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Date : 20090113

Dossier : IMM-1999-08

Référence : 2009 CF 15

Ottawa (Ontario), ce 13e jour de janvier 2009

En présence de l’honorable juge Pinard

ENTRE :

ANATOLI BENILOV TRESKIBA,

IRINA TRESKIBA,

 

Partie demanderesse

 

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

Partie défenderesse

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]          Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire, en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), d’une décision de la Section de la protection des réfugiés (la « SPR ») de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, rendue le 4 avril 2008, qui a déterminé que les demandeurs n’étaient pas des réfugiés au sens de la Convention, ni des personnes à protéger.

[2]          Le demandeur, Anatoli Benilov Treskiba, est le fils de la demanderesse, Irina Treskiba, laquelle a lié sa demande à la sienne. Tous les deux sont citoyens d’Israël. Le demandeur dit craindre d’être détenu pour avoir déserté l’armée israélienne.

 

[3]          Selon le demandeur, le tribunal a commis plusieurs erreurs méritant l’intervention de cette Cour. Toutes concernent des conclusions de fait et doivent alors être examinées selon la norme de contrôle de la raisonnabilité.

 

[4]          L’article 96 de la Loi fournit la définition d’un réfugié au sens de la Convention qui guide cette analyse, soit : « la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques ». Les dispositions suivantes du Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (le « Guide du HCNUR ») sont aussi pertinentes :

  171. Cependant, dans certains cas, la nécessité d’accomplir un service militaire peut être la seule raison invoquée à l’appui d’une demande du statut de réfugié, par exemple lorsqu’une personne peut démontrer que l’accomplisse-ment du service militaire requiert sa partici-pation à une action militaire contraire à ses convictions politiques, religieuses ou morales ou à des raisons de conscience valables.

 

  172. N’importe quelle conviction, aussi sincère soit-elle, ne peut justifier une demande de reconnaissance du statut de réfugié après désertion ou après insoumission. Il ne suffit pas qu’une personne soit en désaccord avec son gouvernement quant à la justification politique d’une action militaire particulière. Toutefois, lorsque le type d’action militaire auquel l’individu en question ne veut pas s’associer est condamné par la communauté internationale comme étant contraire aux règles de conduite les plus élémentaires, la peine prévue pour la désertion ou l’insoumission peut, compte tenu de toutes les autres exigences de la définition, être considérée en soi comme une persécution.

 

  171. There are, however, also cases where the necessity to perform military service may be the sole ground for a claim to refugee status, i.e. when a person can show that the performance of military service would have required his participation in military action contrary to his genuine political, religious or moral convictions, or to valid reasons of conscience.

 

  172. Not every conviction, genuine though it may be, will constitute a sufficient reason for claiming refugee status after desertion or draft-evasion. It is not enough for a person to be in disagreement with his government regarding the political justification for a particular military action. Where, however, the type of military action, with which an individual does not wish to be associated, is condemned by the international community as contrary to basic rules of human conduct, punishment for desertion or draft-evasion could, in the light of all other requirements of the definition, in itself be regarded as persecution.

 

 

[5]          Comme la Cour suprême du Canada l’a bien indiqué dans l’arrêt Chan c. Canada (M.E.I.), [1995] 3 R.C.S. 593, au paragraphe 46, le Guide du HCNUR « doit être considéré comme un ouvrage très pertinent dans l'examen des pratiques relatives à l'admission des réfugiés ». Par conséquent, « [i]l va de soi que les observations qui précèdent valent non seulement pour la Commission mais également pour les cours chargées d'examiner le bien-fondé des décisions de celle-ci ».

 

[6]          Ainsi, le demandeur est appelé à prouver non seulement qu’il possède une conviction morale ou politique authentique; il doit aussi avancer des preuves objectives que l’action militaire en question enfreint des standards internationaux pour soutenir sa demande d’asile. En l’espèce, le tribunal n’a exprimé aucun doute quant à l’authenticité des convictions du demandeur. En outre, le tribunal a trouvé que la preuve démontrait la commission de « violations importantes des droits de l’homme » de la part de l’armée israélienne à Gaza. Les aspects subjectif et objectif de l’analyse ont alors été satisfaits.

 

[7]          C’est pourquoi le demandeur affirme que le tribunal a erré en trouvant qu’il n’a pas démontré qu’il aurait été contraint de prendre part à ces violations, en vue du fait qu’on avait déjà conclu qu’il existait de la preuve indiquant que l’armée israélienne commet des violations importantes à Gaza. Cet argument est erroné. En effet, je souscris à ce qu’écrit la juge Anne Mactavish dans Hinzman c. Canada (M.C.I.), [2007] 1 R.C.F. 561, aux paragraphes 169 et 170 :

[169]     Il est généralement accepté que les violations isolées du droit humanitaire international constituent un aspect regrettable mais inévitable des conflits : voir Krotov, au paragraphe 40. Voir également Popov c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] A.C.F. no 489 (1re inst.) (QL).

 

[170]     Comme la Cour d'appel britannique l'a noté dans Krotov, au paragraphe 51, l'asile ne devrait être accordé qu'aux déserteurs ayant participé à des conflits armés dans lesquels l'ampleur et la nature du conflit, et l'attitude du gouvernement en cause, sont tels que les combattants sont tenus, ou peuvent être tenus, de violer, sur une base suffisamment généralisée, les règles de conduite les plus élémentaires (voir également Popov).

