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Date : 20090112

Dossier : IMM‑4937‑07

Référence : 2009 CF 31

Ottawa (Ontario), le 12 janvier 2009

En présence de monsieur le juge Mandamin

 

 

ENTRE :

MARY ANTANITA SAVUNDARANAYAGA

LINGADASAN SIVASAMBU

(alias SIVASAMBU LINGADASAN)

et

FINEHA LINGADASAN (une mineure)

demandeurs

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision, datée du 26 octobre 2007, par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu ce qui suit :

1.                  Mary Antanita Savundaranayaga et Sivasambu Lingadasan, les parents, sont exclus de la protection accordée aux réfugiés en application des alinéas a) et c) de la section F  de l’article premier de la Convention relative au statut des réfugiés des Nations Unies (la Convention sur les réfugiés) suivant l’article 98 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR), parce qu’ils étaient membres des Tigres de libération de l’Eelam tamoul (TLET), une organisation poursuivant des fins limitées et brutales;

2.                  Fineha Lingadasan, la fille, âgée de quatre ans, est exclue de la protection accordée aux réfugiés parce qu’il n’y a pas de possibilité sérieuse qu’elle soit persécutée suivant l’article 96 de la LIPR si elle était renvoyée au Sri Lanka, et parce qu’il n’a pas été établi qu’elle a la qualité de personne à protéger suivant le paragraphe 97(1) de la LIPR.

 

[2]               La demande de contrôle judiciaire ne vise pas Dyson Lingadasan, le fils âgé de neuf ans, étant donné qu’il a obtenu le statut de réfugié parce qu’il y avait une possibilité qu’il soit enrôlé par les TLET en tant qu’enfant soldat s’il retournait au Sri Lanka.

 

LE CONTEXTE

[3]               Les parents sont citoyens du Sri Lanka. Le fils, né en Allemagne, et la fille, née en Hollande, sont également citoyens du Sri Lanka. Les parents sont des Tamouls provenant du nord du Sri Lanka, région sous le contrôle des TLET.

 

[4]               La mère et le père soutiennent tous deux que les TLET ont harcelé et extorqué leur famille respective dans le nord du Sri Lanka. La mère soutient que, en novembre 1993, elle a été forcée de travailler dans une cuisine des TLET et qu’elle a été obligée de jouer de la musique dans le cadre de la célébration de la journée du héros organisée à Killinochchi par le volet culturel des TLET. Le père soutient que les TLET l’ont emmené avec d’autres personnes pour qu’ils nettoient et décorent le bord des routes pour les festivités de la journée du héros. C’est à cette occasion qu’il a rencontré la mère.

 

[5]               Le père affirme qu’on lui a demandé en février 1994 de suivre un entraînement militaire pour les TLET. Il a refusé et il a été détenu jusqu’à ce que sa famille accepte de verser aux TLET un important montant d’argent. Sous prétexte d’un voyage d’affaires, le père a obtenu un laissez‑passer et s’est rendu à Colombo. La mère s’y est également rendue et le couple s’est marié à Colombo à la fin de mars 1994.

 

[6]               Immédiatement après le mariage, le père a quitté le Sri Lanka et s’est rendu en Hollande. Il a présenté une demande d’asile, mais sa demande a été refusée. La mère dit que des policiers l’ont interrogée peu après le départ du père du Sri Lanka. La mère de la demanderesse a soudoyé des policiers pour faire échec à son arrestation et on leur a ordonné de retourner dans leur village.

 

[7]               La mère affirme que, en octobre 1996, on lui a demandé de se joindre aux TLET et de suivre un entraînement militaire. Elle a refusé et elle a été détenue pendant trois jours. Elle a été libérée après que ses parents eurent versé de l’argent aux TLET. Avec l’aide d’un passeur, elle a quitté le Sri Lanka afin de rejoindre son époux. Le passeur l’a laissée en Allemagne et elle y a présenté une demande d’asile. Elle s’est ensuite rendue en Hollande pour retrouver son époux, mais les autorités néerlandaises l’ont renvoyée en Allemagne six mois plus tard. Son fils est né en Allemagne en juin 1998. En juin 1999, la mère est retournée en Hollande. La fille est née en Hollande en 2002. La demande d’asile présentée par les demandeurs en Hollande a été refusée en octobre 2004.

