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Date : 20081222

Dossier : T-1803-06

Référence : 2008 CF 1402

Ottawa (Ontario), le 22 décembre 2008

En présence de monsieur le juge Phelan

 

ENTRE :

AUBREY CARLSON LAROCQUE

demandeur

et

 

LA TRIBU DE LOUIS BULL

défenderesse

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

I.          INTRODUCTION

[1]               Le demandeur a déposé une requête en vue d’obtenir les ordonnances suivantes:

(a)        Une ordonnance enjoignant à la défenderesse de verser au demandeur la somme de 23 325,28 $ due au demandeur en vertu de la clause 1 d’une ordonnance arbitrale datée du 21 août 2006, déduction faite des prestations d’assurance-emploi de 1 560,00 $ touchées par le demandeur du 1er avril 2002 au 12 mai 2002, et des 850,00 $ dus à la tribu de Louis Bull en vertu de l’ordonnance de la juge Hansen datée du 21 décembre 2006.

(b)        Une ordonnance renvoyant à l’arbitre l’ordonnance qu’il a rendue le 21 août 2006 et exigeant de l’arbitre qu’il précise sa sentence de telle sorte que [TRADUCTION] « le taux préférentiel en vigueur » puisse être établi avec certitude et qu’il précise en quoi consistent [TRADUCTION] « les dépens raisonnables » dont l’arbitre a statué que la défenderesse doit verser la moitié.

 

II.        LE CONTEXTE

[2]               L’arbitre, C.R.B. Dunlop, a été désigné par le ministre en application de l’article 242, partie III du Code canadien du travail, L.R.C. 1985, ch. L-2, pour procéder à l’instruction d’une plainte pour congédiement injuste déposée par Aubrey Carlson Larocque contre la tribu de Louis Bull.

 

[3]               Le 16 mars 2006, l’arbitre a rendu sa décision sur les mesures de réparation et sur les dépens, dans laquelle il a accordé au plaignant un montant forfaitaire de 25 735,28 $ qui devait être ajusté compte tenu des cotisations au régime de pensions du Canada, de l’assurance-emploi et d’autres facteurs. L’arbitre s’est réservé, pour une période de 60 jours, le pouvoir de trancher des questions relatives au calcul de divers montants, dont les déductions au titre du régime des pensions du Canada et de l’assurance-emploi, et à l’interprétation de même qu’à la mise en œuvre de sa sentence.

 

[4]               Le demandeur a envoyé son mémoire d’honoraires à l’arbitre le 7 mai 2006, soit avant l’échéance de la période de soixante jours durant laquelle l’arbitre s’était réservé compétence sur la plainte. Le 30 mai 2006, l’arbitre a avisé les parties que le document reçu le 7 mai ne lui demandait pas clairement de faire quoi que ce soit. Une fois les soixante jours écoulés, l’arbitre a reçu une communication relative aux dépens et à l’assurance-emploi.

 

[5]               Le 15 juin 2006, l’arbitre a avisé les parties que la période durant laquelle il s’était réservé compétence sur la plainte avait atteint son terme et que, par conséquent, sa compétence était éteinte.

 

[6]               Finalement, le 21 août 2006, l’arbitre a ordonné à la tribu, soit l’employeur : a) de verser au plaignant Larocque la somme de 25 735,28 $, b) de payer des intérêts au taux préférentiel en vigueur sur la moitié des 25 735,28 $ et c) de payer la moitié des dépens raisonnables de M. Larocque.

 

[7]               Aucune des parties n’a pris de mesure en vue de contester l’ordonnance rendue par l’arbitre.

 

[8]               Le demandeur a déposé une copie de l’ordonnance à la Cour fédérale le 26 septembre 2006, ce qui lui a conféré la valeur d’une ordonnance rendue par la Cour. Le demandeur a ensuite déposé une réquisition pour un bref de saisie-exécution. Le bref a été décerné le 22 novembre 2006.

