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Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20081218

Dossier : T‑75‑08

Référence : 2008 CF 1395

Ottawa (Ontario), le 18 décembre 2008

En présence de madame la juge Mactavish

 

ENTRE :

KATHERINE SPENCER

demanderesse

et

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               L’employeur de Katherine Spencer a refusé de la faire bénéficier des avantages découlant des dispositions sur le « réaménagement des effectifs » de sa convention collective au motif qu’elle n’était pas une employée de l’État nommée pour une période indéterminée au moment où son emploi a pris fin.

 

[2]               Une arbitre de grief de la Commission des relations de travail dans la fonction publique (l’arbitre) a conclu que l’« objet essentiel » du grief avait trait au statut de Mme Spencer aux fins de la Politique sur l’emploi pour une période déterminée du Conseil du Trésor, plutôt qu’à une question d’interprétation ou d’application de la convention collective en cause. À ce titre, le grief échappait à la compétence conférée aux arbitres de griefs par le paragraphe 209(1) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, art. 2 (la LRTFP).

 

[3]                Mme Spencer sollicite maintenant le contrôle judiciaire de la décision de l’arbitre, soutenant qu’elle avait eu tort de refuser d’exercer sa compétence en l’espèce. Selon Mme Spencer, la Politique sur l’emploi pour une période déterminée liait son employeur et avait force de loi, de sorte que l’arbitre avait l’obligation de la prendre en compte pour interpréter et appliquer comme il se devait la convention collective.

 

[4]               Pour les motifs qui vont suivre, j’estime que l’arbitre a eu raison de conclure que le grief échappait à sa compétence. La demande de contrôle judiciaire sera par conséquent rejetée.

 

Le contexte

 

[5]               Mme Spencer a travaillé au sein de la fonction publique fédérale pendant plusieurs années dans le cadre d’une suite de contrats pour une période déterminée. Au moment de la cessation de son emploi, elle était membre d’une unité de négociation régie par la convention collective visant le Groupe Sciences appliquées et examen des brevets conclue entre le Conseil du Trésor et l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada.

 

[6]               Après qu’on eut informé Mme Spencer de la cessation de son emploi à l’expiration de son plus récent contrat en cours, celle‑ci a déposé un grief au motif que la cessation de son emploi était « une mise en disponibilité injustifiée et qu’elle contrev[enait] aux dispositions de [s]a convention collective relatives au réaménagement des effectifs ». Comme mesure corrective, elle a demandé à être admissible aux avantages prévus dans la Directive sur le réaménagement des effectifs.

 

[7]               La Directive sur le réaménagement des effectifs est jointe à titre d’annexe à la convention collective. Elle prévoit certains avantages pour les employés touchés par un réaménagement des effectifs, mais ne s’applique au sein d’une unité de négociation qu’aux employés nommés pour une période « indéterminée ».

 

[8]               Après son rejet à l’issue de la procédure interne de règlement des griefs, le grief de Mme Spencer a été renvoyé à arbitrage en conformité avec le paragraphe 209(1) de la LRTFP.

 

[9]               Dans le cadre d’un examen au fond du grief de Mme Spencer, l’arbitre aurait eu à établir si elle était une employée nommée pour une période indéterminée au sens des dispositions relatives au réaménagement des effectifs de la convention collective.

 

[10]           Mme Spencer a soutenu que, comme elle avait travaillé sans interruption comme employée nommée pour une période déterminée pendant plus de trois ans au moment de la prétendue cessation de son emploi, le paragraphe 59(1) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, art. 12 et 13, (la LEFP) et l’article 7 de la Politique sur l’emploi pour une période déterminée du Conseil du Trésor avaient eu pour effet global d’en faire automatiquement une employée nommée pour une période indéterminée au sens de la convention collective.

 

[11]           Le paragraphe 59(1) de la LEFP prévoit ce qui suit :

 

59. (1) La durée des fonctions du fonctionnaire qui est employé pour une durée déterminée par voie de nomination ou de mutation devient indéterminée dans son poste d’attache lorsqu’il a occupé un emploi dans les circonstances déterminées par l’employeur pendant une période cumulative fixée par celui‑ci, sauf si le fonctionnaire demande à l’administrateur général que la durée continue d’être déterminée.

