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Date : 20090105

Dossier : IMM-2460-08

Référence : 2009 CF 7

Ottawa (Ontario), le 5 janvier 2009

En présence de monsieur le juge Mandamin

 

 

ENTRE :

MUHAMMAD HASSAN QURESHI

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision, datée du 31 janvier 2008, rendue par la Section de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission), qui a conclu que le demandeur était interdit de territoire, en application des alinéas 34(1)f) et 35(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), et qui a ordonné l’expulsion du demandeur.

Le contexte

[2]               Le demandeur est un citoyen du Pakistan. Il est arrivé au Canada le 7 décembre 1999 et s’est vu accorder le statut de réfugié au sens de la Convention dans une décision rendue le 12 septembre 2000 par la Section de la protection des réfugiés, au motif qu’il craignait avec raison d’être persécuté du fait de ses activités à l’appui du Muttahida Quami Movement – Altaf (le MQM‑A).

 

[3]               Par la suite, le demandeur a présenté une demande de résidence permanente et une enquête a été menée relativement à l’interdiction de territoire pour raison de sécurité, en application de l’alinéa 34(1)f), et pour complicité à des atteintes aux droits humains ou internationaux, en application de l’alinéa 35(1)a) de la LIPR.

 

[4]               L’affaire du demandeur a été déférée à la Section de l’immigration pour enquête.

 

La décision faisant l’objet du contrôle judiciaire

[5]               Au cours de l’enquête, la Commission a examiné deux questions : le demandeur était‑il membre d’une organisation qui a été l’auteur d’actes terroristes, comme le prévoit l’alinéa 34(1)f), et était‑il complice d’atteintes aux droits humains ou internationaux, comme le prévoit l’alinéa 35(1)a) de la LIPR?

 

[6]               La Commission a fait remarquer que l’appartenance à une organisation qui se livre à des activités terroristes n’était pas définie dans la LIPR. La Commission a pris acte de l’« interprétation large » donnée au mot « membre » du paragraphe 34(1) dans la décision Ahani (Re), [1998] A.C.F. no 507. La Commission a également tenu compte de l’énoncé du juge Teitelbaum dans la décision Suresh (Re), [1997] A.C.F. no 1537 : « L’appartenance ne saurait ni ne devrait être interprétée de façon restrictive quand elle se rapporte à la question de la sécurité nationale du Canada. » Appliquant cette approche à l’interprétation à donner à l’appartenance, la Commission a conclu que le demandeur était membre du MQM/de l’APMSO au cours de la période allant de 1993 à juillet 2000.

 

[7]               La Commission a conclu que le MQM était une organisation qui est l’auteur d’actes de terrorisme au sens de l’alinéa 34(1)f) de la LIPR. Le commissaire a fait référence à un certain nombre de rapports liant le MQM à des actes de violence et de terrorisme et il concluait ainsi :

[…] je suis convaincu que le MQM est une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’elle a été l’auteure d’actes terroristes. Les éléments de preuve sont accablants et sont présentés par diverses autorités fiables. Les membres du MQM ont régulièrement eu recours à des actes de violence comme des émeutes, des fusillades, l’utilisation d’armes telles que des grenades, et de la torture. Des grèves à l’échelle de la ville ont souvent été organisées pour perturber les activités commerciales à Karachi et à Hyderabad, causant des blessures et la mort de civils. Ces actes visaient à atteindre des objectifs politiques en exerçant de la pression sur les gouvernements provinciaux et sur le gouvernement national.

 

[8]               La Commission a aussi conclu que le demandeur était complice dans la perpétration de crimes contre l’humanité. Le demandeur avait déclaré que, avant son arrivée au Canada, il n’était pas au courant de l’implication du MQM dans des violences. La Commission n’a pas trouvé cette déclaration crédible, compte tenu du fait que le demandeur avait servi comme « membre actif » pendant près de sept ans, et elle a jugé ainsi :

[…] M. Qureshi est un homme bien instruit, qui vient d’une famille solide et qui vit dans un bon quartier de Karachi. Le fait qu’il n’était pas au courant des antécédents bien établis et largement connus du MQM en matière de violence, de meurtres et de torture est tout simplement invraisemblable.

