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Date : 20081127

Dossier : T-973-08

Référence : 2008 CF 1318

Ottawa (Ontario), ce 27e jour de novembre 2008

En présence de l’honorable Orville Frenette

ENTRE :

HANI AL TELBANI

 

Partie demanderesse

 

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,

LE MINISTRE DES TRANSPORTS,

DE L’INFRASTRUCTURE

ET DES COLLECTIVITÉS,

TRANSPORTS CANADA

 

Partie défenderesse

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]          La présente procédure a été logée dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire à l’encontre d’une décision rendue le 4 juin 2008 par le ministre des Transports, de l’Infrastructure et des Collectivités ajoutant le nom du demandeur sur la Liste des personnes à risque, dans le cadre du Programme de protection des passagers.

[2]          Le demandeur a aussi déposé un avis soulevant des questions d’inconstitutionnalité de la Loi sur l’aéronautique en regard de la décision ministérielle précitée. Dans ce contexte, le demandeur a déposé une requête afin d’obliger les défendeurs à divulguer complètement les renseignements exigés; renseignements qu’ils refusent de divulguer invoquant les dispositions de l’article 38 de la Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. (1985), ch. C-5 (la Loi).

 

[3]          Le demandeur, qui est d’origine palestinienne, a obtenu le statut de résident permanent au Canada le 22 janvier 2004.

 

[4]          Le 4 juin 2008, il s’est présenté à l’aéroport Pierre-Elliott Trudeau de Montréal, à destination de l’Arabie Saoudite, lorsqu’il fut refusé accès à l’avion parce qu’il avait été placé par le ministre défendeur sur une liste de personnes à risque pour la sécurité aérienne.

 

[5]          Par ses procureurs, il adressa une demande de reconsidération de la décision précitée, laquelle fut refusée.

 

[6]          Le 19 juin 2008 il présentait une demande de contrôle judiciaire à l’encontre de la décision du ministre.

 

[7]          Dans l’optique de cette procédure, il renouvela sa réquisition d’obtenir tous les renseignements relatifs à la décision ministérielle se fondant sur l’article 317 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106.

[8]          Les défendeurs ont volontairement fourni à l’avocate du demandeur certains documents, mais ils ont refusé de produire les autres pour des motifs de confidentialité fondés sur l’article 38.01(1) de la Loi.

 

[9]          Le 17 juillet 2008, l’honorable juge en chef Lutfy émettait une ordonnance fondée sur les règles 8, 55 et 383 des Règles des Cours fédérales confiant la gestion administrative de ce dossier au protonotaire Richard Morneau « affecté à titre de juge responsable dans la gestion de la présente instance. »

 

[10]      Le 17 septembre 2008, le juge de Montigny rendait une décision rejetant la requête visant à obtenir une ordonnance de confidentialité, de non-divulgation et de non-publication.

 

[11]      Par la présente requête, le demandeur exige que les défendeurs soient ordonnés à produire et à communiquer au demandeur le dossier complet de l’office fédéral relatif au demandeur sous réserve de ses autres recours.

 

[12]      Les défendeurs contestent la requête telle que présentée pour trois motifs principaux : (a) les dispositions de la Loi créent un régime particulier et précis quant à la divulgation de renseignements sensibles ou potentiellement préjudiciables; (b) une procédure spéciale est prévue à la Loi pour déterminer ces éléments, procédure qui prévaut sur celle prévue aux articles 317 et 318 des Règles des Cours fédérales; et (c), suivant l’alinéa 38.02(1)a) de la Loi, il est interdit de divulguer, dans la cadre d’une instance, des renseignements qui font l’objet d’un avis donné au titre des paragraphes 38.01(1) à (4).

[13]      Avant d’aborder l’analyse des questions soulevées en l’instance, il est utile, je crois, de citer les paragraphes pertinents de l’article 38 de la Loi et de rappeler brièvement la nature particulière de cet article, sa procédure et son objectif.

  38. Les définitions qui suivent s’appliquent au présent article et aux articles 38.01 à 38.15.

«instance »
"proceeding"

«instance » Procédure devant un tribunal, un organisme ou une personne ayant le pouvoir de contraindre la production de renseignements.