 

59. (1) Unless the employee requests otherwise of the deputy head, the period of employment of an employee who is employed for a specified term as a result of an appointment or deployment is converted to indeterminate in the employee’s substantive position, at the end of the cumulative period of employment specified by the employer in circumstances prescribed by the employer.

 

[12]           La « période cumulative fixée par [l’employeur] » mentionnée au paragraphe 59(1) de la LEFP est précisée comme suit à l’article 7.1 de la Politique sur l’emploi pour une période déterminée du Conseil du Trésor :

7. 1. En vertu du paragraphe 7.2, lorsqu’une personne travaille dans le même ministère ou organisme en tant qu’employé nommé pour une période déterminée … pendant une période cumulative de trois (3) années sans interruption de service de plus de soixante (60) jours civils consécutifs, le ministère ou organisme doit nommer l’employé pour une période indéterminée au niveau égal à celui de son poste d’attache. Cette nomination doit être effectuée selon le principe du mérite comme prévu dans le Règlement sur l’emploi dans la fonction publique, établi par la Commission de la fonction publique. Le « même ministère » comprend les fonctions qui ont été transférées d’un autre ministère ou organisme aux termes d’une loi du Parlement ou d’un décret en conseil. [Non souligné dans l’original.]

 

7.1. Subject to section 7.2, where a person who has been employed in the same department/agency as a term employee for a cumulative working period … of three (3) years without a break in service longer than sixty (60) consecutive calendar days, the department/agency must appoint the employee indeterminately at the level of his/her substantive position. This appointment must be made in accordance with merit as provided for in the Public Service Employment Regulations established by the Public Service Commission. The "same department" includes functions that have been transferred from another department/agency by an act of Parliament or order-in-council. [Emphasis added.]

 

 

[13]           Avant que le grief de Mme Spencer puisse être examiné au fond, l’avocat de l’employeur a soulevé une exception déclinatoire quant à la compétence de l’arbitre pour connaître du grief. Selon l’employeur, en effet, pour établir l’admissibilité de Mme Spencer aux avantages par suite d’un réaménagement des effectifs, l’arbitre aurait eu à interpréter la Politique sur l’emploi pour une période déterminée du Conseil du Trésor plutôt qu’à examiner une question d’interprétation ou d’application de la convention collective. Le grief, de ce fait, échappait à la compétence d’un arbitre désigné conformément aux dispositions de la LRTFP.

 

[14]           L’employeur a concédé, que si Mme Spencer était bel et bien une employée nommée pour une période indéterminée, elle aurait assurément droit de tirer avantage des dispositions sur le réaménagement des effectifs de la convention collective. La question en litige, du point de vue de l’employeur, était ainsi de savoir si Mme Spencer était en fait une employée nommée pour une période indéterminée.

 

La décision de l’arbitre

 

[15]           L’arbitre a fait remarquer qu’en vertu de l’article 208 de la LRTFP, l’on peut déposer un grief relativement à plusieurs questions portant sur les conditions d’emploi par le biais de la procédure interne de règlement des griefs. Toutefois, la gamme des griefs qui peuvent être renvoyés à l’arbitrage par un tiers est beaucoup plus restreinte.

 

[16]           Faisant observer que les arbitres de griefs ne jouissent pas d’une compétence absolue ou inhérente, l’arbitre a conclu que sa compétence se restreignait aux questions visées au paragraphe 209(1) de la LRTFP, qui prévoit ce qui suit :

209. (1) Après l’avoir porté jusqu’au dernier palier de la procédure applicable sans avoir obtenu satisfaction, le fonctionnaire peut renvoyer à l’arbitrage tout grief individuel portant sur :

 

209. (1) An employee may refer to adjudication an individual grievance that has been presented up to and including the final level in the grievance process and that has not been dealt with to the employee’s satisfaction if the grievance is related to

 

a) soit l’interprétation ou l’application, à son égard, de toute disposition d’une convention collective ou d’une décision arbitrale;

 

(a) the interpretation or application in respect of the employee of a provision of a collective agreement or an arbitral award;

 

b) soit une mesure disciplinaire entraînant le licenciement, la rétrogradation, la suspension ou une sanction pécuniaire;