 

 

[9]               La Commission concluait dans les termes suivants :

La preuve présentée souligne la violence, la torture et les meurtres auxquels se livrait le MQM. Ces atrocités n’ont pas uniquement été perpétrées alors que M. Qureshi était membre, mais aussi avant et après. Elles étaient commises de façon systématique et généralisée. Le travail de M. Qureshi au sein du MQM le rend complice de crimes contre l’humanité, même s’il n’était pas lui‑même l’auteur de ces crimes.

 

 

[10]           Selon la Commission, le demandeur était visé par les alinéas 34(1)f) et 35(1)a) de la LIPR et elle a ordonné son expulsion. Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de cette décision.

 

La législation applicable

[11]           L’alinéa 34(1)f) prévoit l’interdiction de territoire pour une personne qui est membre d’une organisation qui se livre au terrorisme.

34. (1) Emportent interdiction de territoire pour raison de sécurité les faits suivants :

a) être l’auteur d’actes d’espionnage ou se livrer à la subversion contre toute institution démocratique, au sens où cette expression s’entend au Canada;

 

 

b) être l’instigateur ou l’auteur d’actes visant au renversement d’un gouvernement par la force;

c) se livrer au terrorisme;

d) constituer un danger pour la sécurité du Canada;

e) être l’auteur de tout acte de violence susceptible de mettre en danger la vie ou la sécurité d’autrui au Canada;

 

f) être membre d’une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’elle est, a été ou sera l’auteur d’un acte visé aux alinéas a), b) ou c).

 

Exception

 (2) Ces faits n’emportent pas interdiction de territoire pour le résident permanent ou l’étranger qui convainc le ministre que sa présence au Canada ne serait nullement préjudiciable à l’intérêt national.

 

 

[Non souligné dans l’original.]

34. (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible on security grounds for

(a) engaging in an act of espionage or an act of subversion against a democratic government, institution or process as they are understood in Canada;

 

(b) engaging in or instigating the subversion by force of any government;

(c) engaging in terrorism;

(d) being a danger to the security of Canada;

(e) engaging in acts of violence that would or might endanger the lives or safety of persons in Canada; or

(f) being a member of an organization that there are reasonable grounds to believe engages, has engaged or will engage in acts referred to in paragraph (a), (b) or (c).

Exception

(2) The matters referred to in subsection (1) do not constitute inadmissibility in respect of a permanent resident or a foreign national who satisfies the Minister that their presence in Canada would not be detrimental to the national interest.

 

[Emphasis added.]

 

 

[12]           L’alinéa 35(1)a) de la LIPR prévoit l’interdiction de territoire pour une personne qui commet des crimes visés par la Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre, L.C. 2000, ch. 24 :

35. (1) Emportent interdiction de territoire pour atteinte aux droits humains ou internationaux les faits suivants :

a) commettre, hors du Canada, une des infractions visées aux articles 4 à 7 de la Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre;

b) occuper un poste de rang supérieur — au sens du règlement — au sein d’un gouvernement qui, de l’avis du ministre, se livre ou s’est livré au terrorisme, à des violations graves ou répétées des droits de la personne ou commet ou a commis un génocide, un crime contre l’humanité ou un crime de guerre au sens des paragraphes 6(3) à (5) de la Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre;

c) être, sauf s’agissant du résident permanent, une personne dont l’entrée ou le séjour au Canada est limité au titre d’une décision, d’une résolution ou d’une mesure d’une organisation internationale d’États ou une association d’États dont le Canada est membre et qui impose des sanctions à l’égard d’un pays contre lequel le Canada a imposé — ou s’est engagé à imposer — des sanctions de concert avec cette organisation ou association.

Exception

(2) Les faits visés aux alinéas (1)b) et c) n’emportent pas interdiction de territoire pour le résident permanent ou l’étranger qui convainc le ministre que sa présence au Canada ne serait nullement préjudiciable à l’intérêt national.

 

[Non souligné dans l’original.]

35. (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible on grounds of violating human or international rights for

(a) committing an act outside Canada that constitutes an offence referred to in sections 4 to 7 of the Crimes Against Humanity and War Crimes Act;

(b) being a prescribed senior official in the service of a government that, in the opinion of the Minister, engages or has engaged in terrorism, systematic or gross human rights violations, or genocide, a war crime or a crime against humanity within the meaning of subsections 6(3) to (5) of the Crimes Against Humanity and War Crimes Act; or

(c) being a person, other than a permanent resident, whose entry into or stay in Canada is restricted pursuant to a decision, resolution or measure of an international organization of states or association of states, of which Canada is a member, that imposes sanctions on a country against which Canada has imposed or has agreed to impose sanctions in concert with that organization or association.

