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Date : 20090115

Dossier : DES‑6‑08

Référence : 2009 CF 33

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION et

 LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

ET DE LA PROTECTION CIVILE

demandeurs

et

 

MAHMOUD ES‑SAYYID JABALLAH

défendeur

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

LA JUGE MACTAVISH

 

[1]                Mahmoud Es‑Sayyid Jaballah fait depuis de nombreuses années l’objet de certificats de sécurité, dont le plus récent a été signé par le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration et par le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile. Après avoir passé plusieurs années en détention, M. Jaballah a été mis en liberté en avril 2007 à certaines conditions très strictes.

 

[2]               La question du caractère raisonnable du certificat de sécurité le plus récent fait l’objet d’une instance présentement en cours devant la juge Dawson, qui est également chargée de contrôler les conditions de la mise en liberté de M. Jaballah.

 

[3]               Dans l’intervalle, M. Jaballah a présenté une requête en vue d’obtenir [traduction] « des éclaircissements au sujet des conditions imposées par la Cour à sa mise en liberté ». Le juge en chef a ordonné que cette requête soit inscrite au rôle pour être instruite en même temps qu’une requête semblable présentée par Mohamed Zeki Mahjoub, un autre individu qui fait l’objet d’un certificat de sécurité. Des motifs distincts sont publiés en même temps que la présente décision à l’égard de la requête de M. Mahjoub.

 

[4]               MM. Jaballah et Mahjoub affirment tous les deux qu’en tentant de vérifier s’ils s’étaient conformés aux conditions de leur mise en liberté, l’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC) leur a en fait imposé de nouvelles conditions sans avoir obtenu l’autorisation d’un tribunal judiciaire. Ils ajoutent que la façon dont l’ASFC vérifie s’ils se sont conformés aux conditions de leur mise en liberté porte atteinte aux articles 7 et 8 de la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, qui constitue l’Annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.‑U.), 1982, ch. 11.

 

[5]               Il y a lieu de signaler que la présente requête a été instruite sur le fondement à la fois d’affidavits et de témoignages donnés de vive voix. Avec le consentement des parties, des transcriptions provenant d’autres instances ont également été déposées devant la Cour, ainsi que toutes les autres décisions publiques antérieures relatives à M. Jaballah. L’instruction de la présente requête s’est déroulée au complet en séance publique, sur la base d’un dossier public. Ainsi que les parties l’ont convenu, la Cour n’a pas tenu compte des éléments de preuve qui avaient été reçus à huis clos dans d’autres instances.

 

 

I.          Contexte

 

[6]               Bien que l’historique des procédures relatives à M. Jaballah soit long, il suffira, pour les besoins de la présente requête, de ne rappeler que quelques faits essentiels.

 

[7]               En août 2001, M. Jaballah a été détenu à la suite de la signature, en vertu de l’alinéa 40.1(3)a) de l’ancienne Loi sur l’immigration, d’un certificat de sécurité par le solliciteur général du Canada et ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration de l’époque.

 

[8]               Au terme des longues procédures qui se sont déroulées devant notre Cour et devant la Cour d’appel fédérale, le juge MacKay a, le 16 octobre 2006, conclu qu’il existait un fondement raisonnable à l’opinion des ministres selon laquelle M. Jaballah était interdit de territoire au Canada au motif que « M. Jaballah s’est livré à des activités terroristes en Égypte dans les années 1980 et, après son départ de ce pays en 1991, à des activités terroristes internationales d’AJ [Al Jihad] et d’Al Qaïda, notamment en tant qu’élément de communication entre diverses cellules terroristes après son arrivée au Canada; de plus que M. Jaballah, par déduction de la position qu’il occupait au sein d’AJ et d’autres réseaux terroristes de personnes avec lesquelles il a eu des contacts après son arrivée au Canada, était membre du réseau d’AJ et d’Al‑Qaïda, au sein duquel il occupait un rang supérieur en tant qu’élément de communication entre diverses cellules terroristes et personnes faisant partie de ce réseau » (Jaballah, 2006 CF 1230, au paragraphe 69).

 

[9]               Le 12 avril 2007, la juge Layden‑Stevenson a ordonné que M. Jaballah soit mis en liberté à certaines conditions (Jaballah c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 379). La juge Layden‑Stevenson a apporté des modifications mineures à ces conditions dans le cadre d’une instance ultérieure. Les conditions auxquelles M. Jaballah est présentement soumis sont jointes en annexe aux présents motifs.

 

[10]           Dans l’arrêt Charkaoui c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2007] 1 R.C.S. 350 (Charkaoui no 1), la Cour suprême du Canada a jugé que la procédure de confirmation judiciaire des certificats établie par la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, était incompatible avec la Charte et qu’elle était, de ce fait, inopérante. L’effet de la déclaration de la Cour a été suspendu pour un an à compter de la date du jugement, pour permettre au gouvernement d’effectuer les modifications nécessaires à la Loi.

 

[11]           Le 22 février 2008, un nouveau certificat de sécurité a été délivré à l’égard de M. Jaballah. Ainsi qu’il a déjà été mentionné, la question du caractère raisonnable de ce second certificat est présentement examinée par la juge Dawson, qui procède également à un nouveau contrôle des conditions de la mise en liberté de M. Jaballah.

 

[12]           Le 17 octobre 2008, M. Jaballah a présenté la requête qui fait l’objet de la présente décision. Dans l’ordonnance du 14 octobre 2008 aux termes de laquelle il a fixé la date d’instruction de la présente affaire (en prévision de la requête effectivement déposée), le juge en chef a dit qu’il craignait que la présente requête ne fasse double emploi avec elle dont la juge Dawson était saisie, ajoutant que le juge qui statuerait sur la présente requête ne devait pas empiéter sur les questions sur lesquelles la juge Dawson était appelée à se prononcer.

 

II.        Questions en litige dans la présente requête

[13]           M. Jaballah adresse trois reproches distincts à l’ASFC :

1.         L’ouverture du courrier adressé à M. Jaballah et aux membres de sa famille, la prise et la conservation de photocopies de ce courrier, et l’utilisation que l’ASFC fait de ces photocopies;

 

2.         La prise de photographies de personnes ayant été en contact avec M. Jaballah et sa famille, et l’utilisation que l’ASFC fait de ces photographies;

 

3.         La surveillance visuelle constante, importune et ostensible dont M. Jaballah fait l’objet chaque fois qu’il sort de chez lui.

 

 

[14]           Nous examinerons à tour de rôle chacune de ces questions.

 

 

III.       Questions relatives au courrier

[15]           Parmi les conditions auxquelles la juge Layden‑Stevenson a assorti la mise en liberté de M. Jaballah dans son ordonnance du 12 avril 2007, on trouve notamment celle l’obligeant à consentir à l’interception de son courrier. Le libellé de la condition a depuis été légèrement modifié, mais ses modalités essentielles demeurent inchangées.

 

[16]           En date du 17 janvier 2008, la condition en question prévoyait ce qui suit :

13.             Avant la mise en liberté de M. Jaballah, celui‑ci et tous les adultes habitant dans la résidence devront consentir par écrit à l’interception, par ou pour le compte de l’ASFC, des communications écrites à destination ou en provenance de la résidence qui sont transmises par la poste, par messagerie ou par un autre moyen. Avant d’occuper la résidence, tout nouvel occupant devra également accepter de donner un tel consentement. La formule de consentement sera préparée par les avocats des ministres.

 

Cette condition est toujours en vigueur.

 

[17]           Le 10 octobre 2007, M. Jaballah a, avec sa femme et son fils adulte, signé le document suivant par lequel ils consentaient à l’interception de leur courrier :

[traduction] Nous, soussignés, autorisons par la présente l’Agence des services frontaliers du Canada ainsi que toute personne agissant pour son compte à intercepter les communications écrites à destination ou en provenance de notre résidence qui nous sont transmises par la poste, par messagerie ou par un autre moyen, à obtenir le courrier se trouvant en la possession de la Société canadienne des postes à destination ou en provenance de notre résidence et à obtenir toute communication écrite se trouvant en la possession d’un service commercial ou privé de messagerie à destination ou en provenance de notre résidence.

 

 

a)         Ouverture de tout le courrier

 

[18]           M. Jaballah s’oppose au fait que l’ASFC ouvre tout le courrier qui lui est adressé ou qui est adressé aux membres de sa famille. Tout en reconnaissant que l’ordonnance de la juge Layden‑Stevenson permet l’interception du courrier, l’avocate de M. Jaballah soutient que la condition imposée par la Cour devrait être assujettie à une « norme de raisonnabilité ».

 

[19]           Plus précisément, la correspondance provenant de source gouvernementale, de même que les communications comme les relevés bancaires et les relevés de cartes de crédit, ne devraient pas être ouvertes puisque, suivant Me Jackman, ces documents ne sauraient d’aucune manière susciter quelque soupçon que ce soit de la part de l’ASFC.

 

[20]           Nul ne prétend que l’interception des communications échangées entre avocat et client soulève un problème dans le cas qui nous occupe.

 

[21]           Dans sa réplique, Me Jackman a effectivement reconnu que l’interception du courrier adressé à M. Jaballah et à sa famille était expressément autorisée par la juge Layden‑Stevenson et que M. Jaballah et les membres adultes de sa famille y avaient consenti. L’ordonnance de la juge Layden‑Stevenson ne prévoit aucune restriction quant au type de courrier qui devrait ou non être ouvert. Imposer maintenant des limites à la capacité de l’ASFC d’ouvrir certains types de communications écrites aurait pour effet, dans le contexte de la présente requête, de modifier une des conditions de la mise en liberté imposées à M. Jaballah par la juge Layden‑Stevenson. Il n’appartient pas à la Cour de prendre une telle mesure dans le cadre de la présente requête, et je refuse donc de le faire.

 

[22]           Si M. Jaballah a des réserves quant au type de courrier que l’ASFC ouvre, il lui est loisible de soulever la question dans le cadre du contrôle des conditions de sa mise en liberté qui se déroule présentement devant la juge Dawson.

 

 

b)  Photocopies du courrier et usage que l’ASFC en fait

 

[23]           Lorsque la présente requête a été introduite, on reprochait à l’ASFC de faire et de conserver des photocopies de tout le courrier adressé à la famille tout en transmettant les originaux à leur destinataire.

 

[24]           Après la première série de journées d’instruction de la présente requête, M. Jaballah et son avocate ont pris connaissance d’éléments de preuve présentés dans le cadre de l’instance introduite devant la juge Layden‑Stevenson au sujet de M. Mahjoub qui ont eu pour effet d’aggraver considérablement les préoccupations de M. Jaballah au sujet de la façon dont l’ASFC traite le courrier de la famille.

 

[25]           Lors de la reprise de l’instruction de la présente requête, la transcription de la déposition des deux témoins de l’ASFC qui avaient témoigné devant la juge Layden‑Stevenson a été déposée devant la Cour, avec le consentement des parties. Les témoins en question étaient Philip Whitehorne et Mohammed Al‑Shalchi.

 

[26]           M. Whitehorne a évidemment témoigné à huis clos devant la juge Layden‑Stevenson. Une version expurgée de son témoignage a par la suite été communiquée à l’avocate de M. Jaballah, et c’est cette version expurgée qui a été soumise à la Cour dans le cadre de la présente requête.

 

[27]           M. Whitehorne est le chef des opérations pour la région du Nord de l’Ontario de l’ASFC. Il est chargé de la gestion du programme d’exécution de la loi en matière d’immigration, par le biais duquel est surveillé Mohamed Harkat, un individu de la région du Nord de l’Ontario qui fait lui aussi l’objet d’un certificat de sécurité.

 

[28]           M. Al‑Shalchi est superviseur de l’exécution de la loi au Centre d’exécution de la Loi du Toronto métropolitain de l’ASFC. Il est chargé de la surveillance et de la mise en œuvre des conditions prévues dans les ordonnances judiciaires qui régissent M. Mahjoub et M. Jaballah. M. Al‑Shalchi a également souscrit un affidavit pour le compte de l’ASFC dans la présente instance et il a été contre‑interrogé assez longuement devant notre Cour.

 

[29]           M. Whitehorne a expliqué qu’une procédure de traitement du courrier intercepté par l’ASFC est prévue dans un Guide national. Ce guide n’a été produit ni par M. Mahjoub ni par M. Jaballah et il n’a pas été soumis à la Cour, car l’ASFC s’est opposée à sa production en invoquant des motifs de sécurité nationale.

 

[30]           Dans le cas de M. Harkat, M. Whitehorne a expliqué que dès que l’ASFC le reçoit, le courrier intercepté est examiné au bureau régional pour vérifier l’existence de risques ou pour savoir si l’intéressé a manqué aux conditions de sa mise en liberté. Tout le courrier est photocopié et des copies du courrier sont ensuite transmises à l’unité d’anti‑terrorisme de la Direction générale de la sécurité nationale à l’Administration centrale de l’ASFC.

