Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 

 

Date : 20081223

Dossier : T‑1166‑08

Référence : 2008 CF 1409

Ottawa (Ontario), le 23 décembre 2008

En présence de madame la juge Snider

 

 

Entre :

 

IMMUNEX CORPORATION

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA SANTÉ

et LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeurs

 

 

Motifs du jugement et jugement

 

I.          Introduction

 

[1]               La demanderesse, Immunex Corporation (Immunex), est titulaire du brevet canadien d’utilisation no 2,123,593 (le brevet 593), intitulé « méthode de traitement de l’inflammation dépendante du TNF à l’aide d’antagonistes du facteur de nécrose tumorale ». Immunex commercialise le médicament etanercept sous la marque de commerce ENBREL pour traiter des formes d’arthrite, de spondylite ankylosante et de psoriasis en plaques modéré à grave. Immunex est autorisée à commercialiser ENBREL sous deux formes posologiques ou produits médicamenteux différents : a) flacon de 25 mg de poudre lyophilisée à reconstituer (le produit en poudre) et b) solution à injecter de 50 mg/ml (le produit en solution), conditionnée dans des seringues pré‑remplies de 50 mg ou de 25 mg.

 

[2]               Le brevet 593 est inscrit depuis 2000 au registre des brevets pour le produit en poudre, conformément au Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93‑133, modifié (Règlement AC).

 

[3]               En décembre 2006, Amgen Canada Inc. (Amgen) a présenté au Bureau des médicaments brevetés et de la liaison (BMBL) pour le compte d’Immunex une liste de brevets relativement au brevet 593 pour le flacon de 25 mg de poudre et la solution de 50 mg/ml, avec un supplément à une présentation de drogue nouvelle (SPDN) 110292. Amgen tentait de se servir du paragraphe 4.1(2) du Règlement AC récemment modifié en vue de reporter le brevet 593 pour le produit en poudre et celui en solution.

 

[4]               Par décision du 25 juin 2008, le ministre de la Santé (le ministre) a refusé d’ajouter au registre des brevets le brevet 593 à l’égard du produit liquide. Immunex sollicite dans la présente demande de contrôle judiciaire une ordonnance enjoignant au ministre de faire figurer au registre le brevet 593 à propos du SPDN 110292 touchant l’etanercept en solution de 50 mg/ml à injecter par seringue pré‑remplie, à compter du 21 août 2007, date à laquelle un AC a été délivré pour ce SPDN 110292, et à titre subsidiaire, à compter de toute autre date pertinente, avec dépens.

 

II.        Questions

 

[5]               La présente demande soulève les deux questions suivantes :

 

1)                  Le ministre a‑t‑il commis une erreur dans son interprétation du paragraphe 4.1(2) du Règlement AC lorsqu’il a conclu que le brevet 593 ne pouvait être reporté pour inscription au registre à l’égard du SPDN 110292 pour le produit en solution?

 

2)                  Si le ministre a commis une erreur lorsqu’il a refusé d’inscrire le brevet 593, la Cour doit‑elle ordonner au ministre d’ajouter le brevet au registre en date du 21 août 2007?

 

[6]               Pour les motifs exposés ci‑dessous, je conclus que le ministre a interprété correctement le paragraphe 4.1(2) du Règlement AC et que la demande de contrôle judiciaire est à rejeter. Il n’y a donc pas lieu d’examiner la seconde question.

 

III.       Genèse de l’instance

 

[7]               Voici la chronologie des faits touchant le brevet 593 et les questions dont je suis saisie dans la présente demande :

 

·                    Le 25 novembre 1998, Immunex a déposé une présentation de drogue nouvelle (PDN) 059168 et sollicité l’approbation du produit en poudre pour traiter la polyarthrite rhumatoïde.

 

·                    Le 16 mars 2000, ou vers cette date, le brevet 593 a été délivré.

 

·                    Le 19 septembre 2000, une nouvelle identification numérique, le DIN 02242903, a été attribuée au produit en poudre. Absolument obligatoire pour commercialiser les produits médicamenteux, le DIN en définit les caractéristiques – leur concentration et leur forme par exemple.

 

·                    Le 1er décembre 2000, Immunex a reçu un avis de conformité pour la PDN 059168.

 

·                    Le 13 avril 2000, une liste de brevets a été présentée pour inscription au registre à l’égard de la PDN 059168 pour le produit en poudre et y a ultérieurement été ajoutée.

 

·                    Le 24 juillet 2003, l’agent d’Immunex pour le Canada, Amgen Canada Inc. (Amgen), a déposé le SPDN 085746 et sollicité l’approbation d’une nouvelle indication du médicament (traitement du psoriasis en plaques chronique). Cette présentation se trouvant en attente, Santé Canada a par la suite prié Amgen d’en déposer une mise à jour. Amgen s’est exécutée et a sollicité l’approbation supplémentaire d’une nouvelle formulation et d’une nouvelle concentration, soit la solution de 50 mg/ml dans des seringues pré‑remplies ou produit en solution.

 

·                    La solution de 50 mg/ml étant un nouveau produit médicamenteux, elle a reçu un nouveau DIN, le 02274728.

 

·                    Le 20 décembre 2005, l’AC a été délivré pour le SPDN 085746.

 

·                    Le 1er décembre 2006, Amgen a déposé le SPDN 110292 et sollicité l’approbation d’un nouveau site de fabrication et d’une nouvelle présentation, soit une nouvelle seringue pré‑remplie de 25 mg. On a considéré que celle‑ci était une nouvelle présentation, et non pas un nouveau produit; elle a donc conservé le même DIN que la seringue pré‑remplie de 50 mg.

