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Date : 20081222

Dossier : IMM-2040-08

Référence : 2008 CF 1400

Ottawa (Ontario), le 22 décembre 2008

En présence de monsieur le juge Barnes

 

 

ENTRE :

ERROL GEORGE VEITCH

 

demandeur

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s'agit de la demande de contrôle judiciaire présentée par Errol George Veitch contre la décision du défendeur, qui a refusé la demande qu’il avait présentée en application de l'article 25 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), demande fondée sur des circonstances d'ordre humanitaire (les CH). M. Veitch affirme qu'on lui a refusé la possibilité de présenter une preuve suffisante de son établissement au Canada, en raison de l'omission du décideur (l'agent) de lui donner des [traduction] « conseils judicieux » sur ses obligations. Il affirme aussi que parce qu'il a répondu à la demande de renseignements supplémentaires sur l’emploi faite par l'agent, il avait une attente raisonnable selon laquelle on ne lui demanderait rien de plus.

 

I. Résumé des faits

[2]               M. Veitch est Jamaïcain. Il est âgé de 63 ans et il serait atteint de la maladie de Parkinson. M. Veitch soutient qu'il est entré au Canada en 1977, mais il a déclaré dans son affidavit qu'il ne se souvient pas exactement comment il est arrivé ici.

 

[3]               À l’origine, la demande invoquant des motifs d’ordre humanitaire de M. Veitch ne contenait presque aucun renseignement digne d’intérêt sur la nature et degré de son établissement au Canada. En raison des lacunes de sa demande, l'agent a demandé des précisions supplémentaires sur l’emploi pour les dix années précédentes, y compris les noms de ses employeurs et la nature de son travail. M. Veitch devait aussi fournir ses adresses pour toutes les périodes de chômage. M. Veitch a mis presque une année pour répondre à la demande de renseignements et, lorsqu'il a répondu, il n'a donné que des références vagues relatives aux périodes d'emploi et de chômage et une liste incomplète de ses adresses dans la région de Toronto après 1995. La seule base valable de la demande de M. Veitch se trouve dans le bref extrait suivant :

 

[traduction]

Comme je l'ai fait remarquer, je vis au Canada depuis environ trente ans maintenant. Ma vie est ici au Canada. J'ai régulièrement travaillé pendant les dernières années et j’ai eu quelques courtes périodes de chômage. Je suis maintenant dans la soixantaine et je n'ai connu aucun autre pays que le Canada depuis très longtemps. Le Canada est mon chez‑moi.

 

Je n'ai jamais eu de problème au Canada et j'ai essayé d'être un bon citoyen pendant les trente dernières années.

 

 

[4]               M. Veitch n'a presque rien fourni comme renseignement provenant de tiers corroborant la nature et l'étendue de son établissement au Canada pendant le temps où il dit avoir vécu ici. Il n'a pas présenté de lettres de recommandation d'anciens employeurs, d'amis, de relations ou de fournisseurs de services. Il n'a présenté aucun dossier du ministère du Revenu ou du Régime de pensions du Canada, et malgré l'importance possible des ennuis de santé qu’il dit avoir, il n'a présenté aucun dossier médical.

 

II. La décision soumise au contrôle

[5]               L'agent a refusé la demande de M. Veitch pour les motifs suivants :

[traduction]

La demande du demandeur fondée sur des motifs d'ordre humanitaire est basée sur : le degré d'établissement et l'absence de liens en d'autres lieux.

 

Pour arriver à ma décision en l'espèce, j'ai examiné les observations faites par le demandeur, dont la dernière a été reçue le 21 janvier 2008. J'ai aussi examiné les renseignements contenus dans le SSOBL.

 

Le demandeur n'a pas présenté de preuve de sa présence au Canada pour les périodes durant lesquelles il dit avoir résidé ici. Il n'a pas présenté de preuve sur la façon dont il subvient à ses besoins. Il déclare qu'il reçoit maintenant de l'aide sociale. Les dossiers d’immigration révèlent qu'il a présenté une demande d'aide en 2005. Le demandeur est divorcé et il a trois enfants aux États-Unis. Il n'a pas donné de détails sur ses enfants, leurs âges, etc. et il n'a présenté qu'une copie de son divorce d'avec Ivy Veitch. Son adresse n’apparaît pas dans le jugement. On ne sait pas exactement comment il en a reçu une copie.