«juge »
"judge"

«juge » Le juge en chef de la Cour fédérale ou le juge de ce tribunal désigné par le juge en chef pour statuer sur les questions dont est saisi le tribunal en application de l'article 38.04.

«participant »
"participant"

«participant » Personne qui, dans le cadre d’une instance, est tenue de divulguer ou prévoit de divulguer ou de faire divulguer des renseignements.

«poursuivant »
"prosecutor"

«poursuivant » Représentant du procureur général du Canada ou du procureur général d’une province, particulier qui agit à titre de poursuivant dans le cadre d’une instance ou le directeur des poursuites militaires, au sens de la Loi sur la défense nationale.

«renseignements potentiellement préjudiciables »
"potentially injurious information"

«renseignements potentiellement préjudiciables » Les renseignements qui, s’ils sont divulgués, sont susceptibles de porter préjudice aux relations internationales ou à la défense ou à la sécurité nationales.

«renseignements sensibles »
"sensitive information"

«renseignements sensibles » Les renseignements, en provenance du Canada ou de l’étranger, qui concernent les affaires internationales ou la défense ou la sécurité nationales, qui se trouvent en la possession du gouvernement du Canada et qui sont du type des

renseignements à l’égard desquels celui-ci prend des mesures de protection.

  38.01 (1) Tout participant qui, dans le cadre d’une instance, est  tenu de divulguer ou prévoit de divulguer ou de faire divulguer des renseignements dont il croit qu’il s’agit de renseignements sensibles ou de renseignements potentiellement préjudiciables est tenu d’aviser par écrit, dès que possible, le procureur général du Canada de la possibilité de divulgation et de préciser dans l’avis la nature, la date et le lieu de l’instance.

  (2) Tout participant qui croit que des renseignements sensibles ou des renseignements potentiellement préjudiciables sont sur le point d’être divulgués par lui ou par une autre personne au cours d’une instance est tenu de soulever la question devant la personne qui préside l’instance et d’aviser par écrit le procureur général du Canada de la question dès que possible, que ces renseignements aient fait ou non l’objet de l’avis prévu au paragraphe (1). Le cas échéant, la personne qui préside l’instance veille à ce que les renseignements ne soient pas divulgués, sauf en conformité avec la présente loi.

  (3) Le fonctionnaire — à l’exclusion d’un participant — qui croit que peuvent être divulgués dans le cadre d’une instance des renseignements sensibles ou des renseignements potentiellement préjudiciables peut aviser par écrit le procureur général du Canada de la possibilité de divulgation; le cas échéant, l’avis précise la nature, la date et le lieu de l’instance.

  (4) Le fonctionnaire — à l’exclusion d’un participant — qui croit que des renseignements sensibles ou des renseignements potentiellement préjudiciables sont sur le point d’être divulgués au cours d’une instance peut soulever la question devant la personne qui préside l’instance; le cas échéant, il est tenu d’aviser par écrit le procureur général du Canada de la question dès que possible, que ces renseignements aient fait ou non l’objet de l’avis prévu au paragraphe (3) et la personne qui préside l’instance veille à ce que les renseignements ne soient pas divulgués, sauf en conformité avec la présente loi.

  (5) Dans le cas d’une instance engagée sous le régime de la partie III de la Loi sur la défense nationale, les avis prévus à l’un des paragraphes (1) à (4) sont donnés à la fois au procureur général du Canada et au ministre de la Défense nationale.

  (6) Le présent article ne s’applique pas :

a) à la communication de renseignements par une personne à son avocat dans le cadre d’une instance, si ceux-ci concernent l’instance;

b) aux renseignements communiqués dans le cadre de l’exercice des attributions du procureur général du Canada, du ministre de la Défense nationale, du juge ou d’un tribunal d’appel ou d’examen au titre de l’article 38, du présent article, des articles 38.02 à 38.13 ou des articles 38.15 ou 38.16;

c) aux renseignements dont la divulgation est autorisée par l’institution fédérale qui les a produits ou pour laquelle ils ont été produits ou, dans le cas où ils n’ont pas été produits par ou pour une institution fédérale, par la première institution fédérale à les avoir reçus;

d) aux renseignements divulgués auprès de toute entité mentionnée à l’annexe et, le cas échéant, à une application figurant en regard d’une telle entité.