 

·                    En décembre 2006, Amgen a présenté au BMBL des listes de brevets concernant le brevet 593, le flacon de 25 mg de poudre et la solution de 50 mg/ml, avec le SPDN 110292. Amgen tentait de se servir du paragraphe 4.1(2) du Règlement AC récemment modifié en vue de reporter le brevet 593 pour le produit en poudre et celui en solution.

 

·                    Le 21 août 2007, l’AC a été délivré pour le SPDN 110292.

 

[8]               Par lettre du 28 août 2007, le BMBL a avisé Immunex à propos du SPDN 110292 que le brevet 593 serait ajouté au registre pour le produit en poudre, mais non pour le produit en solution. Il s’en est suivi une série de communications.

 

[9]               Dans la lettre de sa décision finale en date du 25 juin 2008, le ministre a maintenu la position que le brevet ne pouvait être inscrit au registre en vertu du paragraphe 4.1(2) du Règlement AC relativement au SPDN 110292. Les conclusions de fait suivantes semblent être sous‑jacentes au raisonnement :

[traduction] Le 21 août 2007, l’avis de conformité a été délivré pour le SPDN 110292 et a approuvé un site de fabrication supplémentaire et une nouvelle présentation. Par lettre du 28 août 2007, le BMBL a examiné la liste des brevets présentée pour le SPDN 110292 et constaté que le brevet 346 pouvait être inscrit au registre des brevets conformément au paragraphe 4.1(2) du Règlement AC. Nous avons estimé toutefois que le brevet 593 ne peut être inscrit en vertu de ce paragraphe, car il n’a fait l’objet d’aucune inscription antérieure au registre des brevets à propos de l’avis de conformité du 20 décembre 2005, qui a approuvé le SPDN 085746 pour une nouvelle indication, une nouvelle formulation et une nouvelle concentration, soit la solution sous‑cutanée de 50 mg/ml en seringue pré‑remplie.

 

[10]           Le ministre s’est attaché avant tout au respect des délais prescrits par le Règlement AC. Selon son raisonnement, si le BMBL n’avait pas appliqué la notion de spécificité du produit, les brevets dont le délai d’inscription était dépassé bénéficieraient tout de même de la protection du règlement par demande d’inscription en vertu des dispositions de report du paragraphe 4.1(2) du Règlement AC. Plus précisément, inscrire le brevet 593 à l’égard du SPDN 110292 reviendrait à contourner les délais prescrits par le Règlement AC, car le brevet n’a pas été inscrit à l’égard de la présentation portant la première approbation de la deuxième formulation (en solution) (SPDN 085746). Le ministre s’est donc appuyé sur la notion de spécificité du produit afin d’empêcher que la disposition de report ne soit utilisée pour contourner les délais fixés.

 

IV.       Cadre législatif

 

[11]           Il faut ne pas perdre de vue l’esprit général du Règlement AC, ni les droits qu’il confère aux brevetés et qui dépassent ceux prévus par la Loi sur les brevets, L.R.C. 1985, ch. P‑4.

 

[12]           Pour commercialiser un médicament au Canada, les fabricants de médicaments doivent déposer auprès du ministre une PDN, conformément au titre 8 de la partie C du Règlement sur les aliments et drogues, C.R.C., ch. 870. Si le ministre est convaincu de l’efficacité et de l’innocuité du médicament, un AC est délivré. Si les parties ayant reçu un AC projettent de modifier le médicament approuvé, elles peuvent déposer un SPDN.

 

[13]           Le registre public des brevets, qui prévoit un lien entre le Règlement sur les aliments et drogues et le Règlement AC, est un rouage essentiel du régime législatif : inscrire un brevet procure des avantages considérables à la partie ayant présenté une liste de brevets (voir Hoffmann-La Roche Ltd. c. Canada (Ministre de la Santé), 2005 CAF 140, [2006] 1 R.C.F. 141, aux paragraphes 5 à 7).

 

[14]           Voici les exigences régissant l’inscription, que fixent les articles 4 et 4.1 du Règlement AC, modifié par le Règlement modifiant le Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/2006‑242 (les modifications de 2006) :

4. (1) La première personne qui dépose ou a déposé la présentation de drogue nouvelle ou le supplément à une présentation de drogue nouvelle peut présenter au ministre, pour adjonction au registre, une liste de brevets qui se rattache à la présentation ou au supplément.

 

4. (1) A first person who files or who has filed a new drug submission or a supplement to a new drug submission may submit to the Minister a patent list in relation to the submission or supplement for addition to the register.

 

(2) Est admissible à l’adjonction au registre tout brevet, inscrit sur une liste de brevets, qui se rattache à la présentation de drogue nouvelle, s’il contient, selon le cas :

 

(2) A patent on a patent list submitted under subsection (1) in relation to a new drug submission is eligible to be added to the register if the patent contains

 

a) une revendication de l’ingrédient médicinal, l’ingrédient ayant été approuvé par la délivrance d’un avis de conformité à l’égard de la présentation;

 

(a) a claim for the medicine itself, and

 

(i) if that claim is for a medicinal ingredient, that ingredient has been approved through the issuance of a notice of compliance in respect of that submission, or

 

(ii) if that claim is for a formulation that consists of medicinal and non‑medicinal ingredients, that formulation has been approved through the issuance of a notice of compliance in respect of that submission; or

 

b) une revendication de la formulation contenant l’ingrédient médicinal, la formulation ayant été approuvée par la délivrance d’un avis de conformité à l’égard de la présentation;

 

(b) a claim for the use of the medicine and that use has been approved through the issuance of a notice of compliance in respect of that submission.