 

(b) a disciplinary action resulting in termination, demotion, suspension or financial penalty;

 

c) soit, s’il est un fonctionnaire de l’administration publique centrale :

 

(c) in the case of an employee in the core public administration,

 

(i) la rétrogradation ou le licenciement imposé sous le régime soit de l’alinéa 12(1)d) de la Loi sur la gestion des finances publiques pour rendement insuffisant, soit de l’alinéa 12(1)e) de cette loi pour toute raison autre que l’insuffisance du rendement, un manquement à la discipline ou une inconduite,

 

(i) demotion or termination under paragraph 12(1)(d) of the Financial Administration Act for unsatisfactory performance or under paragraph 12(1)(e) of that Act for any other reason that does not relate to a breach of discipline or misconduct, or

 

(ii) la mutation sous le régime de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique sans son consentement alors que celui‑ci était nécessaire;

 

(ii) deployment under the Public Service Employment Act without the employee’s consent where consent is required; or

 

d) soit la rétrogradation ou le licenciement imposé pour toute raison autre qu’un manquement à la discipline ou une inconduite, s’il est un fonctionnaire d’un organisme distinct désigné au titre du paragraphe (3).

(d) in the case of an employee of a separate agency designated under subsection (3), demotion or termination for any reason that does not relate to a breach of discipline or misconduct.

 

 

[17]           L’arbitre a à cet égard conclu que le grief de Mme Spencer ne mettait en cause aucune question d’interprétation ou d’application de la convention collective, soit le champ de compétence mentionné à l’alinéa 209(1)a), et qu’on n’avait aucunement laissé entendre qu’il tombait sous le coup de l’une ou l’autre des situations visées aux alinéas 209(1)b), c) ou d).

 

[18]           D’après l’arbitre, l’« objet essentiel » du grief de Mme Spencer était de « savoir si oui ou non, par application de la Politique sur l’emploi pour une période déterminée, Mme Spencer p[ouvait] profiter des mesures de protection prévues par la convention collective en cas de mise en disponibilité » (Spencer c. Administrateur général (ministère de l’Environnement), 2007 CRTFP 12, paragraphe 21).

 

[19]           L’arbitre a reconnu qu’il était possible de concevoir qu’une fois obtenue la réponse à la question préliminaire, qui était de savoir si Mme Spencer devait être considérée comme une employée nommée pour une période indéterminée, il pourrait rester à trancher une question concernant son statut qui relèverait de la convention collective. L’arbitre a toutefois jugé ne pas pouvoir répondre à la question préliminaire, de sorte qu’elle a fait droit à l’objection liée à la compétence soulevée par l’employeur et qu’elle a rejeté le grief de Mme Spencer.

 

 

La question en litige

 

[20]           La seule question en litige en l’espèce est de savoir si l’arbitre a commis une erreur en concluant qu’elle n’avait pas compétence pour prendre en compte les dispositions de la Politique sur l’emploi pour une période déterminée du Conseil du Trésor en vue d’établir si les dispositions relatives au réaménagement des effectifs de la convention collective s’appliquaient à Mme Spencer.

 

La norme de contrôle

 

[21]           Mme Spencer soutient que la question en litige en l’espèce est une véritable question de compétence, et qu’ainsi, la norme de contrôle applicable devrait être la décision correcte. Elle reconnaît que l’arbitre disposait indiscutablement de l’expertise voulue pour interpréter et appliquer les dispositions de la convention collective. L’arbitre n’avait toutefois pas l’expertise, selon Mme Spencer, pour trancher la question juridique de savoir si la Politique sur l’emploi pour une période déterminée du Conseil du Trésor liait l’employeur, une question qu’il était nécessaire de trancher avant de s’attaquer à celle de la compétence.

 

[22]           L’employeur soutient que la norme de contrôle devrait plutôt être celle de la décision raisonnable. Pour étayer cette prétention, l’employeur invoque les strictes dispositions limitatives du paragraphe 233(1) de la LRTFP ainsi que l’expertise considérable en matière de relations de travail des membres de la Commission des relations de travail dans la fonction publique.