 

[8]               Les demandeurs affirment avoir choisi un départ volontaire et ils sont retournés à Colombo le 20 mars 2005. À leur retour à Colombo, les policiers les ont interrogés et ont pris l’argent qu’ils avaient. Ils sont retournés dans leur village dans le nord du Sri Lanka où les TLET les ont interrogés et leur ont ordonné de verser un très gros montant d’argent. Ils ont été accusés d’être des partisans du groupe rebelle Karuna, un groupe allié à l’armée sri‑lankaise. Le père a été arrêté et la mère a reçu des menaces de mort. Le père affirme avoir été libéré après avoir accepté de payer par versements l’argent exigé. Le père affirme que par la suite, le 18 avril 2005, quatre individus, à son avis des membres de l’armée et des membres du groupe Karuna, l’ont enlevé alors qu’il était chez lui dans le village. Ils ont exigé le paiement de montants d’argent semblables à ceux exigés par les TLET. Après l’arrestation du père, la mère s’est enfuie à Colombo avec leurs deux enfants.

 

[9]               Avec l’aide d’un passeur, la mère et les enfants ont réussi à venir au Canada; ils sont arrivés le 9 octobre 2005. Le père affirme qu’il a réussi à persuader un gardien de le laisser s’échapper, et avec l’aide d’un passeur il a quitté le Sri Lanka le 5 novembre 2005. Il a transité par Singapour, la Malaisie et Bangkok, et est arrivé au Canada environ huit mois plus tard le 18 juillet 2006, où il a également demandé l’asile.

 

[10]           Les demandeurs soutiennent que s’ils sont renvoyés au Sri Lanka, ils seront persécutés par les forces armées et les groupes militants. Ils ont demandé l’asile suivant l’article 96 et le paragraphe 97(1) de la LIPR.

 

[11]           Le ministre a signifié un avis d’intervention de l’intention du ministre de participer à l’audience des parents étant donné que des questions intéressant les alinéas a) et c) de la section F de l’article premier de la Convention sur les réfugiés peuvent être soulevées.

 

LA DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE

[12]           La Commission a accepté l’identité des parents et le fait qu’ils étaient des Tamouls du nord du Sri Lanka sur la base de leurs passeports et de leurs documents personnels. En raison d’incohérences et de contradictions dans la preuve des parents, la Commission a conclu qu’ils n’étaient pas des témoins dignes de foi et elle a rejeté leur récit, sauf en ce qui concerne une affirmation faite par la mère au cours de l’entrevue au point d’entrée (PDE) et une déclaration dans la documentation initiale sur les réfugiés qu’elle a présentée.

 

[13]           Avant de passer à l’affirmation et à la déclaration de la mère, je prends note de la nature de l’intervention du ministre. Les avis d’intervention quant aux deux parents contiennent le libellé identique suivant :

[traduction]

L’avocat du ministre s’appuie sur les éléments de fait ou de droit suivants :

1.                  L’épouse demanderesse d’asile (MAS‑05605) a déclaré au point d’entrée, le 9 octobre 2005, que son époux (le demandeur d’asile) était un membre haut gradé des TLET, et qu’il était un directeur culturel.

 

2.                  Des éléments de preuve documentaire décrivent les violations graves en matière de droits de la personne commises par les TLET, lesquelles peuvent être caractérisées comme des crimes contre l’humanité, des crimes de guerre commis par les TLET qui peuvent être caractérisés comme des crimes contre l’humanité, des crimes de guerre ou des actes contraires aux buts et aux principes des Nations Unies.

 

3.                  Dans ce contexte, la demanderesse d’asile peut avoir participé à la perpétration de crimes contre l’humanité ou peut en avoir été complice.