 

[9]               La défenderesse s’est opposée à la saisie-exécution, invoquant l’omission de la part de l’arbitre de fixer avec précision les montants auxquels le plaignant avait droit. En outre, selon la tribu, les paiements en trop d’assurance-emploi devaient influer sur le calcul de la somme forfaitaire finale. De plus, la défenderesse a soutenu que la sentence ne contenait aucune référence claire permettant de calculer l’intérêt applicable et que le montant des dépens n’avait jamais été taxé ni déterminé de façon définitive.

 

[10]           La juge Hansen a annulé le bref de saisie-exécution le 21 décembre 2006 au motif que les informations contenues dans la sentence arbitrale ne suffisaient pas pour le calcul des montants dus au demandeur aux titres des intérêts et des dépens.

 

[11]           La tribu défenderesse n’a fait aucun paiement, pour les motifs cités au paragraphe 9, depuis que l’arbitre a rendu son ordonnance. Par ailleurs le demandeur n’a pas cherché à faire exécuter la sentence arbitrale depuis l’ordonnance de la juge Hansen.

 

[12]           La situation peut être résumée comme suit : la plainte de M. Larocque a été acueillie, il s’est vu accorder une indemnisation en lieu et place de sa réintégration, la défenderesse devait lui verser des intérêts de même que la moitié de ses dépens. L’exécution de ces mesures a été rendue impossible par l’imprécision de la sentence arbitrale. Par conséquent, la victoire de M. Larocque est demeurée sans effet jusqu’à maintenant.

 

III.       ANALYSE

[13]           Dans l’arrêt Bélisle c. Entreprises de Radiodifusion de la Capitale Inc. (CHRC) (1990), 123 N.R. 149 (C.A.F.), la Cour d’appel fédérale a statué que le rôle de la Cour dans l’exécution des sentences arbitrales ou, plus précisément, le pouvoir qu’a la Cour de calculer les montants prévus par la sentence est très limité. La Cour ne peut pas se permettre de modifier la sentence arbitrale, ni de redéfinir les faits ou d’établir les montants qui doivent être accordés aux parties. Toutefois, la Cour ne doit pas se contenter d’entériner d’office toutes les décisions arbitrales, et elle peut, comme l’a dit la juge Hansen, calculer les montants lorsque toutes les informations nécessaires sont disponibles.

 

[14]           En l’espèce, l’obstacle auquel le demandeur se heurte réside dans l’impossibilité pour la Cour de calculer les montants sans obtenir d’informations supplémentaires.

 

[15]           La défenderesse estime que l’arbitre est functus officio. L’arbitre semble souscrire à cet argument. Ainsi, comme les indemnisations contenues dans la sentence arbitrale ne peuvent être calculées sans que les faits sous-jacents soient éclaircis, la défenderesse estime qu’aucune mesure ne peut être prise en l’espèce. Elle espère donc échapper aux conséquences de cette sentence arbitrale qui lui est défavorable grâce aux lacunes qu’elle comporte.

 

[16]           Toutefois, selon moi, l’arbitre ne sera pas dessaisi du litige tant qu’il n’aura pas rendu une sentence renfermant des montants qui soient clairement établis.

 

[17]           Le principe du functus officio s’applique de façon plus souple à une décision rendue par un tribunal administratif qu’à un jugement d’une cour de justice. Ce principe se fonde en grande partie sur des considérations de politique publique qui favorisent le caractère définitif des procédures. C’est ce qu’énonce l’arrêt Chandler c. Alberta Association of Architects, [1989] 2 R.C.S. 848, aux paragraphes suivants:

21     Le principe du functus officio s'applique dans cette mesure.  Cependant, il se fonde sur un motif de principe qui favorise le caractère définitif des procédures plutôt que sur la règle énoncée relativement aux jugements officiels d'une cour de justice dont la décision peut faire l'objet d'un appel en bonne et due forme.  C'est pourquoi j'estime que son application doit être plus souple et moins formaliste dans le cas de décisions rendues par des tribunaux administratifs qui ne peuvent faire l'objet d'un appel que sur une question de droit.  Il est possible que des procédures administratives doivent être rouvertes, dans l'intérêt de la justice, afin d'offrir un redressement qu'il aurait par ailleurs été possible d'obtenir par voie d'appel.