 

[23]           L’employeur soutient également que la question de savoir si Mme Spencer pouvait tirer profit des dispositions sur le réaménagement des effectifs de la convention collective nécessitait d’apprécier tant des questions de fait que de droit. À ce titre, il ne s’agissait pas d’une pure question de droit « d’une importance capitale pour le système juridique » ou « étrangère au domaine d’expertise de l’arbitre » (pour citer l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, paragraphes 60 et 70).

 

[24]           Il n’est toutefois pas nécessaire de trancher le différend quant à la norme de contrôle applicable en l’espèce, car je suis d’avis, pour les motifs qui vont suivre, que l’arbitre a eu raison de conclure que le grief de Mme Spencer ne relevait pas de sa compétence.

 

Le contenu du dossier

 

[25]           Avant de nous pencher sur la question de fond que met en jeu la présente demande, toutefois, il sera d’abord nécessaire d’examiner une question soulevée à l’audience relativement au contenu du dossier.

 

[26]           Mme Spencer, en effet, s’est opposée à l’inclusion dans le dossier du défendeur deux lettres, l’une datée du 23 novembre 2006 et l’autre du 28 mai 2007, envoyées par son syndicat à la Commission des relations de travail dans la fonction publique. Mme Spencer fait valoir que l’arbitre n’était pas saisie de ces lettres, qui ne peuvent donc valablement faire partie du dossier dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire.

 

[27]           S’il semble que les lettres ont bel et bien été envoyées à la Commission, la Cour n’a pas reçu copie du dossier certifié du tribunal en l’espèce. Il n’a donc pas été possible de vérifier en consultant ce dossier si l’arbitre avait réellement été saisie des lettres en cause. Aucun affidavit n’a non plus été déposé pour le compte du défendeur dans le cadre de la présente demande, de sorte qu’aucune preuve n’étaye la prétention du défendeur selon laquelle l’arbitre disposait vraiment des lettres lorsqu’elle a rendu sa décision.

 

[28]           Bien que des éléments extrinsèques puissent être admissibles lors d’un contrôle judiciaire en certaines situations (se reporter, par exemple, à Pathak c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1995] 2 C.F. 455 (C.A.F.)), on n’a rien fait valoir pour justifier une telle admission des lettres en cause en l’espèce. Ces lettres ne font donc pas dûment partie du dossier et elles en seront soustraites. Cela étant dit, rien dans l’une ou l’autre lettre n’aurait influé sur l’issue de la présente affaire.

 

 

Analyse

 

[29]           Il est assuré que le champ des délibérations des arbitres n’a pas à se restreindre aux limites de la seule convention collective en cause.

 

[30]            Ainsi, par exemple, les arbitres doivent examiner et appliquer les lois sur l’emploi afin d’établir les droits et obligations substantiels des parties à la convention collective (se reporter notamment à McLeod c. Egan, [1975] 1 R.C.S. 517; Parry Sound (district) Conseil d’administration des services sociaux c. S.E.E.F.P.O.,section locale 324, 2003 CSC 42, paragraphe 24.

 

[31]           Le pouvoir et l’obligation des arbitres d’appliquer le droit du pays s’étend même à la Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch.11 (R.‑U.) (Weber c. Ontario Hydro, [1995] 2 R.C.S. 929, paragraphes 56, 60 et 61).

 

[32]           Selon Mme Spencer, il n’existe pas de distinctions significatives entre les droits en matière d’emploi prévus par une loi ou un règlement et ceux découlant d’une politique gouvernementale ayant force de loi. Par conséquent, les arbitres ont non seulement compétence pour interpréter et appliquer tous les droits exécutoires aux fins de l’interprétation d’une convention collective, mais ils ont également le devoir positif de ce faire.

 

[33]           À l’appui de sa prétention selon laquelle la Politique sur l’emploi pour une période déterminée du Conseil du Trésor est une politique ayant force de loi, Mme Spencer fait valoir que, si le paragraphe 59(1) de la LEFP prévoyait que la durée des fonctions d’un fonctionnaire devenait automatiquement indéterminée après une période de service précise dans le cadre de contrats pour une période déterminée, il ne ferait aucun doute qu’elle pourrait présenter un grief parce qu’on a refusé qu’elle profite des protections en matière de réaménagement des effectifs prévus à la convention collective.

