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Date : 20090108

Dossier : T‑1612‑07

Référence : 2009 CF 21

Ottawa (Ontario), le 8 janvier 2009

En présence de monsieur le juge Phelan

 

 

ENTRE :

PARFUMS DE CŒUR, LTD.

demanderesse

et

 

CHRISTOPHER ASTA

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          INTRODUCTION

[1]               Parfums de Cœur, Ltd. (PDC) sollicite une ordonnance, suivant l’article 57 de la Loi sur les marques de commerce, en vue d’obtenir le retrait au registre des marques de commerce de l’enregistrement no TMA 604,943 (l’enregistrement). L’enregistrement est au nom de Christopher Asta (M. Asta) faisant affaire sous la dénomination sociale d’Asta Hairstyling School.

 

[2]               Les motifs invoqués quant à la présente demande sont la nullité ou l’invalidité de l’enregistrement parce qu’il a été obtenu au moyen d’une déclaration d’emploi contenant une assertion inexacte frauduleuse ou une fausse déclaration importante essentielle à l’enregistrement.

 

II.         LE CONTEXTE

[3]               Monsieur Asta a déposé une demande d’enregistrement d’une marque de commerce le 23 novembre 1999 pour la marque de commerce BOD sur le fondement de l’emploi projeté. Les marchandises en liaison avec l’emploi projeté de la marque de commerce étaient les suivantes :

[traduction]

Soin des cheveux, à savoir shampooing, revitalisant, produits de traitement, produits coiffants, laques, produits pour lisser les cheveux, permanentes, produits colorants, produits pour éclaircir, brosses; soin de la peau, à savoir pains de savon, démaquillants, lotions, produits hydratants, produits de traitement, crèmes, lotions toniques, nettoyants exfoliants, masques, traitements et tampons pour les yeux, huiles essentielles; cosmétiques, à savoir maquillage, ombres à paupières, fards à joues, fonds de teint, cache-cernes, produits neutralisants, mascaras, couleurs, crayons, rouges à lèvres, vernis à ongles, produits de base, produits de finition, produits de traitement; soin du corps, à savoir, produits hydratants, savons, produits exfoliants, savons liquides pour le corps, huiles de bain, cristaux de bain, bain moussant, atomiseurs pour le corps, parfums (les marchandises initiales).

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[4]               Dans sa déclaration d’emploi signée le 12 février 2004, M. Asta a déclaré avoir commencé, par lui‑même ou par l’entremise d’un porteur de licence, à employer la marque de commerce au Canada en liaison avec les mêmes marchandises initiales.

 

[5]               Sur le fondement de cette déclaration d’emploi, l’enregistrement de la marque de commerce BOD a été délivré le 11 mars 2004, et couvrait les marchandises initiales.

 

[6]               La demanderesse, PDC, est une société américaine qui a commencé à vendre des produits portant la marque de commerce BOD MAN au Canada dès octobre 2002. PDC vendait des atomiseurs pour le corps portant la marque de commerce BOD MAN aux États-Unis depuis le printemps 2000.

 

[7]               PDC a écrit à M. Asta afin de l’aviser de son intention d’entreprendre une procédure visant l’annulation de l’enregistrement. En conséquence, M. Asta a déposé une modification à sa marque de commerce afin de refléter son véritable emploi à l’égard des marchandises. Les marchandises employées étaient des produits pour le [traduction] « soin des cheveux, à savoir shampooing, revitalisant ». Les autres marchandises ont été rayées de la liste des marchandises initiales.

 

[8]               Le 13 octobre 2006, le Bureau des marques de commerce a confirmé que l’enregistrement BOD avait été modifié afin de refléter l’emploi modifié (enregistrement modifié).

 

[9]               PDC sollicite la radiation de l’enregistrement modifié. Le Bureau des marques de commerce s’est retranché derrière cet enregistrement modifié pour refuser l’enregistrement de la marque de commerce BOD MAN de PDC en liaison avec [traduction] « des parfums pour hommes, à savoir eau de Cologne, eau de toilette, lotion après‑rasage, atomiseurs parfumés pour le corps et déodorants personnels ».

