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Date : 20090115

Dossier : DES‑7‑08

Référence : 2009 CF 34

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION et

 LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

ET DE LA PROTECTION CIVILE

demandeurs

et

 

MOHAMED ZEKI MAHJOUB

défendeur

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

LA JUGE MACTAVISH

 

[1]                Mohamed Zeki Mahjoub fait depuis de nombreuses années l’objet de certificats de sécurité, dont le plus récent a été signé par le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration et par le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile. Après avoir passé plusieurs années en détention, M. Mahjoub a été mis en liberté en avril 2007 à certaines conditions très strictes.

 

[2]               La question du caractère raisonnable du certificat de sécurité le plus récent fait l’objet d’une instance présentement en cours devant la Cour fédérale. La juge Layden‑Stevenson est par ailleurs saisie d’une demande de modification des conditions de la mise en liberté de M. Mahjoub.

 

[3]               Dans l’intervalle, M. Mahjoub a présenté une requête en vue d’obtenir [traduction] « des éclaircissements sur les paramètres des conditions imposées par la Cour ». Le juge en chef a ordonné que cette requête soit inscrite au rôle pour être instruite en même temps qu’une requête semblable présentée par Mahmoud Jaballah, un autre individu qui fait l’objet d’un certificat de sécurité. Des motifs distincts sont publiés en même temps que la présente décision à l’égard de la requête de M. Jaballah.

 

[4]               MM. Mahjoub et Jaballah affirment tous les deux qu’en tentant de vérifier s’ils s’étaient conformés aux conditions de leur mise en liberté, l’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC) leur a en fait imposé de nouvelles conditions sans avoir obtenu l’autorisation d’un tribunal judiciaire. Ils ajoutent que la façon dont l’ASFC vérifie s’ils se sont conformés aux conditions de leur mise en liberté porte atteinte aux articles 7 et 8 de la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, qui constitue l’Annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.‑U.), 1982, ch. 11.

 

[5]               Il y a lieu de signaler que la présente requête a été instruite sur le fondement à la fois d’affidavits et de témoignages donnés de vive voix. Avec le consentement des parties, des transcriptions provenant d’autres instances ont également été déposées devant la Cour, ainsi que toutes les autres décisions publiques antérieures relatives à M. Mahjoub. L’instruction de la présente requête s’est déroulée au complet en séance publique, sur la base d’un dossier public. Ainsi que les parties l’ont convenu, la Cour n’a pas tenu compte des éléments de preuve qui avaient été reçus à huis clos dans d’autres instances.

 

 

I.          Contexte

[6]               Bien que l’historique des procédures relatives à M. Mahjoub soit long, il suffira, pour les besoins de la présente requête, de ne rappeler que quelques faits essentiels.

 

[7]               Le 26 juin 2000, M. Mahjoub a été détenu à la suite de la signature, en vertu de l’alinéa 40.1(3)a) de l’ancienne Loi sur l’immigration, d’un certificat de sécurité par le solliciteur général du Canada et le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration de l’époque. À l’issue de l’audience qui s’est déroulée devant le juge Nadon, le certificat a été jugé raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Mahjoub, 2001 CFPI 1095).

 

[8]               Le 15 février 2007, le juge Mosley a ordonné que M. Mahjoub soit mis en liberté à certaines conditions (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Mahjoub, 2007 CF 171). Le juge Mosley a depuis apporté des modifications mineures à ces conditions dans le cadre d’une instance ultérieure. Les conditions auxquelles M. Mahjoub est présentement soumis sont jointes en annexe aux présents motifs.

 

[9]               Dans l’arrêt Charkaoui c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CSC 9 (Charkaoui no 1), la Cour suprême du Canada a jugé que la procédure de confirmation judiciaire des certificats établie par la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, était incompatible avec la Charte et qu’elle était, de ce fait, inopérante. L’effet de la déclaration de la Cour a été suspendu pour un an à compter de la date du jugement, pour permettre au gouvernement d’effectuer les modifications nécessaires à la Loi.

 

[10]           Le 22 février 2008, un nouveau certificat de sécurité a été délivré à l’égard de M. Mahjoub. Ainsi qu’il a déjà été mentionné, la question du caractère raisonnable de ce second certificat fait l’objet d’une instance devant notre Cour et la juge Layden‑Stevenson est présentement saisie d’une demande de modification des conditions de la mise en liberté de M. Mahjoub.

 

[11]           Le 8 août 2008, M. Mahjoub a présenté la requête qui fait l’objet de la présente décision. Dans l’ordonnance du 14 octobre 2008 aux termes de laquelle il a fixé la date d’instruction de la présente affaire, le juge en chef a dit qu’il craignait que la présente requête ne fasse double emploi avec d’autres déjà en instance devant la Cour et que le juge qui statuerait sur la présente requête ne devait pas empiéter sur les questions sur lesquelles d’autres juges étaient appelés à se prononcer.

 

 

II.        Questions en litige dans la présente requête

[12]           M. Mahjoub adresse trois reproches distincts à l’ASFC :

1.         L’ouverture du courrier adressé à M. Mahjoub et aux membres de sa famille, la prise et la conservation de photocopies de ce courrier, et l’utilisation que l’ASFC fait de ces photocopies;

 

2.         La prise de photographies de M. Mahjoub, des membres de sa famille et de personnes venant en contact avec M. Mahjoub et sa famille, et de photographies de l’intérieur de la maison de M. Mahjoub. M. Mahjoub conteste par ailleurs l’utilisation que l’ASFC fait de ces photographies;

 

3.         La surveillance visuelle constante, importune et ostensible dont M. Mahjoub fait l’objet chaque fois qu’il sort de chez lui.

 

 

[13]           Nous examinerons à tour de rôle chacune de ces questions.

 

III.       Questions relatives au courrier

[14]           Parmi les conditions auxquelles le juge Mosley a assorti la mise en liberté de M. Mahjoub dans son ordonnance du 15 février 2007, on trouve notamment la suivante :

13.          Avant la mise en liberté de M. Mahjoub, celui‑ci et toutes les personnes habitant dans la résidence devront consentir par écrit à l’interception, par ou pour le compte de l’ASFC, des communications écrites à destination ou en provenance de la résidence qui sont transmises par la poste, par messagerie ou par un autre moyen. Avant d’occuper la résidence, tout nouvel occupant devra également accepter de donner un tel consentement. La formule de consentement sera préparée par les avocats des ministres

 

Cette condition n’a pas été modifiée et est toujours en vigueur.

 

[15]           Le 31 mars 2007, M. Mahjoub a signé le document suivant par lequel il consentait à l’interception de son courrier :

[traduction] Je, soussigné, MOHAMED ZEKI MAHJOUB, autorise par la présente l’Agence des services frontaliers du Canada ainsi que toute personne agissant pour son compte à intercepter tout courrier se trouvant en la possession de la Société canadienne des postes à destination ou en provenance de ma résidence et à obtenir toute communication écrite se trouvant en la possession d’un service commercial ou privé de messagerie à destination ou en provenance de ma résidence.

 

Les membres adultes de la famille de M. Mahjoub ont également signé des consentements semblables.

 

a)         Ouverture de tout le courrier

[16]           M. Mahjoub s’oppose au fait que l’ASFC ouvre tout le courrier qui lui est adressé ou qui est adressé aux membres de sa famille. Tout en reconnaissant que l’ordonnance du juge Mosley permet l’interception du courrier, l’avocate de M. Mahjoub soutient que la condition imposée par la Cour devrait être assujettie à une « norme de raisonnabilité ».

 

[17]           Plus précisément, la correspondance provenant de source gouvernementale, de même que les communications comme les relevés bancaires et les relevés de cartes de crédit, ne devraient pas être ouvertes puisque, suivant Me Jackman, ces documents ne sauraient d’aucune manière susciter quelque soupçon que ce soit de la part de l’ASFC.

 

[18]           Me Jackman a confirmé qu’il n’y a aucun différend en l’espèce au sujet de l’interception des communications échangées entre avocat et client. Il semble que M. Mahjoub ne communique habituellement pas avec son avocat par écrit et que l’ASFC n’a pas ouvert les deux lettres qu’il a récemment reçues de ses avocats.

 

[19]           Dans sa réplique, Me Jackman a effectivement reconnu que l’interception du courrier adressé à M. Mahjoub et à sa famille était expressément autorisée par le juge Mosley et que M. Mahjoub et les membres adultes de sa famille y avaient consenti. L’ordonnance du juge Mosley ne prévoit aucune restriction quant au type de courrier qui devrait ou non être ouvert. Imposer maintenant des limites à la capacité de l’ASFC d’ouvrir certains types de communications écrites aurait pour effet, dans le contexte de la présente requête, de modifier une des conditions de la mise en liberté imposées à M. Mahjoub par le juge Mosley. Il n’appartient pas à la Cour de prendre une telle mesure dans le cadre de la présente requête, et je refuse donc de le faire.

 

[20]           Si M. Mahjoub a des réserves quant au type de courrier que l’ASFC ouvre, il lui est loisible de soulever la question dans le cadre du contrôle des conditions de sa mise en liberté qui se déroule présentement devant la juge Layden‑Stevenson. D’ailleurs, suivant la transcription des éléments de preuve présentés à la juge Layden‑Stevenson qui a été déposée dans le cadre de la présente instance, il semble que c’est précisément ce que fait M. Mahjoub.

 

 

b) Photocopies du courrier et usage que l’ASFC en fait

[21]           Lorsque la présente requête a été introduite, M. Mahjoub reprochait à l’ASFC de tirer et de conserver des photocopies de tout le courrier adressé à la famille tout en transmettant les originaux à leur destinataire. Suivant M. Mahjoub, l’ordonnance du juge Mosley n’autorisait pas la prise et la conservation de photocopies du courrier intercepté. Il affirme en conséquence que la conduite de l’ASFC, s’agissant d’une fouille, perquisition et saisie abusives, contrevient à l’article 8 de la Charte.

 

[22]           Après la première série de journées d’instruction de la présente requête, M. Mahjoub et son avocate ont pris connaissance d’éléments de preuve présentés dans le cadre de l’instance introduite devant la juge Layden‑Stevenson qui ont eu pour effet d’aggraver considérablement les préoccupations de M. Mahjoub au sujet de la façon dont l’ASFC traite le courrier de la famille.

 

[23]           Lors de la reprise de l’instruction de la présente requête, la transcription de la déposition des deux témoins de l’ASFC qui avaient témoigné devant la juge Layden‑Stevenson a été déposée devant la Cour, avec le consentement des parties. Les témoins en question étaient Philip Whitehorne et Mohammed Al‑Shalchi.

 

[24]           M. Whitehorne a évidemment témoigné à huis clos devant la juge Layden‑Stevenson. Une version expurgée de son témoignage a par la suite été communiquée à l’avocate de M. Mahjoub, et c’est cette version expurgée qui a été soumise à la Cour dans le cadre de la présente requête.

 

[25]           M. Whitehorne est le chef des opérations pour la région du Nord de l’Ontario de l’ASFC. Il est chargé de la gestion du programme d’exécution de la loi en matière d’immigration, par le biais duquel est surveillé Mohamed Harkat, un individu de la région du Nord de l’Ontario qui fait lui aussi l’objet d’un certificat de sécurité.

 

[26]           M. Al‑Shalchi est superviseur de l’exécution de la loi au Centre d’exécution de la Loi du Toronto métropolitain de l’ASFC. Il est chargé de la surveillance et de la mise en œuvre des conditions prévues dans les ordonnances judiciaires qui régissent M. Mahjoub et M. Jaballah. M. Al‑Shalchi a également souscrit un affidavit pour le compte de l’ASFC dans la présente instance et il a été contre‑interrogé assez longuement devant notre Cour.

 

[27]           M. Whitehorne a expliqué qu’une procédure de traitement du courrier intercepté par l’ASFC est prévue dans un Guide national. Ce guide n’a été produit ni par M. Mahjoub ni par M. Jaballah et il n’a pas été soumis à la Cour, car l’ASFC s’est opposée à sa production en invoquant des motifs de sécurité nationale.

 

[28]           Dans le cas de M. Harkat, M. Whitehorne a expliqué que dès que l’ASFC le reçoit, le courrier intercepté est examiné au bureau régional pour vérifier l’existence de risques ou pour savoir si l’intéressé a manqué aux conditions de sa mise en liberté. Tout le courrier est photocopié et des copies du courrier sont ensuite transmises à l’unité d’anti‑terrorisme de la Direction générale de la sécurité nationale à l’Administration centrale de l’ASFC.

 

[29]           Suivant M. Whitehorne, l’unité d’anti‑terrorisme est chargée de vérifier, d’un point de vue stratégique, tout renseignement permettant de croire que l’un quelconque des individus détenus en vertu d’un certificat de sécurité pourrait présenter un risque. Il a expliqué que l’unité d’anti‑terrorisme possède une expertise plus poussée que le bureau régional en matière d’évaluation des renseignements de sécurité stratégiques.