 

c) une revendication de la forme posologique, la forme posologique ayant été approuvée par la délivrance d’un avis de conformité à l’égard de la présentation;

 

 

d) une revendication de l’utilisation de l’ingrédient médicinal, l’utilisation ayant été approuvée par la délivrance d’un avis de conformité à l’égard de la présentation.

 

 

(3) Est admissible à l’adjonction au registre tout brevet, inscrit sur une liste de brevets, qui se rattache au supplément à une présentation de drogue nouvelle visant une modification de la formulation, une modification de la forme posologique ou une modification de l’utilisation de l’ingrédient médicinal, s’il contient, selon le cas :

 

(3) A patent on a patent list in relation to a supplement to a new drug submission is eligible to be added to the register if the supplement is for a change in formulation, a change in dosage form or a change in use of the medicinal ingredient, and

 

a) dans le cas d’une modification de formulation, une revendication de la formulation modifiée, la formulation ayant été approuvée par la délivrance d’un avis de conformité à l’égard du supplément;

 

(a) in the case of a change in formulation, the patent contains a claim for the changed formulation that has been approved through the issuance of a notice of compliance in respect of the supplement;

 

b) dans le cas d’une modification de la forme posologique, une revendication de la forme posologique modifiée, la forme posologique ayant été approuvée par la délivrance d’un avis de conformité à l’égard du supplément;

 

(b) in the case of a change in dosage form, the patent contains a claim for the changed dosage form that has been approved through the issuance of a notice of compliance in respect of the supplement; or

 

c) dans le cas d’une modification d’utilisation de l’ingrédient médicinal, une revendication de l’utilisation modifiée de l’ingrédient médicinal, l’utilisation ayant été approuvée par la délivrance d’un avis de conformité à l’égard du supplément.

 

(c) in the case of a change in use of the medicinal ingredient, the patent contains a claim for the changed use of the medicinal ingredient that has been approved through the issuance of a notice of compliance in respect of the supplement.

 

4.1 (1) Au présent article, « supplément à une présentation de drogue nouvelle » s’entend au sens du titre 8 de la partie C du Règlement sur les aliments et drogues.

 

4.1 (1) In this section, “supplement to the new drug submission” means a supplement to a new drug submission as that term is used in Division 8 of Part C of the Food and Drug Regulations.

 

(2) La première personne qui présente une liste de brevets se rattachant à la présentation de drogue nouvelle visée au paragraphe 4(2) peut, si cette liste est ajoutée au registre, la présenter de nouveau à l’égard de tout supplément à cette présentation de drogue nouvelle; elle ne peut toutefois présenter de nouvelle liste se rattachant à un supplément donné qu’en conformité avec le paragraphe 4(3).

(2) A first person who submits a patent list in relation to a new drug submission referred to in subsection 4(2) may, if the list is added to the register, resubmit the same list in relation to a supplement to the new drug submission, but may not submit a new patent list in relation to a supplement except in accordance with subsection 4(3).

 

[15]           Les fabricants de médicaments sont assujettis à des délais stricts pour l’inscription de brevets. Les paragraphes 4(5) et 4(6) des modifications de 2006 n’ont pas changé le délai prescrit pour la présentation de brevets en vue de leur inscription (auparavant aux paragraphes 4(3) et 4(4)) :

4. (5) Sous réserve du paragraphe (6), la première personne qui présente une liste de brevets doit le faire au moment du dépôt de la présentation de drogue nouvelle ou du supplément à une présentation de drogue nouvelle qui s’y rattachent.

 

4. (5) Subject to subsection (6), a first person who submits a patent list must do so at the time the person files the new drug submission or the supplement to a new drug submission to which the patent list relates.

 

(6) La première personne peut, après la date de dépôt de la présentation de drogue nouvelle ou du supplément à une présentation de drogue nouvelle et dans les trente jours suivant la délivrance d’un brevet faite au titre d’une demande de brevet dont la date de dépôt au Canada est antérieure à celle de la présentation ou du supplément, présenter une liste de brevets, à l’égard de cette présentation ou de ce supplément, qui contient les renseignements visés au paragraphe (4)

(6) A first person may, after the date of filing of a new drug submission or supplement to a new drug submission, and within 30 days after the issuance of a patent that was issued on the basis of an application that has a filing date in Canada that precedes the date of filing of the submission or supplement, submit a patent list, including the information referred to in subsection (4), in relation to the submission or supplement.

 

V.        Analyse

 

[16]           Je résume ci‑après les principaux arguments d’Immunex :

 

1.                  si l’on fait une lecture simple du paragraphe 4.1(2), le brevet 593 peut être inscrit ;

 

2.                  le ministre a commis une erreur quand il a exigé que le DIN du produit médicamenteux du SPDN (formulation liquide) soit identique à celui du produit médicamenteux;

 

3.                  la jurisprudence relative au changement de nom ou aux délais à propos du Règlement AC en vigueur avant les modifications de 2006 ne s’applique pas à une interprétation de l’article 4.1;

 

4.                  On aura injustement refusé à Immunex une possibilité d’inscrire le brevet 593 pour le produit liquide si elle n’est pas autorisée à le faire.

 

[17]           J’examine dans l’analyse ci‑après chacun de ces arguments, après avoir analysé la norme de contrôle pertinente et la règle moderne d’interprétation législative.

 

A.        Norme de contrôle

 

[18]           La présente demande concerne l’interprétation de l’article 4.1 du Règlement AC. J’admets, ainsi que l’ont reconnu les parties et la Cour d’appel fédérale au paragraphe 33 de l’arrêt Laboratoires Abbott Limitée c. Canada (Procureur général), 2008 CAF 354, que la norme de contrôle pertinente à propos de l’interprétation législative est celle de la décision correcte.