 

[14]           La Commission a commencé son analyse en mentionnant la question de l’exclusion des deux parents sur le fondement des alinéas a), b) et c) de la section F de l’article premier de la Convention sur les réfugiés soulevée par le ministre. La question de l’exclusion des enfants mineurs a également été soulevée. La Commission a conclu que la section F de l’article premier de la Convention sur les réfugiés ne s’applique pas aux enfants. La Commission a ensuite passé à la question de l’appartenance des parents aux TLET.

 

[15]           La Commission a conclu que les notes consignées lors de l’entrevue de la mère au point d’entrée étaient importantes et elle a cité l’extrait suivant :

[traduction] « La cliente déclare que son mari était un membre haut gradé des TLET mais qu’il était un directeur culturel. Elle prétend qu’il était responsable du théâtre et de la musique et qu’elle était accordéoniste. Toutefois, ils sont persécutés par l’armée du Sri Lanka parce qu’on les accuse d’appuyer les TLET ».

 

La Commission a en outre renvoyé aux documents d’immigration de la mère remplis le même jour dans lesquels elle a répondu que d’avril 1995 à avril 1997 elle était membre des TLET, une organisation politique, et que ses activités consistaient à s’occuper de [traduction] « culture et de musique ».

 

[16]           La Commission a rejeté, estimant qu’elle était invraisemblable, l’explication de la mère voulant qu’elle n’ait déclaré être membre des TLET que parce que le passeur lui avait conseillé de dire qu’elle et son époux étaient membres des TLET. La Commission a considéré que les déclarations initiales étaient « claires, convaincantes et logiques ». La Commission a décidé d’accorder plus de poids aux déclarations initiales de la mère, celles‑ci étant compatibles avec la jurisprudence : Jumriany c. Canada (M.C.I.), [1997] A.F.C. no 683. La Commission a conclu ce qui suit : « je crois que les deux demandeurs d’asile adultes étaient membres du volet culturel des TLET, même si ce n’était pas nécessairement à un niveau très élevé ».

 

[17]           La Commission a ensuite déclaré que sa conclusion était renforcée par le témoignage non crédible du père à l’égard des problèmes qu’il a eus avec les TLET après avoir refusé de se joindre à l’organisation. La Commission a tiré une inférence similaire des témoignages des deux demandeurs, témoignages qu’elle a rejetés, à l’égard des problèmes que leur famille respective avait avec les TLET; elle a déclaré ce qui suit :

Je conclus de ce qui précède que les frères du demandeur d’asile ont réussi à éviter d’être recrutés pour faire partie des forces des TLET et que la famille de la demandeure d’asile a réussi à éviter de verser de l’argent aux TLET, parce qu’ils contribuaient déjà puisque les deux demandeurs d’asile étaient membres des TLET.

 

[18]           La Commission a conclu son analyse quant à l’appartenance par la déclaration suivante :

Compte tenu de ce qui précède, j’ai rejeté pour manque de crédibilité le témoignage des demandeurs d’asile concernant leurs supposés problèmes avec les TLET et j’ai conclu que, selon la prépondérance des probabilités, les demandeurs d’asile étaient membres des TLET.

 

[19]           La Commission a examiné la question de savoir si l’organisation des TLET était une organisation poursuivant des fins limitées et brutales. La Commission a déclaré ce qui suit :

Comme j’ai établi, selon la prépondérance des probabilités, que les demandeurs d’asile étaient membres des TLET, et même s’ils n’ont pas nécessairement joué un rôle important, particulièrement pour ce qui est de la demandeure d’asile, je dois évaluer, en me fondant sur la preuve documentaire, si le seul fait d’être membre des TLET est suffisant pour leur refuser une protection. Selon l’arrêt Ramirez, le fait d’être membre d’une organisation n’est habituellement pas suffisant en soi pour refuser la protection à un demandeur d’asile. Il y a toutefois exception lorsque le demandeur d’asile fait partie d’une organisation poursuivant des fins limitées et brutales. Les TLET sont-ils une organisation poursuivant des fins limitées et brutales?