 

Exception

(2) Paragraphs (1)(b) and (c) do not apply in the case of a permanent resident or a foreign national who satisfies the Minister that their presence in Canada would not be detrimental to the national interest.

 

[Emphasis added.]

 

[13]           Les articles 4 à 7 de la Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre précisent les crimes qui emportent interdiction de territoire. Le paragraphe 6(1) précise expressément ce qui suit :

Génocide, crime contre l’humanité, etc., commis à l’étranger

6. (1) Quiconque commet à l’étranger une des infractions ci-après, avant ou après l’entrée en vigueur du présent article, est coupable d’un acte criminel et peut être poursuivi pour cette infraction aux termes de l’article 8 :

a) génocide;

b) crime contre l’humanité;

 

c) crime de guerre

 

[Non souligné dans l’original.]

Genocide, etc., committed outside Canada

6. (1) Every person who, either before or after the coming into force of this section, commits outside Canada

(a) genocide,

(b) a crime against humanity, or

(c) a war crime,

 

is guilty of an indictable offence and may be prosecuted for that offence in accordance with section 8.

[Emphasis added.]

 

[14]           La définition de l’expression « crime contre l’humanité » se trouve au paragraphe 6(3) de la Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre :

« crime contre l’humanité » Meurtre, extermination, réduction en esclavage, déportation, emprisonnement, torture, violence sexuelle, persécution ou autre fait — acte ou omission — inhumain, d’une part, commis contre une population civile ou un groupe identifiable de personnes et, d’autre part, qui constitue, au moment et au lieu de la perpétration, un crime contre l’humanité selon le droit international coutumier ou le droit international conventionnel ou en raison de son caractère criminel d’après les principes généraux de droit reconnus par l’ensemble des nations, qu’il constitue ou non une transgression du droit en vigueur à ce moment et dans ce lieu.

 

Les questions en litige

[15]           Il y a trois questions en litige dans le cadre de la présente demande :

1.      La Commission a‑t‑elle commis une erreur en concluant que le demandeur était membre du MQM?

 

2.      La Commission a‑t‑elle omis d’examiner la question de savoir si la faction du MQM connue sous le nom de MQM-Altaf, ou de MQM-A, était expressément responsable de quelque acte de violence ou de terrorisme que ce soit?

 

3.      La Commission a‑t‑elle appliqué incorrectement le critère relatif à la complicité?

 

La norme de contrôle

[16]           Les cours de justice ont appliqué la norme de décision raisonnable dans les cas où il était question de l’appartenance à une organisation terroriste. Cette norme de contrôle est applicable tant à la détermination de l’appartenance à une organisation (Poshteh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 85, aux paragraphes 21 à 24) que pour décider si l’organisation est de nature terroriste (Kanendra c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 923, au paragraphe 12).

 

[17]           La question de savoir s’il y a complicité dans des crimes contre l’humanité en application de l’article 35 de la LIPR est également assujettie à la norme de décision raisonnable (Harb c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CAF 39, au paragraphe 14; Jayasinghe c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 193, au paragraphe 16).

 

[18]           La Cour suprême du Canada a récemment clarifié la norme de raisonnabilité dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9. Lors du contrôle judiciaire d’une décision de la Commission selon la norme de décision raisonnable, la Cour examinera « la justification de la décision, […] la transparence et […] l’intelligibilité du processus décisionnel », ainsi que « l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » : Dunsmuir, au paragraphe 47.

 

Analyse

La Commission a‑t‑elle commis une erreur en concluant que le demandeur était membre du MQM?

[19]           Le demandeur déclare qu’il n’a jamais formellement appartenu au MQM, parce qu’il n’a jamais prêté serment envers l’organisation ni travaillé à longueur d’année pour elle. Il déclare qu’il n’a travaillé pour l’organisation que durant des élections et dans des programmes de secours. Il se décrit comme un sympathisant ou un partisan plutôt que comme un membre à part entière.