 

[30]           M. Whitehorne a ajouté qu’il croyait comprendre que l’unité d’anti‑terrorisme de l’ASFC analyserait ensuite le courrier photocopié pour vérifier si l’on pouvait y déceler des constantes ou encore pour déterminer s’il révélait l’existence d’un risque pour le public ou pour les agents chargés de la surveillance.

 

[31]           M. Whitehorne a également déclaré que c’est le bureau régional de l’ASFC qui est chargé de surveiller M. Harkat, alors que l’un des principaux objectifs de l’unité d’anti‑terrorisme est de recueillir des renseignements au sujet de la personne visée et de ses contacts.

 

[32]           Dans l’ensemble, le témoignage de M. Al‑Shalchi va dans le même sens que celui de M. Whitehorne. Il a expliqué que, dans le cas de MM. Mahjoub et Jaballah, les procédures normales d’exploitation que doivent suivre les bureaux locaux de l’ASFC prévoient que l’inspection du courrier doit être effectuée par des fonctionnaires du Centre d’exécution de la Loi de Toronto. Les originaux sont transmis à leur destinataire, et la réception et la livraison du courrier sont consignées dans le système de compte rendu des activités de surveillance de l’ASFC. On fait également deux séries de photocopies du courrier au Centre d’exécution de la Loi de Toronto.

 

[33]           En prenant des photocopies du courrier, le Centre d’exécution de la Loi de Toronto est en mesure de faire parvenir le courrier à ses destinataires plus rapidement qu’il ne serait autrement possible. Le fait de conserver des copies du courrier au Centre d’exécution de la Loi de Toronto facilite par ailleurs le repérage du courrier si de la correspondance est perdue ou ne parvient pas à son destinataire.

 

[34]           Suivant M. Al‑Shalchi, les agents qui sont chargés d’appliquer la loi à l’intérieur du pays et qui travaillent au Centre d’exécution de la Loi de Toronto procèdent à une analyse « superficielle » du courrier. Comme les agents du Centre d’exécution de la Loi de Toronto ne possèdent pas d’expertise en matière d’analyse du renseignement, une série de photocopies est transmise pour analyse au directeur de l’unité d’anti‑terrorisme à Ottawa, et une autre série de copies est conservée au Centre d’exécution de la Loi de Toronto.

 

[35]           L’aspect sur lequel M. Al‑Shalchi et M. Whitehorne divergent d’opinion dans leur témoignage concerne l’objectif visé par l’analyse du courrier effectuée par l’unité d’anti‑terrorisme à Ottawa. M. Whitehorne s’est dit d’avis qu’un des objectifs visés par l’analyse que l’unité d’anti‑terrorisme effectue du courrier des individus faisant l’objet d’un certificat de sécurité est de recueillir des renseignements au sujet de la personne visée et de ses contacts.

 

[36]           En revanche, M. Al‑Shalchi croit comprendre que le mandat de l’unité d’anti‑terrorisme consiste simplement à s’assurer que l’intéressé a respecté les conditions de sa mise en liberté, notamment en ce qui concerne le risque de communications non autorisées.

 

[37]           À cette fin, M. Al‑Shalchi explique que les analystes de l’unité d’anti‑terrorisme examinent le courrier à la recherche d’indices et de constantes qu’un examen plus superficiel des documents ne saurait révéler aussi facilement. En outre, les analystes de l’unité d’anti‑terrorisme connaissent bien les codes, ce qui n’est pas le cas des fonctionnaires locaux du Centre d’exécution de la Loi de Toronto. En conservant des photocopies du courrier, les analystes de l’unité d’anti‑terrorisme sont en mesure de consulter la correspondance plus ancienne et de la réexaminer, advenant le cas où un message codé est détecté dans une communication écrite ultérieure.

 

c) Thèse des parties en ce qui concerne le courrier

 

[38]           MM. Mahjoub et Jaballah admettent qu’ils ne peuvent invoquer les droits garantis à l’article 8 de la Charte pour le compte de membres de leur famille qui sont touchés par l’interception de leur courrier par l’ASFC. Il s’ensuit que l’unique question que la Cour doit trancher est celle de savoir si le fait de prendre des copies du courrier personnel de MM. Mahjoub et Jaballah et de transmettre des copies de ce courrier à l’unité d’anti‑terrorisme de l’ASFC à Ottawa porte atteinte aux droits que leur garantit l’article 8 de la Charte.

 

[39]           En ce qui concerne la photocopie de leur propre courrier, MM. Mahjoub et Jaballah reconnaissent que l’« interception », au sens où l’entend le Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C‑46, englobe le fait de copier les documents interceptés. Ils reconnaissent d’ailleurs la légitimité d’une copie d’une partie de leur courrier lorsqu’il existe « des motifs probables et raisonnables de croire » ou, à titre subsidiaire, « un doute raisonnable » qu’une communication non autorisée a pu se produire, en violation des conditions de leur mise en liberté.

 

[40]           Ceci étant dit, MM. Mahjoub et Jaballah affirment que, rien dans le consentement qu’ils ont donné en conformité avec l’ordonnance prononcée par le juge Mosley, dans le cas de M. Mahjoub, et par la juge Layden‑Stevenson, dans le cas de M. Jaballah, ne prévoit la possibilité de photocopier tout leur courrier et la conservation de ces photocopies par l’ASFC. Dans ces conditions, et à défaut de raison valable permettant de croire qu’ils ont manqué à l’une des conditions d’une ordonnance judiciaire, ils affirment que le fait de faire des photocopies de leur courrier et de les conserver constitue une saisie non autorisée qui contrevient à l’article 8 de la Charte.

 

[41]           MM. Mahjoub et Jaballah font par ailleurs valoir que le consentement qu’ils ont signé ne visait qu’une seule et unique fin, en l’occurrence permettre à l’ASFC de vérifier s’ils se conforment aux conditions de leur mise en liberté. Ni l’un ni l’autre n’a jamais consenti à ce que l’ASFC examine son courrier pour recueillir des renseignements.

 

[42]           MM. Mahjoub et Jaballah rappellent que l’organisme gouvernemental chargé par la loi de recueillir des renseignements est le Service canadien du renseignement de sécurité (le SCRS) et non l’ASFC. Si le gouvernement canadien souhaite être en mesure de recueillir d’autres renseignements au sujet de M. Mahjoub ou de M. Jaballah, il est loisible au SCRS de s’adresser aux tribunaux pour être autorisé à le faire selon la procédure prévue aux articles 12 et 21 de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, L.R.C. 1985, ch. C‑23.

 

[43]           Me McIntosh affirme, pour le compte de l’ASFC, qu’on ne réclame pas des « éclaircissements » au sujet des paramètres des conditions imposées par la Cour à MM. Mahjoub et Jaballah. Selon Me McIntosh, MM. Mahjoub et Jaballah cherchent plutôt à faire modifier ces conditions, pour que l’ASFC ne puisse photocopier le courrier que dans certains cas précis, c’est‑à‑dire lorsqu’il a été satisfait à un critère minimal de doute.

 

[44]           Tout en reconnaissant que les conditions dont est assortie la mise en liberté de MM. Mahjoub et Jaballah n’autorisent pas expressément l’ASFC à photocopier le courrier, Me McIntosh soutient que ce pouvoir découle implicitement de l’ensemble des circonstances de l’espèce.

 

[45]           Les ordonnances de la Cour permettent effectivement à l’ASFC d’examiner le courrier pour s’assurer qu’aucun des deux individus qu’elles visent n’a procédé à une communication non autorisée. Vu le témoignage non contredit de M. Al‑Shalchi suivant lequel le Centre d’exécution de la Loi de Toronto ne possède pas l’expertise nécessaire pour procéder à une analyse approfondie du courrier intercepté, il est parfaitement raisonnable, fait valoir Me McIntosh, que des copies du courrier soient envoyées au service compétent de l’ASFC.

 

[46]           Cette façon de procéder pourrait d’ailleurs s’avérer avantageuse pour MM. Mahjoub et Jaballah, explique Me McIntosh, car elle limite les risques que l’on « prenne une décision à la hâte » en concluant à un manquement aux conditions sans disposer d’une expertise suffisante pour procéder à une évaluation appropriée.

 

[47]           Me McIntosh affirme en outre que, comme l’interception du courrier de M. Mahjoub et de M. Mahjoub était expressément autorisée aux termes d’une ordonnance judiciaire, aucun de ces deux hommes ne pouvait avoir une attente raisonnable en ce qui concerne le respect de sa vie privée relativement à ce courrier. À défaut d’attente raisonnable en matière de vie privée, il ne peut y avoir de violation de l’article 8 de la Charte.

 

[48]           Me McIntosh affirme également qu’il n’est pas toujours possible d’établir une distinction nette entre, d’une part, le contrôle de la conformité de MM. Mahjoub et Jaballah aux conditions de leur mise en liberté et, d’autre part, la cueillette de renseignements. À son avis, les deux activités sont légitimes car elles se rapportent toutes les deux à la question de savoir si M. Mahjoub et M. Jaballah sont interdits de territoire au Canada.

 

[49]           Me McIntosh affirme en outre que l’ASFC est habilitée à recueillir des renseignements dans le cadre de la mission qui lui est confiée au sujet des personnes désignées dans les certificats de sécurité. Au soutien de cette proposition, il cite le paragraphe 113 de la décision de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Charkaoui no 1.

 

[50]           En effet, dans l’arrêt Charkaoui no 1, la Cour suprême a analysé les facteurs dont la Cour fédérale doit tenir compte lorsqu’elle procède au contrôle de la légalité d’une détention. La Cour a expliqué que la durée de la période de détention constitue un facteur pertinent, en faisant observer ce qui suit :

Une longue période de détention suppose également que le gouvernement a eu le temps de rassembler les éléments de preuve établissant la nature du danger que pose le détenu. Si le fardeau de la preuve qui incombe au gouvernement peut être assez peu exigeant lors du contrôle initial de la détention [...], il doit être plus lourd lorsque le gouvernement a eu plus de temps pour faire enquête et documenter le danger. [Non souligné dans l’original.]

 

 

[51]           Suivant Me McIntosh, par ces propos, la Cour suprême du Canada a invité « le gouvernement », y compris l’ASFC, à se livrer à de la cueillette de renseignements en ce qui concerne les questions ayant trait à la sécurité nationale.

 

 

ANALYSE

            i)          L’ASFC a‑t‑elle le droit de photocopier le courrier?

[52]           L’article 8 de la Charte dispose : « Chacun a droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives ». Bien que je sois convaincue que la prise et la conservation de photocopies du courrier de MM. Mahjoub et Jaballah équivaut à une « saisie » au sens de l’article 8 de la Charte, j’estime, compte tenu de l’ensemble des circonstances, que cette saisie n’est pas « abusive ».

 

[53]           En tout premier lieu, ainsi que la Cour suprême du Canada l’a fait observer dans l’arrêt Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145, bien que l’article 8 de la Charte protège le droit à la vie privée, la garantie contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives prévue à l’article 8 ne protège que les attentes raisonnables en matière de respect de la vie privée.

 

[54]           MM. Mahjoub et Jaballah reconnaissent tous les deux avoir consenti à l’interception de leur courrier en vue de permettre à l’ASFC de vérifier s’ils se conforment aux conditions de leur mise en liberté. Ces conditions ont été imposées par la Cour pour s’assurer de neutraliser la menace à la sécurité nationale qu’ils pourraient tous les deux constituer.

 

[55]           En réalité, ni M. Mahjoub ni M. Jaballah ne pouvaient, s’agissant de leur courrier personnel, avoir d’attente raisonnable en matière de respect de la vie privée, puisque l’ASFC se sert précisément des renseignements contenus dans ce courrier pour évaluer la menace que représentent MM. Mahjoub et Jaballah et pour vérifier s’ils se sont conformés aux conditions de leur mise en liberté.

 

[56]           Deuxièmement, on pourrait soutenir que la prise de photocopies est implicitement autorisée par le libellé des ordonnances du juge Mosley et de la juge Layden‑Stevenson, qui ont tous les deux autorisé l’« interception » du courrier de MM. Mahjoub et Jaballah sur réception de leur consentement écrit. D’ailleurs, Me Weaver a admis, lors des débats, que les ordonnances de la Cour permettaient effectivement de photocopier certains documents.

 

[57]           Les dispositions du Code criminel relatives aux atteintes à la vie privée précisent d’ailleurs que l’interception des communications s’entend notamment du fait d’enregistrer ou de copier une communication. À titre d’exemple, s’agissant de l’interception de communications privées au moyen d’un dispositif électromagnétique, acoustique, mécanique ou autre, l’article 183 du Code précise qu’« intercepter » « s’entend notamment du fait d’écouter, d’enregistrer ou de prendre volontairement connaissance d’une communication ou de sa substance, son sens ou son objet » [non souligné dans l’original].