 

[20]           La Commission a retenu des rapports établis par des organisations tant gouvernementales que non gouvernementales qui démontrent de façon constante et claire que l’organisation des TLET est une organisation terroriste qui a des antécédents brutaux et impitoyables consistant à terroriser les populations civiles, et qui commet régulièrement de très graves abus en matière de droits de la personne contre les populations civiles tamoules, cinghalaises et musulmanes. La Commission a mentionné que, en avril 2006, l’organisation des TLET a été ajoutée à la liste des entités considérées par le Canada comme des organisations terroristes. La Commission est arrivée à la conclusion que la preuve documentaire appuie la thèse selon laquelle l’organisation des TLET est une organisation poursuivant des fins limitées et brutales.

 

[21]           La Commission a conclu que le fils, âgé de neuf ans, était exposé à une possibilité sérieuse d’être enrôlé de force par les TLET ou par le groupe de faction Karuna en tant qu’enfant soldat, et elle a conclu qu’il était un réfugié au sens de la Convention suivant l’article 96 de la LIPR compte tenu de son appartenance à un groupe social particulier. La Commission a conclu que la fille qui était âgée de quatre ans pouvait retourner au Sri Lanka avec ses parents parce que ces derniers, en tant que membres des TLET ou d’ex‑membres des TLET, pouvaient vivre en sécurité dans les régions où se trouvaient des TLET et parce qu’elle était trop jeune pour être enrôlée en tant qu’enfant soldat par les TLET.

 

[22]           À l’égard des parents, la Commission a conclu qu’ils « étaient et sont peut-être encore membres des TLET, [et que] le simple fait d’être membre de cette organisation est suffisant pour les exclure de la protection du Canada en vertu de l’article 98 de la LIPR ». La Commission a tranché que les parents étaient, suivant l’article 98 de la LIPR, exclus de la protection accordée aux réfugiés en application des alinéas a) et c) de la section F de l’article premier de la Convention sur les réfugiés.

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

[23]           Les demandeurs soulèvent plusieurs questions en litige dont deux sont très pertinentes :

[traduction]

1.      Le commissaire a‑t‑il commis une erreur de droit du fait qu’il aurait présumé qu’il pouvait conclure à une exclusion sur le fondement d’une appartenance mal définie à un groupe culturel des TLET?

2.      Le commissaire a‑t‑il commis une erreur lorsqu’il a défini l’expression « fins limitées et brutales » d’une manière trop large qui fait en sorte que l’application systématique de sa déduction est abusive?

 

[24]           Je formule la question en litige de la façon suivante :

Y avait‑il suffisamment d’éléments de preuve permettant d’appuyer une conclusion selon laquelle les parents doivent être exclus suivant l’article 98 de la LIPR en tant que complices de crimes énoncés aux alinéas a) et c) de la section F de l’article premier de la Convention sur les réfugiés?

 

LA NORME DE CONTRÔLE

[25]           Les tribunaux ont appliqué la norme de contrôle de la décision raisonnable simpliciter dans des affaires intéressant une question d’appartenance à une organisation terroriste. Cette norme de contrôle s’applique tant à la décision rendue quant à l’appartenance à une organisation, Poshteh c. Canada (MCI), 2005 CAF 85, aux paragraphes 21 à 24, qu’à une conclusion quant à savoir si l’organisation est une organisation terroriste, Kanendra c. Canada (MCI), 2005 CF 923, au paragraphe 12.

 

[26]           Les décisions établissant la complicité dans des crimes de guerre ou dans des crimes contre l’humanité suivant l’article 35 de la LIPR sont également assujetties à la norme de contrôle de la décision raisonnable : Harb c. Canada (MCI), 2003 CAF 39, au paragraphe 14; Jayasinghe c. Canada (MCI), 2007 CF 193, au paragraphe 16.