 

[31]           Suivant M. Whitehorne, l’unité d’anti‑terrorisme est chargée de vérifier, d’un point de vue stratégique, tout renseignement permettant de croire que l’un quelconque des individus détenus en vertu d’un certificat de sécurité pourrait présenter un risque. Il a expliqué que l’unité d’anti‑terrorisme possède une expertise plus poussée que le bureau régional en matière d’évaluation des renseignements de sécurité stratégiques.

 

[32]           M. Whitehorne a ajouté qu’il croyait comprendre que l’unité d’anti‑terrorisme de l’ASFC analyserait ensuite le courrier photocopié pour vérifier si l’on pouvait y déceler des constantes ou encore pour déterminer s’il révélait l’existence d’un risque pour le public ou pour les fonctionnaires chargés de la surveillance.

 

[33]           M. Whitehorne a également déclaré que c’est le bureau régional de l’ASFC qui est chargé de surveiller M. Harkat, alors que l’un des principaux objectifs de l’unité d’anti‑terrorisme est de recueillir des renseignements au sujet de la personne visée et de ses contacts.

 

[34]           Dans l’ensemble, le témoignage de M. Al‑Shalchi va dans le même sens que celui de M. Whitehorne. Il a expliqué que, dans le cas de MM. Mahjoub et Jaballah, les procédures normales d’exploitation que doivent suivre les bureaux locaux de l’ASFC prévoient que l’inspection du courrier doit être effectuée par des fonctionnaires du Centre d’exécution de la Loi de Toronto. Les originaux sont transmis à leur destinataire, et la réception et la livraison du courrier sont consignées dans le système de compte rendu des activités de surveillance de l’ASFC. On fait également deux séries de photocopies du courrier au Centre d’exécution de la Loi de Toronto.

 

[35]           En prenant des photocopies du courrier, le Centre d’exécution de la Loi de Toronto est en mesure de faire parvenir le courrier à ses destinataires plus rapidement qu’il ne serait autrement possible. Le fait de conserver des copies du courrier au Centre d’exécution de la Loi de Toronto facilite par ailleurs le repérage du courrier si de la correspondance est perdue ou ne parvient pas à son destinataire.

 

[36]           Suivant M. Al‑Shalchi, les agents qui sont chargés d’appliquer la loi à l’intérieur du pays et qui travaillent au Centre d’exécution de la Loi de Toronto procèdent à une analyse « superficielle » du courrier. Comme les agents du Centre d’exécution de la Loi de Toronto ne possèdent pas d’expertise en matière d’analyse du renseignement, une série de photocopies est transmise pour analyse au directeur de l’unité d’anti‑terrorisme à Ottawa, et une autre série de copies est conservée au Centre d’exécution de la Loi de Toronto.

 

[37]           L’aspect sur lequel M. Al‑Shalchi et M. Whitehorne divergent d’opinion dans leur témoignage concerne l’objectif visé par l’analyse du courrier effectuée par l’unité d’anti‑terrorisme à Ottawa. M. Whitehorne s’est dit d’avis qu’un des objectifs visés par l’analyse que l’unité d’anti‑terrorisme effectue du courrier des individus faisant l’objet d’un certificat de sécurité est de recueillir des renseignements au sujet de la personne visée et de ses contacts.

 

[38]           En revanche, M. Al‑Shalchi croit comprendre que le mandat de l’unité d’anti‑terrorisme consiste simplement à s’assurer que l’intéressé a respecté les conditions de sa mise en liberté, notamment en ce qui concerne le risque de communications non autorisées.

 

[39]           À cette fin, M. Al‑Shalchi explique que les analystes de l’unité d’anti‑terrorisme examinent le courrier à la recherche d’indices et de constantes qu’un examen plus superficiel des documents n’aurait pas révélé aussi facilement. En outre, les analystes de l’unité d’anti‑terrorisme connaissent bien les codes, ce qui n’est pas le cas des fonctionnaires locaux du Centre d’exécution de la Loi de Toronto. En conservant des photocopies du courrier, les analystes de l’unité d’anti‑terrorisme sont en mesure de consulter la correspondance plus ancienne et de la réexaminer, advenant le cas où un message codé est détecté dans une communication écrite ultérieure.

 

c) Thèse des parties en ce qui concerne le courrier

[40]           MM. Mahjoub et Jaballah admettent qu’ils ne peuvent invoquer les droits garantis à l’article 8 de la Charte pour le compte de membres de leur famille qui sont touchés par l’interception de leur courrier par l’ASFC. Il s’ensuit que l’unique question que la Cour doit trancher est celle de savoir si le fait de prendre des copies du courrier personnel de MM. Mahjoub et Jaballah et de transmettre des copies de ce courrier à l’unité d’anti‑terrorisme de l’ASFC à Ottawa porte atteinte aux droits que leur garantit l’article 8 de la Charte.

 

[41]           En ce qui concerne la photocopie de leur propre courrier, MM. Mahjoub et Jaballah reconnaissent que l’« interception », au sens où l’entend le Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C‑46, englobe le fait de copier les documents interceptés. Ils reconnaissent d’ailleurs la légitimité d’une copie d’une partie de leur courrier lorsqu’il existe « des motifs probables et raisonnables de croire » ou, à titre subsidiaire, « un doute raisonnable » qu’une communication non autorisée a pu se produire, en violation des conditions de leur mise en liberté.

 

[42]           Ceci étant dit, MM. Mahjoub et Jaballah affirment que, rien dans le consentement qu’ils ont donné en conformité avec l’ordonnance prononcée par le juge Mosley, dans le cas de M. Mahjoub, et par la juge Layden‑Stevenson, dans le cas de M. Jaballah, ne prévoit la possibilité de photocopier tout leur courrier et la conservation de ces photocopies par l’ASFC. Dans ces conditions, et à défaut de raison valable permettant de croire qu’ils ont manqué à l’une des conditions d’une ordonnance judiciaire, ils affirment que le fait de faire des photocopies de leur courrier et de les conserver constitue une saisie non autorisée qui contrevient à l’article 8 de la Charte.

 

[43]           MM. Mahjoub et Jaballah font par ailleurs valoir que le consentement qu’ils ont signé ne visait qu’une seule et unique fin, en l’occurrence permettre à l’ASFC de vérifier s’ils se conformaient aux conditions de leur mise en liberté. Ni l’un ni l’autre n’a jamais consenti à ce que l’ASFC examine son courrier pour recueillir des renseignements.

 

[44]           MM. Mahjoub et Jaballah rappellent que l’organisme gouvernemental chargé par la loi de recueillir des renseignements est le Service canadien du renseignement de sécurité (le SCRS) et non l’ASFC. Si le gouvernement canadien souhaite être en mesure de recueillir d’autres renseignements au sujet de M. Mahjoub ou de M. Jaballah, il est loisible au SCRS de s’adresser aux tribunaux pour être autorisé à le faire selon la procédure prévue aux articles 12 et 21 de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, L.R.C. 1985, ch. C‑23.

 

[45]           Me McIntosh affirme, pour le compte de l’ASFC, qu’on ne réclame pas des « éclaircissements » au sujet des paramètres des conditions imposées par la Cour à MM. Mahjoub et Jaballah. Selon Me McIntosh, MM. Mahjoub et Jaballah cherchent plutôt à faire modifier ces conditions, pour que l’ASFC ne puisse photocopier le courrier que dans certains cas précis, c’est‑à‑dire lorsqu’il a été satisfait à un critère minimal de doute.

 

[46]           Tout en reconnaissant que les conditions dont est assortie la mise en liberté de MM. Mahjoub et Jaballah n’autorisent pas expressément l’ASFC à photocopier le courrier, Me McIntosh soutient que ce pouvoir découle implicitement de l’ensemble des circonstances de l’espèce.

 

[47]           Les ordonnances de la Cour permettent effectivement à l’ASFC d’examiner le courrier pour s’assurer qu’aucun des deux individus qu’elles visent n’a procédé à une communication non autorisée. Vu le témoignage non contredit de M. Al‑Shalchi suivant lequel le Centre d’exécution de la Loi de Toronto ne possède pas l’expertise nécessaire pour procéder à une analyse approfondie du courrier intercepté, il est parfaitement raisonnable, fait valoir Me McIntosh, que des copies du courrier soient envoyées au service compétent de l’ASFC.

 

[48]           Cette façon de procéder pourrait d’ailleurs s’avérer avantageuse pour MM. Mahjoub et Jaballah, explique Me McIntosh, car elle limite les risques que l’on « prenne une décision à la hâte » en concluant à un manquement aux conditions sans disposer d’une expertise suffisante pour procéder à une évaluation appropriée.

 

[49]           Me McIntosh affirme en outre que, comme l’interception du courrier de M. Mahjoub et de M. Jaballah était expressément autorisée aux termes d’une ordonnance judiciaire, aucun de ces deux hommes ne pouvait avoir une attente raisonnable en ce qui concerne le respect de sa vie privée relativement à ce courrier. À défaut d’attente raisonnable en matière de vie privée, il ne peut y avoir de violation de l’article 8 de la Charte.

 

[50]           Me McIntosh affirme également qu’il n’est pas toujours possible d’établir une distinction nette entre, d’une part, le contrôle de la conformité de MM. Mahjoub et Jaballah aux conditions de leur mise en liberté et, d’autre part, la cueillette de renseignements. À son avis, les deux activités sont légitimes car elles se rapportent toutes les deux à la question de savoir si M. Mahjoub et M. Jaballah sont interdits de territoire au Canada.

 

[51]           Me McIntosh affirme en outre que l’ASFC est habilitée à recueillir des renseignements dans le cadre de la mission qui lui est confiée au sujet des personnes désignées dans les certificats de sécurité. Au soutien de cette proposition, il cite le paragraphe 113 de la décision de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Charkaoui no 1.

 

[52]           En effet, dans l’arrêt Charkaoui no 1, la Cour suprême a analysé les facteurs dont la Cour fédérale doit tenir compte lorsqu’elle procède au contrôle de la légalité d’une détention. La Cour a expliqué que la durée de la période de détention constitue un facteur pertinent, en faisant observer ce qui suit :

Une longue période de détention suppose également que le gouvernement a eu le temps de rassembler les éléments de preuve établissant la nature du danger que pose le détenu. Si le fardeau de la preuve qui incombe au gouvernement peut être assez peu exigeant lors du contrôle initial de la détention […], il doit être plus lourd lorsque le gouvernement a eu plus de temps pour faire enquête et documenter le danger. [Non souligné dans l’original.]

 

 

[53]           Suivant Me McIntosh, par ces propos, la Cour suprême du Canada a invité « le gouvernement », y compris l’ASFC, à se livrer à de la cueillette de renseignements en ce qui concerne les questions ayant trait à la sécurité nationale.

 

ANALYSE

i)          L’ASFC a‑t‑elle le droit de photocopier le courrier?

[54]           L’article 8 de la Charte dispose : « Chacun a droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives ». Bien que je sois convaincue que la prise et la conservation de photocopies du courrier de MM. Mahjoub et Jaballah équivaut à une « saisie » au sens de l’article 8 de la Charte, j’estime, compte tenu de l’ensemble des circonstances, que cette saisie n’est pas « abusive ».

 

[55]           En tout premier lieu, ainsi que la Cour suprême du Canada l’a fait observer dans l’arrêt Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145, bien que l’article 8 de la Charte protège le droit à la vie privée, la garantie contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives prévue à l’article 8 ne protège que les attentes raisonnables en matière de respect de la vie privée.

 

[56]           MM. Mahjoub et Jaballah reconnaissent tous les deux avoir consenti à l’interception de leur courrier en vue de permettre à l’ASFC de vérifier s’ils se conforment aux conditions de leur mise en liberté. Ces conditions ont été imposées par la Cour pour s’assurer de neutraliser la menace à la sécurité nationale qu’ils pourraient tous les deux constituer.

 

[57]           En réalité, ni M. Mahjoub ni M. Jaballah ne pouvaient, s’agissant de leur courrier personnel, avoir d’attente raisonnable en matière de respect de la vie privée, puisque l’ASFC se sert précisément des renseignements contenus dans ce courrier pour évaluer la menace que représentent MM. Mahjoub et Jaballah et pour vérifier s’ils se sont conformés aux conditions de leur mise en liberté.

 

[58]           Deuxièmement, on pourrait soutenir que la prise de photocopies est implicitement autorisée par le libellé des ordonnances du juge Mosley et de la juge Layden‑Stevenson, qui ont tous les deux autorisé l’« interception » du courrier de MM. Mahjoub et Jaballah sur réception de leur consentement écrit. D’ailleurs, Me Weaver a admis, lors des débats, que les ordonnances de la Cour permettaient effectivement de photocopier certains documents.

 

[59]           Les dispositions du Code criminel relatives aux atteintes à la vie privée précisent d’ailleurs que l’interception des communications s’entend notamment du fait d’enregistrer ou de copier une communication. À titre d’exemple, s’agissant de l’interception de communications privées au moyen d’un dispositif électromagnétique, acoustique, mécanique ou autre, l’article 183 du Code précise qu’« intercepter » « s’entend notamment du fait d’écouter, d’enregistrer ou de prendre volontairement connaissance d’une communication ou de sa substance, son sens ou son objet » [non souligné dans l’original].