 

B.         Règle d’interprétation législative

 

[19]           Il est bien établi qu’il y a lieu d’interpréter le Règlement AC selon la règle moderne d’interprétation législative (Bristol‑Myers Squibb Co. c. Canada (Procureur général), 2005 CSC 26, [2005] 1 R.C.S. 533, au paragraphe 37, AstraZeneca Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), 2006 CSC 49, [2006] 2 R.C.S. 560, au paragraphe 26). C’est la règle dont je me servirai. Ainsi que l’a exposé Elmer Driedger dans Construction of Statutes, 2e éd. (Toronto : Butterworths, 1983), à la page 87, que la Cour suprême du Canada a cité avec approbation au paragraphe 21 de Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27 :

[traduction] Aujourd’hui il n’y a qu’un seul principe ou solution : il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur.

 

C.        Sens ordinaire et règle d’interprétation législative

 

[20]           L’examen du « sens ordinaire » des mots de la disposition en question est une étape obligatoire de l’interprétation législative. Immunex allègue qu’il existe une présomption légale selon laquelle les lois sont exactes et rédigées de façon à refléter l’intention du législateur (Sullivan, Ruth, Sullivan and Driedger on the Construction of Statutes, 4e éd. (Markham : Butterworths Canada Ltd., 2002), à la page 130; Morguard Properties Ltd. c. Ville de Winnipeg, [1983] 2 R.C.S. 493, à la page 509). Immunex soutient sur ce fondement que le sens ordinaire des mots de l’article 4.1 est clair et qu’en vertu du sens ordinaire ou du sens selon le Règlement AC, le brevet 593 est admissible à l’inscription.

 

[21]           Pour plus de commodité, le paragraphe 4.1(2) se décompose selon les éléments suivants :

La première personne :

·                    qui présente une liste de brevets se rattachant à la présentation de drogue nouvelle visée au paragraphe 4(2) peut,

·                    si cette liste est ajoutée au registre,

·                    la présenter de nouveau à l’égard de tout supplément à cette présentation de drogue nouvelle,

·                    elle ne peut toutefois présenter de nouvelle liste se rattachant à un supplément donné qu’en conformité avec le paragraphe 4(3).

 

[22]           Immunex met en évidence la chaîne de raisonnement suivante :

 

·                    Immunex a présenté une liste de brevets pour le brevet 593 à l’égard d’une PDN (PDN 059168, déposée le 25 novembre 1998);

 

·                    la liste de brevets a été ajoutée au registre des brevets;

 

·                    le SPDN 110292 constitue un « supplément à une présentation de drogue nouvelle » au sens de cette expression dans le paragraphe 4.1(1);

 

·                    l’exception que la première personne « ne peut toutefois présenter de nouvelle liste se rattachant à un supplément donné qu’en conformité avec le paragraphe 4(3) » ne peut s’appliquer. La référence à une « nouvelle liste » doit porter sur un nouveau brevet et Immunex ne cherche pas à présenter un nouveau brevet à l’égard d’un SPDN. Elle veut en revanche inscrire de nouveau le même brevet 593 à l’égard du SPDN 110292.

 

[23]           Immunex affirme donc que sa liste de brevets pour le brevet 593 présentée dans le cadre du SPDN 110292 satisfait aux exigences explicites du paragraphe 4.1(2), sans être visée par l’exception.

 

[24]           Les termes du paragraphe 4.1(2) pourraient, semble‑t‑il, avoir le sens avancé par Immunex. Mais là ne se termine pas l’analyse d’interprétation. Le problème de l’argument d’Immunex est qu’il ignore le principe ou la solution moderne relativement aux questions d’interprétation législative. Il faut certes s’attacher au sens « ordinaire », mais les termes de la disposition sont à considérer dans leur contexte global, d’une façon qui harmonise leur sens ordinaire avec l’esprit, l’objet et l’intention de la loi. C’est pourquoi je passe à un examen plus général du contexte de la disposition, ce qui oblige à saisir le fonctionnement du Règlement AC, en particulier celui des exigences relatives à l’inscription.

 

[25]           Pour les besoins de la présente demande, il importe d’examiner les exigences que l’article 4 du Règlement AC prévoit relativement à l’inscription, telles qu’elles existaient avant et après l’édiction des modifications de 2006. L’examen du Règlement antérieur à 2006 met en lumière l’objet visé par le délai prescrit pour l’inscription des brevets et sert de fondement pour permettre de comprendre la jurisprudence pertinente.

 

[26]           Selon l’article 4 du Règlement antérieur à 2006, l’innovateur ayant déposé une présentation ou ayant reçu un AC pour un médicament contenant un ingrédient médicinal pouvait présenter une liste de brevets pour inscription. Les brevets ne pouvaient être inscrits au registre que s’ils respectaient le délai prévu aux paragraphes 4(3) et 4(4). En résumé, la première personne était tenue de présenter pour dépôt une liste de brevets au moment où elle déposait une demande d’AC. La seule exception était le cas où un innovateur déposait une présentation, mais que le brevet n’avait pas encore été délivré. L’innovateur pouvait en ce cas demander à inscrire le brevet dans les 30 jours suivant la délivrance du brevet.

 

[27]           La formulation large de l’article 4 a abouti à des résultats inattendus, notamment que si on le lisait selon son sens ordinaire, il pouvait permettre aux sociétés pharmaceutiques de contourner les délais prescrits pour le dépôt. Même si le délai d’inscription d’un brevet relativement à une présentation de médicament était écoulé, les innovateurs pouvaient tout de même faire inscrire la liste des brevets au registre, simplement en présentant un SPDN supplémentaire, ce qui donnait une nouvelle possibilité de présenter la liste des brevets. Des SPDN pouvant être déposés pour une grande variété de changements, qu’ils soient substantiels (changement de formulation par exemple) ou bien d’ordre administratif (changement de la marque nominative, de site de fabrication par exemple), les innovateurs pouvaient prolonger le délai pertinent pour déposer des listes de brevets chaque fois qu’ils déposaient une présentation pour un changement administratif sans conséquence.