 

[20]           Le demandeur soutient que le fait que son niveau de participation était faible et qu’il n’avait pas prêté serment afin de devenir un membre officiel devrait écarter la possibilité de conclure à son appartenance.

 

[21]           Dans la décision Kanendra, M. le juge Noël a rejeté la distinction entre l’appartenance officielle et celle découlant de la participation en déclarant ce qui suit :

21     Le demandeur soutient que le terme « membre » à l’alinéa 34(1)f) doit recevoir une interprétation restrictive de façon à ne pas viser les personnes qui peuvent s’associer et sympathiser avec une organisation visée aux alinéas 34(1)a), b) ou c), mais qui ne constituent pas elles-mêmes une menace pour le Canada. Il soutient également que le terme « membre » devrait être interprété de manière à englober uniquement les personnes qui sont des membres actuels et réels ou officiels, c’est‑à‑dire les personnes qui sont assujetties à la discipline de l’organisation et qui n’ont pas le droit d’agir en conformité avec d’autres convictions et d’autres stratégies que celles de l’organisation.

22     Adopter une telle interprétation serait contraire, à mon avis, à l’esprit de la loi et à la jurisprudence. Dans Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1997), 40 Imm. L.R. (2d) 247 (C.F. 1re inst.), à la page 259 (paragraphe 22), infirmée en partie (pour des motifs différents) à 47 Imm. L.R. (2d) 1 (C.A.F.), le juge Teitelbaum a écrit : « L’appartenance ne saurait ni ne devrait être interprétée de façon restrictive quand elle se rapporte à la question de la sécurité nationale du Canada. Par ailleurs, l’appartenance ne fait pas uniquement référence à des personnes qui se sont livrées ou pourraient se livrer à des activités terroristes » . Voir également Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Singh (1998), 44 Imm. L.R. (2d) 309, aux paragraphes 51 et suivants (C.F. 1re inst.); Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Owens (2000), 9 Imm. L.R. (3d) 101, aux paragraphes 16 à 18 (C.F. 1re inst.); Poshteh, précité, au paragraphe 29.

23     Par conséquent, le terme « membre » employé à l’alinéa 34(1)f) de la LIPR devrait recevoir une interprétation libérale. […]

 

[22]           Cette interprétation de l’appartenance a été confirmée par la Cour d’appel fédérale. Dans l’arrêt Poshteh, le juge Rothstein a déclaré ce qui suit :

27     La loi ne définit pas le mot « membre ». Les tribunaux n’ont pas établi une définition précise et complète de ce terme. Lorsqu’elle a interprété le mot « membre » employé dans l’ancienne Loi sur l’immigration, L.R.C. 1985, ch. I-2, la Section de première instance (sa désignation à l’époque) a dit que ce mot devait recevoir une interprétation large et libérale. La raison d’être d’une telle approche est exposée dans la décision Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Singh (1998), 151 F.T.R. 101, au paragraphe 52 (1re inst.) :

 

[52] Les dispositions en cause traitent de la subversion et du terrorisme. Le contexte, en ce qui concerne la législation en matière d’immigration, est la sécurité publique et la sécurité nationale, soit les principales préoccupations du gouvernement. Il va sans dire que les organisations terroristes ne donnent pas de cartes de membres. Il n’existe aucun critère formel pour avoir qualité de membre et les membres ne sont donc pas facilement identifiables. Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration peut, si cela n’est pas préjudiciable à l’intérêt national, exclure un individu de l’application de la division 19(1)f)(iii)(B). Je crois qu’il est évident que le législateur voulait que le mot « membre » soit interprété d’une façon libérale, sans restriction aucune.

 

[23]           Bien que l’arrêt Poshteh et la décision Singh énoncent que la justification pour interpréter de façon libérale le mot « appartenance » est fondée en partie sur les difficultés à établir l’appartenance à des organisations terroristes, ces affaires n’écartent pas la possibilité de conclure à l’appartenance lorsque quelqu’un est un membre ou un participant officieux dans une organisation où il existe une adhésion formelle. Dans la décision Denton-James c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1548, la juge Dawson a déclaré au paragraphe 13 :

Dans la décision Chiau c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 2 C.F. 642 (1re inst.), le juge Dubé a rejeté la position selon laquelle le mot « membre » exigeait une adhésion effective ou formelle, avec participation active. Être « membre » s’entend plutôt du fait « d’appartenir ». En appel, la Cour d’appel fédérale, dont l’arrêt est cité plus loin, a déclaré que, en assimilant la qualité de « membre » à l’ « appartenance », le juge Dubé avait conclu à juste titre que le mot « membre » devrait être défini largement.