 

[60]           De même, en ce qui concerne les dispositions du Code portant sur l’utilisation non autorisée d’ordinateurs, l’article 342.1 définit comme suit le terme « intercepter » : « [le] fait d’écouter ou d’enregistrer une fonction d’un ordinateur ou de prendre connaissance de sa substance, de son sens ou de son objet » [non souligné dans l’original].

 

[61]           Enfin, et en tout état de cause, il existe plusieurs raisons pour lesquelles le fait de photocopier du courrier et d’en conserver des copies constitue une mesure tout à fait raisonnable compte tenu de l’ensemble des circonstances. Tout d’abord, cela permet d’acheminer le courrier en temps utile aux familles Mahjoub et Jaballah, ce qui revêt une importance particulière, si l’on considère que MM. Mahjoub et Jaballah se plaignent du fait que le temps qui s’écoule avant que des factures ne parviennent entre les mains des personnes visées par des certificats de sécurité et de leur famille nuit à la cote de crédit de ces familles.

 

[62]           Qui plus est, les ordonnances de la Cour autorisent « l’ASFC » à intercepter le courrier de MM. Mahjoub et Jaballah. Le pouvoir d’interception conféré par les ordonnances ne se limite pas au Centre d’exécution de la Loi de Toronto. Compte tenu du présumé manque d’expertise en la matière du Centre d’exécution de la Loi de Toronto, il est raisonnable que celui‑ci transmette des photocopies du courrier aux personnes compétentes de l’ASFC qui possèdent l’expertise voulue pour analyser le courrier en vue de s’assurer qu’aucun manquement n’a été commis aux conditions régissant la mise en liberté de M. Mahjoub et de M. Jaballah.

 

[63]           Le fait de conserver des copies du courrier permet également de retracer les lettres que MM. Mahjoub et Jaballah ou les membres de leur famille peuvent ne pas avoir reçues, comme il s’est produit avec les cartes d’admissibilité au programme de médicaments gratuits, qui ont de toute évidence été égarées. Conserver des copies du courrier permet également à l’ASFC de réexaminer le courrier advenant le cas où l’on décèlerait par la suite un code ou une constante quelconque.

 

[64]           En dernier lieu, la destruction des copies du courrier gardé par l’ASFC risquerait de susciter des préoccupations en ce qui concerne le respect des exigences du gouvernement du Canada en matière de conservation des documents. La destruction de copies du courrier risquerait aussi de susciter des inquiétudes au sujet de l’équité dans les instances subséquentes mettant en cause M. Mahjoub ou M. Jaballah (Charkaoui c. Canada (Citoyenneté et Immigration), [2008] A.C.S. no 39 (Charkaoui no 2).

 

ii)        Qu’est‑ce que l’ASFC a le droit de faire avec les photocopies du courrier?

[65]            Comme je suis convaincue que le fait de photocopier le courrier de MM. Mahjoub et Jaballah et de conserver les photocopies en question ne porte pas atteinte à l’article 8 de la Charte, la question suivante qui se pose est celle de savoir s’il y a des restrictions à l’utilisation que l’ASFC peut faire des copies du courrier.

 

[66]           À cet égard, je suis d’accord avec MM. Mahjoub et Jaballah pour dire que le consentement qu’ils ont donné à l’ASFC relativement à l’interception de leur courrier avait une portée limitée, et que ce consentement n’avait pas pour effet de donner carte blanche à l’ASFC pour qu’elle utilise leur courrier à n’importe quelle fin.

 

[67]           Pour arriver à cette conclusion, je commencerais par signaler que, contrairement à la thèse que défend l’ASFC dans la présente affaire, il ressort du paragraphe 113 de l’arrêt Charkaoui no 1 que cette partie de l’arrêt de la Cour suprême du Canada ne vise pas à conférer au gouvernement du Canada le pouvoir de se livrer à de la cueillette de renseignements dans le contexte d’une instance relative à la sécurité nationale, dans laquelle un tel pouvoir pourrait autrement ne pas exister.

 

[68]           Bien que les ordonnances des juges Mosley et Layden‑Stevenson autorisent de toute évidence l’ASFC à intercepter le courrier de MM. Mahjoub et Jaballah, les ordonnances précisent par ailleurs clairement que cette interception ne peut avoir lieu qu’une fois que MM. Mahjoub et Jaballah y ont consenti.

 

[69]           Je relève aussi que les conditions imposées par les juges Mosley et Layden‑Stevenson, notamment celle relative à l’interception du courrier, ont été imposées dans le cadre du contrôle de la légalité de la détention et qu’elles se voulaient un moyen de neutraliser la menace suscitée par la mise en liberté de M. Mahjoub et de M. Jaballah.

 

[70]           À cette fin, les conditions imposées par la Cour, y compris notamment celles autorisant l’interception du courrier, la surveillance des appels téléphoniques et le droit d’inspecter le domicile de MM. Mahjoub et Jaballah visaient toutes manifestement à donner à l’ASFC la capacité de vérifier si MM. Mahjoub et Jaballah se conformaient aux conditions de leur mise en liberté.

 

[71]           Il n’y a rien dans les motifs des ordonnances du juge Mosley ou de la juge Layden‑Stevenson qui permette de penser que les conditions imposées par la Cour visaient par ailleurs à fournir à l’ASFC un outil d’enquête de plus pour l’aider à étoffer sa preuve contre M. Mahjoub ou M. Jaballah dans le cadre d’instances portant sur un certificat de sécurité.

 

[72]           En outre, le fait que MM. Mahjoub et Jaballah ont consenti à l’interception de leur courrier par l’ASFC dans le but de permettre à l’ASFC de vérifier s’ils constituent une menace et s’ils se conforment aux conditions de leur mise en liberté ne signifie pas qu’ils ont renoncé à toutes fins utiles aux droits que leur garantit l’article 8 de la Charte en ce qui concerne leur courrier.

 

[73]           Pour reprendre les propos qu’a tenus la Cour suprême du Canada dans l’arrêt R. c. Dyment, [1988] 2 R.C.S. 417, au paragraphe 26 : « il y a saisie au sens de l’art. 8 lorsque les autorités prennent quelque chose appartenant à une personne sans son consentement ».

 

[74]           Cependant, même si une personne a accepté de livrer des renseignements ou des biens pour une fin déterminée, il ne s’ensuit pas pour autant que ce consentement équivaille nécessairement à une renonciation concrète et à toutes fins utiles aux droits que lui reconnaît l’article 8 de la Charte.

 

[75]           À titre d’exemple, dans l’arrêt R. c. Wills, (1992), 7 O.R. (3d) 337), la Cour d’appel de l’Ontario a jugé que la fourniture volontaire d’échantillons d’haleine aux fins de la procédure d’alcootest constituait néanmoins une saisie illégale si le consentement de l’accusé était vicié parce qu’on ne lui avait pas fourni certains renseignements sur des faits importants ou qu’on lui avait fait de bonne foi de fausses déclarations sur des faits importants.

 

[76]           La Cour d’appel de l’Ontario a déclaré que, pour qu’un puisse considérer que l’intéressé a effectivement renoncé aux droits que lui garantit l’article 8 de la Charte, le ministère public doit établir, selon la prépondérance des probabilités, l’existence des éléments suivants :

[traduction]

(i)             il y a eu consentement exprès ou implicite;

 

(ii)           la personne qui a donné le consentement avait le pouvoir de le faire;

 

(iii)          le consentement était volontaire […] et ne découlait pas de mesures d’oppression ou de coercition ou de quelque autre conduite externe de la part des policiers, niant à l’individu visé la liberté de décider ou non de permettre aux policiers de donner suite à leur demande;

 

(iv)         la personne qui a donné le consentement était consciente de la nature de la conduite des policiers à laquelle on lui demandait de consentir;

 

(v)           la personne qui a donné le consentement était au fait de son droit de refuser de permettre aux policiers de faire ce qu’ils demandaient;

 

(vi)         la personne qui a donné le consentement connaissait les conséquences susceptibles de découler de sa décision de donner son consentement. (Wills, au paragraphe 69.)

 

 

[77]           Ce sont la quatrième et la sixième des conditions énoncées dans l’arrêt Wills qui sont en litige dans le cas qui nous occupe.

 

[78]           Il convient de signaler que l’approche retenue dans l’arrêt Wills en ce qui concerne la question de la validité du renoncement a été approuvée par la Cour suprême du Canada. En effet, dans l’arrêt R. c. Borden, [1994] 3 R.C.S. 145, la Cour suprême a jugé qu’un échantillon de sang qu’un suspect avait fourni de son plein gré en rapport avec l’agression sexuelle dont il était soupçonné équivalait malgré tout à une saisie illégale qui violait l’article 8 de la Charte si l’échantillon avait en fait été utilisé dans le cadre d’une enquête portant sur une autre agression sexuelle.

 

[79]           Pour conclure que le consentement donné par l’accusé ne constituait pas une renonciation à toutes fins utiles aux droits que lui garantissait l’article 8 de la Charte relativement à l’échantillon sanguin, la Cour suprême a statué que, pour qu’un consentement soit considéré comme une renonciation réelle, le suspect « doit disposer de tous les renseignements requis pour pouvoir renoncer réellement à ce droit ». Autrement dit, la capacité de choisir « exige non seulement que la personne puisse exercer sa volonté de préférer une solution à une autre, mais aussi qu’elle possède suffisamment de renseignements pour faire un choix utile » (Borden, au paragraphe 34).

 

[80]           En ce qui concerne l’ampleur des renseignements qui doivent être communiqués pour qu’il y ait réellement renonciation aux droits garantis par l’article 8, la Cour suprême a expliqué ce qui suit, dans l’arrêt Borden :

Le degré de conscience qu’un accusé doit avoir des conséquences d’une renonciation au droit qui lui est garanti par l’art. 8 dépend des faits particuliers de chaque cas. Évidemment, il ne sera pas nécessaire que l’accusé ait une compréhension approfondie de chacune des répercussions possibles de son consentement. Toutefois, il devrait comprendre notamment que les policiers comptent utiliser le produit de la saisie dans une enquête portant sur une infraction différente de celle pour laquelle il est détenu [Borden, au paragraphe 40].

 

 

[81]           Dans le même ordre d’idées, dans l’arrêt R. c. Colarusso, [1994] 1 R.C.S. 20, à la page 55, la Cour suprême a reconnu que le consentement au prélèvement d’échantillons de sang pouvait être limité à certaines fins précises. Formulant des commentaires au sujet de l’arrêt Colarusso, la Cour suprême a reconnu, dans l’arrêt Borden, que « [c]e concept révèle l’existence d’un lien entre l’étendue d’un consentement valide et l’étendue de la connaissance qu’a l’accusé des conséquences de ce consentement » (Borden, au paragraphe 35).

 

[82]           Il découle implicitement du raisonnement de la Cour suprême que, pour que la renonciation aux droits prévus à l’article 8 soit réelle, la personne qui est censée donner son consentement doit disposer de « tous les renseignements requis » pour pouvoir renoncer véritablement à ce droit.

 

[83]           L’affaire R. c. Smith, 1998 ABCA 418 constitue un autre exemple d’un cas dans lequel le consentement donné à une fin précise a été jugé ne pas emporter renonciation à toutes autres fins aux droits garantis par l’article 8. Dans l’arrêt Smith, la Cour d’appel de l’Alberta a jugé abusive la perquisition sans mandat effectuée dans le sous‑sol d’une résidence privée et ce, même si l’accusé avait consenti à ce que les policiers pénètrent au rez‑de‑chaussée pour s’assurer qu’une personne qui avait appelé le service 911 était hors de danger.

 

[84]           Pour exclure les éléments de preuve recueillis lors de la perquisition effectuée au sous‑sol, la Cour d’appel de l’Alberta a expliqué que [traduction] « [m]ême si l’entrée dans les lieux était légale, le consentement donné ne visait qu’une fin limitée, soit à s’assurer que la personne qui avait appelé était en sécurité. Il ne s’ensuit pas qu’il était permis de perquisitionner dans les lieux en question à d’autres fins » (Smith, au paragraphe 8).

 

[85]           Je reconnais que toutes les décisions susmentionnées relèvent du droit criminel, alors que les instances dans lesquelles MM. Mahjoub et Jaballah sont engagés ne sont pas des procès au criminel. Toutefois, compte tenu des aspects importants du droit à la liberté qui sont en jeu lorsqu’une personne fait l’objet d’un certificat de sécurité et du fait que le défaut de se conformer aux conditions de leur mise en liberté pourrait être considéré comme une infraction criminelle, je suis convaincue qu’il convient de faire une analogie avec les règles de droit qui ont été élaborées dans le contexte du droit criminel pour déterminer les conditions à remplir pour qu’on puisse conclure, en l’espèce, qu’il y a effectivement eu renonciation aux droits garantis par l’article 8 de la Charte.

