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Date : 20090102

Dossier : DES-3-08

Référence : 2009 CF 3

[TRADUCTION FRANÇAISE]

 

Ottawa (Ontario) le 2 janvier 2009

Présent :  En présence de monsieur le juge Mosley

 

 

ENTRE :

AFFAIRE INTÉRESSANT un certificat signé en application

du paragraphe 77(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés

 (LIPR);

 

ET le dépôt de ce

certificat à la Cour fédérale en application du paragraphe

77(1) de la LIPR;

 

ET le dépôt de ce contrôle de la détention

de HASSAN ALMREI

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

TABLE DES MATIÈRES (par numéro de paragraphe) 

 

Introduction  1-2

 

Faits  3-25

 

Historique des procédures  26-43

 

Cadre légal  44-59

 

Questions préliminaires  60-93

 

Preuve 

 

  Témoins des ministres    94

 

  1. M. Marc Towaij  95-105

 

  2. Sukhvindar  106-157

 

  Témoins de M. Almrei

 

  1. David Stokes  158-160

 

  2. M. Chris Shannon  161-163

 

  3. M. Alexandre Trudeau  164-167

 

  4. M. Hassan Ahmed  168-172

 

  5. Tracey Thomas-Falconar  173-176

 

  6. M. Mustafa Fahmy  177-179

 

  7. M. Hafizur Rahman  180-183

 

  8. M. Thomas Quiggin  184-217



Observations

 

  Les arguments en faveur d’un maintien de la détention  218-226

 

  Les arguments en faveur d’une remise en liberté  227-234

 

 

Analyse  235-237

 

  1. Motifs de la détention 238-264.

 

  2. Durée de la détention 265-270.

 

  3. Motifs expliquant le retard dans les procédures de renvoi  271-273

 

  4. Durée prévue de la détention 274-275.

 

  5. Disponibilité de solutions alternatives à la détention  276-283

 

Conclusion  284-290

 

Introduction

 

  • [1] Hassan Almrei est détenu depuis octobre 2001 dans l’attente de son renvoi en raison du risque qu’il pose pour la sécurité nationale du Canada. Pour les motifs qui suivent, j’ai conclu que le maintien de sa détention ne peut plus être justifié et qu’il devrait être remis en liberté sous des conditions rigoureuses dans l’attente d’une décision quant au caractère raisonnable du certificat de sécurité en vertu duquel il est présentement détenu et, advenant que le caractère raisonnable du certificat soit établi, dans l’attente d’une décision quant à la possibilité de le renvoyer du Canada vers son pays d’origine ou vers un autre pays.

 

  • [2] Monsieur Almrei est détenu en vertu d’un certificat délivré le 22 février 2008. Les motifs sous-tendant la décision du ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration et du ministre de la Sécurité publique (les ministres) de délivrer le certificat seront examinés attentivement à une date ultérieure. La présente décision porte uniquement sur la question à savoir si M. Almrei devrait être détenu dans l’attente d’une décision à l’issue des procédures à l’encontre du certificat de sécurité. Ses antécédents, desquels découlent le certificat de sécurité délivré en 2001, ont été rigoureusement déclinés dans les décisions antérieures de notre Cour, de la Cour d’appel fédérale ainsi que de la Cour suprême du Canada. Je présenterai un résumé de l’historique du dossier afin de mettre en contexte le présent contrôle de la détention.

 

Faits

 

  • [3] Monsieur Almrei est né en 1974 en Syrie. Son père est déménagé en Arabie saoudite en 1980 où il a obtenu un poste d’enseignant. La famille l’y a rejoint en 1981. Le père de M. Almrei était membre des Frères musulmans, un mouvement profondément enraciné dans la communauté musulmane sunnite et ayant un passé d’opposition au gouvernement syrien. Par conséquent, le mouvement est interdit en Syrie. Les membres de sa famille ont été détenus pendant de longues périodes en Syrie en raison de leur participation à ce mouvement. Monsieur Almrei a terminé ses études secondaires en Arabie saoudite en 1992, puis il a été travailleur autonome.

 

  • [4] Selon la déclaration statutaire divulguée en novembre 2002 et son témoignage dans des procédures antérieures, il s’est rendu au Pakistan en 1990 pour joindre la résistance au régime communiste qui était resté en place en Afghanistan après son retrait de l’empire soviétique en 1989. Il est tombé malade, puis est retourné en Arabie saoudite sans se rendre an Afghanistan. Plusieurs mois plus tard, il est retourné au Pakistan et résidait dans un lieu d’hébergement et un camp contrôlé par Abdul Rasul Sayyaf, l’un des chefs de la résistance moudjahidines contre les Soviétiques et leur régime fantoche établi à Kaboul. Monsieur Sayyaf est ensuite devenu un membre du parlement afghan présumé proche du gouvernement Karzai.