  (7) Les paragraphes (1) et (2) ne s’appliquent pas au participant si une institution gouvernementale visée à l’alinéa (6)c) l’informe qu’il n’est pas nécessaire, afin d’éviter la divulgation des renseignements visés à cet alinéa, de donner un avis au procureur général du Canada au titre du paragraphe (1) ou de soulever la question devant la personne présidant une instance au titre du paragraphe (2).

[. . .]

  38.02 (1) Sous réserve du paragraphe 38.01(6), nul ne peut divulguer, dans le cadre d’une instance :

a) les renseignements qui font l’objet d’un avis donné au titre de l’un des paragraphes 38.01(1) à (4);

b) le fait qu’un avis est donné au procureur général du Canada au titre de l’un des paragraphes 38.01(1) à (4), ou à ce dernier et au ministre de la Défense nationale au titre du paragraphe 38.01(5);

c) le fait qu'une demande a été présentée à la Cour fédérale au titre de l'article 38.04, qu'il a été interjeté appel d'une ordonnance rendue au titre de l'un des paragraphes 38.06(1) à (3) relativement à une telle demande ou qu'une telle ordonnance a été renvoyée pour examen;

d) le fait qu’un accord a été conclu au titre de l’article 38.031 ou du paragraphe 38.04(6).

[. . .]

  38.04 (1) Le procureur général du Canada peut, à tout moment et en toutes circonstances, demander à la Cour fédérale de rendre une ordonnance portant sur la divul- gation de renseignements à l'égard desquels il a reçu un avis au titre de l'un des paragraphes 38.01(1) à (4).

[. . .]

  (4) Toute demande présentée en application du présent article est confidentielle. Sous réserve de l’article 38.12, l’administrateur en chef du Service administratif des tribunaux peut prendre les mesures qu’il estime indiquées en vue d’assurer la confidentialité de la demande et des renseignements sur lesquels elle porte.

[. . .]

  38.11 (1) Les audiences prévues au paragraphe 38.04(5) et l’audition de l’appel ou de l’examen d’une ordonnance rendue en application de l’un des paragraphes 38.06(1) à (3) sont tenues à huis clos et, à la demande soit du procureur général du Canada, soit du ministre de la Défense nationale dans le cas des instances engagées sous le régime de la partie III de la Loi sur la défense nationale, elles ont lieu dans la région de la capitale nationale définie à l’annexe de la Loi sur la capitale nationale.

  (2) Le juge saisi d’une affaire au titre du paragraphe 38.04(5) ou le tribunal saisi de l’appel ou de l’examen d’une ordonnance rendue en application de l’un des paragraphes 38.06(1) à (3) donne au procureur général du Canada — et au ministre de la Défense nationale dans le cas d’une instance engagée sous le régime de la partie III de la Loi sur la défense nationale — la possibilité de présenter ses observations en l’absence d’autres parties. Il peut en faire de même pour les personnes qu’il entend en application de l’alinéa 38.04(5)d).

 

 

  38.12 (1) Le juge saisi d’une affaire au titre du paragraphe 38.04(5) ou le tribunal saisi de l’appel ou de l’examen d’une ordonnance rendue en application de l’un des paragraphes 38.06(1) à (3) peut rendre toute ordonnance qu’il estime indiquée en l’espèce en vue de protéger la confidentialité des renseignements sur lesquels porte l’audience, l’appel ou l’examen.

  (2) Le dossier ayant trait à l’audience, à l’appel ou à l’examen est confidentiel. Le juge ou le tribunal saisi peut ordonner qu’il soit placé sous scellé et gardé dans un lieu interdit au public.

 

  38. The following definitions apply in this section and in sections 38.01 to 38.15.

"judge"
«juge »

"judge" means the Chief Justice of the Federal Court or a judge of that Court designated by the Chief Justice to conduct hearings under section 38.04.

"participant"
«participant »

"participant" means a person who, in connection with a proceeding, is required to disclose, or expects to disclose or cause the disclosure of, information.