 

[58]           De même, en ce qui concerne les dispositions du Code portant sur l’utilisation non autorisée d’ordinateurs, l’article 342.1 définit comme suit le terme « intercepter » : « [le] fait d’écouter ou d’enregistrer une fonction d’un ordinateur ou de prendre connaissance de sa substance, de son sens ou de son objet » [non souligné dans l’original].

 

[59]           Enfin, et en tout état de cause, il existe plusieurs raisons pour lesquelles le fait de photocopier du courrier et d’en conserver des copies constitue une mesure tout à fait raisonnable compte tenu de l’ensemble des circonstances. Tout d’abord, cela permet d’acheminer le courriel en temps utile aux familles Mahjoub et Jaballah, ce qui revêt une importance particulière, si l’on considère que les familles Mahjoub et Jaballah se plaignent du fait que le temps qui s’écoule avant que des factures ne parviennent entre leurs mains nuit à leur cote de crédit.

 

[60]           Qui plus est, les ordonnances de la Cour autorisent « l’ASFC » à intercepter le courrier de MM. Mahjoub et Jaballah. Le pouvoir d’interception conféré par les ordonnances ne se limite pas au Centre d’exécution de la Loi de Toronto. Compte tenu du présumé manque d’expertise en la matière du Centre d’exécution de la Loi de Toronto, il est raisonnable que celui‑ci transmette des photocopies du courrier aux personnes compétentes de l’ASFC qui possèdent l’expertise voulue pour analyser le courrier en vue de s’assurer qu’aucun manquement n’a été commis aux conditions régissant la mise en liberté de M. Mahjoub et de M. Jaballah.

 

[61]           Le fait de conserver des copies du courrier permet également de retracer les lettres que MM. Mahjoub et Jaballah ou les membres de leur famille peuvent ne pas avoir reçues, comme cela s’est produit avec les cartes d’admissibilité au programme de médicaments gratuits, qui ont de toute évidence été égarées. Conserver des copies du courrier permet également à l’ASFC de réexaminer le courrier advenant le cas où l’on décèlerait par la suite un code ou une constante quelconque.

 

[62]           En dernier lieu, la destruction des copies du courrier gardé par l’ASFC risquerait de susciter des préoccupations en ce qui concerne le respect des exigences du gouvernement du Canada en matière de conservation des documents. La destruction de copies du courrier risquerait aussi de susciter des inquiétudes au sujet de l’équité dans les instances subséquentes mettant en cause M. Mahjoub ou M. Jaballah (Charkaoui c. Canada (Citoyenneté et Immigration), [2008] A.C.S. no 39 (Charkaoui no 2).

 

ii)        Qu’est‑ce que l’ASFC a le droit de faire avec les photocopies du courrier?

[63]           Comme je suis convaincue que le fait de photocopier le courrier de MM. Mahjoub et Jaballah et de conserver les photocopies en question ne porte pas atteinte à l’article 8 de la Charte, la question suivante qui se pose est celle de savoir s’il y a des restrictions à l’utilisation que l’ASFC peut faire des copies du courrier.

 

[64]           À cet égard, je suis d’accord avec MM. Mahjoub et Jaballah pour dire que le consentement qu’ils ont donné à l’ASFC relativement à l’interception de leur courrier avait une portée limitée, et que ce consentement n’avait pas pour effet de donner carte blanche à l’ASFC pour qu’elle utilise leur courrier à n’importe quelle fin.

 

[65]           Pour arriver à cette conclusion, je commencerais par signaler que, contrairement à la thèse que défend l’ASFC dans la présente affaire, il ressort du paragraphe 113 de l’arrêt Charkaoui no 1 que cette partie de l’arrêt de la Cour suprême du Canada ne vise pas à conférer au gouvernement du Canada le pouvoir de se livrer à de la cueillette de renseignements dans le contexte d’une instance relative à la sécurité nationale, dans laquelle un tel pouvoir pourrait autrement ne pas exister.

 

[66]           Bien que les ordonnances des juges Mosley et Layden‑Stevenson autorisent de toute évidence l’ASFC à intercepter le courrier de MM. Mahjoub et Jaballah, les ordonnances précisent par ailleurs clairement que cette interception ne peut avoir lieu qu’une fois que MM. Mahjoub et Jaballah y ont consenti.

 

[67]           Je relève aussi que les conditions imposées par les juges Mosley et Layden‑Stevenson, notamment celle relative à l’interception du courrier, ont été imposées dans le cadre du contrôle de la légalité de la détention et qu’elles se voulaient un moyen de neutraliser la menace suscitée par la mise en liberté de M. Mahjoub et de M. Mahjoub.

 

[68]           À cette fin, les conditions imposées par la Cour, y compris notamment celles autorisant l’interception du courrier, la surveillance des appels téléphoniques et le droit d’inspecter le domicile de MM. Mahjoub et Jaballah visaient toutes manifestement à donner à l’ASFC la capacité de vérifier si MM. Mahjoub et Jaballah se conformaient aux conditions de leur mise en liberté.

 

[69]           Il n’y a rien dans les motifs des ordonnances du juge Mosley ou de la juge Layden‑Stevenson qui permette de penser que les conditions imposées par la Cour visaient par ailleurs à fournir à l’ASFC un outil d’enquête de plus pour l’aider à étoffer sa preuve contre M. Mahjoub ou M. Jaballah dans le cadre d’instances portant sur un certificat de sécurité.

 

[70]           En outre, le fait que MM. Mahjoub et Jaballah ont consenti à l’interception de leur courrier par l’ASFC dans le but de permettre à l’ASFC de vérifier s’ils constituent une menace et s’ils se conforment aux conditions de leur mise en liberté ne signifie pas qu’ils ont renoncé à toutes fins utiles aux droits que leur garantit l’article 8 de la Charte en ce qui concerne leur courrier.

 

[71]           Pour reprendre les propos qu’a tenus la Cour suprême du Canada dans l’arrêt R. c. Dyment, [1988] 2 R.C.S. 417, au paragraphe 26 : « il y a saisie au sens de l’art. 8 lorsque les autorités prennent quelque chose appartenant à une personne sans son consentement ».

 

[72]           Cependant, même si une personne a accepté de livrer des renseignements ou des biens pour une fin déterminée, il ne s’ensuit pas pour autant que ce consentement équivaille nécessairement à une renonciation concrète et à toutes fins utiles aux droits que lui reconnaît l’article 8 de la Charte.

 

[73]           À titre d’exemple, dans l’arrêt R. c. Wills, (1992), 7 O.R. (3d) 337), la Cour d’appel de l’Ontario a jugé que la fourniture volontaire d’échantillons d’haleine aux fins de la procédure d’alcootest constituait néanmoins une saisie illégale si le consentement de l’accusé était vicié parce qu’on ne lui avait pas fourni certains renseignements sur des faits importants ou qu’on lui avait fait de bonne foi de fausses déclarations sur des faits importants.

 

[74]           La Cour d’appel de l’Ontario a déclaré que, pour qu’un puisse considérer que l’intéressé a effectivement renoncé aux droits que lui garantit l’article 8 de la Charte, le ministère public doit établir, selon la prépondérance des probabilités, l’existence des éléments suivants :

[traduction]

(i)             il y a eu consentement exprès ou implicite;

 

(ii)           la personne qui a donné le consentement avait le pouvoir de le faire;

 

(iii)          le consentement était volontaire [...] et ne découlait pas de mesures d’oppression ou de coercition ou de quelque autre conduite externe de la part des policiers, niant à l’individu visé la liberté de décider ou non de permettre aux policiers de donner suite à leur demande;

 

(iv)         la personne qui a donné le consentement était consciente de la nature de la conduite des policiers à laquelle on lui demandait de consentir;

 

(v)           la personne qui a donné le consentement était au fait de son droit de refuser de permettre aux policiers de faire ce qu’ils demandaient;

 

(vi)         la personne qui a donné le consentement connaissait les conséquences susceptibles de découler de sa décision de donner son consentement. (Wills, au paragraphe 69.)

 

 

[75]           Ce sont la quatrième et la sixième des conditions énoncées dans l’arrêt Wills qui sont en litige dans le cas qui nous occupe.

 

[76]           Il convient de signaler que l’approche retenue dans l’arrêt Wills en ce qui concerne la question de la validité du renoncement a été approuvée par la Cour suprême du Canada. En effet, dans l’arrêt R. c. Borden, [1994] 3 R.C.S. 145, la Cour suprême a jugé qu’un échantillon de sang qu’un suspect avait fourni de son plein gré en rapport avec l’agression sexuelle dont il était soupçonné équivalait malgré tout à une saisie illégale qui violait l’article 8 de la Charte si l’échantillon avait en fait été utilisé dans le cadre d’une enquête portant sur une autre agression sexuelle.

 

[77]           Pour conclure que le consentement donné par l’accusé ne constituait pas une renonciation à toutes fins utiles aux droits que lui garantissait l’article 8 de la Charte relativement à l’échantillon sanguin, la Cour suprême a statué que, pour qu’un consentement soit considéré comme une renonciation réelle, le suspect « doit disposer de tous les renseignements requis pour pouvoir renoncer réellement à ce droit ». Autrement dit, la capacité de choisir « exige non seulement que la personne puisse exercer sa volonté de préférer une solution à une autre, mais aussi qu’elle possède suffisamment de renseignements pour faire un choix utile » (Borden, au paragraphe 34).

 

[78]           En ce qui concerne l’ampleur des renseignements qui doivent être communiqués pour qu’il y ait réellement renonciation aux droits garantis par l’article 8, la Cour suprême a expliqué ce qui suit, dans l’arrêt Borden :

Le degré de conscience qu’un accusé doit avoir des conséquences d’une renonciation au droit qui lui est garanti par l’art. 8 dépend des faits particuliers de chaque cas. Évidemment, il ne sera pas nécessaire que l’accusé ait une compréhension approfondie de chacune des répercussions possibles de son consentement. Toutefois, il devrait comprendre notamment que les policiers comptent utiliser le produit de la saisie dans une enquête portant sur une infraction différente de celle pour laquelle il est détenu [Borden, au paragraphe 40].

 

 

[79]           Dans le même ordre d’idées, dans l’arrêt R. c. Colarusso, [1994] 1 R.C.S. 20, à la page 55, la Cour suprême a reconnu que le consentement au prélèvement d’échantillons de sang pouvait être limité à certaines fins précises. Formulant des commentaires au sujet de l’arrêt Colarusso, la Cour suprême a reconnu, dans l’arrêt Borden, que « [c]e concept révèle l’existence d’un lien entre l’étendue d’un consentement valide et l’étendue de la connaissance qu’a l’accusé des conséquences de ce consentement » (Borden, au paragraphe 35).

 

[80]           Il découle implicitement du raisonnement de la Cour suprême que, pour que la renonciation aux droits prévus à l’article 8 soit réelle, la personne qui est censée donner son consentement doit disposer de « tous les renseignements requis » pour pouvoir renoncer véritablement à ce droit.

 

[81]           L’affaire R. c. Smith, 1998 ABCA 418 constitue un autre exemple d’un cas dans lequel le consentement donné à une fin précise a été jugé ne pas emporter renonciation à toutes autres fins aux droits garantis par l’article 8. Dans l’arrêt Smith, la Cour d’appel de l’Alberta a jugé abusive la perquisition sans mandat effectuée dans le sous‑sol d’une résidence privée et ce, même si l’accusé avait consenti à ce que les policiers pénètrent au rez‑de‑chaussée pour s’assurer qu’une personne qui avait appelé le service 911 était hors de danger.

 

[82]           Pour exclure les éléments de preuve recueillis lors de la perquisition effectuée au sous‑sol, la Cour d’appel de l’Alberta a expliqué que [traduction] « [m]ême si l’entrée dans les lieux était légale, le consentement donné ne visait qu’une fin limitée, soit s’assurer que la personne qui avait appelé était en sécurité. Il ne s’ensuit pas qu’il était permis de perquisitionner dans les lieux en question à d’autres fins » (Smith, au paragraphe 8).

 

[83]           Je reconnais que toutes les décisions susmentionnées relèvent du droit criminel, alors que les instances dans lesquelles MM. Mahjoub et Jaballah sont engagés ne sont pas des procès au criminel. Toutefois, compte tenu des aspects importants du droit à la liberté qui sont en jeu lorsqu’une personne fait l’objet d’un certificat de sécurité et du fait que le défaut de se conformer aux conditions de leur mise en liberté pourrait être considéré comme une infraction criminelle, je suis convaincue qu’il convient de faire une analogie avec les règles de droit qui ont été élaborées dans le contexte du droit criminel pour déterminer les conditions à remplir pour qu’on puisse conclure, en l’espèce, qu’il y a effectivement eu renonciation aux droits garantis par l’article 8 de la Charte.