 

[28]           Cette question et l’interprétation juste de l’article 4 ont été à l’origine de nombreux litiges entre 1999 et 2006, que je qualifierai d’« affaires portant sur les délais ». Les tribunaux ont refusé très clairement d’adopter une lecture de l’article 4 qui aurait mené au contournement des délais prescrits. (Voir Bristol‑Myers Squibb Inc. c. Canada (Procureur général) (2001), 199 F.T.R. 142, [2001] A.C.F. no 51 (QL), conf. par 2002 CAF 32, 288 N.R. 24, Ferring Inc. c. Canada (Procureur général), 2003 CAF 274, 310 N.R. 186, Toba Pharma Inc. c. Canada, 2002 CFPI 927, 227 F.T.R. 261, Hoffmann-La Roche Ltd. c. Canada (Ministre de la Santé), 2005 CAF 140, [2006] 1 R.C.F. 141 (l’arrêt Herceptin), AstraZeneca Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), 2005 CAF 175, 335 N.R. 6.)

 

[29]           Les exigences que prévoyait le Règlement AC pour l’inscription ont été complètement refondues par l’édiction des modifications de 2006. Le paragraphe 4(3) dispose à présent qu’une liste de brevets ne peut être ajoutée au registre des brevets à l’égard d’un SPDN que si celui‑ci porte sur un changement de formulation, de forme posologique ou d’utilisation de l’ingrédient médicinal (c’est‑à‑dire des changements importants du médicament). Les délais prescrits antérieurement aux paragraphes 4(3) et 4(4) ont été conservés tels quels et figurent aux paragraphes 4(5) et 4(6). L’article 4.1 a par ailleurs été ajouté. L’examen du Résumé de l’étude d’impact de la réglementation (REIR), qui accompagnait les modifications de 2006, aide à comprendre celles‑ci.

 

[30]           Le REIR qui accompagnait les modifications de 2006 comporte un énoncé général de l’objectif global des exigences relatives à l’inscription des brevets du Règlement AC. On lit ce qui suit aux pages 1511 et 1512 du REIR :

En considérant le besoin vital de la société d’encourager la création de nouveaux traitements médicaux améliorés, sans oublier les problèmes associés à la protection des droits conférés par les brevets pharmaceutiques au moyen d’une action en contrefaçon ordinaire, le règlement de liaison se veut un mécanisme très puissant dans l’application des droits conférés par un brevet. La suspension de 24 mois prévue par le règlement atteint cet objectif en permettant aux innovateurs d’empêcher l’entrée sur le marché des produits génériques concurrents dont ils soupçonnent de contrefaçon. En revanche, c’est ce même pouvoir qui doit être modéré dans l’application du règlement de liaison, faute de quoi les effets de celui‑ci l’emporteraient sur ceux de la fabrication anticipée et empêcheraient l’atteinte du but général de la politique. Comme l’ont observé les tribunaux à maintes reprises, le règlement de liaison constitue un mécanisme d’application spécial supplétif et non substitut au droit d’intenter une action en contrefaçon.

 

Considering the societal imperative of encouraging new and better medical therapies, and the difficulties associated with protecting pharmaceutical patent rights by way of conventional infringement litigation, the PM(NOC) Regulations are intended to operate as a very potent patent enforcement mechanism. The 24‑month stay under the regulations serves that purpose by providing innovator companies with the means to pre‑empt the market entry of suspected patent infringers. At the same time, it is this very potency which calls for moderation in the application of the PM(NOC) Regulations, lest their effect dominate that of early-working and defeat the overall purpose of the policy. As has been observed by the courts on numerous occasions, the PM(NOC) Regulations are a special enforcement remedy which exists in addition to, not in lieu of, the right to pursue an action for patent infringement

 

Il s’ensuit que ce ne sont pas tous les brevets protégeant une drogue approuvée qui peuvent se prévaloir du mécanisme d’application prévu par le règlement de liaison. Seuls les brevets respectant les exigences énoncées à l’article 4 du règlement relatives au délai, à l’objet et à la pertinence, peuvent être inscrits au registre des brevets de Santé Canada et bénéficier de la protection correspondante de la suspension de 24 mois. […]

 

Consistent with this understanding of the PM(NOC) Regulations is the fact that not every patent pertaining to an approved drug qualifies for enforcement under the scheme. Only those patents which meet the current timing, subject matter and relevance requirements set out in section 4 of the regulations are entitled to be added to Health Canada’s patent register and to the concurrent protection of the 24‑month stay. . . .

 

En stipulant que la date de dépôt de la demande de brevet doit précéder celle de la demande d’avis de conformité correspondante, l’exigence relative au délai procure un lien temporel entre l’invention que l’on cherche à protéger et le produit visé par la demande d’approbation. Ceci permet de faire en sorte que les brevets protégeant des inventions dont la découverte est postérieure à l’existence d’une drogue n’empêchent pas l’arrivée sur le marché de versions génériques de cette même drogue.

[…]

 

 

By stipulating that the application filing date of the patent precede the date of the corresponding drug submission, the timing requirement promotes a temporal connection between the invention sought to be protected and the product sought to be approved. This ensures that patents for inventions discovered after the existence of a product do not pre‑empt generic competition on that product. . . .