 

[27]           La Cour suprême du Canada a clarifié la norme de contrôle de raisonnabilité dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9. La Cour suprême a décidé qu’il y a une seule norme de raisonnabilité. Lorsqu’elle se penche sur une décision de la Commission selon la norme de raisonnabilité, la Cour examine la question de savoir si le caractère raisonnable de la décision tient à « la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel » et à « l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » : arrêt Dunsmuir, au paragraphe 47.

 

ANALYSE

Le texte de loi

[28]           La section F de l’article premier de la Convention sur les réfugiés est rédigée en ces termes :

F. Les dispositions de cette Convention ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser :

a) Qu’elles ont commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l’humanité, au sens des instruments internationaux élaborés pour prévoir des dispositions relatives à ces crimes;

b) Qu’elles ont commis un crime grave de droit commun en dehors du pays d’accueil avant d’y être admises comme réfugiés;

c) Qu’elles se sont rendues coupables d’agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies.

 

[29]           L’article 98 de la LIPR prévoit que la personne visée à la section F de l’article premier de la Convention sur les réfugiés ne peut avoir la qualité de réfugié ni de personne à protéger :

 

 

Exclusion par application de la Convention sur les réfugiés

98. La personne visée aux sections E ou F de l’article premier de la Convention sur les réfugiés ne peut avoir la qualité de réfugié ni de personne à protéger.

Exclusion — Refugee Convention

98. A person referred to in section E or F of Article 1 of the Refugee Convention is not a Convention refugee or a person in need of protection.

 

[30]           L’alinéa 112(3)c) de la LIPR prévoit qu’une personne déboutée au titre de la section F de l’article premier de la Convention sur les réfugiés ne peut pas demander la protection suivant le processus d’examen des risques avant renvoi prévu à l’article 112 de la LIPR :

Restriction

112.(3) L’asile ne peut être conféré au demandeur dans les cas suivants

c) il a été débouté de sa demande d’asile au titre de la section F de l’article premier de la Convention sur les réfugiés;

 

Restriction

112.(3) Refugee protection may not result from an application for protection if the person

c) made a claim to refugee protection that was rejected on the basis of section F of Article 1 of the Refugee Convention; or

 

Y avait‑il suffisamment d’éléments de preuve permettant d’appuyer une conclusion selon laquelle les parents doivent être exclus suivant l’article 98 de la LIPR en tant que complices de crimes énoncés aux alinéas a) et c) de la section F de l’article premier de la Convention sur les réfugiés?

 

[31]           Une exclusion suivant l’article 98 de la LIPR fondée sur la section F de l’article premier de la Convention sur les réfugiés revêt une grande importance. Par exemple, le paragraphe 112(3) enlève expressément le droit aux demandeurs d’asile déboutés de demander la protection suivant le processus d’examen des risques avant renvoi prévu à l’article 112. Dans la décision Ledezma c. Canada (MCI), [1997] A.C.F. no 1664, Mme la juge Simpson a écrit ce qui suit :

Lexclusion par le Canada, aux termes de lArticle 1Fa) de la Convention est une question grave qui affecterait le requérant pour le reste de sa vie. Dans ces circonstances, jestime que toute mesure dexclusion devrait être examinée pour sassurer quelle est à labri derreurs même si, comme cest le cas en lespèce, la décision sur lexclusion nest pas déterminante pour lissue de la demande de contrôle judiciaire.

 

[32]           Dans l’arrêt Ramirez c. Canada (MEI), [1992] A.C.F. no 109, la Cour d’appel fédérale a énoncé plusieurs propositions à l’égard de l’examen d’affaires comportant l’application de la section F de l’article premier de la Convention sur les réfugiés. En résumé, M. le juge MacGuigan a déclaré ce qui suit :

1.      le libellé de la section F de l’article premier, « raisons sérieuses de penser », établit une norme de preuve moindre que la prépondérance des probabilités;

2.      la charge de la preuve incombe au gouvernement;

3.      la signification du mot « commis » à la section F de l’article premier nécessite une interprétation faisant intervenir la mens rea quant à la participation personnelle et consciente;

4.      à l’égard du degré de complicité d’un complice au premier ou au second degré :

                                                               i.      la simple appartenance à une organisation qui commet sporadiquement des infractions internationales ne suffit pas en temps normal pour exclure quelqu’un de l’application des dispositions relatives au statut de réfugié;

                                                             ii.      lorsqu’une organisation vise principalement des fins limitées et brutales, il existe une présomption réfutable voulant que la simple appartenance puisse impliquer nécessairement la participation personnelle et consciente aux actes de persécution.