"potentially injurious information"
«
renseignements potentiellement préjudiciables »

"potentially injurious information" means information of a type that, if it were disclosed to the public, could injure international relations or national defence or national security.

"proceeding"
«instance »

"proceeding" means a proceeding before a court, person or body with jurisdiction to compel the production of information.

"prosecutor"
«poursuivant »

"prosecutor" means an agent of the Attorney General of Canada or of the Attorney General of a province, the Director of Military Prosecutions under the National Defence Act or an individual who acts as a prosecutor in a proceeding.

"sensitive information"
«renseignements sensibles »

"sensitive information" means information relating to international relations or national defence or national security that is in the possession of the Government of Canada, whether originating from inside or outside Canada, and is of a type that the Government of Canada is taking measures to safeguard.

 

  38.01 (1) Every participant who, in connection with a proceeding, is required to disclose, or expects to disclose or cause the disclosure of, information that the participant believes is sensitive information or potentially injurious information shall, as soon as possible, notify the Attorney General of Canada in writing of the possibility of the disclosure, and of the nature, date and place of the proceeding.

  (2) Every participant who believes that sensitive information or potentially injurious information is about to be disclosed, whether by the participant or another person, in the course of a proceeding shall raise the matter with the person presiding at the proceeding and notify the Attorney General of Canada in writing of the matter as soon as possible, whether or not notice has been given under subsection (1). In such circumstances, the person presiding at the proceeding shall ensure that the information is not disclosed other than in accordance with this Act.

 

  (3) An official, other than a participant, who believes that sensitive information or potentially injurious information may be disclosed in connection with a proceeding may notify the Attorney General of Canada in writing of the possibility of the disclosure, and of the nature, date and place of the proceeding.

 

  (4) An official, other than a participant, who believes that sensitive information or potentially injurious information is about to be disclosed in the course of a proceeding may raise the matter with the person presiding at the proceeding. If the official raises the matter, he or she shall notify the Attorney General of Canada in writing of the matter as soon as possible, whether or not notice has been given under subsection (3), and the person presiding at the proceeding shall ensure that the information is not disclosed other than in accordance with this Act.

 

  (5) In the case of a proceeding under Part III of the National Defence Act, notice under any of subsections (1) to (4) shall be given to both the Attorney General of Canada and the Minister of National Defence.

 

 

  (6) This section does not apply when

(a) the information is disclosed by a person to their solicitor in connection with a proceeding, if the information is relevant to that proceeding;

(b) the information is disclosed to enable the Attorney General of Canada, the Minister of National Defence, a judge or a court hearing an appeal from, or a review of, an order of the judge to discharge their responsibilities under section 38, this section and sections 38.02 to 38.13, 38.15 and 38.16;

(c) disclosure of the information is authorized by the government institution in which or for which the information was produced or, if the information was not produced in or for a government institution, the government institution in which it was first received; or

(d) the information is disclosed to an entity and, where applicable, for a purpose listed in the schedule.

  (7) Subsections (1) and (2) do not apply to a participant if a government institution referred to in paragraph (6)(c) advises the participant that it is not necessary, in order to prevent disclosure of the information referred to in that paragraph, to give notice to the Attorney General of Canada under subsection (1) or to raise the matter with the person presiding under subsection (2).

 

[. . .]

 

 

 

 

 

 

 

 

 

  38.02 (1) Subject to subsection 38.01(6), no person shall disclose in connection with a proceeding

(a) information about which notice is given under any of subsections 38.01(1) to (4);

(b) the fact that notice is given to the Attorney General of Canada under any of subsections 38.01(1) to (4), or to the Attorney General of Canada and the Minister of National Defence under subsection 38.01(5);

(c) the fact that an application is made to the Federal Court under section 38.04 or that an appeal or review of an order made under any of subsections 38.06(1) to (3) in connection with the application is instituted; or

(d) the fact that an agreement is entered into under section 38.031 or subsection 38.04(6).

[. . .]

 

  38.04 (1) The Attorney General of Canada may, at any time and in any circumstances, apply to the Federal Court for an order with respect to the disclosure of information about which notice was given under any of subsections 38.01(1) to (4).

