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Date : 20081117

Dossier : T-1587-08

Référence : 2008 CF 1287

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 17 novembre 2008

En présence de monsieur le juge Noël

 

ENTRE :

Première nation Temagami

 

et

 

John Turner, Jamie Saville, Joseph Twain, Patricia Neu,

Roxanne Ayotte, John Mckenzie, Steven Laronde et Arnold Paul

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Le demandeur demande une injonction interlocutoire qui ferait respecter les résultats d’une élection générale tenue le 12 juin 2008, jusqu’à ce que la procédure sous‑jacente traitant d’un contrôle judiciaire de deux résolutions visant à modifier la constitution tribale de la Première nation Temagami ait été entendue et tranchée sur le fond. Le demandeur demande également une suspension de ces résolutions, parmi d’autres réparations.

 

[2]               Le leadership de la communauté est en jeu en l’espèce. Il s’agit d’une lutte pour le contrôle et le pouvoir de gouverner la Première nation Temagami.

[3]               Pour que le demandeur se voie accorder une injonction interlocutoire contre les défendeurs, il doit convaincre la Cour de l’existence d’une question sérieuse (ou de plusieurs questions), qu’un préjudice irréparable a été causé et que la prépondérance des inconvénients joue en faveur de la position du demandeur. Le critère à trois volets est exposé dans la décision de principe de la Cour suprême dans les arrêts RJR-MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 R.C.S.. 311 :

 

À la première étape, le requérant d'un redressement interlocutoire dans un cas relevant de la Charte doit établir l'existence d'une question sérieuse à juger. Le juge de la requête doit déterminer s'il est satisfait au critère, en se fondant sur le bon sens et un examen extrêmement restreint du fond de l'affaire. Le fait qu'une cour d'appel a accordé une autorisation d'appel relativement à l'action principale constitue une considération pertinente et importante, de même que tout jugement rendu sur le fond, mais ni l'un ni l'autre n'est concluant sur ce point. Le tribunal saisi de la requête ne devrait aller au‑delà d'un examen préliminaire du fond de l'affaire que lorsque le résultat de la requête interlocutoire équivaudra en fait à un règlement final de l'action, ou que la question de constitutionnalité d'une loi se présente comme une pure question de droit. Les cas de ce genre sont extrêmement rares. Sauf lorsque la demande est futile ou vexatoire ou que la question de la constitutionnalité d'une loi se présente comme une pure question de droit, le juge de la requête doit en général procéder à l'examen des deuxième et troisième étapes du critère de l'arrêt Metropolitan Stores.

 

         À la deuxième étape, le requérant doit établir qu'il subira un préjudice irréparable en cas de refus du redressement. Le terme «irréparable» a trait à la nature du préjudice et non à son étendue. Dans les cas relevant de la Charte, même une perte financière quantifiable, invoquée à l'appui d'une demande, peut être considérée comme un préjudice irréparable s'il n'est pas évident qu'il pourrait y avoir recouvrement au moment de la décision sur le fond.

 

         La troisième étape du critère, l'appréciation de la prépondérance des inconvénients, permettra habituellement de trancher les demandes concernant des droits garantis par la Charte. Il faut tenir compte de l'intérêt public dans l'appréciation des inconvénients susceptibles d'être subis par les deux parties. Les considérations d'intérêt public auront moins de poids dans les cas d'exemption que dans les cas de suspension. Si la nature et l'objet affirmé de la loi sont de promouvoir l'intérêt public, le tribunal des requêtes ne devrait pas se demander si la loi a réellement cet effet. Il faut supposer que tel est le cas. Pour arriver à contrer le supposé avantage de l'application continue de la loi que commande l'intérêt public, le requérant qui invoque l'intérêt public doit établir que la suspension de l'application de la loi serait elle‑même à l'avantage du public.

 

La Cour applique continuellement ce critère à trois volets aux requêtes sollicitant une injonction, comme le démontrent les récentes affaires Prince c. Première Nation de Sucker Creek 2008 CF 479 (par. 20) et Henderson c. Nation Dakota de Sioux Valley, [2008] A.C.F. no 1032 (par. 23).

[4]               La procédure sous-jacente soulève des questions de nature complexe telles que les suivantes : l’interprétation que l’on doit faire de l’article 18 (1) de la Loi sur les Cours fédérales L.R.C. 1985 ch. F-7, tel qu’elle a été modifiée, en lien avec la qualité du demandeur en l’espèce et des défendeurs à titre d’organe décisionnel, ou non, dans des recours extraordinaires; la compétence de la Cour dans son analyse de la base factuelle présentée; les traditions coutumières et leurs incidences, s’il y a lieu, sur la constitution tribale de la Première nation Temagami; les témoignages contradictoires présentés par les deux parties à l’appui de leurs positions respectives à l’égard de l’injonction interlocutoire et des arrêts ainsi que les questions de nature procédurale qui sont d’une importance capitale en l’espèce.