 

[86]           Le consentement donné dans le cas de MM. Mahjoub et Jaballah visait à permettre à l’ASFC de vérifier s’ils constituaient l’un ou l’autre une menace pour la sécurité nationale et s’ils s’étaient conformés aux conditions de leur mise en liberté.

 

[87]           M. Al‑Shalchi a reconnu en toute franchise dans son témoignage qu’on n’avait jamais dit à M. Mahjoub ni à M. Jaballah que leur courrier avait été acheminé à l’unité d’anti‑terrorisme de l’ASFC à Ottawa. Rien ne permet non plus de penser que l’un ou l’autre de ces hommes a été mis au courant que son courrier pouvait être examiné par l’ASFC dans le but de recueillir des renseignements ou à toute autre fin.

 

[88]           En conséquence, dans l’hypothèse où l’ASFC se sert effectivement du courrier de MM. Mahjoub et Jaballah à des fins autres que la surveillance de la menace qu’ils représentent pour la sécurité nationale et la vérification qu’ils se conforment aux conditions de leur mise en liberté ─ une question qui sera abordée dans la section suivante des présents motifs ─ cette utilisation ne serait pas autorisée et elle violerait les droits garantis à ces deux personnes par l’article 8.

 

[89]           Me McIntosh souligne que M. Mahjoub et M. Jaballah étaient tous les deux représentés par des avocats chevronnés pendant toute la durée de la présente instance et que ceux‑ci avaient effectivement participé à la rédaction des consentements. Suivant Me McIntosh, il incombait à MM. Mahjoub et Jaballah d’assortir de restrictions les consentements qu’ils signaient s’ils ne souhaitaient pas que ces consentements soient illimités.

 

[90]           Je ne suis pas de cet avis.

 

[91]           Bien que l’interception du courrier soit explicitement prévue par les ordonnances des juges Mosley et Layden‑Stevenson, la capacité de l’ASFC d’intercepter le courrier dépendait de la fourniture du consentement de MM. Mahjoub et Jaballah. Sans ce consentement ou sans une autorisation expresse subséquente du tribunal, l’ASFC ne pouvait prendre aucune mesure au sujet du courrier de MM. Mahjoub et Jaballah.

 

[92]           Le fait que MM. Mahjoub et Jaballah aient pu bénéficier de l’aide d’un avocat pour signer ce consentement n’est d’aucune utilité pour l’ASFC. Le conseil que donne un avocat n’est valable que dans la mesure où les renseignements sur lesquels il repose le sont aussi.

 

[93]           Bien que le consentement qu’ils ont donné ait eu pour effet de restreindre sensiblement les attentes en matière de vie privée de MM. Mahjoub et Jaballah pour ce qui est de leur courrier, il n’en demeure pas moins qu’ils n’ont pas renoncé à toutes fins que de droit à la totalité de leurs droits à leur vie privée en ce qui concerne leur courrier. Ils ont très certainement renoncé aux droits que leur garantit l’article 8 de manière à permettre à l’ASFC de vérifier s’ils représentent une menace et de s’assurer qu’ils se conforment aux conditions de leur mise en liberté. Mais on ne leur a pas communiqué suffisamment de renseignements pour leur permettre de renoncer réellement aux droits garantis par l’article 8 en ce qui concerne leur courrier à toute autre fin.

 

[94]           La question suivante qui se pose est donc celle de savoir si l’ASFC a effectivement soumis le courrier de MM. Mahjoub et Jaballah à une forme d’examen qui n’a été ni autorisée par un tribunal ni consentie par l’un ou l’autre d’entre eux.

 

iii)       L’ASFC a‑t‑elle débordé le cadre de ce qui est autorisé par les consentements dans la façon dont elle a traité le courrier?

[95]           Pour les motifs qui suivent, je ne suis pas disposée à tirer quelque conclusion que ce soit sur la question de savoir si l’ASFC a effectivement outrepassé ses pouvoirs dans la façon dont elle a traité le courrier de M. Mahjoub et de M. Jaballah.

 

[96]           L’instruction de la présente requête s’est déroulée d’une façon quelque peu inusitée. Les avocats ont d’abord demandé que les affidavits déposés à l’appui de la requête soient considérés comme la preuve principale des déclarants, que ceux‑ci soient autorisés à témoigner de vive voix pour communiquer les renseignements les plus récents au sujet des faits visés par leur affidavit et que chaque déclarant se rende disponible pour être contre‑interrogé à l’audience.

 

[97]           Alors que l’instruction de la présente requête était en cours, la requête visant à faire modifier les conditions de la mise en liberté de M. Mahjoub était également à l’examen devant la juge Layden‑Stevenson. Ainsi qu’il a déjà été mentionné, c’est au cours de l’instance introduite devant la juge Layden‑Stevenson que des renseignements complémentaires ont été révélés par l’intermédiaire du témoignage de MM. Whitehorne et Al‑Shalchi au sujet de ce que l’ASFC faisait effectivement avec les photocopies du courrier de MM. Mahjoub et Jaballah.

 

[98]           Les parties ont alors déposé devant la Cour dix volumes contenant la transcription du témoignage que MM. Whitehorne et Al‑Shalchi avaient donné lors de l’audience se déroulant devant la juge Layden‑Stevenson, pour que ces témoignages soient considérés comme des éléments de preuve dans le cadre de la présente requête. Ainsi qu’il a déjà été signalé, certains passages du témoignage que M. Whitehorne a donné à huis clos ont été retranchés de la transcription et n’ont pas été communiqués aux avocats de MM. Mahjoub et Jaballah ou à la Cour lors de l’instruction de la présente requête.

 

[99]           J’ai déjà signalé les contradictions qui existent entre le témoignage de M. Whitehorne et celui de M. Al‑Shalchi au sujet de l’objectif visé par l’examen du courrier de MM. Mahjoub et Jaballah auquel procède l’unité d’anti‑terrorisme de l’ASFC à Ottawa.

 

[100]       Au cours de l’instruction de la présente requête, j’ai fait part de mes inquiétudes aux parties au sujet de la façon dont la présente affaire se déroulait et de ma crainte qu’il y ait un chevauchement entre les questions qui me sont soumises et celles qui ont été portées à l’attention de la juge Dawson, dans le dossier de M. Jaballah, et plus particulièrement celles sur lesquelles la juge Layden‑Stevenson est appelée à se prononcer dans le dossier de M. Mahjoub. Les parties ont d’ailleurs admis que la Cour avait été placée dans une position très difficile dans la présente requête.

 

[101]       Pour illustrer concrètement ces difficultés, mentionnons le fait qu’alors que Me McIntosh était en train de faire son plaidoyer final, les avocats m’ont informée que Mme Elizabeth Snow, la gestionnaire de l’unité d’anti‑terrorisme, à l’Administration centrale de l’ASFC, avait depuis témoigné devant la juge Layden‑Stevenson, tant en séance publique qu’à huis clos, au sujet de l’examen du courrier intercepté auquel procède l’unité d’anti‑terrorisme.

 

[102]       Il n’y a certainement personne qui soit mieux placé que la gestionnaire de l’unité d’anti‑terrorisme elle‑même pour expliquer la nature exacte du travail qu’effectue en fait cette unité avec le courrier de MM. Mahjoub et Jaballah.

 

[103]       Le témoignage de Mme Snow n’a toutefois pas été porté à ma connaissance dans le cadre de la présente requête. On me demande donc de résoudre des contradictions relevées dans la preuve et de tirer des conclusions de fait en me fondant sur un dossier de preuve incomplet. Mes préoccupations sont exacerbées par le fait que toute conclusion que je pourrais tirer à cet égard pourrait avoir des conséquences importantes sur les instances qui se déroulent devant la juge Dawson et la juge Layden‑Stevenson.

 

[104]       Comme le dossier de preuve dont je dispose sur cette question est incomplet, je ne suis pas disposée à tirer une conclusion sur la question de savoir si l’ASFC a effectivement outrepassé sa compétence dans la façon dont elle s’est occupée du courrier. Il est préférable de laisser aux juges chargés de modifier ou d’examiner les conditions de la mise en liberté de MM. Mahjoub et Jaballah le soin de se prononcer sur ces questions sur le fondement d’un dossier de preuve complet.

 

iv)        Conclusion en ce qui concerne les questions relatives au courrier

[105]       En résumé, je conclus ce qui suit :

1.         L’ASFC a le droit d’ouvrir tout le courrier adressé à M. Mahjoub ou à M. Jaballah;

2.         L’ASFC a le droit de faire et de conserver des photocopies du courrier de M. Mahjoub et de M. Jaballah dans le but de vérifier s’ils constituent une menace à la sécurité nationale et s’ils se conforment aux conditions de leur mise en liberté;

3.         Ni les ordonnances des juges Mosley et Layden‑Stevenson ni les consentements signés par MM. Mahjoub et Jaballah n’autorisent l’ASFC à utiliser le courrier de MM. Mahjoub et Jaballah à toute autre fin;

4.         La Cour ne tire aucune conclusion sur la question de savoir si l’ASFC a effectivement outrepassé sa compétence dans la façon dont elle a traité le courrier.

 

 

IV.       Questions se rapportant à la prise de photographies

[106]       M. Jaballah affirme que l’ASFC prend régulièrement des photographies de lui‑même et de membres de sa famille lorsqu’ils se trouvent à l’extérieur de leur maison. Il reproche également à l’ASFC de prendre des photos de tierces personnes qui entrent en contact avec lui ou avec des membres de sa famille.

 

[107]       À titre d’exemple, M. Jaballah a raconté que, le 30 août 2007, le jour où la famille emménageait dans une nouvelle maison, des agents de l’ASFC qui se trouvaient devant la résidence familiale ont pris des photographies des personnes qui aidaient la famille à déménager.

 

[108]       M. Jaballah a également mentionné dans son témoignage un incident survenu le 1er octobre 2008, lorsque des agents de l’ASFC ont photographié M. Jaballah et des membres de sa famille alors qu’ils quittaient la résidence familiale pour se rendre aux célébrations de l’Eid. Suivant M. Jaballah, les agents n’ont arrêté de prendre des photos que lorsque Ali Jaballah, le fils de M. Jaballah, âgé de 13 ans, les a accostés pour leur demander ce qu’ils faisaient.

 

[109]       Ali Jaballah a témoigné devant la Cour et fourni des détails supplémentaires au sujet de l’incident survenu le 1er octobre 2008. Suivant Ali, alors que lui et l’un de ses frères s’apprêtaient à sortir de la maison, ils sont tombés sur des agents de l’ASFC qui étaient en train de prendre des photos. Ali raconte qu’il a commencé par invectiver les agents en leur demandant pourquoi ils prenaient des photographies. En raison de l’agitation, M. Jaballah est sorti en courant de la maison pour demander aux agents de l’ASFC pourquoi ils prenaient des photographies. L’agent a alors ostensiblement baissé son appareil‑photo et M. Jaballah et ses fils ont quitté la maison pour monter à bord de la voiture familiale pour se rendre aux célébrations de l’Eid.

 

[110]       M. Jaballah convient que l’ASFC devrait pouvoir à l’occasion prendre des photographies pour documenter tout manquement présumé aux conditions de sa mise en liberté. Je crois également comprendre qu’il accepte que l’ASFC peut avoir besoin de photographier les lieux suggérés pour les sorties familiales. M. Jaballah maintient toutefois que les ordonnances de la Cour n’autorisent pas l’ASFC à s’immiscer dans sa vie privée et dans celle des membres de sa famille en prenant des photographies dans des circonstances où il n’y a aucune raison de soupçonner un manquement aux conditions de sa mise en liberté.

 

[111]       Suivant M. Jaballah, le droit à la vie privée des membres de sa famille sur le plan physique est régulièrement compromis par les photos que l’on prend d’eux. Le pouvoir discrétionnaire que la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés confère à l’ASFC en ce qui concerne la surveillance de M. Jaballah est, à son avis, limité par l’article 17 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, décembre 1966, 999 U.N.T.S. 171. M. Jaballah soutient en fait que l’ASFC ne peut exercer son pouvoir discrétionnaire de prendre des photographies d’une manière qui porte déraisonnablement atteinte à sa vie familiale, à son domicile et à sa vie privée.

 

[112]       Qui plus est, M. Jaballah affirme que, si la prise de photographies a des incidences suffisamment négatives sur sa famille, et si la conduite de l’ASFC à cet égard est suffisamment oppressante, on pourrait conclure qu’il s’agit d’une violation des droits que les articles 7 et 8 de la Charte lui garantissent.

 

[113]       M. Jaballah s’oppose aussi à ce que l’ASFC photographie les personnes qui entrent en contact avec des membres de sa famille. Bon nombre de ces personnes font partie de la communauté musulmane et les photographies en question sont prises dans le contexte d’affaires portant sur des allégations de terrorisme islamique. Me Jackman soutient que les affaires de Maher Arar, de Abdullah Almalki, d’Ahmad Abou‑Elmaati et de Muayyed Nureddin illustrent bien les conséquences désastreuses que peuvent entraîner les réactions excessives du gouvernement et la transmission intempestive de renseignements.