[. . .]

  (4) An application under this section is confidential. Subject to section 38.12, the Chief Administrator of the Courts Administration Service may take any measure that he or she considers appropriate to protect the confidentiality of the application and the information to which it relates.

[. . .]

  38.11 (1) A hearing under subsection 38.04(5) or an appeal or review of an order made under any of subsections 38.06(1) to (3) shall be heard in private and, at the request of either the Attorney General of Canada or, in the case of a proceeding under Part III of the National Defence Act, the Minister of National Defence, shall be heard in the National Capital Region, as described in the schedule to the National Capital Act.

  (2) The judge conducting a hearing under subsection 38.04(5) or the court hearing an appeal or review of an order made under any of subsections 38.06(1) to (3) may give any person who makes representations under paragraph 38.04(5)(d), and shall give the Attorney General of Canada and, in the case of a proceeding under Part III of the National Defence Act, the Minister of National Defence, the opportunity to make representations ex parte.

 

 

 

 

 

 

  38.12 (1) The judge conducting a hearing under subsection 38.04(5) or the court hearing an appeal or review of an order made under any of subsections 38.06(1) to (3) may make any order that the judge or the court considers appropriate in the circumstances to protect the confidentiality of the information to which the hearing, appeal or review relates.

 

  (2) The court records relating to the hearing, appeal or review are confidential. The judge or the court may order that the records be sealed and kept in a location to which the public has no access.

 

 

[14]      Le juge en chef Lutfy a fait une analyse de l’objet, des dispositions et de la procédure en vertu de l’article 38 de la Loi sur la divulgation de renseignements touchant la sécurité nationale dans l’arrêt Toronto Star Newspapers Ltd. et Kassim Mohamed c. Canada (Sa Majesté la Reine du Chef du Canada), [2007] 4 R.C.F. 434.

 

[15]      Dans cette affaire, le demandeur Mohamed avait intenté une action en dommages-intérêts et d’autres mesures de réparation contre la défenderesse pour le motif que la Gendarmerie royale du Canada et le Service canadien des renseignements de sécurité avaient communiqué ses renseignements personnels à des agences de sécurité étrangères et que, suite à cette divulgation, les autorités égyptiennes l’avaient détenu pendant deux semaines.

 

[16]      Le Procureur général du Canada a signifié un avis fondé sur l’article 38 de la Loi s’opposant à la divulgation de « renseignements secrets », et ce dans une instance séparée DES‑1‑06. Le juge en chef Lutfy a résumé les dispositions applicables à une telle procédure aux paragraphes 29 à 38 de sa décision précitée.

 

[17]      Le débat portait au fond sur la question de savoir si l’article 38 de la Loi portait atteinte à l’article 2b) de la Charte canadienne des droits et libertés. Il a conclu, qu’en réponse aux questions de nature constitutionnelle soulevées, les paragraphes 38.04(4), 38.11(1) et 38.12(2) de la Loi portaient atteinte à l’alinéa 2b) de la Charte et que ces atteintes n’étaient pas justifiées au sens de l’arrêt La Reine c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103.

 

[18]      Le juge en chef Lutfy jugea que le passage du paragraphe 38.04(4), « toute demande présentée en application du présent article est confidentielle », du paragraphe 38.11 « sont tenues à huis clos » et du paragraphe 38.12(2) « le dossier ayant trait à l’audience, à l’appel ou à l’examen est confidentiel » ne visait que les observations ex parte mentionnées aux paragraphes 38.11(1) et (2) de la Loi.

 

[19]      Ici, le demandeur cherche à obtenir son dossier « complet » de l’office fédéral pour connaître les motifs qui ont justifié sa mise sur la Liste des personnes à risque, qui a conduit au refus d’embarquement sur un avion le 4 juin 2008.

 

[20]      Le défendeur a produit certains renseignements en partie de son dossier mais refuse de le fournir au complet pour des raisons de sécurité nationale. Il se fonde sur l’avis donné en vertu du paragraphe 38.01(1) de la Loi et plaide qu’il faudrait suspendre la présente instance et procéder par une instance séparée, pour statuer sur la divulgation des renseignements recherchés.