 

[5]               Ces questions complexes ne peuvent être réglées de façon satisfaisante par des moyens judiciaires sans que la Cour ne puisse examiner les dossiers complets traitant de toutes les questions juridiques découlant de l’audience.

 

[6]               En effet, les mesures provisoires demandées demandent à la Cour de se prononcer sur certaines questions de fond touchant directement la demande sous-jacente de contrôle judiciaire des résolutions.

 

[7]               Ces mesures ne sont pas dans l’intérêt de la justice et ne permettraient pas un bon fonctionnement du système de justice.

 

[8]               Ayant lu l’instance telle qu’elle a été présentée, et ayant entendu les parties pendant une période de plus de deux (2) heures, je constate qu’il y a des questions sérieuses qui devront être traitées en par la suite.

 

[9]               La Cour, ayant examiné les éléments de preuve, considère que, pour l’instant, la situation incertaine concernant le leadership de la communauté n’entraîne aucun préjudice à la communauté tel qu’un manquement dans le processus décisionnel du Conseil de bande, la diminution du contrôle et le pouvoir juridique du leadership, la division inutile au sein de la communauté, l’incertitude dans les liens hiérarchiques pour le personnel de la Bande, entre autres. De telles conséquences sont regrettables et ne devraient pas exister, mais elles ne constituent pas un préjudice irréparable ou des dommages que le critère établi dans l’arrêt RJR-MacDonald exige. Dans cette affaire, la Cour suprême du Canada indique clairement que le « préjudice irréparable » est celui qui ne peut être réparé ou compensé : 

[TRADUCTION]

 

Le terme « irréparable » a trait à la nature du préjudice subi plutôt qu’à son étendue. C’est un préjudice qui ne peut être quantifié du point de vue monétaire ou un préjudice auquel il ne peut être remédié, en général parce qu’une partie ne peut être dédommagée par l’autre. 

 

 

[10]           Les dommages présentés par les demandeurs en l’espèce ne sont pas dans un état irréparable et ils pourraient être compensés.

 

[11]           La Cour a noté que le chef et les conseillers élus à l’élection générale du 12 juin 2008 sont toujours en contrôle de la situation : les bureaux du Conseil de bande sont sous leur supervision, ils sont les signataires autorisés du compte bancaire de la Bande et le ministère des Affaires indiennes et du Nord du Canada continue de les reconnaître comme un conseil de bande dûment élu. Jusqu’à ce que la Cour ne prenne une décision définitive concernant la demande sous‑jacente de contrôle judiciaire, une telle situation devrait permettre de répondre aux besoins fondamentaux de la communauté.

 

[12]           En outre, tel qu’il a été demandé par les deux parties, il est dans l’intérêt primordial de la communauté d’accélérer la demande sous-jacente de contrôle judiciaire afin de permettre à la Cour de prendre une décision sur toutes les questions en suspens qui sont en jeu de manière définitive. Avec le consentement des deux parties, la Cour rendra une ordonnance à cet égard qui comprendra également un calendrier précis et la permission d’inclure dans la demande de contrôle judiciaire les éléments de preuve des deux parties à l’appui de la présente requête.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

ORDONNANCE

 

            LA COUR ORDONNE que la requête en vue d’obtenir une injonction provisoire et des arrêts des revendications soit rejetée;

            L’audience de la demande sous‑jacente de contrôle judiciaire sera accélérée;

            Les éléments de preuve fournis dans la procédure interlocutoire devront servir de preuve applicable à la procédure sous-jacente;

            Les parties devront respecter le calendrier suivant :

        Le demandeur doit compléter son dossier d’ici le 21 novembre 2008;

        Les défendeurs auront l’occasion de contre-interroger les souscripteurs des affidavits du demandeur pendant la période du 21 novembre 2008 au 9 décembre 2008;

        Les défendeurs doivent compléter leur dossier d’ici le 16 décembre 2008;

        Le demandeur aura l’occasion de contre-interroger les souscripteurs des affidavits des défendeurs pendant la période du 16 décembre 2008 au 16 janvier 2008.

        Ensuite, une des parties acheminera à l’administrateur de la Cour une demande d’audience conformément à la Règle 314 des Règles de la Cour fédérale.

Les dépens suivront à l’issue de la cause.

 

 

« Simon Noël »

Juge

 

 

 

 


 

 

 

COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-1587-08

 

INTITULÉ:                                        Temagami First Nation C. John Turner et autres

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 13 novembre 2008

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :  Le juge NOËL

 

DATE DES MOTIFS :                      17 novembre 2008

 

 

COMPARUTION

 

Me Maureen Ball

Me Andrea Risk

 

POUR LE DEMANDEUR

Me Patrick M. Nadjiwan

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Cunningham, Swan, Carty, Little & Bonham s.r.l

Kingston (Ontario)

 

                                  POUR LE DEMANDEUR

Nadjiwan Law Office

North Bay (Ontario)

 

POUR LES DÉFENDEURS  

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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