 

[31]           Ainsi que l’établit le REIR, les changements figurant dans les modifications de 2006 visent à réaffirmer « les exigences auxquelles doivent satisfaire les innovateurs pour inscrire des brevets »

(à la page 1515) et à enraciner « davantage le concept de la spécificité des produits en tant que principale considération exigée du ministre dans l’application des exigences relatives à l’inscription, prévues à l’article 4 du règlement de liaison » (à la page 1516). Le REIR expose à la page 1518 l’objet des modifications de l’article 4 et celui de l’article 4.1 :

De plus, les modifications relatives à l’article 4 confirment formellement le droit d’inscrire de nouveaux brevets en se fondant sur des dépôts de SPDN et instaurent des exigences régissant ce droit. Selon ces exigences, un brevet ayant une date de dépôt antérieure au dépôt d’un SPDN peut être soumis à l’égard de ce SPDN à condition que ce dernier ait pour objet l’approbation d’un changement relatif à l’utilisation de l’ingrédient médicinal (c.‑à‑d. un nouveau mode d’utilisation ou une nouvelle indication), d’un changement relatif à la formulation ou d’un changement relatif à la forme posologique et que le brevet comporte une revendication relative à la formulation, à la forme posologique ou à l’utilisation ainsi modifiée. […]

 

The amendments to section 4 also formally confirm the right to list new patents on the basis of SPDN filings and introduce listing requirements governing that right. Under these requirements, a patent which has been applied for prior to the filing of an SPDN may be submitted in relation to that SPDN provided the purpose of the latter is to obtain approval for a change in use of the medicinal ingredient (i.e. a new method or use or new indication), a change in formulation or a change in dosage form and the patent contains a claim to the formulation, dosage form or use so changed. . . .

 

Conformément à la pratique établie, les modifications relatives à l’article 4 comportent une disposition autorisant expressément les innovateurs à reporter les listes de brevets soumises se rattachant à une PDN en les soumettant à nouveau en relation avec un supplément à cette PDN. Une conclusion de non‑admissibilité d’un brevet apparaissant sur une liste de brevets ne doit pas empêcher le report des autres brevets sur cette liste.

In keeping with existing practice, the amendments to section 4 include a provision expressly allowing innovators to carry forward patent lists submitted in relation to a NDS by resubmitting them in relation to a supplement to that NDS. A finding of ineligibility in respect of one patent on a patent list should not prevent the carrying forward of the remaining patents on that list.

 

[32]           La question des délais a toujours été importante pour le bon fonctionnement du régime des AC. Même si l’un des objets majeurs du Règlement AC est de procurer aux sociétés pharmaceutiques novatrices une protection supplémentaire en matière de brevets, celle‑ci ne peut s’obtenir que si ces sociétés se conforment à certains délais. Plus précisément, un brevet ne peut être inscrit au registre et obtenir la protection AC que si la demande d’inscription est présentée dans les délais pertinents.

 

[33]           Le REIR et le libellé général des articles 4 et 4.1 indiquent clairement qu’il n’existe aucune intention d’éliminer les exigences de délai. En fait, l’affirmation que « [s]euls les brevets respectant les exigences énoncées à l’article 4 du règlement relatives au délai, à l’objet et à la pertinence, peuvent être inscrits au registre des brevets de Santé Canada et bénéficier de la protection correspondante de la suspension de 24 mois » (REIR, à la page 1511) précise bien clairement que les exigences de délai demeureront une notion centrale.

 

[34]           Je souligne également que le REIR renvoie en même temps aux articles 4 et 4.1, exprimant l’intention que les exigences quant à l’inscription prévues à l’article 4.1 sont à considérer en même temps que l’article 4.

 

[35]           Ainsi, une interprétation du paragraphe 4.1(2) qui autoriserait le contournement des exigences de délai irait à l’encontre de l’esprit du Règlement AC, et ne doit pas être acceptée.

 

D.        Exigence quant au DIN

 

[36]           Immunex allègue que le ministre a commis une erreur en adoptant une interprétation de l’article 4.1 selon laquelle la liste des brevets ne peut être reportée que si le DIN du produit médicamenteux du SPDN (formulation liquide) est identique à celui du produit médicamenteux approuvé dans la PDN originale.

 

[37]           Le ministre a présenté sa position dans plusieurs lettres à Immunex, y citant des extraits d’une publication de Santé Canada Ligne directrice : Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) (13 décembre 2007- numéro de référence : 07‑128353‑235), où l’on peut lire ceci :

Par conséquent, dans les rares circonstances du paragraphe 4.1(2), un brevet inscrit à une liste qui a été ajoutée au registre en ce qui a trait à une présentation de drogue nouvelle aux termes du paragraphe 4(2) sera « reporté » seulement à l’égard d’un supplément pour la même drogue – la plupart du temps, un produit avec la même identification numérique (DIN). Si le supplément vise une modification de la formulation, de la forme posologique ou de l’utilisation de l’ingrédient médicinal, les brevets revendiquant l’un de ces trois éléments ne seront pas « reportés » à moins qu’ils ne répondent aux exigences de la spécificité d’une drogue.

[Non souligné dans l’original.]

