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Date : 20081231

Dossier : IMM‑5356‑07

Référence : 2008 CF 1418

Ottawa (Ontario), le 31 décembre 2008

En présence de monsieur le juge Barnes

 

 

ENTRE :

EMMANUEL VALERA VALVERDE

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Emmanuel Valera Valverde (M. Valera) s’oppose à la décision du défendeur de rejeter sa demande de résidence permanente.

 

I.                   Le contexte

[2]               En mai 2007, l’Agence des services frontaliers du Canada a reçu un appel anonyme selon lequel M. Valera s’était séparé d’Elisabeth Amador, sa répondante. Cette allégation a conduit Citoyenneté et Immigration Canada à organiser deux entrevues distinctes, l’une avec M. Valera et l’autre avec Mme Amador, afin de les interroger séparément sur leurs dernières activités communes. Ayant perçu certaines incohérences factuelles dans leurs réponses, la décideure (l’agente) a conclu que leur relation conjugale n’était pas authentique. Par conséquent, la demande de résidence permanente présentée par M. Valera a été rejetée.

 

[3]               La question qui doit être tranchée en l’espèce consiste à décider si la conclusion de l’agente est raisonnable compte tenu de la preuve sur laquelle elle repose.

 

La décision contestée

[4]               Bien que les notes de l’agente soient quelque peu sibyllines, elles permettent de comprendre les fondements de sa décision. D’abord, l’agente a présenté aux deux intéressés les informations anonymes selon lesquelles ils auraient rompu. M. Valera et Mme Amador ont tous les deux nié cette allégation. Les notes de l’agent contiennent un compte rendu détaillé des entrevues respectives des deux intéressés et se terminent par cette conclusion :

[traduction]

 

La répondante n’a aucune preuve de résidence au 106, Goldsboro, mis à part une lettre du propriétaire de l’immeuble. Ai eu entrevue avec eux (mariage). Non convaincue qu’ils cohabitent. Contradictions dans leurs réponses, c.‑à.‑d. Action de grâces, son anniversaire (à lui), leur dernière relation sexuelle. Non convaincue que mariage légitime…

 

 

II.        Questions en litige

[5]               Compte tenu de la preuve, était‑il raisonnable pour l’agent de conclure que cette relation n’était pas authentique?

 

III.      Analyse

[6]               Nonobstant de la retenue judiciaire qui s’impose à l’égard des conclusions relatives à l’authenticité d’un mariage[1], je suis convaincu que l’agente a commis une erreur lorsqu’elle a conclu que M. Valera et Mme Amador ne vivaient pas ensemble. Il ne fait aucun doute que l’agente avait le loisir de soupeser les preuves et d’en tirer des conclusions raisonnables. Néanmoins, il fallait tout de même que les preuves puissent raisonnablement conduire à la conclusion qui a été tirée. Ce n’est pas le cas en l’espèce.

 

[7]               L’agente a estimé que les deux intéressés avaient donné des réponses contradictoires aux questions qu’elle leur avait posées lors de leurs entrevues respectives, et elle en a conclu qu’ils n’habitaient pas ensemble. Un examen plus approfondi des questions et des réponses révèle que les réponses jugées contradictoires par l’agente ne recèlent, tout au plus, que des ambiguïtés qui ne permettent de tirer aucune conclusion. Les trois « contradictions » principales notées par l’agente se trouvent dans les réponses fournies par les intéressés au sujet de leurs dernières relations sexuelles, de leurs activités à l’occasion de l’Action de grâces et de l’anniversaire de M. Valera. Les échanges entre l’agente et les deux intéressés sont reproduits ci‑après :

                        [traduction]

                        Q.        Qu’avez‑vous fait pour l’Action de grâces?

 

R.         (M. Valera) Nous n’avons rien fait. Nous sommes restés à la maison.

 

R.         (Mme Amador) Nous avons mangé de la dinde. Nous sommes allés chez mes parents.

 

[…]

 

Q.        Dernière relation sexuelle?

 

R.         (M. Valera) La semaine dernière. Je ne me rappelle pas.

 

R.         (Mme Amador) Pendant la fin de semaine.

 

[…]

 

Q.        Anniveraire (de monsieur)?

 

R.         (M. Valera) Nous sommes sortis. Manger quelque chose. Elle ne m’a pas donné cadeau.

 

R.         (Mme Amador) 27/08/81. Nous avons fait une fête. Des gens sont venus à la fête. Nous avons loué quelque chose chez Jane et Wilson.