 

[34]           Mme Spencer soutient dans cette perspective qu’il ne devrait exister aucune différence de principe que la période de service requise soit précisée au paragraphe 59(1) de la LEFP elle‑même, ou dans une politique du Conseil du Trésor adoptée en vertu de cette disposition législative. Dans l’un ou l’autre cas, affirme Mme Spencer, la Politique sur l’emploi pour une période déterminée liait l’arbitre, qui aurait dû l’appliquer dans le cadre de son grief.

 

[35]           Mme Spencer fait valoir au soutien de sa prétention des décisions telles que Endicott c. Canada (Conseil du Trésor), 2005 CF 253; Glowinski c. Canada (Conseil du Trésor), 2006 CF 78, Gingras c. Canada, [1994] 2 C.F. 734 (C.A.); Myers c. Canada (Procureur général), 2007 CF 947.

 

[36]           Dans l’affaire Endicott, le grief en cause découlait du défaut d’un agent du dernier palier de règlement des griefs de considérer comme ayant force de loi deux versions antérieures de la Politique sur l’emploi pour une période déterminée du Conseil du Trésor. La Cour a fait remarquer, au paragraphe 11 de sa décision, que la question de savoir si les politiques en cause créaient des droits reconnus par la loi que les tribunaux pouvaient définir et appliquer dépendait de l’intention et du contexte dans lequel les politiques avaient été adoptées.

 

[37]           La Cour a également fait remarquer dans l’affaire Endicott que les politiques en cause n’étaient pas une législation déléguée. Prenant en compte la teneur des politiques sur l’emploi pour une période déterminée en vigueur à l’époque pertinente, ainsi que le contexte dans lequel elles avaient été adoptées, la Cour a conclu que rien ne permettait de croire qu’on avait voulu que ces politiques soient considérées comme une règle de droit conférant au demandeur une nomination pour une durée déterminée.

 

[38]           Le fondement de la décision Endicott, affirme Mme Spencer, donne à penser qu’il conviendrait de tirer une conclusion contraire dans son cas en raison du nouveau fondement législatif de l’actuelle Politique sur l’emploi pour une période déterminée.

 

[39]           Dans l’arrêt Gingras, la Cour d’appel a donné effet au « Régime de prime au Bilinguisme » du Conseil du Trésor, comme la politique en cause était précise, conférait un avantage déterminé et ne laissait aucun pouvoir discrétionnaire aux ministères concernés. Mme Spencer soutient que, dans l’affaire Gingras, le gouvernement n’était nullement tenu d’adopter une politique de prime au bilinguisme, mais que, l’ayant fait, il était ensuite tenu de s’y conformer. Or en l’espèce, la LEFP requérait expressément l’adoption d’une politique sur l’emploi pour une période déterminée, et l’on devrait d’autant plus considérer la politique en cause comme liant l’employeur.

 

[40]           Dans la décision Glowinski, par contre, la question était de savoir si l’intéressé était ou non un « employé » de la fonction publique. Le demandeur sollicitait le contrôle judiciaire d’une décision du Conseil du Trésor et d’Industrie Canada déterminant qu’il était vraiment un tel employé. Il y avait différentes politiques du Conseil du Trésor qui donnaient d’un « employé » des définitions contradictoires.

 

[41]           Dans la décision Glowinski, la Cour a fait remarquer que, règle générale, une telle politique n’avait pas force de loi à moins que la loi habilitante n’oblige le ministère concerné à l’émettre. La Cour a ensuite refusé d’interpréter ou de concilier les politiques contradictoires du Conseil du Trésor, ou de leur conférer force de loi, statuant que si le Conseil du Trésor avait eu l’intention de conférer force de loi à ces politiques, il aurait exercé son droit de les adopter par voie de règlement. Mme Spencer soutient que, lorsque comme en l’espèce, la politique est exigée par la loi, la Cour devrait se montrer davantage disposée à lui conférer force de loi.

 

[42]           Le défendeur soutient pour sa part que la conversion au statut d’employé nommé pour une période indéterminée n’est pas prévue être automatique après une période de trois années de service par les dispositions de la Politique sur l’emploi pour une période déterminée du Conseil du Trésor, et que, contrairement à la situation dont la Cour d’appel avait à connaître dans l’affaire Gingras, une composante discrétionnaire s’attache à la politique qui nous occupe.