 

[114]       M. Jaballah s’inquiète d’autant plus de la prise des photos de tierces personnes que des copies de toutes les photographies prises par l’ASFC sont versées dans une banque de données informatisée, et que des copies de ces photographies sont transmises à l’ASFC à Ottawa. Bien qu’il n’ait pas affirmé catégoriquement que des photographies sont effectivement transmises à l’unité d’anti‑terrorisme ou [traduction] « aux responsables des politiques », M. Al‑Shalchi a expliqué qu’il croyait comprendre qu’on envoyait des copies des photographies à l’unité d’anti‑terrorisme et [traduction] « aux responsables des politiques » à Ottawa.

 

[115]       M. Al‑Shalchi a expliqué que l’ASFC a plus de 500 photographies au sujet de M. Jaballah. Il ajoute qu’il en a examiné à peu près la moitié et que bon nombre d’entre elles se répètent. Autrement dit, le nombre total de photographies englobe plusieurs copies des mêmes photographies.

 

[116]       Suivant M. Al‑Shalchi, environ les deux tiers des photographies montrent des endroits, tels que des lieux d’excursions proposés, ou du matériel, tandis que le tiers sont des photographies de M. Jaballah et de membres de sa famille.

 

[117]       M. Al‑Shalchi a également expliqué que les agents de l’ASFC avaient reçu pour instructions de ne pas prendre de photographies de M. Jaballah et de sa famille pendant leurs sorties, à moins de soupçonner un éventuel manquement aux conditions régissant la mise en liberté de M. Jaballah.

 

 

ANALYSE

[118]       M. Jaballah affirme dans son mémoire que l’ASFC devrait avoir l’obligation de demander un mandat pour pouvoir prendre des photographies de lui, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de sa résidence. Cependant, étant donné que Me Jackman a admis, lors des débats, que l’ASFC avait effectivement le droit de prendre des photographies dans diverses circonstances, je ne comprends pas pourquoi elle reprend encore cet argument.

 

[119]       Autrement dit, Me Jackman reconnaît que l’ASFC a le droit de prendre des photographies à l’intérieur de la résidence de M. Jaballah lorsqu’elle exerce le droit d’entrée précisé dans les conditions de la mise en liberté de M. Jaballah. Me Jackman accepte aussi que l’ASFC a le droit de prendre des photographies pour recueillir des preuves sur quelque chose ou quelqu’un qui peut être impliqué dans un manquement à une des conditions de la mise en liberté de M. Jaballah. Enfin, elle admet que l’ASFC peut, en l’absence de M. Jaballah et des membres de sa famille, prendre des photographies de lieux publics lorsqu’elle fait de la surveillance dans des endroits que M. Jaballah et sa famille risquent de choisir pour leurs sorties.

 

[120]       Dans la présente instance, cinquante et une photographies relatives à M. Jaballah ont été déposées en preuve. Ces photographies auraient été prises à cinq occasions différentes. La presque totalité des photographies montrent M. Jaballah, des membres de sa famille ou des tiers. Les questions soulevées sont différentes selon la catégorie de photographies considérée. En conséquence, je vais examiner séparément chaque catégorie, en commençant par les photographies de la famille prises le 30 août 2007 lors du déménagement.

 

 

i)          Photographies prises le 30 août 2007 des personnes ayant donné un coup de main lors du déménagement de la famille Jaballah

[121]       Sur les cinquante photographies qui ont été soumises à la Cour, vingt‑deux sont des photos montrant au moins trois jeunes hommes différents qui se trouvaient à l’extérieur devant la résidence des Jaballah ou dans une fourgonnette de déménagement stationnée tout près. Un homme plus âgé dont l’identité n’a pas été précisée apparaît aussi sur quelques‑unes de ces photographies. Certains des enfants de la famille Jaballah figurent sur certaines des photographies avec des personnes dont l’identité n’a pas été précisée, et M. Jaballah lui‑même apparaît sur une photographie en compagnie de jeunes hommes dont l’identité n’a pas été précisée.

 

[122]       Si j’ai bien compris les préoccupations de M. Jaballah au sujet de ces photographies, sa crainte est que les personnes qui ont donné un coup de main à sa famille lors du déménagement pourraient voir leurs photographies envoyer à l’unité d’anti‑terrorisme de l’ASFC, avec toutes les conséquences que cela peut entraîner.

 

[123]       M. Al‑Shalchi n’a pas été en mesure d’expliquer de façon certaine pourquoi ces photographies avaient été prises. Il a toutefois dit qu’on avait peut‑être craint que certaines des personnes qui entraient dans la résidence des Jaballah au cours du déménagement ne soient pas des visiteurs autorisés. Lorsqu’on lui a signalé, lors du contre‑interrogatoire, qu’au moins une des personnes en question était en fait un visiteur autorisé, M. Al‑Shalchi n’a pas pu confirmer cette information et aucun des éléments de preuve qui m’ont été soumis ne me permet de croire que c’était effectivement le cas.

 

[124]       La neuvième condition de la mise en liberté de M. Jaballah interdit à toute personne qui n’a pas été autorisée à l’avance par l’ASFC ou qui n’est pas nommément désignée dans la condition en question de pénétrer à l’intérieur de la résidence des Jaballah . En conséquence, l’entrée dans la résidence de personnes non identifiées était susceptible de susciter des préoccupations quant au respect des conditions de la mise en liberté. Je ne suis donc pas convaincue que l’ASFC a mal agi en prenant les photographies en question.

 

[125]       De surcroît, et sans accepter qu’une photographie prise d’une personne dans un lieu public puisse donner lieu à une violation des droits garantis par l’article 7 ou par l’article 8 de la Charte, je suis d’accord avec Me McIntosh pour dire que M. Jaballah ne peut invoquer une éventuelle violation des droits garantis par la Charte à un tiers pour réclamer une réparation de son propre chef. Une demande de réparation fondée sur le paragraphe 24(2) ne peut être présentée que par la personne dont les droits garantis par la Charte ont été violés (voir, par exemple, l’arrêt R. c. Edwards, [1996] 1 R.C.S. 128, au paragraphe 45).

 

ii)        Photos de M. Jaballah et de M. Dawud prises le 24 mai 2008

[126]       Il y a cinq photographies montrant M. Jaballah en train de marcher avec un individu qui a depuis été identifié comme étant Mohammed Aberra Dawud, une caution et un surveillant autorisé par le tribunal.

 

[127]       Suivant M. Al‑Shalchi, au cours d’une visite d’urgence faite à l’hôpital pour l’un des enfants Jaballah, M. Jaballah a été observé en train de marcher avec un individu qui était inconnu des agents de l’ASFC qui l’observaient. Comme ils étaient préoccupés par un éventuel manquement aux conditions, les agents ont pris des photographies.

 

[128]       M. Al‑Shalchi a expliqué que l’ASFC n’a pas de photographies de chacun des surveillants autorisés par le tribunal pour confirmer l’identité des personnes qui accompagnaient M. Jaballah. Bien qu’il ait témoigné qu’il croyait qu’il s’agissait des premières photographies de M. Dawud, il semble que l’ASFC avait déjà en mains des photographies de ce même M. Dawud prises quelques mois plus tôt.

 

[129]       M. Al‑Shalchi a également déclaré qu’après avoir observé M. Jaballah en compagnie d’un inconnu, les agents ont contacté M. Al‑Shalchi par téléphone pour lui faire part de leurs préoccupations. M. Al‑Shalchi a, à son tour, communiqué avec l’épouse de M. Jaballah, Husnah Al Mashtouli, pour savoir qui accompagnait M. Jaballah. Après que Mme Al Mashtouli eut expliqué que M. Jaballah était en compagnie de M. Dawud, M. Al‑Shalchi n’a pas poussé plus loin son investigation.

 

[130]       Compte tenu du fait que les photographies ont été prises pour documenter ce qui était perçu comme un éventuel manquement aux conditions de la mise en liberté de M. Jaballah, je suis d’avis qu’il était légitime de la part de l’ASFC de prendre ces photos. Ceci étant dit, il serait sans aucun doute fort utile que les agents de l’ASFC chargés de la surveillance de M. Jaballah se familiarisent avec l’apparence de tous les surveillants autorisés pour éviter tout risque de confusion de ce genre à l’avenir.

 

 

iii)       Photographies du 1er octobre 2008

[131]       M. Jaballah et son fils Ali ont tous les deux déclaré dans leur témoignage que l’ASFC a pris des photographies le 1er octobre 2008, alors que les membres de la famille Jaballah s’apprêtaient à quitter leur domicile pour assister aux célébrations de l’Eid.

 

[132]       M. Jaballah a reconnu que le permis de conduire de son fils Ahmed avait été suspendu pendant un certain temps, mais qu’il a depuis été rétabli. M. Jaballah a refusé de dire si Ahmed a conduit sa voiture alors que son permis était suspendu. Il a toutefois affirmé qu’Ahmed ne se trouvait pas avec les autres membres de la famille le 1er octobre 2008.

 

[133]       On se souviendra qu’Ali Jaballah a expliqué qu’il avait été photographié avec un de ses frères alors qu’ils sortaient de leur domicile. Il n’a pas précisé lequel de ses frères l’accompagnait.

 

[134]       Une seule des photographies prises ce jour‑là a été déposée preuve dans la présente instance. La photographie montre l’arrière du véhicule des Jaballah, alors qu’il circule sur la route. On ne peut pas voir qui était dans la voiture ou qui la conduisait. À l’endos de la photographie se trouvent une date et la note suivante : [traduction] « Ahmed conduisant alors que son permis a été suspendu ». Aucune question n’a été posée à aucun des témoins au sujet de cette photographie.

 

[135]       Vu le caractère équivoque de la preuve sur ce point, je ne suis pas disposée à tirer de conclusion à ce sujet. Je me contenterai de signaler qu’il serait raisonnable de la part de l’ASFC de prendre des photographies pour documenter tout comportement illicite éventuel de la part d’un des surveillants désignés par le tribunal.

 

 

iv)        Photographies du 3 octobre 2008

[136]       Une série de neuf photographies prises le 3 octobre 2008 ont également été déposées en preuve. Les avocats de M. Jaballah se sont opposés à la production de trois de ces photographies, qui montrent une femme penchée sur la fourgonnette de M. Jaballah, et qui est de toute évidence en train de parler à quelqu’un à l’intérieur du véhicule. Il y a aussi une quatrième photographie de la femme en question, sans la fourgonnette. Les photographies semblent avoir été prises près d’une école.

 

[137]       Il semble acquis aux débats que M. Jaballah se trouvait à bord du véhicule à ce moment‑là. Bien que l’avocat ait laissé entendre à M. Al‑Shalchi que la femme en question parlait à MmeAl Mashtouli, et non à M. Jaballah, M. Al‑Shalchi n’a pas été mesure de le confirmer et je ne dispose d’aucun élément de preuve qui permette de penser que c’était bien le cas.

 

[138]       La condition 8(ii) de la mise en liberté de M. Jaballah autorise celui‑ci à quitter sa résidence chaque jour, en compagnie d’un surveillant autorisé, pour reconduire ses enfants à l’école le matin et les ramener à la maison après l’école, mais seulement lorsque cela est nécessaire parce qu’il n’y a personne en mesure de surveiller M. Jaballah chez lui.

 

[139]       La condition 8(ii) oblige par ailleurs M. Jaballah à se rendre directement aux écoles et en revenir et à « ne […] parler à personne en route ».

 

[140]       Le fait qu’un individu non identifié parle à des personnes se trouvant à l’intérieur de la fourgonnette de M. Jaballah pourrait éventuellement constituer une communication non autorisée justifiant une crainte de manquement aux conditions de la mise en liberté de M. Jaballah. En conséquence, je ne suis pas convaincue que l’ASFC a mal agi en prenant ces photographies.

 

 

v)         Photographies prises devant la mosquée

[141]       Les treize dernières photographies ont été prises à deux dates différentes à la fin de l’année 2007. Les deux séries de photographies ont été prises dans le terrain de stationnement de la mosquée que fréquentait M. Jaballah. On y voit un certain nombre d’hommes, dont M. Jaballah, en train de sortir de la mosquée. Dans une des séries de photographies, M. Jaballah semble être accompagné de M. Dawud et, dans la seconde série, il est accompagné de son fils Ahmed.

 

[142]       M. Al‑Shalchi a affirmé que les photographies de M. Jaballah en compagnie d’Ahmed avaient peut‑être été prises en raison des doutes soulevés au sujet des sacs en plastique que M. Jaballah avait avec lui à ce moment‑là. Suivant M. Al‑Shalchi, si M. Jaballah été vu avec un sac qu’il avait ramené d’une de ses sorties, on pouvait conclure à un manquement à une condition.

 

[143]       Rien ne permet de penser que M. Jaballah avait le sac en question avec lui lorsqu’il est entré dans la mosquée. En conséquence, la présence de ce sac pouvait signifier qu’il avait eue une communication non autorisée avec un tiers, en violation des conditions de sa mise en liberté. Je suis donc convaincue qu’il était raisonnable de la part de l’ASFC de photographier M. Jaballah en compagnie de son fils Ahmed.