 

 

 

[8]          De plus, en l’espèce, le tribunal n’a pas été satisfait que le demandeur avait démontré qu’il serait « contraint » de participer aux actes condamnés. Pour arriver à cette conclusion, le tribunal déclare :

     Selon Europa World Year Book 2006 (page 2324), qu’on retrouve à l’onglet 1.2 du cartable [Cartable national de documentation sur Israël, 28 juin 2007, The Europa World Year Book 2006. 10 juin 2006. « Israël », p. 2308-2348. Londres : Routledge], il y avait en août 2005 168 000 militaires en exercice et 408 000 réservistes qui pouvaient rapidement être mobilisés, ce qui fait plus d’un demi-million de militaires. Sans vouloir minimiser les violations commises à Gaza, on peut affirmer qu’un très faible pourcentage du demi-million de militaires ont tiré sur des civils. [. . .]

 

 

 

[9]          Le demandeur conteste ce calcul, parce qu’il constitue la totalité des réservistes en Israël et non pas la proportion de ceux servant à Gaza. Le tribunal a ajouté un second motif :

. . . Il faut noter cependant que la plupart des morts sont dus à des bombardements. De plus, le demandeur avait servi auparavant comme chauffeur-mécanicien. Il n’avait aucun entraînement dans l’artillerie et il n’est pas plausible qu’on l’incorpore dans une unité qui effectue des bombardements. [. . .]

 

 

 

[10]      Le demandeur affirme que ce motif est également problématique, car la preuve démontre qu’il a reçu de l’entraînement avec des cibles. D’ailleurs, avant sa désertion, on lui a dit qu’il serait transféré dans des unités « actives ».

 

[11]      Après révision de la preuve, je suis toutefois d’avis que le tribunal a eu raison de conclure que le demandeur n’avait pas démontré qu’il allait être persécuté s’il était obligé de rentrer en Israël.

 

[12]      Le demandeur allègue en outre qu’il a subi des insultes et des agressions en prison. Toutefois, je ne trouve aucune indication dans la preuve que celles-ci constituent de la persécution. De plus, l’arrêt Ates c. ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2005 CAF 322, 343 N.R. 234, énonce bien ce qui suit : le fait d'intenter des poursuites et d'incarcérer l'objecteur de conscience qui refuse d'effectuer son service militaire, dans un pays où le service militaire est obligatoire, ne constitue pas de la persécution fondée sur un motif visé par la Convention sur les réfugiés (voir également Ielovski c. ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2008 CF 739, [2008] A.C.F. n931 (1re inst.) (QL), au paragraphe 12; Hinzman, ci-dessus, au paragraphe 224 et Lebedev c. Canada (M.C.I.), [2008] 2 R.C.F. 585, au paragraphe 50).

 

[13]      Contrairement à Tewelde c. ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2007 CF 1103, [2007] A.C.F. no 1426 (1re inst.) (QL), où la juge Johanne Gauthier a rejeté le raisonnement de la SPR, le tribunal dans le cas actuel a mené, à mon avis, une analyse raisonnée qui a tenu compte de tous les éléments importants de la preuve.

[14]      Finalement, en ce qui concerne la demanderesse, le tribunal a exprimé ce qui suit :

     La demanderesse est venue en Israël en même temps que son fils. Elle s’était divorcée et son ex-mari était retourné en Russie. Elle a appuyé la décision de son fils d’aller au Canada. Après son départ, des militaires sont venus chez elle et ont fouillé la maison. Les voisins étaient très mécontents que son fils eut quitté l’armée. Les militaires sont venus deux autres fois à la maison et elle a décidé, elle aussi, de venir demander l’asile au Canada. Elle justifie sa demande par les conséquences qu’a eues sur elle la désertion de son fils et par les problèmes engendrés par sa pratique de la foi chrétienne.

 

[. . .]

 

     Le témoignage de la demanderesse n’a rien ajouté à ses allégations. Elle a admis qu’il était normal que l’on recherche un déserteur, d’autant plus que certaines de ses affaires personnelles étaient restées à la maison. Quant à la religion, la demanderesse n’a rien dit de sérieux qui justifierait une crainte de retour.

 

 

 

[15]      Dans le contexte d’une demande d’asile étroitement liée à celle du demandeur, les observations du tribunal m’apparaissent tout à fait raisonnables. Le fait que le tribunal ne fasse pas mention spécifiquement des menaces d’emprisonnement que la demanderesse allègue avoir reçues ne constitue pas, dans les circonstances, une erreur déterminante.

 

[16]      Pour toutes ces raisons, l’intervention de cette Cour n’est pas justifiée et la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

 

 

 

 

JUGEMENT

 

            La demande de contrôle judiciaire de la décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié rendue le 4 avril 2008 est rejetée.

 

 

« Yvon Pinard »

Juge

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-1999-08

 

INTITULÉ :                                       ANATOLI BENILOV TRESKIBA, IRINA TRESKIBA c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 9 décembre 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge Pinard

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 13 janvier 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Luciano Mascaro                           POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

 

Me Isabelle Brochu                              POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Luciano Mascaro                                 POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Montréal (Québec)

 

John H. Sims, c.r.                                   POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

Sous-procureur général du Canada

 

 

 

 

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