 

[33]           Dans l’arrêt Moreno c. Canada (MCI), [1993] A.C.F. no 912 (C.A.), M. le juge Robertson a réexaminé la question de la culpabilité d’un individu du fait de ses fréquentations :

45    Il est bien établi que la simple appartenance à une organisation impliquée dans la perpétration de crimes internationaux ne permet pas dinvoquer la disposition dexclusion; voir les arrêts Ramirez, à la page 317, et Laipenieks v. I.N.S., 750 F. 2d (1985) (9th Cir. 1985), à la page 1431. La règle générale connaît une exception lorsque lexistence même de lorganisation repose sur latteinte dobjectifs politiques ou sociaux par tout moyen jugé nécessaire. Lappartenance à une force policière secrète peut être jugée suffisante pour que lon puisse invoquer la disposition dexclusion; voir larrêt Naredo et Arduengo c. Ministre de lEmploi et de lImmigration (1990), 37 F.T.R. 161 (C.F. 1re inst.), mais voir également larrêt Ramirez, aux pages 318 et suivantes. Lappartenance à une organisation militaire impliquée dans un conflit armé contre les forces de la guérilla est visée par la règle générale et non par lexception. [Non souligné dans l’original.]

 

[34]           Dans l’arrêt Bazargan c. Canada (MCI), [1996] A.C.F. no 1209 (C.A.), M. le juge Décary a dit que la Cour refusait expressément d’établir que l’appartenance officielle à une organisation constituait une condition d’application de la clause d’exclusion. Il a répété les commentaires faits par le juge MacGuigan dans Ramirez, précisant qu’il n’était :

pas souhaitable, dans létablissement dun principe général, de dépasser le critère de la participation personnelle et consciente aux actes de persécution. Le reste devrait être tranché en fonction des faits particuliers de laffaire.

Le juge Décary a ajouté ce qui suit :

Lappartenance au groupe allégera, bien sûr, le fardeau de preuve incombant au Ministre en ce quelle permettra plus facilement de conclure à une « participation personnelle et consciente ». Mais il simpose de ne pas transformer en condition de droit ce qui nest en réalité quune simple présomption de fait. [Non souligné dans l’original.]

 

[35]           Dans l’arrêt Harb, la Cour d’appel fédérale a traité une fois de plus de la question de l’exclusion suivant la section F de l’article premier de la Convention sur les réfugiés et de la question de l’appartenance. Le juge Décary a écrit ce qui suit :

Dès lors que ces organisations commettent des crimes contre l’humanité et que l’appelant rencontre les exigences d’appartenance au groupe, de connaissance, de participation ou de complicité imposées par la jurisprudence (voir, notamment, Ramirez […], l’exclusion s’applique quand bien même les gestes concrets posés par l’appelant lui-même ne seraient pas, en tant que tels, des crimes contre l’humanité. [Non souligné dans l’original.]

 

[36]           Le juge Décary a ensuite déclaré de nouveau ce qui suit :

Ainsi que la Cour le soulignait, dans Bazargan, à la page 286, l’appartenance à un groupe permettra plus facilement de conclure à une « participation personnelle et consciente » - qui demeure le critère premier - que lorsqu’il n’y a pas appartenance, mais c’est au niveau de la preuve que la différence se fera sentir, pas au niveau des principes. [Non souligné dans l’original.]

 

[37]           Je déduis des décisions précédemment mentionnées qu’une conclusion selon laquelle il y avait appartenance à une organisation est un élément qui peut mener ou non à une conclusion voulant qu’il y ait une participation personnelle et consciente à des crimes internationaux. Le premier critère sous‑jacent demeure que la preuve doit établir une participation personnelle et consciente aux crimes proscrits, selon la norme des « raisons sérieuses de penser », une norme de preuve moindre que la prépondérance des probabilités.