 

 

[24]           La Commission disposait d’éléments de preuve se rapportant spécifiquement à l’appartenance du demandeur au MQM :

                                             i.                  une lettre fournie par le Secrétariat international du MQM à l’appui de la demande d’asile du demandeur :

 

[traduction]

 

« Par la présente, nous confirmons que Mohammad Hassan Qureshi était un militant actif du Mouvement national unifié (MQM), unité 144, secteur fédéral B, Karachi, Pakistan. »

 

                                           ii.                  la demande de résidence permanente présentée au Canada :

              

[traduction]

 

« 01 1995 - 11 1999 Mouvement Muttahida Quami – membre »

 

                                          iii.                  le Formulaire de renseignements personnels du demandeur, dans lequel celui‑ci a déclaré :

 

[traduction]

 

« Mon père était un homme d’affaires de la région et un membre très actif du MQM. Pour suivre ses traces ainsi que respecter ses désirs et ses conseils, j’ai maintenu sa tradition de dur labeur pour le MQM. »

 

                                         iv.                  les notes de l’agent d’immigration à l’entrevue (relatives à la déclaration du demandeur) :

[traduction]

 

« J’ai été membre du MQM, pour qui je militais sans avoir prêté serment. J’ai participé aux élections de 1997, affichant des prospectus pour le Parti et distribuant de l’eau dans les bureaux de vote. J’ai aussi organisé le transport des gens. »

 

                                           v.                  le témoignage du demandeur au cours de l’audience selon lequel il avait joint les rangs de l’All Pakistan Muhajir Student Organization (l’APMSO) pendant ses études au collège en 1993 :

              

[traduction]

 

« J’ai milité pour l’APMSO qui, en réalité, fait partie du MQM. »

 

 

[25]           En l’espèce, la Commission a conclu que le demandeur avait eu une association de sept ans avec le MQM, y compris la participation à un rassemblement du MQM en juillet 2000, à Toronto. À la lumière de la preuve dont disposait la Commission, j’estime qu’il n’était pas déraisonnable que celle‑ci conclue que le demandeur était un membre du MQM/de l’APMSO.

 

La Commission a‑t‑elle omis d’examiner la question de savoir si la faction du MQM connue sous le nom de MQM-Altaf, ou de MQM-A, était expressément responsable de quelque acte de violence ou de terrorisme que ce soit?

 

[26]           Le demandeur a également soutenu que la Commission avait commis une erreur en ne faisant pas de distinction entre les factions du MQM. Il invoque la décision Ali c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1174, dans laquelle une décision fut annulée parce que le décideur n’avait pas fait cette distinction. Dans cette affaire, la juge Mactavish a jugé ainsi :

64     […] je suis préoccupée au sujet de l’omission de l’agente de mentionner des actes précis posés par le MQM-A qui satisferaient à la définition de « terrorisme » de l’arrêt Suresh ou de fournir une analyse de ces éléments de preuve. On peut également se questionner au sujet de la suffisance des éléments de preuve appuyant la conclusion de l’agente.

65     […] L’agent disposait en effet d’éléments de preuve qui appuieraient la conclusion selon laquelle le MQM en général, et le MQM-H en particulier, étaient les auteurs d’actes de terrorisme. Toutefois, en ce qui concerne le MQM-A, les éléments de preuve sont beaucoup plus limités et sont en grande partie restreints à des actes violents posés par des membres du MQM-A à l’encontre de membres de l’organisation rivale du MQM-H.

66          Le rapport de la CISR reconnaît clairement que le MQM est composé de deux factions : le MQM-A et le MQM-H. Bien que certains actes de terrorisme soient clairement attribués au MQM-H, la plus grande partie du rapport ne fait pas la distinction entre les deux groupes, ne mentionnant que les actions posées par les [traduction] « activistes du MQM », les [traduction] « travailleurs du MQM » ou les [traduction] « militants du MQM ».