 

[43]           Le défendeur fait valoir l’article 7.1 de la politique à cet égard, lequel prévoit que les nominations à un poste pour une période indéterminée doivent être effectuées selon le principe du mérite, comme prévu dans le Règlement sur l’emploi dans la fonction publique, DORS/2005‑334, établi par la Commission de la fonction publique.

 

[44]           En outre, bien que la Cour ait conféré force de loi à la Politique du gouvernement sur la sécurité dans l’affaire Myers, la preuve présentée à la Cour était alors que l’agence en cause avait conclu un protocole d’entente avec le Conseil du Trésor, en vertu duquel l’agence acceptait d’être régie par les dispositions de la politique. Or aucune preuve semblable n’a été présentée à la Cour dans le cadre de la présente affaire et, pour ce motif, il y a donc lieu de distinguer la présente espèce d’avec l’affaire Myers.

 

[45]           Lorsqu’il s’agit d’établir si l’arbitre était juridiquement tenue de suivre les dispositions de la Politique sur l’emploi pour une période déterminée du Conseil du Trésor, et si elle devait l’appliquer en regard du grief de Mme Spencer, il convient de rappeler que l’arbitre n’était saisie d’aucune question concernant l’interprétation de la convention collective. De fait, l’employeur avait concédé que, si Mme Spencer était bel et bien une employée nommée pour une période indéterminée, elle avait droit aux avantages en matière de réaménagement des effectifs prévus dans la convention collective. La seule question en litige était de savoir si elle était ou non une employée nommée pour une période indéterminée.

 

[46]           Mme Spencer a elle‑même concédé dans le cadre de la présente demande que [traduction] « l’objet essentiel du différend » soumis à l’arbitre était de savoir si elle était ou non une employée de l’État nommée pour une période indéterminée, en vue d’établir si les dispositions sur le réaménagement des effectifs lui étaient applicables. Cela étant, je suis convaincue que la nature essentielle du différend avait trait à l’interprétation et à l’application, non pas de la convention collective, mais bien plutôt des dispositions de la Politique sur l’emploi pour une période déterminée.

 

[47]           En outre, je ne suis pas convaincue que l’arbitre était liée par la Politique sur l’emploi pour une période déterminée. L’examen du libellé de la Politique confirme qu’elle comporte bien une composante discrétionnaire, du fait que les nominations à un poste pour une période indéterminée doivent être effectuées selon le principe du mérite. Si un arbitre était tenu de conclure qu’après trois années de travail sous contrat, un employé occupait automatiquement un poste pour une période indéterminée, aucune évaluation du mérite n’aurait jamais à être faite.

 

[48]           Mme Spencer soutient que le paragraphe 59(1) de la LEFP ne confère aucun pouvoir discrétionnaire. Selon elle, l’article 7.1 de la Politique sur l’emploi pour une période déterminée a plutôt dû être adopté en application d’un texte législatif antérieur ayant pu prévoir la prise en compte du principe du mérite pour la conversion du statut d’employé pour une période déterminée à celui d’employé pour une période indéterminée. De telles conversions ne constituant plus des « nominations » en vertu du nouveau texte législatif, le mérite ne serait plus un facteur pertinent à prendre en considération (se reporter à cet égard au paragraphe 59(2) de la LEFP).

 

[49]           Mme Spencer ne peut gagner sur les deux plans. D’un côté elle soutient que la Politique sur l’emploi pour une période déterminée liait l’arbitre, qui aurait dû l’appliquer en vue de conclure qu’elle était bien une employée nommée pour une période indéterminée. De l’autre, elle avance qu’on ne devrait pas se conformer au libellé exprès de la Politique, puisqu’il aurait été remplacé par des dispositions législatives nouvelles.

 

[50]           Comme je l’ai expliqué, je suis convaincue que la Politique sur l’emploi pour une période déterminée comporte, en sa teneur actuelle, une composante discrétionnaire. Dans les circonstances, j’estime que l’arbitre était juridiquement tenue d’appliquer la Politique.