 

[38]           La seule preuve positive se rapportant à l’appartenance des demandeurs aux TLET est la preuve des déclarations initiales faites par la mère en tant que réfugiée. La Commission a choisi d’accorder à cette preuve « un plus grand poids » et a conclu, de façon quelque peu équivoque, que les parents étaient membres de l’organisation. Pour réaffirmer ses conclusions, la Commission a déclaré ce qui suit :

« Par conséquent, je crois que les deux demandeurs d’asile adultes étaient membres du volet culturel des TLET, même si ce n’était pas nécessairement à un niveau très élevé. »

 

Elle a également dit :

« Comme j’ai établi, selon la prépondérance des probabilités, que les demandeurs d’asile étaient membres des TLET, et même s’ils n’ont pas nécessairement joué un rôle important, particulièrement pour ce qui est de la demandeure d’asile, […]. »

 

 

[39]           La Commission a conclu, sauf en ce qui concerne l’exception précédemment mentionnée, que les parents n’étaient pas dignes de foi. À mon avis, la Commission était amplement justifiée de mettre en doute la crédibilité des demandeurs. Toutefois, après avoir rejeté les témoignages des demandeurs dans leur ensemble, la Commission a ensuite utilisé cette conclusion défavorable pour appuyer sa conclusion selon laquelle les demandeurs étaient membres des TLET. Le fardeau de preuve dans le contexte de l’examen de l’exclusion suivant la section F de l’article premier incombe encore au défendeur. Même si j’ai des réserves quant à savoir à quel point la Commission peut utiliser une conclusion défavorable qu’elle a tirée à l’égard de la crédibilité des demandeurs comme preuve de ce qui est requis pour l’exclusion, je souligne que les inférences que la Commission a tirées de la conclusion défavorable quant à la crédibilité n’appuient pas solidement sa conclusion selon laquelle le rôle des demandeurs auprès des TLET se rapportait à des activités culturelles et musicales peu importantes.

 

[40]           La Commission a conclu que l’organisation des TLET était une organisation poursuivant des fins limitées et brutales. Son analyse mettait l’accent sur les nombreux rapports documentant les crimes internationaux commis par les TLET contre des populations civiles et non combattantes. La Commission a souligné le contrôle qu’exerçaient les TLET dans le nord du Sri Lanka , mentionnant qu’il s’agissait d’un contrôle par un régime militaire autoritaire et par l’application d’un système judiciaire partial. Elle a en outre mentionné l’existence d’un réseau visant la publicité et les activités de propagande des TLET et ayant des bureaux dans au moins 54 pays. Finalement, la Commission a mentionné l’organisation de chef de file des TLET comme étant une structure à deux niveaux : une aile militaire et une aile politique subordonnée. La Commission ne mentionne nulle part une division culturelle et elle n’examine pas le rôle qu’une telle division pourrait avoir dans l’organisation des TLET.

 

[41]           L’appartenance à une organisation poursuivant des fins limitées et brutales n’entraîne pas automatiquement une exclusion en soi. Plutôt, elle crée une présomption réfutable de complicité ou des deux critères quant à la complicité – une participation personnelle et consciente et un partage d’un but commun.

 