 

[21]      Le demandeur invoque l’interprétation jurisprudentielle de l’article 38 de la Loi ainsi que les règles 317 et 318 des Règles des Cours fédérales qui se lisent ainsi :

  317. (1) Toute partie peut demander la transmission des documents ou des éléments matériels pertinents quant à la demande, qu’elle n’a pas mais qui sont en la possession de l’office fédéral dont l’ordonnance fait l’objet de la demande, en signifiant à l’office une requête à cet effet puis en la déposant. La requête précise les documents ou les éléments matériels demandés.

 

  (2) Un demandeur peut inclure sa demande de transmission de documents dans son avis de demande.

 

  (3) Si le demandeur n’inclut pas sa demande de transmission de documents dans son avis de demande, il est tenu de signifier cette demande aux autres parties.

  317. (1) A party may request material relevant to an application that is in the possession of a tribunal whose order is the subject of the application and not in the possession of the party by serving on the tribunal and filing a written request, identifying the material requested.

 

  (2) An applicant may include a request under subsection (1) in its notice of application.

 

  (3) If an applicant does not include a request under subsection (1) in its notice of application, the applicant shall serve the request on the other parties.

 

  318. (1) Dans les 20 jours suivant la signification de la demande de transmission visée à la règle 317, l’office fédéral transmet :

a)   au greffe et à la partie qui en a fait la demande une copie certifiée conforme des documents en cause;

b)   au greffe les documents qui ne se prêtent pas à la reproduction et les éléments matériels en cause.

 

  (2) Si l’office fédéral ou une partie s’opposent à la demande de transmission, ils informent par écrit toutes les parties et l’administrateur des motifs de leur opposition.

 

  (3) La Cour peut donner aux parties et à l’office fédéral des directives sur la façon de procéder pour présenter des observations au sujet d’une opposition à la demande de transmission.

 

  (4) La Cour peut, après avoir entendu les observations sur l’opposition, ordonner qu’une copie certifiée conforme ou l’original des documents ou que les éléments matériels soient transmis, en totalité ou en partie, au greffe.

 

 

  318. (1) Within 20 days after service of a request under rule 317, the tribunal shall transmit

(a)a certified copy of the requested material to the Registry and to the party making the request; or

(b)where the material cannot be reproduced, the original material to the Registry.

 

  (2) Where a tribunal or party objects to a request under rule 317, the tribunal or the party shall inform all parties and the Administrator, in writing, of the reasons for the objection.

 

  (3) The Court may give directions to the parties and to a tribunal as to the procedure for making submissions with respect to an objection under subsection (2).

 

  (4) The Court may, after hearing submissions with respect to an objection under subsection (2), order that a certified copy, or the original, of all or part of the material requested be forwarded to the Registry.

 

 

[22]      Le défendeur a raison sur ce point puisque l’arrêt Henrie c. Canada (Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité et al.), [1989] 2 C.F. 229, confirmé en appel ([1992] A.C.F. no 100 (QL)), a statué qu’il serait inapproprié d’utiliser les règles 317 et 318 pour contourner les dispositions de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, L.C. 1984, ch. 21, en matière de protection des relations internationales et de défense et sécurité nationales.

 

 

[23]      La Loi sur l’aéronautique, L.R.C. (1985), ch. A-2, à son alinéa 4.71(2)c) stipule :

  4.71 (2) Les règlements visés au paragraphe (1) peuvent notamment :

     [. . .]

     c) régir le contrôle des personnes qui pénètrent ou se trouvent dans un aéronef, un aérodrome ou d’autres installations aéronautiques;

 

  4.71 (2) Without limiting the generality of subsection (1), regulations may be made under that subsection

     [. . .]

     (c) respecting the screening of persons entering or inside an aircraft or an aerodrome of other aviation facility;

 

 

[24]      L’article 3 du Règlement sur le contrôle de l’identité, DORS/2007-82, édicte :

  3. (1) Le transporteur aérien effectue le contrôle de toute personne qui semble être âgée de 12 ans ou plus en comparant son nom avec ceux des personnes qui lui sont précisées par le ministre en application de l’alinéa 4.81(1)b) de la Loi avant de lui remettre une carte d’embarquement.