 

[144]       On n’a pas expliqué pourquoi l’ASFC avait jugé nécessaire de photographier M. Jaballah alors qu’il se trouvait avec M. Dawud. Ceci étant dit, le litige porte sur six photographies, qui ont toutes été prises à la même occasion. Toutes les photographies ont été prises dans un lieu public, et elles semblent toutes avoir été prises de loin. Qui plus est, il ne semble pas que M. Jaballah ou M. Dawud se soit rendu compte qu’ils étaient photographiés. Dans ces conditions, je ne puis conclure que l’ASFC a eu un comportement suffisamment importun ou oppressant pour qu’on puisse conclure à une violation des droits de M. Jaballah.

 

 

vi)        Observations finales au sujet des photographies

[145]       Avant de laisser le sujet des photographies de M. Jaballah et de sa famille, je tiens à rappeler que M. Al‑Shalchi a déclaré devant la juge Layden‑Stevenson que, bien que la prise de photographies soit laissée à la discrétion des divers agents de l’ASFC, ces agents ont récemment reçu comme directives que la prise de photographies de la famille Mahjoub devait [traduction] « correspondre davantage à des situations qui constitueraient un manquement » aux conditions imposées à M. Mahjoub. Ces directives s’appliqueraient également à M. Jaballah et à sa famille.

 

[146]       D’ailleurs, M. Al‑Shalchi a déclaré en l’espèce que les agents de l’ASFC avaient reçu comme directive de ne pas photographier M. Jaballah et les membres de sa famille lors de leurs sorites, à moins de soupçonner un éventuel manquement aux conditions régissant la mise en liberté de M. Jaballah.

 

[147]       Le fait de limiter les photographies de M. Jaballah et des membres de sa famille à de telles situations pourrait contribuer jusqu’à un certain point à réduire les tensions qui se sont de toute évidence accumulées entre la famille Jaballah et l’ASFC au cours des derniers mois.

 

V.        Surveillance physique de M. Jaballah 

[148]       Le dernier sujet de préoccupation de M. Jaballah a trait à la surveillance visuelle constante et ostensible dont il fait l’objet de la part des agents de l’ASFC lorsqu’il sort de chez lui. Tout en acceptant qu’une certaine surveillance physique de la part de l’ASFC est légitime, M. Jaballah affirme qu’aucune des conditions imposées par notre Court en ce qui concerne sa mise en liberté n’autorise l’ASFC à effectuer une surveillance physique comme celle dont il fait présentement l’objet.

 

[149]       M. Jaballah a témoigné au sujet des conséquences néfastes que la conduite de l’ASFC a sur lui‑même et sur les membres de sa famille. Deux des enfants de M. Jaballah – sa fille Afnan et son fils Ali – ont également parlé du caractère envahissant de la conduite de l’ASFC à cet égard.

 

[150]       Il est vrai qu’aucune des conditions dont la Cour a assorti la mise en liberté de M. Jaballah ne mentionne explicitement la possibilité pour l’ASFC de procéder à une surveillance physique. Cette situation peut s’expliquer en partie par le fait que les conditions en question visent d’abord et avant tout à définir les restrictions et obligations qui sont imposées à M. Jaballah lui‑même.

 

[151]       Le fait que les conditions de la mise en liberté de M. Jaballah ne mentionnent pas explicitement la possibilité pour l’ASFC de recourir à une surveillance physique s’explique aussi par le fait qu’en principe, il n’est pas nécessaire d’obtenir au préalable l’autorisation du tribunal pour pouvoir procéder à une surveillance physique (Cody c. R., 2007 QCCA 1276, au paragraphe 26).

 

[152]       Il ressort par ailleurs à l’évidence de l’examen des motifs exposés par la Cour dans les instances se rapportant à la mise en liberté de M. Jaballah que la Cour envisageait que les activités de M. Jaballah seraient surveillées par l’ASFC notamment au moyen d’une surveillance physique.

 

[153]       Dans la décision aux termes de laquelle elle a remis M. Jaballah en liberté, la juge Layden‑Stevenson exprime de très sérieuses réserves au sujet de la fiabilité de Mme Al Mashtouli comme surveillante de M. Jaballah. Elle fait observer que, même si elle ne s’attend pas à ce que Mme Al‑Mashtouli soit objective, « [i]l faut toutefois que je puisse lui faire confiance et être convaincue qu’elle surveillera M. Jaballah de manière appropriée afin de s’assurer qu’il respecte les conditions de sa mise en liberté. Or, j’ai de sérieux doutes à son sujet. » (Jaballah c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2007 CF 379, au paragraphe 64).

 

[154]       Je constate que M. Jaballah a confirmé dans le témoignage qu’il a donné devant notre Cour que c’est Mme Al Mashtouli qui est sa principale surveillante lorsqu’il est à l’extérieur de chez lui et ce, même s’il est accompagné d’autres personnes à l’occasion.

 

[155]       Malgré ses réserves, la juge Layden‑Stevenson a quand même poursuivi en concluant que « des conditions rigoureuses contribueront largement à compenser les faiblesses de la surveillance. Je suis convaincue que, en l’absence de conditions restrictives, M. Jaballah pourrait communiquer et entretenir des liens avec des individus ou des organisations ayant des convictions et des objectifs terroristes et qu’il le ferait éventuellement. Il s’agit d’un danger constant » (Jaballah, précité, au paragraphe 69).

 

[156]       Procédant un peu plus tard au contrôle des conditions de la mise en liberté de M. Jaballah, la juge Layden‑Stevenson a fait observer qu’eu égard à la nature restrictive des conditions qu’elle avait antérieurement imposées ainsi qu’aux motifs qu’elle avait exposés à propos de l’examen antérieur de la détention de M. Jaballah, il était évident que la neutralisation du risque « requiert une surveillance rigoureuse [de M. Jaballah] et de ses activités. L’impératif de surveillance n’est pas disproportionné avec le danger » (Jaballah c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2008 CF 9, au paragraphe 46).

 

[157]       La juge Layden‑Stevenson a ensuite examiné la demande présentée par M. Jaballah en vue d’être autorisé à sortir de chez lui pour enseigner dans une école islamique. En évoquant les difficultés rencontrées avec le fonctionnement du système GPS lors des sorties précédentes, la juge Layden‑Stevenson a fait observer que, malgré les problèmes rencontrés à cet égard, « l’ASFC a été en mesure de compenser ces difficultés en assurant une surveillance physique » (au paragraphe 48).

 

[158]       De plus, la juge Layden‑Stevenson a clairement envisagé la possibilité que l’ASFC procède régulièrement à une surveillance physique de M. Jaballah lors de ses sorties, faisant remarquer qu’« [i]l y a une différence énorme entre une surveillance physique exercée durant un nombre précis de sorties hebdomadaires déterminées au préalable, et une surveillance physique quotidienne dans une école où la grande majorité des élèves sont de tout jeunes enfants » (au paragraphe 48).

 

[159]       Pour refuser la demande présentée par les ministres en vue de faire interdire à M. Jaballah de pénétrer dans un secteur où l’ASFC jugerait inefficace la surveillance électronique, la juge Layden‑Stevenson a rappelé les problèmes déjà vécus avec les signaux GPS, en faisant observer une fois de plus que « l’ASFC a compensé cette faiblesse par une surveillance physique » (au paragraphe 131).

 

[160]       Il ressort de l’ensemble des motifs de la juge Layden‑Stevenson qu’elle a investi l’ASFC d’un très vaste pouvoir discrétionnaire en ce qui concerne la surveillance physique comme complément aux autres moyens existants pour vérifier si M. Jaballah se conformait aux conditions de sa mise en liberté.

 

[161]       Il est acquis aux débats que les conditions régissant la mise en liberté de personnes faisant l’objet de certificats de sécurité ne doivent pas être disproportionnées par rapport à la nature du danger (Charkaoui no 1, au paragraphe 116).

 

[162]       Bien qu’on ne me demande pas en l’espèce d’élaborer des conditions de mise en liberté appropriées, on me demande de décider si la façon dont l’ASFC procède à la surveillance physique de M. Jaballah et de sa famille viole les droits que l’article 7 de la Charte lui confère et, dans l’affirmative, si la conduite de l’ASFC est légitimée par l’article premier de la Charte. Pour ce faire, il faut par ailleurs trouver un équilibre entre, d’une part, le droit à la liberté de M. Jaballah et, d’autre part, l’intérêt qu’a l’État à protéger la sécurité nationale.

 

[163]       Les conditions dont la Cour a assorti la mise en liberté de M. Jaballah ont été définies avec soin par la juge Layden‑Stevenson dans le but de répondre aux risques qu’elle avait identifiés au vu de l’ensemble de la preuve, et notamment des éléments de preuve recueillis à huis clos. De même, l’examen des conditions de la mise en liberté de M. Jaballah qui est actuellement en cours devant la juge Dawson s’effectuera à la lumière d’un dossier de preuve complet.

 

[164]       Je suis d’accord avec Me McIntosh pour dire que je suis mal placée pour déterminer si la conduite de l’ASFC en ce qui a trait à la surveillance physique de M. Jaballah est à ce point importune et abusive qu’elle constitue une atteinte aux droits garantis à M. Jaballah par la Charte. Pour être en mesure de se prononcer sur cette question, il faut comprendre et apprécier les éléments de preuve relatifs à la nature et à la portée de la menace que M. Jaballah peut représenter.

 

[165]       Il s’agit, à mon avis, d’une décision qui ne peut être prise qu’après avoir pris connaissance d’un dossier de preuve complet. À ce propos, ainsi que la Cour suprême du Canada l’a maintes fois répété, les questions relatives à la Charte ne devraient pas être tranchées en l’absence d’une preuve suffisante (voir, par exemple, Hill c. Église de scientologie de Toronto, [1995] 2 R.C.S. 1130, au paragraphe 80, R. c. Kang‑Brown, 2008 CSC 18, au paragraphe 16, et MacKay c. Manitoba, [1989] 2 R.C.S. 357, aux paragraphes 8 et suivants).

 

[166]       Je tiens par ailleurs à signaler que, dans l’arrêt Charkaoui no 1, la Cour suprême du Canada a clairement envisagé la possibilité que la décision relative à la possibilité d’un mauvais usage ou d’une application abusive des conditions de la mise en liberté puisse être prise dans le cadre d’un contrôle des conditions de mise en liberté comme celui auquel procède présentement la juge Dawson. À ce propos, la Cour a fait observer, au paragraphe 117 de sa décision :

[I]l faut que la détention soit contrôlée régulièrement et que le juge qui la contrôle puisse tenir compte de tous les facteurs pertinents quant au bien‑fondé du maintien de la détention, y compris la possibilité d’un mauvais usage ou d’une application abusive des dispositions de la LIPR autorisant la détention. Des principes analogues s’appliquent à la mise en liberté assortie de conditions sévères ou restrictives pendant une longue période : ces conditions doivent être révisées régulièrement, en fonction de tous les facteurs susmentionnés, y compris l’existence de solutions de rechange.

 

 

[167]       Pour ces motifs, je refuse de tirer quelque conclusion que ce soit au sujet de la conduite de l’ASFC en ce qui concerne la question de la surveillance physique.

 

 

VI.       Ordonnance

[168]        Pour le cas où elles voudraient qu’une ordonnance soit prononcée relativement aux présents motifs, les parties pourront soumettre de brèves observations par écrit au sujet de la forme que cette ordonnance devrait prendre.

 

 

« Anne Mactavish »

Juge

 

Ottawa (Ontario)

Le 15 janvier 2009

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 

 


 

APPENDICE

 

[traduction]

ANNEXE A

de l’ordonnance du 17 janvier 2008

rendue dans l’affaire

MAHMOUD ES‑SAYYID JABALLAH

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

et LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

DES‑04‑01

 

CONDITIONS DE LA MISE EN LIBERTÉ DE M. JABALLAH

 

 

1.      M. Jaballah sera mis en liberté à condition qu’il signe un document, devant être rédigé par ses avocats et approuvé par les avocats des ministres, dans lequel il accepte de se conformer strictement à chacune des conditions qui suivent.

 

2.            Avant d’être mis en liberté, M. Jaballah sera muni d’un dispositif de télésurveillance, selon les dispositions que pourra prendre l’ASFC, ainsi que d’un appareil de repérage qu’il devra porter en tout temps par la suite et ne pas modifier. Lorsque le dispositif de télésurveillance devra être retiré pour des raisons médicales et à la demande d’un médecin qualifié, l’ASFC en sera avisée au préalable et prendra les dispositions nécessaires à cette fin ainsi que les mesures de surveillance de M. Jaballah pendant que le dispositif sera retiré. M. Jaballah devra consentir à l’installation dans la résidence indiquée plus loin d’une ligne téléphonique traditionnelle distincte répondant aux exigences de l’ASFC afin de rendre possible la surveillance électronique efficace. M. Jaballah devra consentir à la désactivation de tout service ou fonction de cette ligne téléphonique qui pourrait être requise. Il devra suivre toutes les instructions qui lui seront données relativement à l’utilisation de l’équipement de télésurveillance et de tout autre dispositif nécessaire au fonctionnement approprié et complet de l’équipement et du système de télésurveillance.