 

[84]           Le consentement donné dans le cas de MM. Mahjoub et Jaballah visait à permettre à l’ASFC de vérifier s’ils constituaient l’un ou l’autre une menace pour la sécurité nationale et s’ils s’étaient conformés aux conditions de leur mise en liberté.

 

[85]           M. Al‑Shalchi a reconnu en toute franchise dans son témoignage qu’on n’avait jamais dit à M. Mahjoub ni à M. Jaballah que leur courrier avait été acheminé à l’unité d’anti‑terrorisme de l’ASFC à Ottawa. Rien ne permet non plus de penser que l’un ou l’autre de ces hommes a été mis au courant que son courrier pouvait être examiné par l’ASFC dans le but de recueillir des renseignements ou à toute autre fin.

 

[86]           En conséquence, dans l’hypothèse où l’ASFC se sert effectivement du courrier de MM. Mahjoub et Jaballah à des fins autres que la surveillance de la menace qu’ils représentent pour la sécurité nationale et la vérification qu’ils se conforment aux conditions de leur mise en liberté ─ une question qui sera abordée dans la section suivante des présents motifs ─ cette utilisation ne serait pas autorisée et elle violerait les droits garantis à ces deux personnes par l’article 8.

 

[87]           Me McIntosh souligne que M. Mahjoub et M. Jaballah étaient tous les deux représentés par des avocats chevronnés pendant toute la durée de la présente instance et que ceux‑ci avaient effectivement participé à la rédaction des consentements. Suivant Me McIntosh, il incombait à MM. Mahjoub et Jaballah d’assortir de restrictions les consentements qu’ils signaient s’ils ne souhaitaient pas que ces consentements soient illimités.

 

[88]           Je ne suis pas de cet avis.

 

[89]           Bien que l’interception du courrier soit explicitement prévue par les ordonnances des juges Mosley et Layden‑Stevenson, la capacité de l’ASFC d’intercepter le courrier dépendait de la fourniture du consentement de MM. Mahjoub et Jaballah. Sans ce consentement ou sans une autorisation expresse subséquente du tribunal, l’ASFC ne pouvait prendre aucune mesure au sujet du courrier de MM. Mahjoub et Jaballah.

 

[90]           Le fait que MM. Mahjoub et Jaballah aient pu bénéficier de l’aide d’un avocat pour signer ce consentement n’est d’aucune utilité pour l’ASFC. Le conseil que donne un avocat n’est valable que dans la mesure où les renseignements sur lesquels il repose le sont aussi.

 

[91]           Bien que le consentement qu’ils ont donné ait eu pour effet de restreindre sensiblement les attentes en matière de vie privée de MM. Mahjoub et Jaballah pour ce qui est de leur courrier, il n’en demeure pas moins qu’ils n’ont pas renoncé à toutes fins utiles à la totalité de leurs droits à leur vie privée en ce qui concerne leur courrier. Ils ont très certainement renoncé aux droits que leur garantit l’article 8 de manière à permettre à l’ASFC de vérifier s’ils représentent une menace et de s’assurer qu’ils se conforment aux conditions de leur mise en liberté. Mais on ne leur a pas communiqué suffisamment de renseignements pour leur permettre de renoncer réellement aux droits garantis par l’article 8 en ce qui concerne leur courrier à toute autre fin.

 

[92]           La question suivante qui se pose est donc celle de savoir si l’ASFC a effectivement soumis le courrier de MM. Mahjoub et Jaballah à une forme d’examen qui n’a été ni autorisée par un tribunal ni consentie par l’un ou l’autre d’entre eux.

 

iii)       L’ASFC a‑t‑elle débordé le cadre de ce qui est autorisé par les consentements dans la façon dont elle a traité le courrier?

[93]           Pour les motifs qui suivent, je ne suis pas disposée à tirer quelque conclusion que ce soit sur la question de savoir si l’ASFC a effectivement outrepassé ses pouvoirs dans la façon dont elle a traité le courrier de M. Mahjoub et de M. Mahjoub.

 

[94]           L’instruction de la présente requête s’est déroulée d’une façon quelque peu inusitée. Les avocats ont d’abord demandé que les affidavits déposés à l’appui de la requête soient considérés comme la preuve principale des déclarants, que ceux‑ci soient autorisés à témoigner de vive voix pour communiquer les renseignements les plus récents au sujet des faits visés par leur affidavit et que chaque déclarant se rende disponible pour être contre‑interrogé à l’audience.

 

[95]           Alors que l’instruction de la présente requête était en cours, la requête visant à faire modifier les conditions de la mise en liberté de M. Mahjoub était également à l’examen devant la juge Layden‑Stevenson. Ainsi qu’il a déjà été mentionné, c’est au cours de l’instance introduite devant la juge Layden‑Stevenson que des renseignements complémentaires ont été révélés par l’intermédiaire du témoignage de MM. Whitehorne et Al‑Shalchi au sujet de ce que l’ASFC faisait effectivement avec les photocopies du courrier de MM. Mahjoub et Jaballah.

 

[96]           Les parties ont alors déposé devant la Cour dix volumes contenant la transcription du témoignage que MM. Whitehorne et Al‑Shalchi avaient donné lors de l’audience se déroulant devant la juge Layden‑Stevenson, pour que ces témoignages soient considérés comme des éléments de preuve dans le cadre de la présente requête. Ainsi qu’il a déjà été signalé, certains passages du témoignage que M. Whitehorne a donné à huis clos ont été retranchés de la transcription et n’ont pas été communiqués aux avocats de MM. Mahjoub et Jaballah ou à la Cour lors de l’instruction de la présente requête.

 

[97]           J’ai déjà signalé les contradictions qui existent entre le témoignage de M. Whitehorne et celui de M. Al‑Shalchi au sujet de l’objectif visé par l’examen du courrier de MM. Mahjoub et Jaballah auquel procède unité d’anti‑terrorisme de l’ASFC à Ottawa.

 

[98]           Au cours de l’instruction de la présente requête, j’ai fait part de mes inquiétudes aux parties au sujet de la façon dont la présente affaire se déroulait et de ma crainte qu’il y ait un chevauchement entre les questions qui me sont soumises et celles qui ont été portées à l’attention de la juge Dawson, dans le dossier de M. Mahjoub, et plus particulièrement celles sur lesquelles la juge Layden‑Stevenson est appelée à se prononcer dans le dossier de M. Mahjoub. Les parties ont d’ailleurs admis que la Cour avait été placée dans une position très difficile dans la présente requête.

 

[99]           Pour illustrer concrètement ces difficultés, mentionnons le fait qu’alors que Me McIntosh était en train de faire son plaidoyer final, les avocats m’ont informée que Mme Elizabeth Snow, la gestionnaire de l’unité d’anti‑terrorisme, à l’Administration centrale de l’ASFC, avait depuis témoigné devant la juge Layden‑Stevenson, tant en séance publique qu’à huis clos, au sujet de l’examen du courrier intercepté auquel procède l’unité d’anti‑terrorisme.

 

[100]       Il n’y a certainement personne qui soit mieux placé que la gestionnaire de l’unité d’anti‑terrorisme elle‑même pour expliquer la nature exacte du travail qu’effectue en fait cette unité avec le courrier de MM. Mahjoub et Jaballah.

 

[101]       Le témoignage de Mme Snow n’a toutefois pas été porté à ma connaissance dans le cadre de la présente requête. On me demande donc de résoudre des contradictions relevées dans la preuve et de tirer des conclusions de fait en me fondant sur un dossier de preuve incomplet. Mes préoccupations sont exacerbées par le fait que toute conclusion que je pourrais tirer à cet égard pourrait avoir des conséquences importantes sur les instances qui se déroulent devant la juge Dawson et la juge Layden‑Stevenson.

 

[102]       Comme le dossier de preuve dont je dispose sur cette question est incomplet, je ne suis pas disposée à tirer une conclusion sur la question de savoir si l’ASFC a effectivement outrepassé sa compétence dans la façon dont elle s’est occupée du courrier. Il est préférable de laisser aux juges chargés de modifier ou de contrôler les conditions de la mise en liberté de MM. Mahjoub et Jaballah le soin de se prononcer sur ces questions sur le fondement d’un dossier de preuve complet.

 

iv)        Conclusion en ce qui concerne les questions relatives au courrier

[103]       En résumé, je conclus ce qui suit :

1.         L’ASFC a le droit d’ouvrir tout le courrier adressé à M. Mahjoub ou à M. Jaballah;

2.         L’ASFC a le droit de faire et de conserver des photocopies du courrier de M. Mahjoub et de M. Jaballah dans le but de vérifier s’ils constituent une menace à la sécurité nationale et s’ils se conforment aux conditions de leur mise en liberté;

3.         Ni les ordonnances des juges Mosley et Layden‑Stevenson ni les consentements signés par MM. Mahjoub et Jaballah n’autorisent l’ASFC à utiliser le courrier de MM. Mahjoub et Jaballah à toute autre fin;

4.         La Cour ne tire aucune conclusion sur la question de savoir si l’ASFC a effectivement outrepassé sa compétence dans la façon dont elle a traité le courrier.

 

 

IV.       Questions se rapportant à la prise de photographies

[104]       M. Mahjoub affirme que l’ASFC prend fréquemment des photographies de lui‑même et de membres de sa famille lorsqu’ils se trouvent à l’extérieur de leur maison. Il ajoute que l’ASFC prend régulièrement des photos de l’intérieur de son domicile. M. Mahjoub reproche également à l’ASFC de prendre des photos de tierces personnes qui entrent en contact avec lui ou avec des membres de sa famille.

 

[105]       M. Mahjoub convient que l’ASFC devrait pouvoir à l’occasion prendre des photographies pour documenter tout manquement présumé aux conditions de sa mise en liberté. Je crois également comprendre qu’il accepte que l’ASFC peut avoir besoin de photographier les lieux suggérés pour les sorties familiales. M. Mahjoub maintient toutefois que les ordonnances de la Cour n’autorisent pas l’ASFC à s’immiscer dans sa vie privée et dans celle des membres de sa famille en prenant des photographies dans des circonstances où il n’y a aucune raison de soupçonner un manquement aux conditions de sa mise en liberté.

 

[106]       Suivant M. Mahjoub, le droit à la vie privée des membres de sa famille sur le plan physique est régulièrement compromis par les photos que l’on prend d’eux. Le pouvoir discrétionnaire que la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés confère à l’ASFC en ce qui concerne la surveillance de M. Mahjoub est, à son avis, limité par l’article 17 de Pacte international relatif aux droits civils et politiques, décembre 1966, 999 R.T.N.U. 171. M. Mahjoub soutient en fait que l’ASFC ne peut exercer son pouvoir discrétionnaire de prendre des photographies d’une manière qui porte déraisonnablement atteinte à sa vie familiale, à son domicile ou à sa vie privée.

 

[107]       Qui plus est, M. Mahjoub affirme que, si la prise de photographies a des incidences suffisamment négatives sur sa famille, et si la conduite de l’ASFC à cet égard est suffisamment attentatoire, on pourrait conclure qu’il s’agit d’une violation des droits que les articles 7 et 8 que la Charte lui garantit.

 

[108]       M. Mahjoub s’oppose aussi à ce que l’ASFC photographie les personnes qui entrent en contact avec des membres de sa famille. Bon nombre de ces personnes font partie de la communauté musulmane et les photographies en question sont prises dans le contexte d’affaires portant sur des allégations de terrorisme islamique. Me Jackman soutient que les affaires de Maher Arar, de Abdullah Almalki, d’Ahmad Abou‑Elmaati et de Muayyed Nureddin illustrent bien les conséquences désastreuses que peuvent entraîner les réactions excessives du gouvernement et la transmission intempestive de renseignements.

 

[109]       M. Mahjoub cite le cas des photographies qui ont été prises de Matthew Behrens, la personne chargée de sa surveillance qui avait été nommée par le tribunal, lors d’une visite chez le médecin en sa compagnie. M. Mahjoub affirme que M. Behrens est bien connu de l’ASFC et que rien ne justifiait qu’on le photographie.

 

[110]       M. Mahjoub s’inquiète d’autant plus que l’on prenne des photos de tierces personnes que des copies de toutes les photographies prises par l’ASFC sont versées dans une banque de données informatisée, et que des copies de ces photographies sont transmises à l’ASFC à Ottawa. Bien qu’il n’ait pas affirmé catégoriquement que des photographies soient effectivement transmises à l’unité d’anti‑terrorisme ou [traduction] « aux gens de la police », M. Al‑Shalchi a expliqué qu’il croyait comprendre qu’on envoyait des copies des photographies à l’unité d’anti‑terrorisme et [traduction] « aux gens de la police » à Ottawa.