 

  (2) Si le nom de la personne correspond à celui d’une personne qui lui est précisée, le transporteur aérien demande à celle-ci une pièce d’identité avec photo délivrée par un gouvernement qui comporte ses nom, date de naissance et sexe ou deux pièces d’identité délivrées par un gouvernement dont au moins une comporte ses nom, date de naissance et sexe.

 

  (3) Si les nom, date de naissance et sexe qui figurent sur la pièce d’identité correspondent à ceux d’une personne qui lui est précisée, le transporteur aérien en informe immédiatement le ministre.

 

  3. (1) An air carrier shall, before issuing a boarding pass to any person who appears to be 12 years of age or older, screen the person by comparing his or her name with the names of persons specified to the air carrier by the Minister under paragraph 4.81(1)(b) of the Act.

 

  (2) If the name of the person is the same as that of a person specified to the air carrier, the air carrier shall ask the person for one piece of government-issued photo identification that shows his or her name, date of birth and gender or for two pieces of government-issued identification at least one of which shows his or her name, date of birth and gender.

 

 

 

  (3) If the name, date of birth and gender on the identification are the same as those of a person specified to the air carrier, the air carrier shall immediately so inform the Minister.

 

 

[25]      Le demandeur, s’appuyant sur la jurisprudence, soumet qu’il a le droit d’obtenir les renseignements sollicités (Baker c. Canada, [1999] 2 R.C.S. 817; Canada (Procureur général) c. Ribic, [2005] 1 R.C.F. 33, aux paragraphes 17 à 22; Khadr c. ministre des Affaires étrangères, 2005 CF 135, au paragraphe 17; Charkaoui c. Canada (Citoyenneté et Immigration), [2007] 1 R.C.S. 350 et Charkaoui c. ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2008 CSC 38, 376 N.R. 154, au paragraphe 56).

 

[26]      Le demandeur plaide que la prétention du défendeur à l’effet qu’il faut procéder dans un dossier séparé pour décider des questions soulevées par la confidentialité des renseignements sollicités peut se faire dans le présent dossier, par la requête présentée, incidente dans le dossier sans recours à un dossier complètement distinct ou nouveau.

 

[27]      Le défendeur soutient que le tribunal ne possède pas la compétence pour statuer sur la présente requête et qu’il faut procéder par la voie de l’avis visé par l’article 38.04(1) de la Loi.

 

[28]      Le demandeur répond que le défendeur n’a pas répondu à la demande ou envoyé l’avis et que la requête est suffisante pour ouvrir le débat. Il argumente que toutes ces questions sont décidées par un juge de la Cour fédérale et que la Cour possède la compétence suffisante pour décider de l’objet de la requête. Pour lui, le fait que la procédure dans l’arrêt Toronto Star Newspapers Ltd., ci-dessus, ait été initiée par le Procureur général du Canada ne signifie pas qu’elle est obligatoire et qu’elle ne peut l’être uniquement par lui et qu’une partie au litige ne peut le faire de son initiative.

 

[29]      L’article 38 de la Loi crée un régime spécial et une procédure pour déterminer la divulgation de renseignements confidentiels, au moyen d’avis qui enclenchent la procédure prévue devant la Cour fédérale.

[30]      Le demandeur soutient que sa requête est bien fondée en droit au plan du véhicule procédural trouvant appui dans l’arrêt Mohammed c. ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration. Cette affaire concernait une requête en divulgation de preuve opposée pour des motifs de sécurité nationale, dans une demande de contrôle judiciaire du rejet, par un agent d’immigration, d’une demande de résidence permanente au Canada en vertu de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27. Le défendeur s’opposa à cette requête par une objection écrite pour des motifs de sécurité nationale. Le juge en chef Lutfy, le 11 octobre 2006 (IMM-7498-05), ordonna : (a) la tenue d’une audience ex parte à huis clos, et (b) l’audition publique de la requête du défendeur en présence des avocats des parties.