 

[51]           Je désire faire remarquer que ma conclusion selon laquelle l’intention visée n’était pas que la Politique sur l’emploi pour une période déterminée lie l’arbitre est compatible avec le libellé de l’article 36 de la convention collective, qui fait état de l’ensemble des politiques, règlements et procédures intégrés à la convention collective elle‑même. La Directive sur le réaménagement des effectifs fait partie de cette liste, mais non pas la Politique sur l’emploi pour une période déterminée du Conseil du Trésor.

 

[52]           J’estime donc que l’arbitre a eu raison de conclure qu’elle n’avait pas compétence pour connaître du grief de Mme Spencer. La demande de contrôle judiciaire est par conséquent rejetée. Dans l’exercice de mon pouvoir discrétionnaire, je décide de ne pas rendre d’ordonnance quant aux dépens.

 

[53]           La conclusion que je tire ne laisse pas nécessairement sans aucun recours les employés tels que Mme Spencer. Il est loisible au syndicat de chercher à faire intégrer la Politique sur l’emploi pour une période déterminée à la convention collective. Comme je vais le préciser, en outre, il pourrait également être loisible à Mme Spencer de demander le contrôle judiciaire de la décision, au dernier palier de la procédure de règlement des griefs, de rejeter la demande qu’elle avait présentée pour tirer avantage des dispositions sur le réaménagement des effectifs.

 

La prorogation de délai

 

[54]           Mme Spencer demande, advenant que la Cour conclue que le grief échappait vraiment à la compétence de l’arbitre, une prorogation du délai pour présenter une demande de contrôle judiciaire visant la décision rendue au dernier palier de rejeter son grief, formulé au motif que la cessation de son emploi était une mise en disponibilité injustifiée contrevenant aux dispositions sur le réaménagement des effectifs de sa convention collective.

 

[55]           Lors de l’audition de la présente demande, l’avocat du défendeur a concédé que Mme Spencer avait clairement démontré une intention constante de poursuivre l’affaire, qu’il y aurait matière à soutenir que la demande est bien fondée et qu’il existe une explication raisonnable justifiant le défaut de Mme Spencer de présenter en temps opportun une demande de contrôle judiciaire visant la décision au dernier palier de la procédure de règlement des griefs.

 

[56]           Quant à la question du préjudice ayant pu être subi par l’employeur, le défendeur concède aussi maintenant ne pas avoir subi de préjudice du fait que Mme Spencer avait tardé à demander le contrôle judiciaire de la décision au dernier palier. Il en résulte que nul ne peut contester que Mme Spencer a satisfait aux quatre éléments du critère énoncé dans la décision Hennelly (se reporter à Canada (Procureur général) c. Hennelly (1999), 244 N.R. 399 (C.A.F.)).

 

[57]           Je suis également d’avis qu’il est dans l’intérêt de la justice d’accorder la prorogation du délai.

 

[58]           Par conséquent, Mme Spencer disposera de 30 jours à compter de la date de la présente ordonnance pour présenter une demande de contrôle judiciaire visant la décision au dernier palier de la procédure de règlement des griefs de rejeter le grief relatif à la cessation de son emploi.

 


JUGEMENT

 

 

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée, sans frais. Mme Spencer disposera de 30 jours à compter de la date du présent jugement pour présenter une demande de contrôle judiciaire visant la décision au dernier palier de la procédure de règlement des griefs de rejeter le grief relatif à la cessation de son emploi.

 

 

 

« Anne Mactavish »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Christian Laroche, LL.B.

Réviseur

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T‑75‑08

 

 

INTITULÉ :                                       KATHERINE SPENCER c.

                                                            LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 OTTAWA (ONTARIO)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 14 OCTOBRE 2008

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              MADAME LA JUGE MACTAVISH

 

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       LE 18 DÉCEMBRE 2008

 

 

COMPARUTIONS :

 

Steven Welchner                                                                      POUR LA DEMANDERESSE

 

Stephen Bertrand                                                                      POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

WELCHNER LAW OFFICE                                                   POUR LA DEMANDERESSE

Professional Corporation

Ottawa (Ontario)

 

JOHN H. SIMS, c.r.                                                                POUR LE DÉFENDEUR

Sous‑procureur général du Canada

 

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