 

3.            M. Jaballah devra permettre l’installation d’un système de vidéosurveillance à toutes les entrées de la propriété. Dans les dix jours de la date de la présente ordonnance, l’ASFC devra installer l’équipement nécessaire, le mettre à l’essai et faire ensuite savoir à la Cour si elle estime que l’équipement fonctionne correctement et que tout le nécessaire a été fait pour assurer la surveillance électronique de M. Jaballah.

 

4.      Avant la mise en liberté de M. Jaballah, la somme de 43 250 $ devra être versée à la Cour, conformément à l’article 149 des Règles des Cours fédérales, par les personnes suivantes :

 

 

            Ahmed Jaballah                                                                                      3 000 $

            Mubarach Adan                                                                                     1 000 $

            Jamal Azawi                                                                                         10 000 $

            Mahmoud Idris                                                                           2 000 $

            James Loney                                                                                             250 $

            Hayat Mabruk                                                                                        4 000 $

            Adel Qablawi                                                                                       10 000 $

            John Valleau                                                                                           5 000 $

            Ahmad Shehab                                                                                       5 000 $

            Remzi Bekri                                                                                            3 000 $

     

En cas de manquement à l’une des conditions de la mise en liberté de M. Jaballah, les ministres pourront solliciter une ordonnance portant que le montant total, auquel s’ajouteront les intérêts courus, soit payé au procureur général du Canada.

 

5.      Avant la mise en liberté de M. Jaballah, les personnes mentionnées ci‑dessous devront signer un cautionnement de bonne exécution par lequel elles reconnaissent être liées envers Sa Majesté du chef du Canada quant aux montants précisés ci‑dessous. Chaque cautionnement de bonne exécution sera assorti de la condition suivante : si M. Jaballah enfreint l’une des conditions prévues dans l’ordonnance de mise en liberté, laquelle pourrait être modifiée, les sommes garanties par les cautionnements seront confisquées au profit de Sa Majesté. Les conditions des cautionnements de bonne exécution, qui devront être conformes à celles des garanties visées à l’article 56 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, seront communiquées par les avocats des ministres aux avocats de M. Jaballah. Chaque caution devra reconnaître par écrit avoir lu les conditions prévues dans la présente ordonnance et déclarer explicitement avoir compris la présente condition.

 

            (i)         Mubarach Adan                                                                         5 000 $

            (ii)        Mahmoud Idris                                                               5 000 $

            (iii)       Raza Mohammad                                                                       5 000 $

            (iv)       Adel Qablawi                                                                           10 000 $

            (v)        Mohammed Aberra Dawud                                                        6 000 $

            (vi)       Adnan Srajeldin                                                                        20 000 $

            (vii)      John Valleau                                                                               5 000 $

 

6.            Au moment de sa mise en liberté, M. Jaballah sera conduit par la GRC (ou un autre organisme que l’ASFC et la GRC pourront désigner) au _______________, dans la ville de Toronto, en Ontario (la résidence), où il habitera par la suite avec son épouse, Husnah Al Mashtouli, ses fils, Ahmad, Al Munzir, Osama et Ali, et sa fille, Afnan. Afin que soit protégée la vie privée de ces personnes, l’adresse de la résidence ne figurera pas dans le dossier public de la présente instance. M. Jaballah devra demeurer dans cette résidence en tout temps, sauf s’il y a urgence médicale ou dans les cas prévus par la présente ordonnance. M. Jaballah ne devra pas rester seul dans la résidence; en tout temps, l’une des personnes suivantes : Husnah Al Mashtouli, Ahmad Jaballah, Ash Shaymaa Es‑Sayyid, Mohammed Aberra Dawud, Jamal Azawi, Hayat Mabruk, Adel Qablawi, Hasim Siwalen ou Raza Mohammad devra également s’y trouver. Le terme « résidence » utilisé dans les présentes conditions vise uniquement la maison d’habitation, à l’exclusion de tout espace extérieur qui y est associé.

 

7.            M. Jaballah pourra sortir de la résidence entre 8 h et 21 h, mais il devra demeurer en tout temps dans les limites de tout espace extérieur qui y est associé (c’est‑à‑dire la cour avant et la cour arrière). Il devra être accompagné en tout temps par l’une des personnes suivantes : Husnah Al Mashtouli, Ahmad Jaballah, Ash Shaymaa Es‑Sayyid, Mohammed Aberra Dawud, Jamal Azawi, Hayat Mabruk, Adel Qablawi, Hasim Siwalen ou Raza Mohammad. Dans la cour, M. Jaballah ne pourra rencontrer que les personnes mentionnées au paragraphe 9 ci‑dessous. Cette restriction ne s’applique pas aux simples salutations faites aux voisins. M. Jaballah ne pourra pas parler aux personnes qui rendent visite aux voisins, à moins que ces personnes soient autorisées à le surveiller ou à lui rendre visite.

 

8.            M. Jaballah pourra, entre 8 h et 21 h :

 

(i)         avec l’autorisation préalable de l’ASFC, quitter la résidence cinq fois par semaine pour une durée maximale de cinq heures par absence, à la condition qu’il demeure dans le secteur déterminé en application de l’alinéa 10(i) ci‑dessous. L’autorisation devra être demandée chaque semaine, au moins 72 heures ouvrables à l’avance, pour les absences de la semaine suivante, et l’endroit ou les endroits où M. Jaballah désire se rendre ainsi que l’heure à laquelle il se propose de partir et de revenir à la résidence devront être précisées. Si de telles absences sont autorisées, M. Jaballah devra signaler son départ avant de quitter la résidence et signaler son retour sans délai, conformément aux instructions plus précises que lui donnera un représentant de l’ASFC. L’ASFC peut examiner les demandes spéciales présentées par M. Jaballah pour prolonger l’une de ses absences hebdomadaires afin de faire une sortie en famille d’une durée de plus de quatre heures [sic], à la condition que cette sortie se fasse dans le secteur déterminé en application de l’alinéa 10(i). Un maximum de trois sorties semblables par mois pourra être autorisé. Ces demandes devront être faites à l’ASFC au moins une semaine avant la sortie familiale prévue. L’ASFC a le pouvoir discrétionnaire de différer au‑delà de 21 h le couvre‑feu imposé à M. Jaballah;

 

(ii)        quitter la résidence les jours de classe entre 8 h et 9 h 30 et entre 15 h et 16 h 30 en compagnie de Husnah Al Mashtouli, d’Ash Shaymaa Es‑Sayyid ou d’Ahmad Jaballah pour reconduire Afnan, Osama et Ali (les enfants les plus jeunes de M. Jaballah) à l’école le matin et les ramener à la résidence après l’école, mais seulement lorsque cela est nécessaire parce qu’il n’y a personne en mesure de surveiller M. Jaballah dans sa maison et seulement lorsque l’ASFC en est avisée à l’avance dans l’itinéraire hebdomadaire remis par M. Jaballah. Dans ce cas, M. Jaballah devra directement se rendre aux écoles et en revenir, ne devra parler à personne en route et devra remettre à l’ASFC le calendrier scolaire annuel de chaque enfant. L’adresse de l’école ou des écoles devra être communiquée à l’ASFC avant la mise en liberté de M. Jaballah. Si les enfants doivent quitter l’école pour une raison imprévue mais légitime à d’autres moments de la journée, M. Jaballah pourrait être autorisé à aller les chercher avec Husnah Al Mashtouli, Ash Shaymaa Es‑Sayyid or Ahmad Jaballah, pourvu que l’ASFC soit avisée de la situation avant qu’il quitte la résidence et soit avisée de son retour;

 

(iii)       en avisant au préalable l’ASFC, quitter la résidence au besoin et pour la durée nécessaire pour des rendez‑vous médicaux ou psychologiques et des examens, des traitements ou des interventions connexes. Le préavis devra être donné au moins 72 heures avant l’absence prévue et préciser l’endroit ou les endroits où M. Jaballah doit se rendre ainsi que l’heure de son départ et l’heure prévue de son retour à la résidence. La preuve de la présence de M. Jaballah aux rendez‑vous devra ensuite être remise à l’ASFC. M. Jaballah devra signaler son départ avant de quitter la résidence et signaler son retour sans délai, conformément aux instructions plus précises que lui donnera le représentant de l’ASFC. L’ASFC devra être avisée dès que possible, par M. Jaballah, Husnah Al Mashtouli, Ash Shaymaa Es‑Sayyid ou Ahmad Jaballah, de toute urgence médicale exigeant l’hospitalisation de M. Jaballah, ainsi que du lieu où M. Jaballah aura été transporté. Elle devra aussi être avisée de son retour à la résidence;

 

(iv)       si Husnah Al Mashtouli, l’un des enfants de M. Jaballah ou ses petits-enfants devaient être transportés d’urgence à l’hôpital et que personne n’était disponible pour surveiller M. Jaballah dans la résidence, ce dernier pourra aller à l’hôpital avec Husnah Al Mashtouli, Ash Shaymaa Es‑Sayyid or Ahmad Jaballah, peu importe à quel moment l’incident survient, jusqu’à ce qu’une autre personne puisse le surveiller. M. Jaballah avisera dès que possible l’ASFC de la situation, ainsi que de son retour à la résidence. L’ASFC doit être avisée sur‑le‑champ si, pour cause de maladie, M. Jaballah n’est pas suffisamment bien pour quitter la maison dans un tel cas d’urgence et que personne n’est disponible pour le surveiller;

 

(v)        lors de toutes les absences autorisées, M. Jaballah devra en tout temps porter sur lui l’appareil de repérage permettant une surveillance électronique et être accompagné par l’une des personnes suivantes : Husnah Al Mashtouli, Ahmad Jaballah ou Mohammed Aberra Dawud. Ce n’est que lorsque l’une de ces trois personnes ne sera pas disponible et que cela sera nécessaire qu’il devra être accompagné par Ash Shaymaa Es‑Sayyid, Jamal Azawi, Hayat Mabruk, Adel Qablawi, Hashim Siwalen ou Raza Mohammad, lesquels seront chargés de le surveiller et de s’assurer qu’il se conforme parfaitement à toutes les conditions de la présente ordonnance. L’une au moins de ces personnes devra rester constamment auprès de M. Jaballah pendant qu’il sera à l’extérieur de la résidence, sauf pendant les consultations avec ses médecins ou les examens, les traitements ou les thérapies. Dans ces cas, Husnah Al Mashtouli, Ahmad Jaballah, Ash Shaymaa Es‑Sayyid, Mohammed Aberra Dawud, Jamal Azawi, Hayat Mabruk, Adel Qablawi, Hashim Siwalen et Raza Mohammad resteront aussi près que possible de la pièce dans laquelle les consultations, traitements ou thérapies se dérouleront. Si Hoonah Al Masterly, Ash Sharma Es Spayed ou Heat Mark ont besoin de se rendre dans une toilette publique pendant qu’ils surveillent M. Jaballah à l’extérieur de la résidence, M. Jaballah doit rester aussi près que possible de la toilette. Avant d’agir comme surveillant, Hoonah Al Mashtouli, Ahmad Jaballah, Ash Shaymaa Es Sayyid, Mohammed Aberra Dawud, Jamal Azawi, Hayat Mabruk, Adel Qablawi, Hashim Siwalen et Raza Mohammad devront tous signer un document dans lequel ils reconnaissent prendre cet engagement, et notamment l’obligation de signaler sans délai à l’ASFC tout manquement à une condition de la présente ordonnance. Ce document devra être rédigé par les avocats de M. Jaballah et être présenté pour approbation aux avocats des ministres.

 

vi)        L’ASFC pourra, à sa discrétion et si elle le juge à propos, autoriser M. Jaballah à observer les pratiques importantes de sa religion, par exemple le Ramadan et l’Eid. La visite du demandeur à la mosquée le vendredi soir ne sera pas comptée comme une sortie. L’ASFC pourra, à sa discrétion et si elle le juge à propos, autoriser M. Jaballah à quitter sa résidence en compagnie d’un surveillant pour régler les imprévus de nature familiale. En pareil cas, M. Jaballah devra obtenir au préalable l’autorisation de l’ASFC, conformément aux instructions précises que lui donnera l’agent de l’ASFC.