 

 

[8]               Bien que l’avocat du défendeur ait soutenu, avec raison dans une certaine mesure, que M. Valera et Mme Amador ne semblaient pas particulièrement disposés à répondre aux questions qui leur étaient posées, la principale difficulté que pose la preuve en l’espèce réside dans l’omission de la part de l’agente de poser aux intéressés des questions supplémentaires évidentes qui auraient permis de dissiper toute impression d’incohérence dans leurs réponses. Par exemple, s’agissant de l’Action de grâces, il est impossible de déterminer si les réponses se rapportent à la journée de l’Action de grâces, soit le lundi, ou à une célébration de l’Action de grâces, laquelle aurait très bien pu avoir lieu la veille, soit le dimanche. Comme cet élément n’a pas été précisé à l’aide de questions supplémentaires, les deux réponses obtenues sont tout à fait conciliables.

 

[9]               L’échange au sujet des dernières relations sexuelles entre les deux intéressés est certes imprécis, mais il ne recèle pas de contradictions. Les entrevues se sont déroulées un jeudi. Par conséquent, la possibilité que les deux intéressés aient eu des relations sexuelles le samedi précédent, concorde avec l’une et l’autre de leurs réponses.

 

[10]           De la même façon, la réponse de M. Valera voulant que Mme Amador et lui soient sortis manger quelque chose le jour de l’anniversaire du demandeur n’est pas inconciliable avec la réponse de Mme Amador selon laquelle ils avaient organisé une fête quelque part chez Jane et Wilson. Afin d’obtenir des réponses valables à ce sujet, il aurait fallu poser une série de question supplémentaires à M. Valera, comme, « où êtes‑vous allés? » et « avec qui? ». En l’absence d’éclaircissements, les réponses obtenues demeurent insuffisantes, mais ne sont pas contradictoires pour autant.

 

[11]           Un examen complet de la transcription des entretiens révèle une ou deux autres divergences mineures. D’autre part, bon nombre de réponses sont tout à fait compatibles et donnent à penser que M. Valera et Mme Amador entretiennent une relation authentique.

 

[12]           Lorsque deux personnes qui disent former un couple offrent des réponses généralement compatibles lors de leurs entrevues respectives, il est dangereux d’accorder trop d’importance à quelques contradictions mineures au sujet de leurs activités et de leurs intérêts communs. Cela n’est pas sans rappeler les paroles de la chanson « Je m’en souviens très bien », écrites par Lerner et Loewe, qui montrent à quel point les souvenirs qu’ont les époux de leurs activités communes peuvent être éphémères[2].

 

[13]           J’ajouterai ceci : il m’est impossible de savoir si les notes de l’agente constituent un compte rendu intégral des entretiens, ou encore une tentative d’interprétation des réponses obtenues. Compte tenu de l’importance que revêtent ces entrevues pour les intérêts des demandeurs, il serait indiqué de les enregistrer. En l’espèce, si les notes de l’agente reflètent fidèlement le contenu des entrevues, alors elles révèlent chez les deux intéressés une certaine difficulté à s’exprimer en anglais, ce qui peut expliquer l’indigence de détails dans leurs réponses.

 

[14]           En l’espèce, rien n’indique que l’appel anonyme à l’origine de l’enquête sur l’authenticité de la relation conjugale des deux intéressés ait influé sur la décision de l’agente. Je me bornerai à souligner que les informations ainsi obtenues peuvent servir de point de départ à une enquête, mais qu’elles ne sont pas fiables, de par leur nature même, et qu’elles doivent presque toujours être écartées du processus décisionnel : voir Redman c. Canada (Ministre de la Citoyenneé et de l’Immigration), [1998] A.C.F. no 1568 (C.F.). Je suis également convaincu que l’agente a respecté les principes d’équité en divulguant aux intéressés la teneur de ces informations dès le début de leurs entretiens et en leur offrant l’occasion d’y répondre.

IV.       Conclusion

[15]           En conclusion, la décision de l’agente doit être annulée. Si des doutes persistent chez le défendeur relativement à l’authenticité de la relation conjugale en l’espèce, alors une nouvelle enquête, exhaustive cette fois, devra être effectuée par un autre décideur.

 

[16]           Ni l’une ni l’autre partie n’a demandé que soit certifiée une question et la présente affaire ne soulève aucune question grave de portée générale.

 


 

JUGEMENT

 

            LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie et que la décision contestée est annulée.

 

 

 

« R. L. Barnes »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM‑5356‑07

 

INTITULÉ :                                       Valverde

                                                            c.

                                                            MCI

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 16 décembre 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge Barnes

 

DATE :                                               Le 31 décembre 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Patricia Wells

416‑535‑6873

 

Pour le demandeur

Brad Gotkin

416‑973‑2314

 

Pour le défendeur

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Patricia Wells

Avocate

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

Pour le défendeur

 



[1]  Voir Rosa c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 117, [2007] A.C.F. no 152, au paragraphe 23, mais remplacer la norme de contrôle adéquate par « la raisonnabilité ».

[2]  Lui : Il était tôt

    Elle : Minuit moins le quart

    Lui : J’étais à l’heure

    Elle : Deux heures en retard

    Lui: Ah, oui, je m’en souviens très bien…

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