 

 

Analyse

 

[111]       M. Mahjoub affirme dans son mémoire que l’ASFC devrait avoir l’obligation de demander un mandat pour pouvoir prendre des photographies de lui, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de sa résidence. Cependant, étant donné que Me Jackman a admis, lors des débats, que l’ASFC avait effectivement le droit de prendre des photographies dans diverses circonstances, je ne comprends pas pourquoi elle reprend encore cet argument.

 

[112]       Autrement dit, Me Jackman reconnaît que l’ASFC a le droit de prendre des photographies à l’intérieur de la résidence de M. Mahjoub lorsqu’elle exerce le droit d’entrée précisé dans les conditions de la mise en liberté de M. Mahjoub. Me Jackman accepte aussi que l’ASFC a le droit de prendre des photographies pour recueillir des preuves sur quelque chose ou quelqu’un qui peut être impliqué dans un manquement à une des conditions de la mise en liberté de M. Mahjoub. Enfin, Me Jackman admet que l’ASFC peut, en l’absence de M. Mahjoub et des membres de sa famille, prendre des photographies de lieux publics lorsqu’elle fait de la surveillance dans des endroits que M. Mahjoub et sa famille risquent de choisir pour leurs sorties.

 

[113]       L’ASFC a produit ce qu’elle soutient être la totalité des photographies qui ont été prises au sujet de M. Mahjoub depuis sa mise en liberté en avril 2007. Il y a en tout 108 photos.

 

[114]       Certaines photographies montrent des objets et des lieux, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de la résidence de M. Mahjoub. D’autres montrent des personnes, dont M. Mahjoub lui‑même, des membres de sa famille et des tiers. Les questions soulevées sont différentes selon la catégorie de photographies considérée. En conséquence, je vais examiner séparément chaque catégorie, en commençant par les photographies prises à l’intérieur de la maison familiale.

 

 

i)          Photographies prises à l’intérieur de la résidence des Mahjoub

 

[115]       Tout en signalant que la maison familiale est un [traduction] « lieu privé », Me Jackamn admet que si l’ASFC a une apparence de droit quant à la prise de photos à l’intérieur de la maison, elle devrait pouvoir le faire.

 

[116]       En tout, trente photographies ont été prises à l’intérieur de la maison familiale des Mahjoub et ce, à trois occasions distinctes, à savoir en septembre 2007, mars 2008 et juillet 2008. La plupart des photographies montrent des appareils électroniques tels que des ordinateurs, un télécopieur, un dispositif vidéo bidirectionnel, un modem, un système de divertissement Wii et des câbles électroniques. Les photos montrent une porte ouverte munie d’un verrou qui donne sur ce qui semble être une chambre.

 

[117]       La onzième condition de la mise en liberté de M. Mahjoub lui interdit de communiquer avec diverses catégories de personnes et notamment avec celles qui, selon ce qu’il sait ou devrait savoir, soutiennent le terrorisme ou le Jihad violent ou qui se sont trouvées dans un camp d’entraînement ou dans une maison d’accueil exploitée par une entité qui soutient le terrorisme ou le Jihad violent.

 

[118]       À cette fin, la douzième condition de la mise en liberté de M. Mahjoub lui interdit de posséder ou d’avoir à sa disposition de l’équipement de communication, et notamment un poste de radio ou un dispositif radio ayant une capacité de transmission, de l’équipement de communication ou du matériel permettant la connexion à Internet, un téléphone cellulaire, un ordinateur muni d’un modem ou donnant l’accès à Internet, un téléavertisseur, un télécopieur ou un appareil portatif comme un BlackBerry.

 

[119]       Bien que les membres de la famille soient autorisés à se servir à l’intérieur de la maison d’ordinateurs permettant la connexion à Internet, la Cour a imposé à la condition 12 de la mise en liberté de M. Mahjoub des contrôles rigoureux quant à l’accès à cet équipement.

 

[120]       Enfin, à la condition 14, la Cour accorde à l’ASFC à la fois le pouvoir d’entrer dans la résidence des Mahjoub et celui d’y perquisitionner pour s’assurer que M. Mahjoub se conforme aux conditions de l’ordonnance.

 

[121]       Les photographies qui ont été prises au cours des inspections de la maison se rapportent de toute évidence directement à la question de l’équipement électronique permis, à la sécurité de cet équipement et à la vérification de la conformité de M. Mahjoub aux conditions de sa mise en liberté. Je ne vois donc rien dans ces photographies qui permettrait de penser que l’ASFC a outrepassé ses pouvoirs à cet égard.

 

[122]       Qui plus est, bon nombre des photographies montrent le système de divertissement Wii de la famille. Un appareil Wii permet de toute évidence la connexion à Internet. Bien que l’épouse de M. Mahjoub, Mona El Fouli, ait expliqué que la famille ignorait ce fait lorsqu’elle a acheté le Wii, il semble acquis aux débats que l’appareil n’a pas été conservé dans une pièce verrouillée comme les ordonnances de la Cour l’exigeaient. Les photographies que l’ASFC a prises de l’appareil Wii visaient donc à documenter un éventuel manquement aux conditions de la mise en liberté de M. Mahjoub. Les avocats admettent qu’il était parfaitement légitime de la part de l’ASFC de prendre des photos dans ces conditions.

 

ii)        Photographies de lieux et de véhicules à l’extérieur de la maison

 

[123]       L’ASFC a pris quelques photographies pour évaluer un lieu précis envisagé comme sortie possible. Le défendeur reconnaît que ces photographies sont légitimes.

 

[124]       Quelques photographies ont été prises de l’extérieur de la voiture familiale des Mahjoub et de celle du gendre de M. Mahjoub, Haney El Fouli. La seule question qui a été soulevée au sujet de ces photographies est le fait que, sur l’une de ces photographies, on voit M. El Fouli debout près de la voiture familiale des Mahjoub. M. Al‑Shalchi a expliqué que les agents qui avaient pris cette photo n’avaient pas été en mesure d’identifier M. El Fouli lorsque la photo avait été prise, en raison du chapeau qu’il portait et de la distance qui les séparait.

 

[125]       Le fait qu’un individu non identifié entrerait en contact avec la voiture des Mahjoub pourrait justifier une crainte de manquement aux conditions. Je ne suis donc pas convaincue que l’ASFC a mal agi en prenant ces photographies.

 

[126]       Quelques photos ont également été prises de la vue sur la rue que l’avocat de M. Mahjoub a depuis son cabinet. M. Al‑Shalchi a expliqué que ces photographies ont pu être prises dans le but de fournir aux agents qui étaient chargés de la surveillance physique de M. Mahjoub des renseignements au sujet de l’emplacement du parc de stationnement jouxtant l’immeuble à bureaux. Je ne vois rien dans ces photos qui permettrait de conclure à une violation de la Charte.

 

iii)       Photographies de tiers

[127]       M. Mahjoub s’insurge contre le fait que des tiers, dont certains n’ont pas été identifiés et qui étaient entrés en contact avec des membres de sa famille, avaient été photographiés.

 

[128]       Sans accepter qu’une photographie prise d’une personne dans un lieu public puisse donner lieu à une violation des droits garantis par l’article 7 ou par l’article 8 de la Charte, je suis d’accord avec Me McIntosh pour dire que M. Mahjoub ne peut invoquer une éventuelle violation des droits garantis par la Charte à un tiers pour réclamer une réparation de son propre chef. Une demande de réparation fondée sur le paragraphe 24(2) ne peut être présentée que par la personne dont les droits garantis par la Charte ont été violés (voir, par exemple, l’arrêt R. c. Edwards, [1996] 1 R.C.S. 128, au paragraphe 45).

 

iv)        Photographies de M. Mahjoub et de membres de sa famille

[129]       M. Mahjoub affirme que le comportement qu’a eu l’ASFC en le photographiant et en prenant des photos de membres de sa famille est devenu à ce point importun et s’est traduit par une telle immixtion injustifiée dans sa vie de famille qu’il constitue une violation par l’article 17 de Pacte international relatif aux droits civils et politiques et des droits que la Charte lui garantit.

 

[130]       Vu la conclusion à laquelle j’en suis arrivée au sujet de la conduite qu’a eue l’ASFC en photographiant M. Mahjoub et les membres de sa famille, il n’est pas nécessaire que je décide si M. Mahjoub peut invoquer les conséquences que ces actes ont eues sur sa famille et sa vie familiale.

 

[131]       Toutes les photographies en litige ont été prises dans des lieux publics. Un examen des photographies révèle que la plupart d’entre elles ont été prises à deux occasions.

 

[132]       La première de ces occasions est la sortie familiale du 19 août 2007 à Ontario Place. La plupart des 27 photos qui ont été prises ce jour‑là montrent soit M. Mahjoub et les membres de sa famille en train de monter à bord d’un petit transbordeur ou voyageant à bord de celui‑ci, soit M. Mahjoub et l’un de ses enfants en train de se servir d’une embarcation à pagaies.

 

[133]       La sortie familiale du 19 août 2007 à Ontario Place a fait l’objet d’une instance introduite devant le juge Mosley, qui a estimé que « [o]n pourrait n[e] voir qu’une transgression anodine » des conditions de la mise en liberté de M. Mahjoub dans le fait de monter sur le petit transbordeur utilisé pour transporter les visiteurs entre diverses attractions dans un parc d’attractions et de se servir d’une embarcation à pagaies (Mahjoub c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1366, au paragraphe 38).

 

[134]       Comme M. Mahjoub a admis qu’il était loisible à l’ASFC de prendre des photographies pour documenter des faits permettant de conclure à un manquement aux conditions de sa mise en liberté, je conclus que l’ASFC n’a rien fait de répréhensible en prenant ces photographies.

 

[135]       Une seconde série de 16 photographies ont été prises le 16 janvier 2008. On y trouve notamment des photos d’un panneau annonçant une patinoire, ainsi que des photos de la voiture familiale des Mahjoub et de ce dernier en train de marcher avec Mme El Fouli.

 

[136]       M. Mahjoub a de toute évidence demandé et obtenu la permission de faire deux sorties consécutives : le premier jour pour aller à la patinoire et le lendemain pour se rendre à sa mosquée et au Cloverdale Mall. M. Mahjoub et Mme El Fouli ont tous les deux déclaré qu’ils ne savaient plus très bien quelle sortie avait été autorisée pour quel jour. Ils sont donc allés patiner le jour où M. Mahjoub était censé se rendre à la mosquée et au centre commercial.

 

[137]       Compte tenu du fait que M. Mahjoub a été vu en train de se rendre à la patinoire un jour où il n’avait pas reçu l’autorisation de l’ASFC, il a peut‑être transgressé la condition 8 de sa mise en liberté, qui l’obligeait à obtenir l’autorisation préalable de l’ASFC pour toutes ses sorties. Ainsi qu’il a déjà été signalé, M. Mahjoub a reconnu qu’il est effectivement loisible à l’ASFC de prendre des photographies en pareil cas, et je conclus que l’ASFC n’a rien fait de répréhensible en prenant ces photographies.

 

[138]       Le 16 mars 2008, cinq photographies ont été prises de M. Mahjoub avec une caméra vidéo en main. L’ASFC avait déjà expliqué à la Cour qu’elle craignait que M. Mahjoub ait tenté de filmer des agents de l’ASFC en train de s’acquitter de leurs fonctions. En réponse à cette préoccupation, le juge Mosley a ajouté le 24 décembre 2007 la condition suivante aux conditions de mise en liberté de M. Mahjoub : « Ni M. Mahjoub ni aucune personne vivant à son domicile ne pourra enregistrer les agents de l’ASFC, sur bande magnétique ou magnétoscopique, pendant que les agents s’affairent à vérifier l’observation des conditions de la présente ordonnance » (Mahjoub c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1366, au paragraphe 10 de l’ordonnance).

 

[139]       En ajoutant cette disposition aux conditions auxquelles était subordonnée la mise en liberté de M. Mahjoub, le juge Mosley a fait observer que « les agents chargés de faire appliquer les ordonnances de la Cour ne devraient pas être exposés à la possibilité de voir leur image divulguée au public, car cela leur ferait courir des risques et compromettrait leur aptitude à s’acquitter de leurs obligations (Mahjoub c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1366, au paragraphe 101).

 

[140]       M. Al‑Shalchi a expliqué devant la juge Layden‑Stevenson que les photographies du 16 mars 2008 montrant M. Mahjoub tenant une caméra vidéo avaient été prises parce que les agents craignaient qu’il n’utilise la caméra vidéo pour filmer les agents, en violation de l’ordonnance du juge Mosley.