 

Therefore, in the narrow circumstances of subsection 4.1(2), a patent on a patent list that has been added to the Patent Register in respect of a new drug submission under subsection 4(2) will be “carried forward” only in respect of a supplement for the same drug product - in most cases, a product with the same identification number (“DIN”). If the supplement is for a change in formulation, a change in dosage form or a change in use of the medicinal ingredient, patents claiming the formulation, dosage form or use of the medicinal ingredient will not be “carried forward” unless they meet the requirements of drug product specificity. [Emphasis added]

 

[38]           Le ministre ayant employé les mots « la plupart du temps, un produit avec la même identification numérique », Immunex suppose qu’il a incorporé une obligation d’équivalence de DIN, selon laquelle il ne peut y avoir inscription de brevet à l’égard du SPDN que si le produit médicamenteux de ce supplément a le même DIN que le produit médicamenteux approuvé par la PDN. Se fondant sur ce qu’elle a compris de la position du ministre, Immunex soutient que cela aboutit à un résultat absurde, car cela signifie que des brevets ne peuvent de nouveau être présentés pour inscription au registre que pour le même produit médicamenteux. Immunex allègue en outre que le fait que le ministre insiste sur l’équivalence de DIN est lié à la question de la « pertinence ». Puisque le brevet 593 était « pertinent » pour la présentation du produit en poudre et de celui en solution, l’exigence de spécificité du produit médicamenteux avait été respectée, sans qu’il y ait eu besoin d’obtenir l’équivalence de DIN.

 

[39]           Je suis d’avis que les prétentions d’Immunex sur ce point sont fondées sur une appréciation erronée du raisonnement du ministre dans son refus d’inscrire le brevet. Il est évident d’après sa lettre du 25 juin 2008 que le BMBL n’a pas procédé à une analyse axée sur le DIN; l’attribution d’un DIN n’a été qu’un facteur employé pour déterminer si la liste des brevets pouvait faire l’objet d’un report.

 

[40]           À mon sens, la Ligne directrice n’exige pas le même DIN dans tous les cas. Selon ce document et ainsi que l’a souligné l’avocat du ministre dans ses observations orales, le DIN est souvent le même, ce qui rend l’application du paragraphe 4.1(2) évidente. Le facteur qui doit guider n’est pas le DIN toutefois; d’après l’interprétation que le ministre fait de ce paragraphe, il doit exister un lien entre l’objet du brevet et la présentation relative au médicament dont on sollicite l’inscription.

 

[41]           Je rejette donc les arguments de la demanderesse dans la mesure où elle prétend que la position du ministre est erronée du fait qu’elle se fonde sur une analyse axée sur le DIN. Le ministre a refusé la demande d’inscription en 2006 au motif que s’il l’avait acceptée, cela aurait permis à la demanderesse de contourner les exigences de délai pour l’inscription, et non au motif que le DIN du produit liquide était différent.

 

E.         Applicabilité des affaires portant sur les délais

 

[42]           Immunex allègue que pour deux raisons, la jurisprudence antérieure aux modifications de 2006, telle qu’elle ressort des affaires portant sur les délais, ne s’applique pas en l’espèce. La première raison est que contrairement aux dispositions dont il est question dans ces affaires, le sens ordinaire des mots de l’article 4.1 est clair et qu’en conséquence, il faut donner à cet article son sens ordinaire. La seconde raison est que ces affaires portaient sur des refus d’inscription de brevets du fait de la nature administrative du SPDN. L’ancienne jurisprudence ne peut plus s’appliquer, puisque l’actuel Règlement AC précise désormais que les brevets ne peuvent être inscrits à l’égard de SPDN que pour certains changements (plus précisément, la forme posologique, la formulation et l’utilisation de l’ingrédient médicinal).

 

[43]           Immunex donne à mon avis une interprétation trop étroite des affaires portant sur les délais. S’y trouve affirmé le principe prépondérant qu’il ne faut pas interpréter le Règlement AC de façon à permettre à des innovateurs d’inscrire des brevets par ailleurs frappés de prescription sur le fondement de présentations de changements administratifs (changement de marque nominative ou de site de fabrication par exemple). Sinon, les sociétés pharmaceutiques obtiendraient un nombre infini de prorogations du délai de dépôt, car en déposant simplement un SPDN pour ne serait‑ce qu’un changement de nom ou, comme en l’espèce, un nouveau site de fabrication, elles pourraient rattraper les possibilités d’inscription qui ont été ratées. En fait, cela permettrait aux titulaires de brevet de renforcer l’avantage obtenu en vertu du Règlement AC, en autorisant le contournement des exigences de délai. Dans les affaires portant sur les délais, cela a été jugé incompatible avec le régime législatif. Ainsi que l’a déclaré la juge Sharlow au paragraphe 25 de l’arrêt Herceptin précité :

Le changement de la marque nominative d’une drogue, du nom du fabricant d’une drogue ou des installations de fabrication ne peut avoir d’influence sur une action potentielle en contrefaçon de brevet concernant un médicament contenu dans la drogue. Rien ne justifie que l’on permette aux titulaires de brevet d’utiliser une telle modification pour renforcer les avantages qu’ils obtiennent en vertu du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité).

 

 

[44]           Les modifications de 2006 n’ont pas altéré ce principe. Les affaires portant sur les délais demeurent pertinentes en l’espèce. En décembre 2006, Immunex a tenté d’inscrire le brevet 593 à l’égard du produit liquide, même si l’utilisation de celui‑ci avait été approuvée en décembre 2005. En fait, Immunex a utilisé l’excuse d’un changement de site de fabrication pour reporter le produit liquide, malgré le fait que son utilisation en avait déjà été approuvée en 2005. Ce qui a motivé Immunex à agir ainsi est évident; la société a admis dans ses observations orales que depuis 2003, la formulation en solution etanercept était [traduction] « exposée » et plus susceptible de contrefaçon de brevet parce qu’elle n’était pas inscrite au registre des brevets.