[42]           Dans Ramirez, le demandeur exclu était un officier de l’armée salvadorienne qui était au courant du grand nombre d’interrogations subies pendant qu’il était en service actif. Il était un membre participant et conscient de l’armée, dont l’un des buts communs était d’obtenir des renseignements au moyen de la torture. Sa présence et le fait qu’il partageait le but commun de l’armée constituaient de la complicité. Dans Moreno, l’appelant qui a eu gain de cause était également membre de l’armée salvadorienne, mais il avait été forcé de s’enrôler. Il avait à une occasion été témoin de la torture d’un prisonnier pendant qu’il était de garde. Malgré son appartenance, il n’était pas considéré comme complice d’un crime contre l’humanité. Dans Harb, le demandeur exclu était membre du mouvement Amal, et il était un informateur en échange d’argent, mais il n’était pas membre de l’Armée du Liban du Sud. Les actes qu’il posait faisaient en sorte qu’il était complice des actes de l’Armée de libération du Sud avec laquelle il collaborait. Dans Petrov, le demandeur exclu était membre de l’appareil du ministère de l’Intérieur russe et du FSB dont les buts étaient souvent atteints au moyen d’abus en matière de droits de la personne et de violations du droit international, comme la brutalité civile et criminelle, les coups, la torture et la mort. On a conclu qu’il participait consciemment et activement à une organisation qui commettait des abus graves en matière de droits de la personne contre des civils, de façon systématique et répandue.

 

[43]           Dans la présente affaire, la Commission, lorsqu’elle a conclu à une appartenance au volet culturel, n’a pas examiné la question plus à fond et n’a pas examiné la nature de cette appartenance et la façon selon laquelle l’appartenance donnait lieu à une présomption de complicité aux atrocités commises par les TLET. La Commission n’a pas dit de quelle façon cette conclusion d’appartenance appuyait la conclusion selon laquelle les parents avaient une participation personnelle et consciente et partageaient un but commun avec les TLET. En conséquence, la Commission n’a pas fait de lien entre l’appartenance des demandeurs à un volet culturel et le partage du but commun des TLET d’arriver à ses fins par la brutalité et la violence contre la population civile.

 

[44]           À mon avis, il n’y a simplement pas assez d’éléments de preuve permettant d’appuyer une conclusion selon laquelle les parents avaient la participation personnelle et consciente aux crimes contre l’humanité commis par les TLET qui était requise à cet égard. Autrement dit, il n’y a pas suffisamment d’éléments de preuve permettant de satisfaire au critère préliminaire des « raisons sérieuses de penser » que les parents sont coupables des crimes pour lesquels ils devraient être exclus suivant les alinéas a) et c) de la section F de l’article premier de la Convention sur les réfugiés.

 

[45]           Je suis d’avis que le ministre ne s’est pas acquitté de son fardeau de preuve. Je conclus que la décision de la Commission à l’égard des parents est déraisonnable.

 

[46]           La demande de la fille dépend de celle de ses parents. Puisque j’ai conclu que la décision de la Commission à l’égard des parents est entachée d’une erreur, la décision de Commission à l’égard de la fille est également entachée d’une erreur.

 

CONCLUSION

[47]           Les décisions de la Commission à l’égard des parents et de la fille sont annulées. Je renvoie la présente affaire à la Commission afin qu’un tribunal différemment constitué statue à nouveau sur l’affaire.

 

[48]           Les demandeurs soumettent deux questions aux fins de la certification :

                        [traduction]

1.      L’expression « organisation terroriste » utilisée dans l’arrêt Suresh de la Cour suprême du Canada est‑elle assimilable à l’expression « fins limitées et brutales? »

2.      L’organisation des TLET a‑elle des « fins limitées et brutales? »

 

[49]           Compte tenu de ma décision, je ne vois aucune raison de certifier une question de portée générale.


 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE ET DÉCLARE :

1.                  La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée à la Commission afin qu’un tribunal différemment constitué statue à nouveau sur l’affaire.

2.                  Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

 

 

« Leonard S. Mandamin »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Danièle Laberge, LL.L.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER :                                        IMM‑4937‑07

 

 

INTITULÉ :                                       MARY ANTANITA SAVUNDRANAYAGA et al.

                                                            c.

MCI

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 3 JUIN 2008

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE MANDAMIN

 

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 12 JANVIER 2009

 

 

COMPARUTIONS :

 

Raoul Boulakia                                     POUR LES DEMANDEURS

 

 

Kristina Dragaitis                                  POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Raoul Boulakia

Avocats

Toronto (Ontario)                                 POUR LES DEMANDEURS

 

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada       POUR LE DÉFENDEUR

 

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