[…]

67          En l’espèce, les motifs de l’agente ne fournissent pas un fondement adéquat à sa conclusion selon laquelle il y a des motifs raisonnables de croire que le MQM-A est un groupe qui se livre à des activités terroristes. Plus particulièrement, il n’y a aucune analyse du rapport de la CISR ni aucune précision quant aux activités exercées par le MQM-A que l’agente estime être de nature terroriste. À mon avis, vu le caractère sérieux de la conclusion en cause et des conséquences en découlant pour M. Ali, il incombait à l’agente de fournir certaines explications au sujet de sa conclusion selon laquelle il y a des motifs raisonnables de croire que le MQM-A est une organisation terroriste. Son omission de le faire constitue une erreur susceptible de révision.

 

 

[27]           Dans la décision Ali, l’agente d’immigration n’a fait état d’aucun acte terroriste auquel se serait livré le MQM-A ni d’aucun élément de preuve selon lequel le MQM-A serait une organisation terroriste. En l’espèce, la Commission a cité cinq rapports faisant référence à la violence exercée par le MQM. L’un d’eux, intitulé Pakistan: Information on MQM-A (Pakistan : information sur le MQM‑A) et publié par le département de la Sécurité intérieure des É.‑U., réfère expressément au MQM-A comme étant responsable de [traduction] « meurtres ou d’autres actes de violence ». Le demandeur soutient que, parce qu’aucun des rapports ne mentionnait quelle faction du MQM était responsable de la violence relatée, la preuve liant le MQM-A à des activités violentes est insuffisante.

 

[28]           Ce ne sont pas tous les extraits cités par la Commission qui identifient précisément le MQM-A, mais les rapports, eux‑mêmes, font bel et bien mention du MQM-A ou réfèrent au chef du MQM-A, Altaf Hussain, tout en analysant le MQM d’une façon générale. Par exemple, le rapport du Centre d’études internationales et sécurité, Université York, lequel est cité dans la décision de la Commission énonce ce qui suit :

[traduction]

 

Les activités du MQM au Pakistan sont inévitablement marquées de violence […] Une grande partie de l’organisation se fait à partir du siège à Londres, où Altaf Hussain coordonne bien des actes de violence au moyen du téléphone et du cellulaire.

 

[29]           De même, le rapport d’Amnistie Internationale cité par la Commission énonce ce qui suit :

[traduction]

 

Le gouvernement fédéral […] a publié une liste de 121 membres du MQM recherchés pour avoir créé et maintenu des chambres de torture […] 19 dirigeants du MQM (dont Altaf Hussain) […] ont été déclarés des contrevenants.

 

[30]           Dans la décision Memom c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 610, le juge Zinn a déclaré ce qui suit :

20     En outre, même si l’on devait admettre qu’il y a des cas où il est sans doute difficile de savoir si les actes reprochés étaient ceux du MQM, du MQM‑A ou du MQM‑H, le rapport d’Amnistie Internationale de 1996 dit clairement que, à Karachi, où M. Memon était membre du MQM‑A, toutes les factions étaient responsables également des actes terroristes commis :

 

[traduction]

 

À Karachi, les deux factions du MQM, […] sont en concurrence les uns avec les autres et plusieurs de ces groupes s’opposent au gouvernement. Les limites confuses du conflit ont permis à chaque groupe et aussi au gouvernement de tenir les autres responsables des violations. Toutefois, Amnistie Internationale estime que les preuves dont on dispose donnent fortement à penser que tous les groupes d’opposition armés exerçant leurs activités à Karachi sont responsables de torture, d’enlèvements et de meurtres.

 

[31]           Dans la décision Jilani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 758, le juge Beaudry s’est exprimé ainsi :

19     Il était loisible à la Commission de conclure que, parce que l’organisation relève d’un seul leader, les actions et les intentions de certaines factions pouvaient être attribuées à l’organisation dans son ensemble. […]

 

[32]           Le demandeur n’a présenté aucun élément de preuve à l’appui de sa prétention selon laquelle le MQM-A n’était pas responsable des activités violentes du MQM. En l’absence d’une preuve contredisant les rapports cités par la Commission, je conclus que celle‑ci pouvait conclure qu’il existait des motifs raisonnables de croire que le MQM était l’auteur d’actes terroristes violents et que le MQM-A était suffisamment lié aux actes terroristes attribués au MQM.

 

La Commission a‑t‑elle appliqué incorrectement le critère relatif à la complicité?