Je ne suis pas convaincu, à la lumière des renseignements dont je dispose, que le demandeur a toujours vécu au Canada et qu'il s'est établi ici à un degré tel que, s’il devait retourner en Jamaïque, il serait exposé à des difficultés excessives, injustifiées ou disproportionnées.

 

J'ai pris en compte tous les renseignements se rapportant à la demande comme un tout. Après avoir pris en compte et examiné les raisons avancées par le demandeur comme motifs pour l’obtention d’une mesure spéciale, je conclus qu'ils ne constituent pas des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives. Par conséquent, je ne suis pas convaincu qu'il existe des circonstances d'ordre humanitaire qui justifient que j'approuve la demande de mesure spéciale.

 

 

III. La question en litige :

[6]               L'agent a‑t‑il manqué à son obligation d'équité ou a‑t‑il crée une attente raisonnable selon laquelle les renseignements fournis par M. Veitch satisferaient à eux seuls aux exigences d'obtention d’une mesure spéciale pour des motifs d’ordre humanitaire?

 

IV. Analyse

[7]               Je ne suis pas convaincu que les circonstances de la présente affaire sont différentes de celles des affaires comme Irias c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CF 1321, [2003] A.C.F. nº 1717, Tahir c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] A.C.F. nº 1354, 159 F.T.R. 109, et El Doukhi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1464, [2006] A.C.F. nº 1843. Dans Irias, le juge Paul Rouleau a examiné le même argument soulevé ici et il l'a rejeté sur la base suivante :

 

20        Je vais maintenant traiter de la dernière question en litige dans la présente affaire, soit la prétention de la demanderesse selon laquelle la décision de l'agente d'immigration enfreignait les règles d'équité et de justice naturelle étant donné qu'elle était fondée sur l'absence de renseignements qui ne lui avaient pas été demandés.

 

21        Comme il a été mentionné, l'agente d'immigration a demandé à la demanderesse de fournir des renseignements à jour et notamment des renseignements écrits à l'égard des personnes avec qui elle vivait avant de venir au Canada. En réponse, la demanderesse prétend que l'agente d'immigration avait clairement des questions sur d'autres points pour lesquels elle ne lui a pas demandé de clarifications. Ces points touchaient notamment la question de savoir si le fils de la demanderesse et sa belle-fille travaillaient actuellement tous deux et le lien qu'avait l'âge de la demanderesse avec les difficultés qu'elle subirait si elle retournait au Nicaragua.

 

22        Le défendeur prétend qu'il appartient au demandeur de fournir au décideur tous les renseignements pertinents lors d'une demande. L'agente d'immigration n'avait pas l'obligation de communiquer avec la demanderesse pour obtenir des renseignements à l'égard des questions qui résultaient du fait que la demanderesse n'avait pas expliqué le lien entre son âge et sa demande et du fait que la situation d'emploi de sa belle-fille n'était pas claire.

 

23                Je ne peux pas partager l'opinion de la demanderesse sur cette question. Comme M. le juge Heald a déclaré dans la décision Patel c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] A.C.F. nº 54 (C.F.C.) :

 

Le requérant prétend avoir droit à ce qu'il soit tenu compte de toute la preuve pertinente dans le cadre de sa demande invoquant des considérations humanitaires. Je suis d'accord. Cependant, le fardeau de la preuve à cet égard incombe alors au requérant. Il a la responsabilité de porter à l'attention de l'agent des visas toute la preuve pertinente relative à des considérations humanitaires.

 

24        Le fardeau de fournir tous les éléments de preuve pertinents pris en compte dans une demande fondée sur des circonstances d'ordre humanitaire appartient clairement au demandeur selon ce que prévoit la section 5.25 du Guide et selon la déclaration du juge Heald dans la décision Patel. Je suis d'accord avec le défendeur lorsqu'il soumet qu'une prétention insuffisante par un demandeur ne transfère pas à l'agent d'immigration le fardeau d'obtenir d'autres renseignements.