 

[141]       Même s’il ne semble pas que M. Mahjoub ait effectivement tenté de filmer les agents ce jour‑là, il y a un lien logique entre le contrôle de la conformité par M. Mahjoub des conditions de sa mise en liberté et les photos prises par l’ASFC. Dans ces conditions, je ne suis pas convaincue que l’ASFC a fait quelque chose de répréhensible en prenant ces photographies.

 

[142]       Il nous reste donc une douzaine de photographies qui ont été prises de M. Mahjoub et de membres de sa famille par l’ASFC entre le moment où M. Mahjoub a été mis en liberté, en avril 2007, et la date où M. Al‑Shalchi a témoigné devant la juge Layden‑Stevenson, à la fin d’octobre et au début de novembre 2008.

 

[143]       M. Al‑Shalchi a été en mesure de spéculer sur les raisons pour lesquelles les agents de l’ASFC avaient estimé nécessaire de prendre certaines de ces photographies, mais il n’a pas pu offrir d’explications sur la raison pour laquelle d’autres photographies avaient été prises.

 

[144]       La douzaine de photographies de M. Mahjoub et de sa famille qui sont toujours en litige ont été prises sur une période d’environ 18 mois. Elles ont toutes été prises dans des lieux publics. La plupart semblent avoir été prises à une certaine distance de la famille. Il semble que, dans la plupart des photographies, les membres de la famille ne se sont pas rendu compte qu’ils étaient photographiés. Dans ces conditions, je ne puis conclure que l’ASFC a eu un comportement suffisamment importun ou abusif pour qu’on puisse conclure à une violation des droits de M. Mahjoub.

 

v)         Observations finales au sujet des photographies

[145]       Avant de laisser le sujet des photographies de M. Mahjoub et de sa famille, je tiens à rappeler que M. Al‑Shalchi a déclaré devant la juge Layden‑Stevenson que, bien que la prise de photographies soit laissée à la discrétion des divers agents de l’ASFC, ces agents ont récemment reçu comme directives que la prise de photographies de la famille Mahjoub devait [traduction] « correspondre davantage à des situations qui constitueraient un manquement » aux conditions imposées à M. Mahjoub.

 

[146]       D’ailleurs, M. Al‑Shalchi a déclaré en l’espèce que les agents de l’ASFC avaient reçu comme directive de ne pas photographier M. Mahjoub et les membres de sa famille lors de leurs sorties, à moins de soupçonner un éventuel manquement aux conditions régissant la mise en liberté de M. Mahjoub.

 

[147]       Le fait de limiter les photographies de M. Mahjoub et des membres de sa famille à de telles situations pourrait contribuer jusqu’à un certain point à réduire les tensions qui se sont de toute évidence accumulées entre la famille Mahjoub et l’ASFC au cours des derniers mois.

 

 

V.        Surveillance physique de M. Mahjoub

[148]       Le dernier sujet de préoccupation de M. Mahjoub a trait à la surveillance visuelle constante et ostensible dont il fait l’objet de la part des agents de l’ASFC lorsqu’il sort de chez lui. Tout en acceptant qu’une certaine surveillance physique de la part de l’ASFC est légitime, M. Mahjoub affirme qu’aucune des conditions imposées par notre Cour en ce qui concerne sa mise en liberté n’autorise l’ASFC à effectuer une surveillance physique comme celle dont il fait présentement l’objet.

 

[149]       M. Mahjoub et Mme El Fouli ont tous les deux témoigné au sujet des conséquences néfastes que la conduite de l’ASFC a sur eux et sur les membres de leur famille.

 

[150]       Il est vrai qu’aucune des conditions dont la Cour a assorti la mise en liberté de M. Mahjoub ne mentionne explicitement la possibilité pour l’ASFC de procéder à une surveillance physique. Cette situation peut s’expliquer en partie par le fait que les conditions en question visent d’abord et avant tout à définir les restrictions et obligations qui sont imposées à M. Mahjoub lui‑même.

 

[151]       Le fait que les conditions de la mise en liberté de M. Mahjoub ne mentionnent pas explicitement la possibilité pour l’ASFC de recourir à une surveillance physique s’explique aussi par le fait qu’en principe, il n’est pas nécessaire d’obtenir au préalable l’autorisation du tribunal pour pouvoir procéder à une surveillance physique (Cody c. R., 2007 QCCA 1276 (C.A. Québec), au paragraphe 26).

 

[152]       Il ressort par ailleurs à l’évidence de l’examen des motifs exposés par la Cour dans les instances se rapportant à la mise en liberté de M. Mahjoub que la Cour envisageait que les activités de M. Mahjoub seraient surveillées par l’ASFC notamment au moyen d’une surveillance physique.

 

[153]       À ce propos, je relève que, dans la décision Mahjoub c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1366, le juge Mosley qualifie de « troublantes », aux paragraphes 41 et 42 de ses motifs, les pertes de signal du dispositif GPS qui s’étaient produites alors que M. Mahjoub se trouvait à l’extérieur de chez lui. Le juge Mosley s’est toutefois dit rassuré par le fait que l’ASFC avait été en mesure de compenser ces pertes de signal en recourant à une surveillance physique. À cet égard, le juge Mosley a poursuivi en affirmant qu’il était convaincu que « si l’on additionne le système électronique et le recours à la surveillance physique, exercée au gré de l’ASFC, [M. Mahjoub] peut être surveillé efficacement ».

 

[154]       Ailleurs dans cette décision, le juge Mosley fait observer que l’ASFC jugerait probablement nécessaire de maintenir la surveillance physique de M. Mahjoub s’il se déplaçait en métro (Mahjoub c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1366, aux paragraphes 52, 53 et 54.)

 

[155]       Pour autoriser M. Mahjoub à se trouver dans son arrière‑cour sans devoir être accompagné d’un surveillant, le juge Mosley a rappelé qu’il restait loisible à l’ASFC d’exercer une surveillance physique impromptue pour s’assurer qu’il ne quitte pas les lieux (Mahjoub c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1366, au paragraphe 56).

 

[156]       Pour dispenser M. Mahjoub de son obligation d’autoriser l’installation, chez lui, de dispositifs bidirectionnels de surveillance, le juge Mosley a fait observer qu’aucune preuve n’avait été produite montrant les raisons pour lesquelles le dispositif serait nécessaire comme moyen additionnel de surveiller M. Mahjoub, si ce n’est pour confirmer sa présence chez lui, ce qui, selon le juge Mosley, pouvait être confirmé par d’autres moyens électroniques, « ainsi que par une surveillance physique impromptue » (Mahjoub c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2007 CF 1366, au paragraphe 87).

 

[157]       Il ressort enfin de l’ensemble des motifs du juge Mosley qu’il a investi l’ASFC d’un très vaste pouvoir discrétionnaire en ce qui concerne la surveillance physique comme complément aux autres moyens existants pour vérifier si M. Mahjoub se conformait aux conditions de sa mise en liberté. Comme je l’ai déjà précisé, le juge Mosley mentionne expressément, au paragraphe 42 de ses motifs, le pouvoir discrétionnaire dont dispose l’ASFC à cet égard.

 

[158]       Dans le même ordre d’idées, pour refuser la demande de l’ASFC en vue de faire interdire à M. Mahjoub de pénétrer dans toute zone où la surveillance électronique serait inefficace, le juge Mosley a conclu que « [l]a combinaison du repérage électronique et de la surveillance physique, selon ce que jugent nécessaire les représentants de l’ASFC, devrait suffire à assurer une surveillance efficace des déplacements du demandeur sans lui imposer cette limite supplémentaire » [non souligné dans l’original] (Mahjoub c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2007 CF 1366, au paragraphe 98).

 

[159]       Il est acquis aux débats que les conditions régissant la mise en liberté de personnes faisant l’objet de certificats de sécurité ne doivent pas être disproportionnées par rapport à la nature du danger (Charkaoui no 1, au paragraphe 116).

 

[160]       Bien qu’on ne me demande pas en l’espèce d’élaborer des conditions de mise en liberté appropriées, on me demande de décider si la façon dont l’ASFC procède à la surveillance physique de M. Mahjoub et de sa famille viole les droits que l’article 7 de la Charte lui confère et, dans l’affirmative, si la conduite de l’ASFC est légitimée par l’article premier de la Charte. Pour ce faire, il faut par ailleurs trouver un équilibre entre, d’une part, le droit à la liberté de M. Mahjoub et, d’autre part, l’intérêt qu’a l’État à protéger la sécurité nationale.

 

[161]       Les conditions dont la Cour a assorti la mise en liberté de M. Mahjoub ont été définies avec soin par le juge Mosley dans le but de répondre aux risques qu’il avait identifiés au vu de l’ensemble de la preuve, et notamment des éléments de preuve recueillis à huis clos. De même, la requête en modification des conditions de la mise en liberté de M. Mahjoub qui est actuellement en cours devant la juge Layden‑Stevenson s’effectuera à la lumière d’un dossier de preuve complet.

 

[162]       Je suis d’accord avec Me McIntosh pour dire que je suis mal placée pour déterminer si la conduite de l’ASFC en ce qui a trait à la surveillance physique de M. Mahjoub est à ce point importune et abusive qu’elle constitue une atteinte aux droits garantis à M. Mahjoub par la Charte. Pour être en mesure de se prononcer sur cette question, il faut comprendre et apprécier les éléments de preuve relatifs à la nature et à la portée de la menace que M. Mahjoub peut représenter.

 

[163]       Il s’agit, à mon avis, d’une décision qui ne peut être prise qu’après avoir pris connaissance d’un dossier de preuve complet. À ce propos, ainsi que la Cour suprême du Canada l’a maintes fois répété, les questions relatives à la Charte ne devraient pas être tranchées en l’absence d’une preuve suffisante (voir, par exemple, Hill c. Église de scientologie de Toronto, [1995] 2 R.C.S. 1130, au paragraphe 80, R. c. Kang‑Brown, 2008 CSC 18, au paragraphe 16, et MacKay c. Manitoba, [1989] 2 R.C.S. 357, aux paragraphes 8 et suivants).

 

[164]       Je tiens par ailleurs à signaler que, dans l’arrêt Charkaoui no 1, la Cour suprême du Canada a clairement envisagé la possibilité que la décision relative à la possibilité d’un mauvais usage ou d’une application abusive des conditions de la mise en liberté puisse être prise dans le cadre d’un contrôle des conditions de mise en liberté comme celui auquel procède présentement la juge Layden‑Stevenson. À ce propos, la Cour a fait observer, au paragraphe 117 de sa décision :

[I]l faut que la détention soit contrôlée régulièrement et que le juge qui la contrôle puisse tenir compte de tous les facteurs pertinents quant au bien‑fondé du maintien de la détention, y compris la possibilité d’un mauvais usage ou d’une application abusive des dispositions de la LIPR autorisant la détention. Des principes analogues s’appliquent à la mise en liberté assortie de conditions sévères ou restrictives pendant une longue période : ces conditions doivent être révisées régulièrement, en fonction de tous les facteurs susmentionnés, y compris l’existence de solutions de rechange.

 

 

[165]       Pour ces motifs, je refuse de tirer quelque conclusion que ce soit au sujet de la conduite de l’ASFC en ce qui concerne la question de la surveillance physique.

 

 

VI.       Ordonnance

[166]        Pour le cas où elles voudraient qu’une ordonnance soit prononcée relativement aux présents motifs, les parties pourront soumettre de brèves observations par écrit au sujet de la forme que cette ordonnance devrait prendre.

 

 

« Anne Mactavish »

Juge

 

Ottawa (Ontario)

Le 15 janvier 2009

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 


APPENDICE

 

[traduction]

 

CONDITIONS RÉCAPITULATIVES DE LA

MISE EN LIBERTÉ DE M. MAHJOUB

 

 

1.

 

M. Mahjoub sera mis en liberté à condition qu’il signe un document, devant être rédigé par ses avocats et approuvé par les avocats des ministres, dans lequel il accepte de se conformer strictement à chacune des conditions qui suivent.

 

 

2.

 

Avant d’être mis en liberté, M. Mahjoub sera muni d’un dispositif de télésurveillance, selon les dispositions que pourra prendre l’ASFC, ainsi que d’un appareil de repérage qu’il devra porter en tout temps par la suite et ne pas modifier. Lorsque le dispositif de télésurveillance devra être retiré pour des raisons médicales essentielles et à la demande d’un médecin qualifié, l’ASFC en sera avisée au préalable et prendra les dispositions nécessaires à cette fin ainsi que les mesures de surveillance de M. Mahjoub pendant que le dispositif est retiré pour des traitements médicaux. M. Mahjoub devra faire installer à ses frais dans la résidence indiquée plus loin une ligne téléphonique traditionnelle distincte répondant aux exigences de l’ASFC afin de rendre possible une surveillance électronique efficace. M. Mahjoub devra consentir à la désactivation de tout service ou fonction de cette ligne téléphonique qui pourrait être requise. M. Mahjoub devra suivre toutes les instructions qui lui seront données relativement à l’utilisation de l’équipement de télésurveillance et de toute autre exigence nécessaire au fonctionnement approprié et complet de l’équipement et du système de télésurveillance.