 

III.       LA QUESTION EN LITIGE

[10]           La question en litige dans la présente demande consiste à savoir si, suivant l’article 57, la Cour devrait radier l’enregistrement modifié.

 

IV.       ANALYSE

[11]           L’article 57 de la Loi sur les marques de commerce donne à la Cour le pouvoir, mais non l’obligation, de biffer ou de modifier une inscription dans le registre des marques de commerce lorsque l’enregistrement n’« exprime ou ne définit pas exactement les droits existants de la personne paraissant être le propriétaire inscrit de la marque ».

 

57. (1) La Cour fédérale a une compétence initiale exclusive, sur demande du registraire ou de toute personne intéressée, pour ordonner qu’une inscription dans le registre soit biffée ou modifiée, parce que, à la date de cette demande, l’inscription figurant au registre n’exprime ou ne définit pas exactement les droits existants de la personne paraissant être le propriétaire inscrit de la marque.

 

(2) Personne n’a le droit d’intenter, en vertu du présent article, des procédures mettant en question une décision rendue par le registraire, de laquelle cette personne avait reçu un avis formel et dont elle avait le droit d’interjeter appel.

57. (1) The Federal Court has exclusive original jurisdiction, on the application of the Registrar or of any person interested, to order that any entry in the register be struck out or amended on the ground that at the date of the application the entry as it appears on the register does not accurately express or define the existing rights of the person appearing to be the registered owner of the mark.

 

 

(2) No person is entitled to institute under this section any proceeding calling into question any decision given by the Registrar of which that person had express notice and from which he had a right to appeal.

 

[12]           Monsieur Fox a résumé comme suit l’état du droit au Canada :

[traduction] Il est prévu, au paragraphe 18(1), que l’enregistrement d’une marque de commerce est invalide lorsque a) la marque de commerce n’était pas enregistrable à la date de l’enregistrement; b) la marque de commerce n’est pas distinctive à l’époque où sont entamées les procédures contestant la validité de l’enregistrement; c) la marque de commerce a été abandonnée; et, sous réserve de l’article 17, l’enregistrement est invalide si l’auteur de la demande n’était pas la personne ayant le droit de l’obtenir. Cependant, la Loi ne renferme aucune disposition en vertu de laquelle les déclarations erronées contenues dans une demande d’enregistrement ou un ajout de marchandises deviennent des motifs d’invalidation de l’enregistrement, à moins que les déclarations erronées n’aient pour effet de rendre la marque de commerce non enregistrable au sens de l’article 12 ou à moins qu’il n’y ait eu de fausses déclarations frauduleuses.

[Souligné dans WCC, ci‑dessous.]

 

Harold Fox, Canadian Law of Trade Marks and Unfair Competition, 3rd ed. (Toronto: Carswell, 1972), page 252 et 253, extrait cité et approuvé dans WCC Containers Sales Ltd. c. Haul-All Equipment Ltd., 2003 CF 962, au paragraphe 19 [WCC].

 

[13]           En outre, l’expression « date de cette demande » à l’article 57 renvoie non pas à la date de la demande initiale au Bureau des marques de commerce, qui inclurait les marchandises initiales, mais à la date de la demande de radiation devant la Cour (MacKenzie v. Busy Bee Enterprises International Ltd., [1977] 2 C.F. 124 (C.F. 1re inst.); Tommy Hilfiger Licensing Inc. c. Produits de Qualité I.M.D. Inc., 2005 CF 10). À cette date, M. Asta avait l’enregistrement modifié, qui se limitait seulement au shampooing et au revitalisant.

 

[14]           Monsieur Asta a admis que la déclaration d’emploi initiale contenait une déclaration erronée importante découlant de son manque de compréhension du système des marques de commerce. Il a déclaré qu’il croyait que dans la mesure où il avait employé la marque de commerce BOD à l’égard de seulement une des marchandises de la liste de marchandises initiales, alors il pouvait déposer la déclaration d’emploi.