 

[…]

 

23     De plus, si le tribunal administratif a omis de trancher une question qui avait été soulevée à bon droit dans les procédures et qu'il a le pouvoir de trancher en vertu de sa loi habilitante, on devrait lui permettre de compléter la tâche que lui confie la loi.  Cependant, si l'entité administrative est habilitée à trancher une question d'une ou de plusieurs façons précises ou par des modes subsidiaires de redressement, le fait d'avoir choisi une méthode particulière ne lui permet pas de rouvrir les procédures pour faire un autre choix.  Le tribunal ne peut se réserver le droit de le faire afin de maintenir sa compétence pour l'avenir, à moins que la loi ne lui confère le pouvoir de rendre des décisions provisoires ou temporaires.  Voir Huneault c. Société centrale d'hypothèques et de logement (1981), 41 N.R. 214 (C.A.F.).

 

[18]           Bien que, jusqu’à maintenant, aucun précédent n’ait expressément appliqué les principes de l’arrêt Chandler à une décision rendue par un arbitre désigné en vertu de l’article 242 du Code canadien du travail, rien ne justifie que ces principes ne soient pas appliqués de la même façon à l’affaire qui nous occupe.

 

[19]           Un jugement rendu dans un dossier similaire, où un arbitre avait été nommé aux termes d’une convention collective, énonce que l’arbitre ne s’est pas acquitté de son mandat tant qu’il n’a pas prononcé une sentence claire et susceptible d’exécution (Épiciers unis Métro-Richelieu c. Syndicats des travailleurs et travailleuses des épiciers unis Métro-Richelieu, [1997] J.Q. no 2994 (C.S.) (QL)).

 

[20]           En dernier lieu, dans l’affaire Canada Post Corporation c. Canadian Union of Postal Workers, 2001 ABQB 27, la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta a statué que l’arbitre désigné en vertu du Code canadien du travail n’était pas dessaisi du différend dès qu’il avait rendu sa décision et qu’il avait le pouvoir de préciser les conséquences de sa décision, y compris de fixer des montants précis.

 

[21]           En l’espèce, l’arbitre n’a pas rendu une sentence susceptible d’exécution, ce qui constitue pourtant un aspect essentiel de son mandat. Tant qu’il n’aura pas respecté cette exigence minimale, l’arbitre demeure saisi du différend. Il possède toutes les données nécessaires pour rendre une sentence qui puisse être exécutée. À titre d’exemple, seul l’arbitre est en mesure de préciser ce qu’il entend par [TRADUCTION] « taux préférentiel en vigueur ».

 


IV.       CONCLUSION

[22]           Par conséquent, la Cour rendra une ordonnance qui accordera au demandeur la réparation décrite au paragrpahe 1(b) des présents motifs, le tout avec dépens s’élevant à $850,00.


ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE que l’ordonnance arbitrale rendue le 21 août 2006 par C.R.B. Dunlop, l’arbitre désigné en l’espèce, lui soit renvoyée afin que (a) il précise ce qu’il entend par [TRADUCTION] « taux préférentiel en vigueur », que (b) il précise ce qu’il entend par [TRADUCTION] « dépens raisonnables », dont la défenderesse doit verser la moitié, et que (c) il prononce une nouvelle ordonnance arbitrale qui rendra exécutoire son ordonnance du 21 août 2006 et qui contiendra les précisions nécessaires à son exécution.

 

 

 

« Michael L. Phelan »

Juge

Traduction certifiée conforme

Emmanuelle Dubois

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-1803-06

 

INTITULÉ :                                       AUBREY CARLSON LAROCQUE

 

                                                            c.

 

                                                            LA TRIBU DE LOUIS BULL

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Edmonton (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 8 décembre 2008

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE   

ET ORDONNANCE :                       Le juge Phelan

 

DATE :                                               Le 22 décembre 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Art Tralenberg

 

Pour le demandeur

Sylvie Molgat

 

Pour la défenderesse

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

ART TRALENBERT LAW OFFICES

Avocats

Hobbema (Alberta)

 

Pour le demandeur

DUBUC/OSLAND

Avocats

Ottawa (Ontario)

 

Pour la défenderesse

s

 

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