 

 

[La condition 3 a été supprimée.]

 

4.

 

Avant la mise en liberté de M. Mahjoub, la somme de 32 500 $ devra être versée à la Cour conformément à l’article 149 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106, par les personnes suivantes :

 

 

 

i)   Mona El Fouli

10 000 $

ii)   Omar Ahmed Ali

15 000 $

iii)  Rizwan Wancho

 2 500 $

iv)  John Valleau

 5 000 $

 

5.

 

Avant la mise en liberté de M. Mahjoub, les personnes mentionnées ci‑dessous devront signer un cautionnement de bonne exécution selon lequel elles reconnaissent être liées envers Sa Majesté du chef du Canada quant aux montants précisés ci‑dessous. Chaque cautionnement de bonne exécution sera assorti de la condition suivante : si M. Mahjoub enfreint l’une des conditions prévues dans l’ordonnance de mise en liberté, laquelle pourrait être modifiée, les sommes garanties par les cautionnements seront confisquées au profit de Sa Majesté. Les conditions des cautionnements de bonne exécution, qui devront être conformes à celles des garanties visées à l’article 56 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), seront communiquées par les avocats des ministres aux avocats de M. Mahjoub. Chaque caution devra reconnaître par écrit avoir lu les conditions prévues dans la présente ordonnance et déclarer explicitement avoir compris la présente condition.

 

i)

ii)

iii)

iv)

v)

vi)

vii)

viii)

ix)

 

El Sayed Ahmed

 5 000 $

Murray Lumley

 5 000 $

Maggie Panter

10 000 $

Elizabeth Block

 1 000 $

Laurel Smith

10 000 $

Dwyer Sullivan

20 000 $

Elizabeth O’Connor

 1 000 $

Patricia Taylor

 1 000 $

John Valleau

 5 000 $

 

6.

 

Au moment de sa mise en liberté, M. Mahjoub sera conduit par la GRC (ou un autre organisme dont l’ASFC et la GRC pourront convenir) au _______________, dans la ville de Toronto, en Ontario (la résidence), où il habitera par la suite avec Mona El Fouli, son épouse, Haney El Fouli, son beau‑fils, et Ibrahim et Yusuf, ses fils. Afin que soit protégée la vie privée de ces personnes, l’adresse de la résidence ne figurera pas dans le dossier public de la présente instance. M. Mahjoub devra demeurer dans cette résidence en tout temps, sauf s’il y a urgence médicale ou dans les cas prévus par la présente ordonnance. M. Mahjoub ne devra pas rester seul dans la résidence : en tout temps, Mona El Fouli, Haney El Fouli, El Sayed Ahmed, Matthew Behrens ou Murray Lumley devra également s’y trouver. Le terme « résidence » utilisé dans les présents motifs vise uniquement la maison d’habitation, à l’exclusion de tout espace extérieur qui y est associé.

 

 

 

7.

 

M. Mahjoub pourra sortir de la résidence entre 8 h et 21 h, mais il devra demeurer en tout temps dans les limites de tout espace extérieur qui y est associé (c’est‑à‑dire la cour avant et la cour arrière). Il devra être accompagné en tout temps par l’une des personnes suivantes : Mona El Fouli, Haney El Fouli, El Sayed Ahmed, Matthew Behrens ou Murray Lumley ou demeurer dans leur champ de vision. Dans la cour arrière, M. Mahjoub ne pourra rencontrer que les personnes mentionnées au paragraphe 9 ci‑dessous et ne communiquer qu’avec celles‑ci. Cette restriction ne s’applique pas aux simples salutations faites aux voisins immédiats de la cour arrière. M. Mahjoub ne pourra pas parler aux personnes qui rendent visite aux voisins, à moins que ces personnes soient autorisées à le surveiller ou à lui rendre visite.

 

 

8.

 

M. Mahjoub pourra, entre 8 h et 21 h :

 

i)          avec l’autorisation préalable de l’ASFC, quitter la résidence trois fois par semaine pour une durée maximale de 4 heures par absence, à la condition qu’il demeure dans le secteur déterminé en application de l’alinéa 10(i) ci‑dessous. L’autorisation devra être demandée chaque semaine, au moins 72 heures ouvrables à l’avance, pour les absences de la semaine suivante, et l’endroit ou les endroits où M. Mahjoub désire se rendre ainsi que l’heure à laquelle il se propose de partir et de revenir à la résidence devront être précisées. Si de telles absences sont autorisées, M. Mahjoub devra signaler son départ avant de quitter la résidence et signaler son retour sans délai, conformément aux instructions plus précises que lui donnera un représentant de l’ASFC. L’ASFC peut examiner les demandes spéciales présentées par M. Mahjoub pour prolonger l’une de ses absences hebdomadaires afin de faire une sortie en famille d’une durée de plus de quatre heures, à la condition que cette sortie se fasse dans le secteur déterminé en application de l’alinéa 10(i). Un maximum de trois sorties semblables par mois pourra être autorisé. Ces demandes devront être faites à l’ASFC au moins une semaine avant la sortie familiale prévue. L’ASFC a toute latitude pour reporter lorsqu’elle le juge à‑propos le couvre‑feu après 21 h;

 

ii)                  quitter le domicile les jours d’école entre 8 heures et 9 h 30 et entre 15 heures et 16 h 30 en compagnie de Mona El Fouli ou d’Haney El Fouli pour conduire ses fils Ibrahim et Yusuf à l’école le matin et aller les y chercher l’après‑midi. M. Mahjoub devra se rendre directement aux écoles publiques primaires et en revenir directement, sous réserve d’une période d’une heure chaque jour pour lui permettre de faire de l’exercice. Il devra communiquer à l’ASFC un avis préalable de son itinéraire projeté et de l’endroit où il se trouvera. Il lui sera interdit de parler à quiconque sur son chemin, tant à l’aller qu’au retour. Il communiquera à l’ASFC, pour chaque école, le nom et l’adresse de l’école ainsi que le calendrier scolaire annuel. Si les enfants doivent quitter l’école pour une raison inattendue et légitime à d’autres moments de la journée, M. Mahjoub sera autorisé à aller les y chercher avec Mona El Fouli ou Haney El Fouli, à condition que l’ASFC soit informée de la situation, avant qu’il quitte son domicile, et soit informée de son retour à son domicile. M. Mahjoub est autorisé à continuer à faire de l’exercice pendant une heure chaque jour du lundi au vendredi aux heures précisées par l’ASFC, lorsque les enfants ne sont pas à l’école;

 

iii)       en avisant au préalable l’ASFC, quitter la résidence au besoin et pour la durée nécessaire pour des rendez‑vous médicaux ou psychologiques et des examens, des traitements ou des interventions connexes. Le préavis devra être donné au moins 48 heures avant l’absence prévue et préciser l’endroit ou les endroits où M. Mahjoub doit se rendre ainsi que l’heure de son départ et l’heure prévue de son retour à la résidence. Il devra également fournir à l’ASFC une preuve qu’il s’est présenté à ses rendez‑vous. M. Mahjoub devra signaler son départ avant de quitter la résidence et signaler son retour sans délai, conformément aux instructions plus précises que lui donnera un représentant de l’ASFC. L’ASFC devra être avisée dès que possible, par M. Mahjoub, Mona El Fouli ou Haney El Fouli, de toute urgence médicale exigeant l’hospitalisation de M. Mahjoub, ainsi que de l’endroit où M. Mahjoub aura été transporté. Elle devra aussi être avisée sans délai de son retour à la résidence;

 

iv)        si Ibrahim, Yusuf Haney El Fouli ou Mona El Fouli doivent être transportés d’urgence à l’hôpital et que personne n’est disponible pour surveiller M. Mahjoub dans la résidence, ce dernier est autorisé à aller à l’hôpital avec Mona El Fouli ou Haney El Fouli, peu importe à quel moment l’incident survient, jusqu’à ce qu’une autre personne puisse le surveiller. M. Mahjoub avisera dès que possible l’ASFC de la situation, ainsi que de son retour à la résidence. Dans le cas où M. Mahjoub serait trop souffrant pour quitterle domicile dans le contexte d’une telle urgence et où aucun autre surveillant ne serait disponible, l’ASFC doit être immédiatement contactée.

 

Lors de toutes les absences autorisées, M. Mahjoub devra en tout temps porter sur lui l’appareil de repérage permettant la surveillance électronique et être accompagné de Mona El Fouli, Haney El Fouli, El Sayed Ahmed, Matthew Behrens ou Murray Lumley, lesquels auront la responsabilité de le surveiller et de s’assurer qu’il se conforme parfaitement à toutes les conditions de la présente ordonnance, ce qui obligera ces personnes à rester constamment auprès de lui pendant qu’il sera à l’extérieur de la résidence, sauf pendant les consultations avec ses médecins ou les examens, les traitements ou les thérapies. Dans ces cas, Mona El Fouli, Haney El Fouli, El Sayed Ahmed, Matthew Behrens ou Murray Lumley resteront aussi près que possible de la pièce dans laquelle les consultations, traitements ou thérapies se déroulent. Dans le cas où Mona El Fouli aurait besoin de se rendre aux toilettes publiques pendant qu’elle surveille M. Mahjoub à l’extérieur du domicile, M. Mahjoub doit l’attendre le plus près possible, dans les limites du raisonnable, de ces toilettes. Avant la mise en liberté de M. Mahjoub, Mona El Fouli, Haney El Fouli, El Sayed Ahmed, Matthew Behrens ou Murray Lumley devront signer un document dans lequel ils reconnaissent prendre cet engagement, et notamment l’obligation de signaler sans délai à l’ASFC tout manquement à une condition de la présente ordonnance. Les avocats de M. Mahjoub devront rédiger ce document, qui sera soumis pour approbation aux avocats des ministres.

 

 

9.

 

Seules les personnes suivantes sont autorisées à entrer dans la résidence :

 

 

a)

Mona, Haney, Ibrahim et Yusuf El Fouli;

 

b)

les autres personnes mentionnées aux paragraphes 4 et 5 ci‑dessus;

 

 

c)

les avocats de M. Mahjoub, à savoir Mes Barbara Jackman, Marlys Edwardh et Adriel Weaver;

 

d)

en cas d’urgence, des pompiers, des policiers et des professionnels de la santé;

 

e)

les amis âgés de moins de 15 ans d’Ibrahim et de Yusuf, les fils de M. Mahjoub;

 

 

f)

le propriétaire de l’immeuble et les personnes autorisées et qualifiées qu’il emploie pour effectuer les réparations, en vertu d’une entente conclue entre l’ASFC et le propriétaire. Un préavis de 24 heures doit être donné à l’ASFC avant que des réparations puissent être effectuées, sauf en cas d’urgence. M. Mahjoub ne doit avoir aucun contact avec ces personnes;

 

g)

toute personne autorisée à l’avance par l’ASFC. Pour obtenir une telle autorisation, les nom, adresse et date de naissance de cette personne, ainsi que tout renseignement complémentaire pouvant être jugé nécessaire par l’ASFC, devront être communiqués à l’ASFC au moins 48 heures avant la première visite. L’ASFC devra recevoir un préavis de 48 heures des visites ultérieures faites par une personne déjà autorisée, mais elle pourra renoncer à cette exigence, selon l’appréciation de ses représentants. L’ASFC pourra en tout temps retirer son autorisation portant sur des visiteurs déjà autorisés.

 

 

 

Les personnes mentionnées ci‑dessus, qui sont autorisées à entrer dans la résidence, ne peuvent apporter avec elles aucun dispositif électronique sans fil ou pouvant être relié à Internet ou à un téléphone cellulaire. M. Mahjoub devra conserver à son domicile un registre des visiteurs, selon la forme qu’indiquera l’ASFC, et mettre sur demande ce registre à la disposition de l’ASFC pour inspection.

 

 

 

 

10.

 

Lorsque M. Mahjoub quittera la résidence avec l’autorisation de l’ASFC en conformité avec l’article 8, il ne devra pas :

 

 

i)

sortir du secteur délimité par les rues ou les points de repère géographiques suivants :

Ville de Toronto :

Ouest ─ Etobicoke Creek / autoroute 427

Est ─ Rouge River et Rouge River Park

Nord ─ avenue Steeles

Sud ─ lac Ontario et le Lakeshore. Les îles de Toronto font partie de la ville de Toronto.