 

[15]           La demanderesse n’a pas donné suite à la question de la déclaration frauduleuse qu’elle avait initialement invoquée et il convenait qu’elle s’abstienne de poursuivre cette voie. Dans la présente affaire, il y a une déclaration erronée, pouvant avoir été commise de bonne foi ou de façon négligente, mais il ne s’agit pas d’une déclaration frauduleuse.

 

[16]           Dans l’arrêt General Motors du Canada c. Moteurs Décarie Inc. [2001] 1 C.F. 665 (C.A.F.), la Cour d’appel a confirmé que l’invalidité d’un enregistrement pouvait résulter de deux types de fausses déclarations : (i) les fausses déclarations frauduleuses intentionnelles et (ii) les fausses déclarations qui, bien que non intentionnelles, sont importantes car, sans elles, les limites imposées par l’article 12 à l’enregistrement auraient été insurmontables.

 

[17]           Il n’y a aucun doute que la détermination des marchandises était essentielle quant à l’enregistrement et à l’enregistrement modifié. De même, il n’y a aucun doute que l’enregistrement contenait de fausses déclarations importantes. Toutefois, si la prétention d’emploi quant au shampooing et au revitalisant est exacte, elle appuie l’enregistrement selon ce qu’indique l’enregistrement modifié.

 

[18]           Compte tenu de la jurisprudence mentionnée au paragraphe 13 des présents motifs, PDC doit démontrer, pour avoir gain de cause, que l’enregistrement modifié a été obtenu sur le fondement d’une fausse déclaration importante.

 

[19]           La demanderesse, dans ses observations, a tenté d’importer au Bureau des marques de commerce la doctrine américaine de la fraude, qui n’exige pas une fraude réelle. Selon cette doctrine, une fausse déclaration importante est suffisante et toute fausse déclaration importante faite lors du traitement d’un enregistrement rend nul tout l’enregistrement en résultant. Lorsqu’on applique cette doctrine à la présente affaire, la fausse déclaration d’emploi de marchandises initiales rendrait nul l’enregistrement modifié.

 

[20]           Toutefois, l’état du droit au Canada (en particulier l’article 57 de la Loi sur les marques de commerce) et la jurisprudence mentionnée dans les présents motifs ne vont pas aussi loin que le font les États‑Unis. Bien qu’il y ait au départ un certain attrait dans la notion voulant qu’une fausse déclaration importante dans le processus des marques de commerce rende nul le monopole accordé par l’enregistrement, le législateur n’a pas adopté ce principe et, en l’absence d’une modification à la Loi sur les marques de commerce, la Cour ne le fera pas.

 

[21]           La demanderesse invoque effectivement une fausse déclaration qui, si elle avait du poids, aurait une incidence sur l’enregistrement modifié. La demanderesse dit que M. Asta ne faisait pas affaire sous la dénomination sociale d’Asta Hairstyling School, et que par conséquent il n’y a pas de preuve d’emploi par l’inscrivant.

 

[22]           Bien que la preuve d’emploi par M. Asta soit quelque peu ambiguë, la Cour est convaincue que M. Asta satisfait aux exigences d’emploi de la marque de commerce. La personne juridique en question est M. Asta personnellement – la référence au nom commercial Asta Hairstyling n’invalide pas le fait que le propriétaire en droit de la marque est M. Asta lui‑même.

 

[23]           De plus, bien que le droit de propriété de M. Asta dans Asta Hairstyling School ne soit pas bien documenté, il s’agit d’une entreprise familiale dans laquelle le père de M. Asta, le propriétaire initial de l’entreprise, lui a confirmé qu’il était l’un des propriétaires. Dans une entreprise exploitée par une famille, l’absence de structures légales rigides n’est pas inhabituelle et je suis disposé à accepter la preuve présentée par M. Asta à l’égard de cette question.

 

[24]           Monsieur Asta a fourni des éléments de preuve démontrant qu’il a commencé à employer le shampooing et le revitalisant au début de 2001. Ces éléments de preuve incluaient l’achat de 4 941 bouteilles de shampooing et de revitalisant portant la marque BOD. Cependant, la facture pour les produits est établie au nom de BOD à une adresse qui n’est pas celle de M. Asta.