 

25        Dans la présente affaire, la demanderesse a eu la possibilité de fournir au soutien de sa demande des renseignements à l'égard de sa situation et l'agente d'immigration a même demandé à la demanderesse de fournir d'autres renseignements. Par conséquent, je ne peux pas conclure que l'agente d'immigration a commis une erreur en omettant de demander à la demanderesse de fournir des renseignements additionnels.

 

 

Je souscris à l'analyse faite ci-dessus et j'ajouterais que, dans la présente affaire, la demande de mesure spéciale de M. Veitch était si déficiente que son rejet était inévitable. Aucune personne raisonnable ne pourrait s'attendre à une réponse positive, vu le caractère épars et incomplet des renseignements fournis par M. Veitch pour prouver son établissement au Canada. En outre, rien dans l'affidavit de M. Veitch ne donne même à penser qu'il était confus ou mal renseigné sur ce qui était exigé à l'appui de sa demande. Pour une raison ou une autre, M. Veitch n'a pas pris la démarche au sérieux et il ne peut pas maintenant déclarer que le défendeur l'a traité de façon injuste.

 

[8]               En conclusion, j'ajouterais qu’en l'espèce, il pourrait bien y avoir une raison convaincante pour l'octroi d'une mesure spéciale fondée sur des CH. Il se peut que M. Veitch soit entré au Canada en 1977 ou aux environs de cette date, mais il n'a pas fourni de renseignements établissant qu’il a résidé continuellement au Canada après cette date. Il a de la famille aux États-Unis et il peut très bien avoir été dans ce pays pendant des intervalles de temps prolongés. M. Veitch a un numéro d'assurance sociale et il probablement travaillé au Canada pendant des périodes de temps au cours des quelque vingt‑cinq dernières années. Il vieillit et sa santé est apparemment déficiente. Il semble n'avoir guère, voire aucun lien avec la Jamaïque. Mis à part des détails épars, le dossier révèle peu de choses sur son degré d'établissement au Canada et, comme je l'ai déjà mentionné, le refus d’octroyer la mesure spéciale fondée sur des motifs d’ordre humanitaire dans ce dossier est complètement compréhensible et raisonnable.

 

[9]               L'avocate de M. Veitch a laissé entendre que le dépôt d'une autre demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire est maintenant envisagé. J'espère qu'il sera en mesure de présenter le genre de demande pour motifs d’ordre humanitaire requis et que sa demande de mesure spéciale sera alors prise en compte de façon pleine et appropriée. À l'aide de son avocate actuelle, il peut probablement reconstituer le parcours de sa vie au Canada et obtenir des renseignements de tiers pour mieux corroborer son dossier personnel. Les dossiers du gouvernement et les dossiers d'emploi peuvent peut‑être encore être accessibles et probablement qu'il pourra obtenir de tiers des lettres de recommandation et des attestations de sa vie au Canada. Il a aussi probablement accès à des renseignements médicaux pertinents quant à son affaire qui pourraient étayer sa demande de mesure spéciale fondée sur des motifs d’ordre humanitaire.

 

V. Conclusion

[10]           Comme je l'ai fait remarquer ci-dessus, la présente demande de contrôle judiciaire doit être rejetée. Aucune des parties n'a proposé de question à certifier et l’affaire ne soulève aucune question grave de portée générale.

 

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

 

« R. L. Barnes »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Laurence Endale, LL.M., M.A.Trad.jur.

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

Dossier :                                              IMM-2040-08

 

INTITULÉ :                                             ERROL GEORGE VEITCH c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                       Toronto (Ontario)

 

DATE DE L'AUDIENCE :                     Le 17 décembre 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                    LE JUGE BARNES

 

DATE DES MOTIFS :                            le 22 décembre 2008

 

COMPARUTIONS :

 

Janice Joyce Lepiten

POUR LE DEMANDEUR

 

Tessa Anne Kroeker

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Mississauga Community Legal

Service

Mississauga (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

 

 

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Ministère de la Justice

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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