 

[31]      Le juge von Finckenstein a accueilli la requête et ordonné une « audience » de la requête en deux étapes : une audience publique et une audience « ex parte » (Mohammed c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, [2007] 4 R.C.F. 300). Pour justifier sa décision, il explique que la question à résoudre était celle de savoir qu’elle procédure s’appliquerait; soit celle prévue à l’article 38 de la Loi ou celle prévue aux articles 86 et 87 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. Il s’exprimait ainsi au paragraphe 23 de sa décision :

[23]     Les parties reconnaissent également que la procédure prévue à l’article 38 de la LPC est inutilement compliquée, qu’elle exigerait qu’une demande distincte soit présentée et qu’elle concernerait aussi une autre partie, le procureur général du Canada. Je suis d’accord avec elles et, comme les demandes de contrôle judiciaire doivent être traitées rapidement, j’écarte la procédure prévue par la LPC.

 

 

 

[32]      Cette optique a donné lieu à une autre thèse jurisprudentielle qui exige, dans une telle situation, le recours procédural prévu à l’article 38 de la Loi (voir Henrie, ci-dessus).

[33]      Dans l’affaire Henrie, le juge Addy de la Cour fédérale agissait comme juge désigné pour décider de l’opposition à la divulgation d’une preuve confidentielle pour des motifs de sécurité nationale tel que certifié par le ministre. Il a rejeté la demande fondée sur la règle 1402 des Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663, pour le motif, inter alia, que la question devait être décidée par la procédure prévue au paragraphe 36.2(3) de la Loi, telle qu’elle existait à l’époque.

 

[34]      Dans Toronto Star Newspapers Ltd., ci-dessus, le juge en chef Lutfy n’a pas eu à déterminer la question procédurale puisqu’il a procédé suite à l’avis de non-divulgation du Procureur général du Canada selon l’article 38 de la Loi. Le savant juge en chef écrit, au paragraphe 29 :

[29]     La demande présentée en vertu de l’article 38 doit être entendue par le juge en chef de la Cour fédérale ou le juge de cette dernière que le juge en chef désigne. Cette disposition existe depuis 1982 [art. 36.2].

 

 

 

[35]      Le juge en chef Lutfy procéda à l’audition du litige en vertu des articles 38 et suivants de la Loi pour décider de la question relevant de la Charte.

 

[36]      Dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Ribic, précité, la Cour d’appel fédérale ne s’est pas penchée directement sur l’aspect procédural soulevé, donc elle n’a pas laissé planer de doute à ce sujet.

 

[37]      À la lumière du texte et de l’objectif de l’article 38 de la Loi et du raisonnement de la deuxième thèse jurisprudentielle interprétant ce texte, je dois me rallier à cette interprétation. En conséquence la requête, telle que présentée, s’avère mal fondée.

[38]      Pour tous ces motifs, la Cour ordonne le rejet de la requête du demandeur telle que formulée et ordonne la suspension de l’instance pour permettre la présentation et la disposition d’une instance séparée pour déterminer la divulgation de la preuve par le juge en chef de la Cour fédérale ou un juge qu’il pourra désigner en vertu de l’article 38 de la Loi pour entendre le litige.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

ORDONNANCE

 

          La requête de la partie demanderesse est rejetée. La Cour ordonne la suspension de l’instance pour permettre la présentation et la disposition d’une instance séparée pour déterminer la divulgation de la preuve par le juge en chef de la Cour fédérale ou un juge qu’il pourra désigner en vertu de l’article 38 de la Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. (1985), ch. C-5, pour entendre le litige.

 

 

« Orville Frenette »

Juge suppléant

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-973-08

 

INTITULÉ :                                       HANI AL TELBANI c. LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA, LE MINISTRE DES TRANSPORTS, DE L’INFRASTRUCTURE ET DES COLLECTIVITÉS, TRANSPORTS CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 3 novembre 2008

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       L’honorable Orville Frenette

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 27 novembre 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Johanne Doyon                              POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

 

Me Linda Mercier

Me Bernard Letarte                             POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Doyon et Associés                                                        POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Montréal (Québec)

 

John H. Sims, c.r.                                                         POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

Sous-procureur général du Canada

 

 

 

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