 

Ville de Mississauga :

Ouest ─ 9th Line, boul. Dundas et Winston Churchill

Est ─ autoroute 427, jusqu’à Eglington et Etobicoke Creek

Nord ─ autoroute 407

Sud ─ Lakeshore

 

 

ii)

se trouver ou se rendre à un aéroport, une gare, une station de métro, un terminus d’autobus ou une agence de location de véhicules, ni monter à bord d’un bateau ou d’un navire;

 

 

iii)

rencontrer des personnes avec lesquelles il aurait pris rendez‑vous, à l’exception :

 

a)

     de ses avocats, à savoir Mes Barbara Jackman, Marlys Edwardh et Adriel Weaver, et des membres de leur personnel commis à son dossier;

 

b)

 

 

 

c)

 

 

d)

 

 

 

e)

     des membres de sa famille, y compris sa femme, Mona El Fouli, de son beau‑fils, Haney El Fouli, et de ses fils, Ibrahim et Yusuf;

 

     des amis de ses fils, Ibrahim et Yusuf, qui ont moins de 15 ans, lors de sorties approuvées;

   

     des cautions dont le nom figure aux paragraphes 4 et 5 ainsi que de toute autre personne désignée par la Cour pour assurer sa surveillance conformément au paragraphe 6;

 

     de toute personne autorisée au préalable par l’ASFC; pour obtenir cette autorisation, le nom, l’adresse et la date de naissance de l’intéressé devront être communiqués à l’ASFC;

 

iv)

 

aller ailleurs que dans les endroits autorisés conformément au paragraphe 8 ci‑dessus, pendant les heures autorisées.

 

 

11.

 

M. Mahjoub ne devra en aucun temps ou d’aucune manière s’associer ou communiquer directement ou indirectement avec :

 

 

 

i)

des personnes qui, selon ce qu’il sait ou devrait savoir, soutiennent le terrorisme ou le Jihad violent ou qui se sont trouvées dans un camp d’entraînement ou dans une maison d’accueil exploitée par une entité qui soutient le terrorisme ou le Jihad violent;

 

 

ii)

des personnes qui, selon ce qu’il sait ou devrait savoir, ont un casier judiciaire, à l’exception de Matthew Behrens;

 

 

iii)

les personnes que la Cour pourrait éventuellement désigner dans une ordonnance modifiant la présente ordonnance.

 

 

 

 

 

 

12.

 

Sous réserve de ce qui est prévu aux présentes, M. Mahjoub ne devra pas, directement ou indirectement, posséder, avoir à sa disposition ou utiliser un poste de radio ou un dispositif radio ayant une capacité de transmission, un équipement de communication ou un matériel permettant la connexion à Internet, ou une composante d’un tel équipement, notamment un téléphone cellulaire, un ordinateur muni d’un modem ou permettant l’accès à Internet, ou une composante d’un tel ordinateur, un téléavertisseur, un télécopieur, un téléphone public, un téléphone à l’extérieur de l’habitation, une installation Internet ou un appareil portatif, tel un Blackberry.

 

i)    La connexion Internet des ordinateurs utilisés par le beau‑fils et les deux fils de M. Mahjoub devra être gardée dans une pièce verrouillée de l’habitation à laquelle M. Mahjoub n’aura pas accès et dont seuls Mona El Fouli et Haney El Fouli auront les clés. Chaque ordinateur de l’habitation devra être muni d’un mot de passe permettant d’y accéder, et les mots de passe seront détenus par Mona El Fouli et Haney El Fouli et ne pourront pas être divulgués à M. Mahjoub ou à ses fils, Ibrahim et Yusuf. La connexion Internet à l’ordinateur de la chambre d’Ibrahim et de Yusuf se fera au moyen d’une connexion activée manuellement se trouvant dans la chambre d’Haney, connexion qui ne pourra être activée que lorsque Mona El Fouli ou Haney El Fouli seront présents. L’ASFC est autorisée à obtenir du fournisseur de services Internet les renseignements relatifs à la connexion Internet, notamment les adresses des sites Web visités et les adresses électroniques auxquelles des messages sont envoyés ou à partir desquelles des messages sont reçus à l’aide de la connexion. Jusqu’à nouvelle ordonnance, aucun logiciel de service téléphonique par Internet ni aucun microphone du genre ne pourront être installés sur les ordinateurs de l’habitation qui sont ou qui pourraient être connectés à l’Internet et, si de tels logiciels ou microphones sont présentement installés, ils doivent être enlevés ou désactivés.

 

ii)      Un télécopieur branché à la ligne téléphonique terrestre de l’habitation est autorisé. Il ne pourra être utilisé que par Mona El Fouli ou Haney El Fouli et il devra être conservé dans la pièce verrouillée ainsi qu’il est prévu à l’alinéa i). L’ASFC est autorisée à intercepter les envois qui seront faits ou reçus par ce télécopieur. Une liste des personnes et bureaux auxquels des télécopies seront envoyées depuis l’habitation, avec indication de leurs numéros de télécopieurs, sera remise à l’ASFC par Mona El Fouli et actualisée au besoin.

 

iii)     Les téléphones cellulaires appartenant à Mona El Fouli et à Haney El Fouli, enregistrés en leurs noms ou utilisés par eux, devront rester en leur possession en tout temps, et Mona El Fouli et Haney El Fouli devront s’assurer que M. Mahjoub n’y ait pas accès. Les numéros de ces téléphones cellulaires devront être communiqués à l’ASFC, et leur utilisation à l’intérieur de l’habitation devra se limiter à la pièce où se trouve l’ordinateur ayant l’accès Internet. Mona El Fouli devra donner son consentement écrit à l’interception, par l’ASFC ou au nom de l’ASFC, de toutes les communications faites au moyen des téléphones cellulaires qu’elle utilise. Haney El Fouli consentira à remettre à l’ASFC les factures mensuelles rendant compte des appels entrants et sortants de son téléphone cellulaire. M. Mahjoub pourra utiliser une ligne téléphonique terrestre conventionnelle, située dans l’habitation (une ligne téléphonique), autre que la ligne téléphonique terrestre spécialisée distincte qui est mentionnée au paragraphe 2 ci‑dessus, à la condition suivante. Avant sa mise en liberté, M. Mahjoub et l’abonné de cette ligne téléphonique consentiront tous deux par écrit à l’interception, par l’ASFC ou au nom de l’ASFC, de toutes les communications échangées sur cette ligne. L’ASFC sera notamment autorisée à intercepter le contenu des communications orales et aussi à obtenir les registres de télécommunications afférents à ladite ligne téléphonique. Le formulaire de consentement sera rédigé par les avocats des ministres. Pour le cas où surviendrait une urgence médicale en dehors de son domicile sans que personne ne soit en mesure de faire l’appel en son nom, M. Mahjoub est également autorisé à téléphoner à l’ASFC pour l’informer de la situation et de l’endroit où il se trouve, en utilisant une ligne téléphonique terrestre extérieure à son domicile. Subsidiairement, M. Mahjoub pourra aussi composer le 911.

 

 

13.

 

Avant la mise en liberté de M. Mahjoub, celui‑ci et toutes les personnes habitant dans la résidence devront consentir par écrit à l’interception, par ou pour le compte de l’ASFC, des communications écrites à destination ou en provenance de la résidence qui sont transmises par la poste, par messagerie ou par un autre moyen. Avant d’occuper la résidence, tout nouvel occupant devra également accepter de donner un tel consentement. La formule de consentement sera préparée par les avocats des ministres.

 

 

14.

 

M. Mahjoub devra permettre aux employés de l’ASFC, à toute personne désignée par l’ASFC et à tout agent de la paix d’entrer dans la résidence en tout temps (après identification) pour vérifier s’il s’y trouve ou s’assurer que lui ou une autre personne se conforment aux conditions de la présente ordonnance. Il est entendu que M. Mahjoub devra permettre à ces personnes de fouiller la résidence, d’en retirer tout objet suspect ou d’y installer ou conserver le matériel requis par le dispositif de télésurveillance ou la ligne téléphonique traditionnelle distincte mentionnés au paragraphe 2 ci‑dessus. Avant la mise en liberté de M. Mahjoub, tous les autres occupants de la résidence devront signer un document, dans une forme acceptable par les avocats des ministres, dans lequel ils acceptent de respecter cette condition. Avant d’occuper la résidence, tout nouvel occupant devra également accepter de respecter cette condition.

 

 

15.

 

 

 Avant sa mise en liberté, M. Mahjoub et les cautions chargées de sa surveillance consentiront par écrit à être interrogés, au besoin, par l’ASFC ou pour son compte, séparément ou ensemble, afin de vérifier si M. Mahjoub ou d’autres personnes respectent les conditions de la présente ordonnance. La Cour pourra aussi demander à Mona El Fouli, à Haney El Fouli ou à El Syed Ahmed de lui faire un rapport périodique sur l’efficacité des conditions.

 

 16.

Avant sa mise en liberté, M. Mahjoub devra remettre son passeport et tout document de voyage, le cas échéant, à un représentant de l’ASFC. Il sera interdit à M. Mahjoub, à moins d’autorisation préalable de l’ASFC, de demander, d’obtenir ou de posséder un passeport ou des documents de voyage, des billets d’autobus, de train ou d’avion ou tout autre document lui permettant de voyager. M. Mahjoub pourra néanmoins utiliser les services de transport en commun par autobus de la ville de Toronto, y compris le traversier des îles de Toronto, ou de la ville de Mississauga, en conformité avec le paragraphe 8 ci‑dessus.

 

17.

Si son renvoi du Canada est ordonné, M. Mahjoub devra se présenter en conséquence aux autorités aux fins de son renvoi. Il devra également se présenter devant la Cour lorsque celle‑ci l’exigera.

 

 18.

M. Mahjoub ne pourra pas posséder une arme, une imitation d’arme, des substances nocives ou des explosifs, ou des composantes de ceux‑ci.

 

 19.

M. Mahjoub devra avoir une bonne conduite et ne pas troubler l’ordre public.

 

20.

Tout agent de l’ASFC ou agent de la paix, s’il a des motifs raisonnables de croire qu’une condition de la présente ordonnance n’a pas été respectée, pourra procéder à l’arrestation sans mandat de M. Mahjoub et le placer en détention. Dans les 48 heures qui suivent, un juge de la Cour, désigné par le juge en chef, devra décider s’il y a eu manquement à une condition de la présente ordonnance, si les conditions de la présente ordonnance devraient être modifiées et si M. Mahjoub devrait être placé sous garde. 

 

21.

 

Si M. Mahjoub ne respecte pas scrupuleusement toutes les conditions de la présente ordonnance, il pourra être détenu sur nouvelle ordonnance de la Cour.

 

 22.

M. Mahjoub ne pourra pas changer de domicile sans l’autorisation préalable de la Cour. Un préavis de 60 jours devra être signifié à l’ASFC, pour que l’ASFC puisse procéder à un examen préalable des risques. Aucun membre de la famille ne pourra occuper le nouveau domicile avant d’y être autorisé par l’ASFC.

 

 23.

Tout manquement à la présente ordonnance constitue une infraction au sens de l’article 127 du Code criminel ainsi qu’une infraction visée à l’alinéa 124(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés.

 

 24.

 

 

 

 

 

 

25.

La Cour peut modifier les conditions de la présente ordonnance en tout temps sur demande d’une partie ou d’office en en avisant les parties. La Cour examinera les conditions de la présente ordonnance : i) lorsque le représentant du ministre décidera si M. Mahjoub peut être renvoyé du Canada ou ii) quatre mois après la date de la présente ordonnance, selon la première des deux éventualités. La Cour décidera ensuite à quels moments les conditions de la présente ordonnance devront être examinées.

 

Ni M. Mahjoub ni aucune personne vivant à son domicile ne pourra enregistrer les agents de l’ASFC, sur bande magnétique ou magnétoscopique, pendant que les agents s’affairent à vérifier l’observation des conditions de la présente ordonnance.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                 DES‑7‑08

 

INTITULÉ :                                                MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                                     ET DE L’IMMIGRATION et MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

c. MAHMOUD ES‑SAYYID MAHJOUB

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                         Toronto (Ontario)

                                                                    

DATES DE L’AUDIENCE :                     Les 22, 23 et 24 octobre 2008

                                                                     Les 18 et 19 novembre 2008

                                                                     Les 17 décembre 2008

                                                                    

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :           La juge Mactavish

 

DATE DES MOTIFS :                              Le 15 janvier 2009

 

 

COMPARUTIONS :

 

Donald MacIntosh

James Mathieson

Angela Marinos

Judy Michaely

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Barbara Jackman

Marlys Edwardh

Adriel Weaver

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

JOHN H. SIMS, C.R.                                                              POUR LES DEMANDEURS

Sous‑procureur général du Canada

 

JACKMAN ET ASSOCIÉS                                                    POUR LE DÉFENDEUR

RUBUY & EDWARDH

Avocats

Toronto (Ontario)

 

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