 

[25]           Bien que la preuve de la facture pour les produits de M. Asta porte à confusion, l’emballage du produit porte la légende de la marque BOD et une adresse qui est celle de M. Asta. En outre, M. Asta a fourni des éléments de preuve démontrant des ventes directes par lui‑même et par d’autres à ses clients au salon de coiffure dans lequel il avait un certain type d’intérêt.

 

[26]           Bien que la preuve d’emploi contienne de nombreuses failles, elle est suffisante dans l’ensemble pour démontrer que la marque BOD pour du shampooing et du revitalisant a été utilisée pour la première fois au début de 2001.

 

[27]           Monsieur Asta justifie la portée trop excessive de sa déclaration d’emploi en disant qu’il croyait que puisqu’il avait utilisé certaines des marchandises initiales – shampooing et revitalisant – il avait le droit de produire une déclaration à l’égard de toutes les marchandises initiales. Cette fausse déclaration, bien qu’elle soit clairement erronée, était une fausse déclaration non intentionnelle (ou potentiellement négligente) et elle n’était pas suffisante pour faire en sorte que la marque de commerce ne soit pas enregistrable relativement au shampooing et au revitalisant (voir General Motors du Canada, précité).

 

[28]           Dans la présente situation, comme dans WCC, la portée excessive de la fausse déclaration n’est pas suffisante pour rendre la marque de commerce non enregistrable. Dans WCC, précité, la fausse déclaration quant au nombre d’années de l’emploi de la marque n’était pas suffisante pour qu’il soit présumé que la marque de commerce était non enregistrable. De même, en l’espèce, la fausse déclaration quant à la portée de l’emploi ne fait pas en sorte que la marque soit non enregistrable à l’égard des marchandises initiales véritablement employées. Dans la présente affaire, un fait important est que M. Asta a modifié son enregistrement avant que PDC dépose la présente demande.

 

[29]           La décision Unitel Communications Inc. c. Bell Canada (1995), 61 C.P.R. (3d) 12, est de nature différente en ce que la faille était que le propriétaire n’avait fait aucun emploi que ce soit. Dans cette affaire, une modification subséquente à l’enregistrement ne pouvait pas remédier au défaut fondamental de la déclaration d’emploi. Au contraire, dans la présente situation, l’inscrivant avait employé la marque, mais d’une manière moins étendue que ce qu’il prétendait. L’enregistrement modifié couvre seulement les marchandises employées.

 

[30]           La demanderesse a avancé un fondement de principe quant à sa demande de radiation – soit qu’il doit y avoir une incitation à dire la vérité. La demanderesse s’appuie sur le modèle américain de résultats draconiens, même pour une erreur non intentionnelle.

 

[31]           Le droit au Canada est plus nuancé et équilibré. Le droit canadien s’arrête au fond – une fausse déclaration intentionnelle devrait rendre nul, et rendra nul, un enregistrement. Cependant, dans les cas où la fausse déclaration est faite de façon non intentionnelle et de bonne foi, il y a une possibilité de modifier l’enregistrement comme le prévoit l’article 45 de la Loi.

 

[32]           Puisque le défendeur s’est prévalu de cette possibilité de modifier l’enregistrement, la Cour n’est pas disposée à exercer son pouvoir prévu par l’article 57 de priver le défendeur de la marque de commerce à l’égard du shampooing et du revitalisant sur lesquels il a par ailleurs un fondement juridique légitime.

 

V.        CONCLUSION

[33]           Par conséquent, la présente demande sera rejetée avec dépens.

 


JUGEMENT

LA COUR REJETTE la présente demande avec dépens.

 

 

 

« Michael L. Phelan »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

 

Danièle Laberge, LL.L.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T‑1612‑07

 

INTITULÉ :                                       PARFUMS DE CŒUR, LTD.

 

                                                            c.

 

                                                            CHRISTOPHER ASTA

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 4 septembre 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge Phelan

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 8 janvier 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Christine M. Pallotta

Megan Langley‑Grainger

 

POUR LA DEMANDERESSE

Roger Tam

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

BERESKIN & PARR

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

GOWLINGS

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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