[33]           La Commission a conclu que le demandeur était complice de la perpétration de crimes contre l’humanité en raison de son association avec le MQM. Plus précisément, la Commission a déclaré ce qui suit :

La Cour fédérale a établi six facteurs à examiner pour déterminer si M. Qureshi est complice de crimes contre l’humanité : la nature de l’organisation, la méthode de recrutement, le poste au sein de l’organisation, la connaissance des atrocités commises par l’organisation, la période de temps passée dans l’organisation et la possibilité de quitter l’organisation.

 

Comme le MQM ne vise pas des fins limitées et brutales, il est nécessaire que je détermine si M. Qureshi était complice à partir des cinq autres facteurs si je veux conclure qu’il y avait un certain degré de participation personnelle et consciente ainsi qu’une intention commune.

 

[34]           Comme cela fut énoncé dans la décision Catal c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1517, au paragraphe 8, le critère de complicité est la participation personnelle et consciente avec une intention commune partagée par l’organisation, dans l’une ou l’autre des situations suivantes :

      1. s’il s’agit d’une organisation aux fins limitées et brutales, l’appartenance à cette organisation rend la personne complice de ses crimes;
      2. s’il s’agit d’une organisation dont la perpétration de crimes est accessoire à la poursuite d’un autre objectif, fondamental, la complicité est déterminée par une analyse des faits, au cas par cas, compte tenu des facteurs suivants adoptés par le juge Hughes dans la décision Bedoya c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1092 :

 

1.  La nature de l’organisation

2.  La méthode de recrutement

3.  Le poste ou le grade au sein de l’organisation

4.  La période de temps passée dans l’organisation

5.  La possibilité de quitter l’organisation

6.  La connaissance des atrocités commises par l’organisation.

 

 

[35]           Le demandeur soutient que la Commission n’a pas établi qu’il y avait une « participation personnelle et consciente » de sa part dans des crimes contre l’humanité, et que la simple constatation que le demandeur a été associé pendant longtemps au MQM et qu’il a participé à des événements relatifs au MQM ne suffisait pas à étayer une conclusion selon laquelle le demandeur était complice de crimes contre l’humanité.

 

[36]           La Commission a conclu que le demandeur avait été longuement lié au MQM et que le déni de connaissance des atrocités de l’organisation exprimé par le demandeur n’était pas crédible. La Commission n’a pas cru que le demandeur n’était pas au courant des activités violentes du MQM, parce que ces actions étaient bien établies et largement connues. La Commission a fondé sa conclusion selon laquelle le demandeur était complice dans la perpétration de crimes contre l’humanité sur ces constatations.

 

[37]           Dans la décision Valère c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 524, au paragraphe 34, la juge Mactavish a mentionné qu’il devait y avoir une participation personnelle dans les crimes en cause. Elle a déclaré :

Comme la Cour d’appel fédérale l’a dit dans l’affaire Moreno, l’acquiescement passif ne permet pas d’invoquer la disposition d’exclusion. Il faut établir une participation personnelle aux actes de persécution pour établir la complicité.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[38]           Dans l’arrêt Moreno c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 C.F. 298 (C.A.), le juge Robertson de la Cour d’appel fédérale a jugé que, pour qu’une personne soit jugée complice, il fallait démontrer une participation personnelle et consciente aux actes de persécution :

45     Il est bien établi que la simple appartenance à une organisation impliquée dans la perpétration de crimes internationaux ne permet pas d’invoquer la disposition d’exclusion; voir les arrêts Ramirez, à la page 317, et Laipenieks v. I.N.S., 750 F. 2d (1985) (9th Cir. 1985), à la page 1431. […]

 

[…]

 

51     […] nous devons déterminer si le comportement de l’appelant satisfait au critère de la « participation personnelle et consciente aux actes de persécution ». Tout aussi important toutefois est le fait que la complicité repose sur l’existence d’un dessein commun, poursuivi par l’« auteur » et le « complice ». En d’autres termes, la mens rea demeure un élément essentiel du crime. […]

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[39]           La Commission a reconnu que le MQM ne visait pas des fins limitées et brutales; la proposition converse de cet énoncé est que certaines des activités du MQM ne sont pas des activités prohibées.

