaire d’une décision pour CH, que l’agente a commis une erreur susceptible de contrôle qui justifierait l’intervention de la Cour. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire pour le dossier IMM‑2207‑08 doit également être rejetée.

 

[49]           L’avocat de la demanderesse a proposé la certification de la question suivante.

[traduction]

Question 1 – Est‑il fondé en droit de rejeter une preuve émanant de membres de la famille, d’amis ou d’autres connaissances au motif qu’elle provient de « parties intéressées », sans aucune autre justification, ou encore de rejeter des affidavits ou des lettres d’avocats provenant du Tiers Monde, sans autre justification que des doutes théoriques quant au caractère suffisamment détaillé de ce qui a été présenté? Est‑il nécessaire pour les agents d’ERAR de préciser pour quel motif ils n’ont reconnu qu’une faible valeur probante à ces documents lorsque aucune preuve sérieuse ne vient les contredire?

 

[50]           L’avocate du défendeur s’oppose pour sa part à la certification de cette question. Je suis aussi d’avis que la question a déjà été traitée par la Cour fédérale dans la décision Ray c. Canada (MCI), 2006 CF 731, au paragraphe 39, quant à son premier volet (pour ce qui est tout au moins de la preuve émanant de « parties intéressées »), et par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Ozdemir c. Canada (MCI), 2001 CAF 331, au paragraphe 9, quant à son second volet. Je rejetterai par conséquent la question proposée. J’ajouterais aussi que la réponse au premier volet de la question ne permettrait pas de trancher l’appel envisagé, puisque la décision de l’agente de reconnaître peu de valeur probante à certains documents ne se fonde pas que sur la source de ceux‑ci. Pour ce qui est cette fois de la preuve provenant d’avocats de pays en développement, c’est là une question uniquement d’espèce qui ne transcende assurément pas les intérêts des parties au présent litige.

 

JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée dans les dossiers IMM‑2207‑08 et IMM‑2209‑08. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

 

 

 

« Yves de Montigny »

Juge

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM‑2207‑08

                                                            IMM‑2209‑08

 

INTITULÉ :                                       GIFTY OBENG c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 4 décembre 2008   

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge de Montigny

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       Le 22 janvier 2009

 

COMPARUTIONS :

 

Steward Istvanffy

POUR LA DEMANDERESSE

GIFTY OBENG

 

Mireille‑Anne Rainville

POUR LE DÉFENDEUR

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Étude Légale Steward Istvanffy

1061, rue Saint‑Alexandre, bureau 300

Montréal (Québec)  H2P 1P5

Fax : 514‑876‑9789

 

POUR LA DEMANDERESSE

GIFTY OBENG

 

 

 

Ministère de la Justice

Complexe Guy‑Favreau

200, boul. René‑Lévesque Ouest

Tour Est, 12e étage

Montréal (Québec)  H2Z 1X4

Fax : 514‑496‑7876

POUR LE DÉFENDEUR

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.