 

9.      Personne ne sera autorisé à entrer, en aucun temps, dans la résidence, sauf :

 

(i)                  les membres de la famille immédiate de M. Jaballah, notamment sa femme, Husnah Al Mashtouli, ses fils, Ahmad, Al Munzir, Osama et Ali, ses filles, Afnan et Ash Shaymaa, son gendre, Ahmad Bassam Mohammad Ali, et ses petits‑enfants;

 

(ii)                les autres personnes qui agissent comme surveillants;

 

(iii)               ses avocats, à savoir Mes Barbara Jackman, John Norris et Paul Copeland;

 

            (iv)       en cas d’urgence, les pompiers, les policiers et les professionnels de la santé;

 

(iv)              les amis âgés de moins de 15 ans des enfants de M. Jaballah;

 

            (vi)       le propriétaire et les personnes autorisées et qualifiées qu’il emploie pour effectuer les réparations, en vertu d’une entente conclue entre l’ASFC et le propriétaire. Un préavis de 24 heures doit être donné à l’ASFC avant que des réparations puissent être effectuées, sauf en cas d’urgence. M. Jaballah ne doit avoir aucun contact avec ces personnes;

 

            (vii)      toute personne autorisée à l’avance par l’ASFC. Pour obtenir une telle autorisation, le nom, l’adresse, la date de naissance et une photocopie du permis de conduire de l’intéressé doivent être communiqués à l’ASFC. Si cette personne n’a pas de permis de conduire, l’ASFC peut exiger à la place une carte d’identité avec photo. L’ASFC peut, si elle le juge à propos, dispenser l’intéressé de l’obligation de produire une carte d’identité avec photo. Lorsque l’autorisation est accordée, l’intéressé n’aura pas à demander une autre autorisation pour les visites ultérieures. L’ASFC peut toutefois retirer son autorisation en tout temps.

 

Sous réserve de l’article 12, les personnes mentionnées ci‑dessus, qui sont autorisées à entrer dans la résidence, ne peuvent apporter avec elles aucun dispositif électronique sans fil ou pouvant être relié à Internet ou à un téléphone cellulaire.

 

10.       Lorsque M. Jaballah quittera la résidence en conformité avec l’article 8, il ne devra pas :

 

(i)                  sortir du secteur délimité par les rues ou les points de repère géographiques dont auront convenu les avocats et l’ASFC;

 

(ii)        se rendre à un aéroport, une gare, un terminus d’autobus ou une agence de location de véhicules, ni prendre le métro ou monter à bord d’un bateau ou d’un navire, à l’exception du traversier des îles de Toronto;

 

            (iii)       rencontrer des personnes avec lesquelles il aurait pris rendez‑vous, à l’exception :

a)         de Barbara Jackman, de John Norris, de Paul Copeland ou de Matthew Behrens alors que M. Behrens accompagne Mme Jackman ou MM. Norris ou Copeland;

b)         des membres de sa famille, notamment sa femme, Husnah Al Mashtouli, ses fils, Ahmad, Al Munzir, Osama et Ali, ses filles, Afnan et Ash Shaymaa, son gendre, Ahmad Bassam Mohammad Ali, et ses petits‑enfants;

c)         des personnes nommées par la Cour pour agir comme surveillants en conformité avec l’article 6;

d)         de toute personne autorisée au préalable par l’ASFC;

 

(iv)       aller ailleurs que dans les endroits autorisés conformément au paragraphe 8.

 

11.    M. Jaballah ne devra en aucun temps ou d’aucune manière s’associer ou communiquer directement ou indirectement avec :

 

(i)                  les personnes qui, selon ce qu’il sait ou devrait savoir, soutiennent le terrorisme ou le Jihad violent ou qui se sont trouvées dans un camp d’entraînement ou dans une maison d’accueil exploitée par une entité qui soutient le terrorisme ou le Jihad violent;

 

(ii)                les personnes qui, selon ce qu’il sait ou devrait savoir, ont un casier judiciaire, à l’exception de Matthew Behrens et des membres de sa famille immédiate;

 

(iii)       les personnes que la Cour pourrait éventuellement désigner dans une ordonnance modifiant la présente ordonnance.

 

12.        Sous réserve de ce qui est prévu aux présentes, M. Jaballah ne devra pas, directement ou indirectement, posséder, avoir à sa disposition ou utiliser un poste de radio ou un dispositif radio ayant une capacité de transmission, de l’équipement de communication ou du matériel permettant la connexion à Internet, ou une composante d’un tel équipement, notamment un téléphone cellulaire, un ordinateur muni d’un modem ou donnant l’accès à Internet, ou une composante d’un tel ordinateur, un téléavertisseur, un télécopieur, un téléphone public, un téléphone à l’extérieur de la résidence, une installation Internet ou un appareil portatif comme un BlackBerry. La connexion Internet des ordinateurs utilisés par les enfants de M. Jaballah sera une connexion à une ligne d’abonné numérique à boucle sèche raccordée à une prise téléphonique située dans une pièce désignée comme étant la salle des ordinateurs, laquelle sera située au rez‑de‑chaussée de la résidence Jaballah. L’accès au service Internet distribué à toutes les autres prises téléphoniques de la résidence Jaballah devra être bloqué. À titre subsidiaire, si la connexion Internet n’est pas une connexion à une ligne d’abonné numérique, la connexion Internet aux ordinateurs utilisés par les enfants devra être gardée dans la salle des ordinateurs. La salle des ordinateurs devra être fermée à clé en tout temps lorsqu’elle n’est pas utilisée et la porte devra en être fermée lorsque la salle d’ordinateurs est utilisée. Seuls Ahmad Jaballah et Husnah Al‑Mashtouli auront la clé de la salle d’ordinateurs. M. Jaballah n’aura accès à la salle d’ordinateurs en aucun temps. Chaque ordinateur pouvant être connecté à Internet sera installé dans la salle d’ordinateurs et devra y demeurer. Chaque ordinateur pouvant être connecté à Internet devra être muni d’un mot de passe. Seuls Ahmad Jaballah et Husnah Al‑Mashtouli auront accès aux mots de passe. Aucun ordinateur pouvant être connecté à Internet sans fil ne devra être emporté dans la maison. Mme Husnah Al Mashtouli (ou tout autre membre de la famille Jaballah), en tant qu’abonnée au service Internet, devra consentir par écrit à la divulgation périodique à l’ASFC, par le fournisseur de services Internet, de renseignements relatifs à la connexion Internet, notamment les adresses des sites Web visités et les adresses électroniques auxquelles des messages sont envoyés ou à partir desquelles des messages sont reçus à l’aide de la connexion Internet de la résidence des Jaballah. Le télécopieur devra également demeurer en tout temps dans la salle d’ordinateurs. L’abonné à la ligne téléphonique résidentielle devra consentir par écrit, au besoin, à l’interception des télécopies par l’ASFC. Husnah Al Mashtouli et les enfants de M. Jaballah, Ash Shaymaa, Ahmad et Al Munzir, devront conserver avec eux en tout temps leur téléphone cellulaire et veiller à ce que M. Jaballah n’y ait pas accès. Les numéros de ces téléphones cellulaires devront être communiqués à l’ASFC. De plus, ces téléphones ne devront être utilisés, dans la résidence, que dans la pièce où se trouve l’ordinateur ayant accès à Internet. Husnah Al Mashtouli, Ash Shaymaa, Ahmad et Al Munzir devront accepter ces conditions par écrit. M. Jaballah pourra utiliser une ligne téléphonique traditionnelle se trouvant dans la résidence (la ligne téléphonique) autre que la ligne téléphonique classique distincte raccordée à l’ASFC. M. Jaballah et l’abonné à ce service téléphonique doivent consentir par écrit à l’interception, par ou pour le compte de l’ASFC, de toutes les communications acheminées par ce service, notamment à ce que l’ASFC intercepte les communications orales et obtienne les relevés des communications effectuées à l’aide de ce service. Avant la mise en liberté de M. Jaballah, Husnah Al Mashtouli devra consentir par écrit à l’interception, par ou pour le compte de l’ASFC, de toutes les communications effectuées à l’aide de son téléphone cellulaire. La formule de consentement sera préparée par les avocats des ministres. Si une urgence médicale devait se produire à l’extérieur de la résidence et que personne n’est disponible pour appeler les services compétents pour son compte, M. Jaballah sera autorisé à utiliser un téléphone traditionnel à l’extérieur de sa résidence pour aviser l’ASFC de la situation et de l’endroit où il se trouve. M. Jaballah pourra aussi composer le 911 en cas d’urgence.

 

13.    Avant la mise en liberté de M. Jaballah, celui‑ci et tous les adultes habitant dans la résidence devront consentir par écrit à l’interception, par ou pour le compte de l’ASFC, des communications écrites à destination ou en provenance de la résidence qui sont transmises par la poste, par messagerie ou par un autre moyen. Avant d’occuper la résidence, tout nouvel occupant devra également accepter de donner un tel consentement. La formule de consentement sera préparée par les avocats des ministres.

 

14.    M. Jaballah devra permettre aux employés de l’ASFC, à toute personne désignée par l’ASFC et à tout agent de la paix d’entrer dans la résidence en tout temps (après identification) pour vérifier s’il s’y trouve ou s’assurer que lui ou une autre personne se conforment aux conditions de la présente ordonnance. Il est entendu que M. Jaballah devra permettre à ces personnes de fouiller la résidence, d’en retirer tout objet suspect ou d’y installer ou conserver le matériel requis par le dispositif de télésurveillance ou la ligne téléphonique traditionnelle distincte. Avant la mise en liberté de M. Jaballah, tous les autres occupants adultes de la résidence devront signer un document, dans une forme acceptable aux avocats des ministres, dans lequel ils acceptent de respecter cette condition. Avant d’occuper la résidence, tout nouvel occupant devra également accepter de respecter cette condition.

 

15.    M. Jaballah et ses surveillants consentiront par écrit à être interrogés par l’ASFC ou pour son compte, séparément ou ensemble, lorsque l’ASFC l’exigera, afin de vérifier si M. Jaballah ou d’autres personnes respectent les conditions de la présente ordonnance. La Cour pourra aussi demander à Husnah Al Mashtouli, à Ahmad Jaballah, à Ash Shaymaa Es‑Sayyid, à Mohammed Aberra Dawud, à Jamal Azawi, à Hayat Mabruk, à Adel Qablawi, à Hashim Siwalen ou à Raza Mohammad de lui faire un rapport périodique sur l’efficacité des conditions.

 

16.    Avant sa mise en liberté, M. Jaballah devra remettre son passeport et tout document de voyage, le cas échéant, à un représentant de l’ASFC. Il sera interdit à M. Jaballah, à moins d’autorisation préalable de l’ASFC, de demander, d’obtenir ou de posséder un passeport ou des documents de voyage, des billets d’autobus, de train ou d’avion ou tout autre document lui permettant de voyager. M. Jaballah pourra néanmoins utiliser les services de transport en commun de surface de la ville de Toronto (y compris le traversier des îles de Toronto), ou de la ville de Mississauga, en conformité avec le paragraphe 8.

 

17.    Si son renvoi du Canada devait être ordonné, M. Jaballah devra se présenter aux autorités aux fins de son renvoi. Il devra également se présenter devant la Cour lorsque celle‑ci l’exigera.

 

18.    M. Jaballah ne pourra pas posséder d’arme, d’imitation d’arme, des substances nocives ou des explosifs, ou des composantes de ceux‑ci.

 

19.    M. Jaballah devra avoir une bonne conduite et ne pas troubler l’ordre public.

 

20.    Tout agent de l’ASFC ou agent de la paix qui a des motifs raisonnables de croire qu’une condition de la présente ordonnance n’a pas été respectée pourra procéder à l’arrestation sans mandat de M. Jaballah et le placer en détention. Dans les 48 heures qui suivent, un juge de la Cour, désigné par le juge en chef, devra décider s’il y a eu manquement à une condition de la présente ordonnance, si les conditions de la présente ordonnance devraient être modifiées et si M. Jaballah devrait être placé sous garde.

21.    Si M. Jaballah ne respecte pas scrupuleusement toutes les conditions de la présente ordonnance, il pourra être placé en détention sur nouvelle ordonnance de la Cour.

 

22.    M. Jaballah ne pourra changer le lieu de sa résidence sans avoir obtenu au préalable l’autorisation de la Cour. M. Jaballah doit donner […] à l’ASFC un préavis de 60 jours francs de tout changement de lieu de résidence projeté.

 

23.    Tout manquement à la présente ordonnance constitue une infraction au sens de l’article 127 du Code criminel ainsi qu’une infraction à l’alinéa 124(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés.

 

24.     La Cour peut modifier les conditions de la présente ordonnance en tout temps sur demande d’une partie ou d’office en avisant les parties.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                 DES‑6‑08

 

INTITULÉ :                                                MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                                     ET DE L’IMMIGRATION et MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE                       

c. MAHMOUD ES‑SAYYID JABALLAH

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                         Toronto (Ontario)

                                                                    

DATES DE L’AUDIENCE :                     Les 22, 23 et 24 octobre 2008

                                                                     Les 18 et 19 novembre 2008

                                                                     Le 17 décembre 2008

                                                                    

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :           La juge Mactavish

 

DATE DES MOTIFS :                              Le 15 janvier 2009

 

 

COMPARUTIONS :

 

Donald MacIntosh

James Mathieson

Angela Marinos

Judy Michaely

 

    POUR LES DEMANDEURS

 

Barbara Jackman

Marlys Edwardh

Adriel Weaver

                      POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

JOHN H. SIMS, c.r.                                                                POUR LES DEMANDEURS

Sous‑procureur général du Canada

 

JACKMAN ET ASSOCIÉS                                                    POUR LE DÉFENDEUR

RUBUY & EDWARDH

Avocats

Toronto (Ontario)

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