 

[40]           La Commission a déclaré : « […] il est nécessaire que je détermine si M. Qureshi était complice à partir des cinq autres facteurs si je veux conclure qu’il y avait un certain degré de participation personnelle et consciente ainsi qu’une intention commune ». Deux de ces facteurs, selon le libellé employé par la Commission, étaient : « le poste au sein de l’organisation » et « la connaissance des atrocités commises par l’organisation ».

 

[41]           La Commission n’a pas distingué les activités du demandeur des activités légitimes auxquelles les membres du MQM pourraient se livrer ni lié ces activités à la participation prohibée à des atrocités. La Commission n’a pas lié le poste occupé par le demandeur au sein de l’organisation, à titre de militant actif qui effectuait de la collecte de fonds, distribuait des circulaires, participait à des rassemblements et travaillait durant les élections, à la perpétration de crimes de persécution par les membres du MQM.

 

[42]           La Commission n’a pas non plus fondé son affirmation selon laquelle la connaissance par le demandeur des atrocités commises par le MQM allait au‑delà d’un niveau passif et qu’il en était davantage conscient, au point où cela sous‑entendait une approbation et le partage d’une intention commune dans les crimes de persécution commis par les membres du MQM.

 

[43]           L’analyse de la Commission ne permet pas raisonnablement de conclure à la participation personnelle ou à l’existence de la mens rea requise pour qu’il y ait complicité à l’égard des crimes commis par le MQM contre l’humanité. Je conclus que la décision de la Commission est déraisonnable en ce qui touche l’alinéa 35(1)a).

 

Conclusion

[44]           J’ai jugé que la décision de la Commission, lorsqu’elle a conclu que le demandeur était interdit de territoire du fait qu’il était complice de crimes contre l’humanité, tel que l’énonce l’alinéa 35(1)a) de la LIPR, était déraisonnable. J’estime qu’il est approprié d’annuler la décision de la Commission en ce qui concerne l’alinéa 35(1)a). Toutefois, je ne renverrai pas la décision pour qu’il soit statué à nouveau sur l’affaire dans la mesure où la question pourra être réexaminée si le demandeur demande que soit appliquée à son égard l’exception prévue au paragraphe 34(2) comme nous le verrons plus loin.

 

[45]           J’ai jugé raisonnable la conclusion de la Commission selon laquelle le demandeur était interdit de territoire du fait qu’il était membre d’une organisation qui est l’auteur d’actes de terrorisme, comme le prévoit l’alinéa 34(1)f) de la LIPR. Je fais remarquer que le paragraphe 34(2) offre un moyen par lequel un demandeur peut demander de bénéficier d’une exception à l’exclusion découlant des alinéas 34(1)b) et c). Étant donné que le demandeur n’a pas épuisé ses recours sous le régime de la LIPR, je refuse d’exercer le pouvoir discrétionnaire qui m’est conféré par l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

 

[46]           Les parties n’ont pas soumis de question de portée générale en vue de la certification; je ne rendrai donc aucune ordonnance à cet égard.

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que :

1.      La décision de la Commission qui conclut que le demandeur était interdit de territoire du fait qu’il était complice de crimes contre l’humanité, tel que l’énonce l’alinéa 35(1)a) de la LIPR est annulée. L’affaire n’est pas renvoyée pour qu’il soit statué à nouveau sur celle‑ci.

2.      La demande de contrôle judiciaire à l’encontre de la conclusion de la Commission selon laquelle le demandeur était interdit de territoire du fait qu’il était membre d’une organisation qui est l’auteur d’actes de terrorisme, comme le prévoit l’alinéa 34(1)f) de la LIPR, est rejetée.

3.      Aucune question de portée générale n’est certifiée.

 

 

« Leonard S. Mandamin »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Christian Laroche, LL.B.

Juriste-traducteur


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2460-08

                                                           

 

INTITULÉ :                                       MUHAMMAD HASSAN QURESHI c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 10 DÉCEMBRE 2008

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE MANDAMIN

 

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       LE 5 JANVIER 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Max Berger                                          POUR LE DEMANDEUR

 

Amy Lambiris                                       POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Max Berger Professional                       POUR LE DEMANDEUR

Law Corporation

Toronto (Ontario)

 

John H. Sims, c.r.                                 POUR LE DÉFENDEUR

Toronto (Ontario)

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