 

F.         Possibilité d’inscription au registre

 

[45]           Comme je l’ai exposé précédemment, en 2003, Amgen a déposé pour le compte d’Immunex le SPDN 085746 pour approbation d’une nouvelle indication. Cette demande a fait partie d’un arriéré au BMBL. À un moment donné avant décembre 2005 (on ignore la date exacte), Amgen a été « priée » d’actualiser sa demande. Amgen s’est exécutée et a ajouté la demande d’obtenir l’approbation du produit de 50 mg/ml. Un nouveau DIN a donc été attribué au produit liquide et quand l’AC a été finalement délivré le 20 décembre 2005, il incluait le produit liquide. Le brevet 593 n’avait pas été présenté sur une liste de brevets à l’égard du produit liquide inclus dans le SPDN 085746. La question se pose de savoir si le produit liquide aurait pu être inscrit à ce moment‑là.

 

[46]           Les arguments d’Immunex s’appuient essentiellement sur son affirmation qu’elle n’aurait pu inscrire le produit liquide au moment du SPDN 085746. La nouvelle formulation ayant été déposée par mise à jour, il n’y a pas eu de possibilité d’inscrire le brevet à l’égard de la formulation en solution. Pour étayer cet argument, la demanderesse s’appuie sur le contre‑interrogatoire de la directrice intérimaire du BMBL, Mme Anne Bowes, relativement à son affidavit. La demanderesse soutient donc que si elle n’est pas autorisée à inscrire le brevet à l’égard du produit liquide dans le cadre du SPDN 110292, elle n’aura jamais l’occasion d’inscrire ce produit nouveau et novateur.

 

[47]           À mon avis, cet argument n’est pas recevable. Il faut établir ici une distinction majeure entre une possibilité dont Immunex ne disposait pas et une qu’elle a simplement ratée. Mme Bowes a déclaré en contre‑interrogatoire qu’Immunex aurait pu chercher à faire inscrire le brevet lors de la mise à jour du SPDN pour le changement de la formulation. Il aurait fallu pour cela qu’Immunex (ou Amgen) présente une liste de brevets sur le formulaire 4 pour le produit en solution, et présente en outre un nouveau SPDN pour le changement de formulation. Immunex semble maintenir qu’elle a été d’une façon ou d’une autre induite en erreur par le personnel du BMBL; elle a accepté la proposition de déposer une mise à jour sans avoir été informée que ce faisant, elle se privait de la possibilité de déposer des listes de brevets se rattachant à la mise à jour.

 

[48]           Il s’agit là d’une possibilité qui a été ratée, et non pas dont on n’a pas disposé ou qui est non existante. La demanderesse disposait de procédures pour présenter un SPDN pour la nouvelle formulation et déposer une liste de brevets à ce moment‑là. Mais ces procédures n’ont pas été respectées. Immunex a eu l’occasion d’inscrire le brevet 593 à l’égard du produit en solution et l’a ratée.

 

[49]           Même si j’accueille l’argument d’Immunex qu’elle n’aurait pu inscrire le brevet 593 à l’égard du produit liquide avant son SPDN 110292, il me semble que la question importe peu pour interpréter le paragraphe 4.1(2). Le point qu’Immunex a pu ou n’a pas pu inscrire le brevet 593 en vertu du Règlement antérieur à 2006 n’aide pas à interpréter le Règlement AC actuel et, en particulier, la disposition du « report » – notion toute nouvelle instaurée par les modifications de 2006. Il n’y a eu aucune intention que les modifications de 2006 procurent aux titulaires de brevet la possibilité d’être protégés de toutes les occasions d’inscription ratées ou inexistantes.

 

V.        Conclusion

 

[50]           Bref, l’interprétation d’Immunex conduirait à un résultat absurde. Plus précisément, elle permettrait l’ajout de quelques listes de brevets au registre, sur le fondement de présentations supplémentaires à l’égard de changements administratifs. Cela, en dépit du fait que le titulaire du brevet n’a pas demandé l’inscription lors de sa première présentation à l’égard d’une nouvelle formulation, d’une nouvelle forme posologique ou d’une nouvelle utilisation de l’ingrédient médicinal (soit les caractéristiques pouvant avoir une influence sur une action potentielle en contrefaçon).

 

[51]           Le sens ordinaire du paragraphe 4.1(2) du Règlement AC peut certes fonder l’inscription du brevet 593 à l’égard du produit liquide, mais une telle interprétation ne prend pas en compte l’ensemble du contexte du paragraphe 4.1(2). Il faut préférer l’interprétation selon laquelle le libellé est compris de façon à empêcher l’inscription d’un brevet qui contournerait les exigences de délai.

 

[52]           Je conclus en l’espèce que le ministre a exigé à juste titre la spécificité du produit médicamenteux afin de donner effet à l’exigence de délai. Ceci garantissait que le seul moment où le brevet 593 pouvait être inscrit à l’égard de la nouvelle formulation était lors de la première présentation relative à cette formulation. C’était à mon avis la méthode qu’il convenait d’adopter.

 

[53]           En conclusion, la demande sera rejetée, avec dépens en faveur du ministre.

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE :

 

            1.         La demande de contrôle judiciaire est rejetée, avec dépens en faveur du ministre.

 

 

« Judith A. Snider »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.

 


Cour fédérale

 

Avocats inscrits au dossier

 

 

DOSSIER :                                        T‑1166‑08

 

INTITULÉ :                                       IMMUNEX CORPORATION c. LE MINISTRE DE LA SANTÉ ET LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 VANCOUVER (C.‑B.)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 2 DÉCEMBRE 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LA JUGE SNIDER

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 23 DÉCEMBRE 2008

 

 

COMPARUTIONS :

 

Gunars A. Gaikis

Nancy P. Pei

 

POUR LA DEMANDERESSE

F.B. Woyiwada

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Smart & Biggar

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada      

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.