 

  • [5] Monsieur Almrei a reçu une formation de base au fusil d’assaut AK-47 au camp de M. Sayyaf. Il a passé quelque temps dans ce pays comme imam; dirigeant les prières et enseignant le Coran. Il a quitté l’Afghanistan pour revenir étudier en Arabie saoudite. Environ un an plus tard, il est retourné au camp au Pakistan pendant plusieurs mois où il a, encore une fois, servi comme imam.

 

  • [6] Le gouvernement afghan a été chassé du pouvoir en 1992, grâce au soutien financier de l’Arabie saoudite et des États-Unis. En 1994, M. Almrei est retourné au Pakistan et au camp d’Ibn al-Khattab à Kundusz, Afghanistan, où l’ont effectuait des préparatifs pour mener le djihad au Tadjikistan. Monsieur Almrei y est resté pendant plusieurs mois avant de retourner en Arabie saoudite. Il est ensuite retourné à Kunduz, où il resta pendant cinq mois en 1995. Au cours de cette période, il s’est rendu deux fois au Tadjikistan et a participé à des missions de reconnaissance des postes russes. Il affirme ne pas s’être battu. Il est retourné en Arabie saoudite et a poursuivi une entreprise d’achat et de vente de miel. Ses dernières visites au Pakistan remontent à 1996 et 1997.

 

  • [7] Ibn al-Khattab a ultérieurement participé à l’insurrection à Chechnya, puis a été abattu par les Russes en 2002. Monsieur Almrei était demeuré en communication avec M. al-Khattab est avait obtenu des fonds pour lui avant de venir au Canada. Il est soutenu que M. al-Khattab et le groupe qu’il dirigeait était lié aux actes terroristes en Russie, bien que le principal intéressé eu nié toute implication dans ceux-ci.

 

  • [8] En 1998, M. Almrei a demandé un visa pour visiter le Canada, qui lui a été refusé. Il est ensuite arrivé au Canada en janvier 1999 muni d’un faux passeport des Émirats arabes unis (EAU), puis il a déposé une demande d’asile à titre de réfugié au sens de la Convention à son arrivée. La Commission de l’immigration et du statut de réfugié lui a accordé l’asile en juin 2000. Il a déposé une demande de résidence permanente en novembre 2000. Monsieur Almrei a attiré l’attention du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) peu après son arrivée au Canada. Il a été rencontré par le SCRS en octobre 2001 au bureau de son ancien avocat.

 

  • [9] Monsieur Almrei reconnaît qu’il n’a pas divulgué les détails de ses voyages au Pakistan, en Afghanistan et au Tadjikistan ni à la Commission ni dans sa demande de résidence permanent et ni dans sa rencontre avec le SCRS. Il admet qu’il possède un passeport émis par les Frères musulmans et s’être rendu au Canada muni d’un faux passeport. Il admet également qu’il détenu un faux permis de conduire koweïtien et un faux passeport yéménite. Il admet qu’il a aidé Nabil al-Marabh à se procurer un faux passeport et qu’il a dirigé d’autres personnes au fournisseur de faux permis de conduire. Nabil al-Marabh a été arrêté aux États-Unis, puis détenu et finalement expulsé vers la Syrie. Monsieur Almrei a reconnu avoir aidé une femme à contracter un faux mariage de convenance pour demeurer au Canada. Il nie faire partie d’un réseau de faussaires.

 

  • [10] Monsieur Almrei vivait et travaillait à Toronto lorsqu’un certificat a été délivré à son encontre en raison du risque qu’il posait pour la sécurité, signé par le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration et par le solliciteur général du Canada.

Le certificat déclarait que les ministres estimaient que, selon les rapports du renseignement qu’ils avaient reçus et examinés, M. Almrei appartenait à l’une des catégories visées au sous-alinéa 19(1)c.1)(ii), aux alinéas 19(1)c.2), d), e), f), g), j), k) ou l) ou au sous-alinéa 19(2)a.1)(ii) de la Loi sur l’Immigration, L.R.C. 1985, ch. I‑ 2, telle que modifiée (l’ancienne Loi). En somme, ces alinéas portent sur les personnes en regard desquelles on a des motifs raisonnables de croire qu’elles s’étaient livrées, ou qu’elles se livreraient, à des actes de terrorisme et qu’elles étaient membres d’une organisation qui avait commis, ou allaient commettre, des actes de terrorisme. Almrei a été arrêté, puis détenu le 19 octobre 2001, conformément au paragraphe 40.1(1) de l’ancienne Loi.

 

  • [11] Le dossier a ensuite été présenté à la Cour fédérale afin qu’elle détermine le caractère raisonnable du certificat. Les audiences se sont tenues en octobre et en novembre 2001. Suivant une décision voulant qu’il ne pouvait pas témoigner à huis clos, comme il l’avait demandé, M. Almrei s’est abstenu de produire une preuve dans cette procédure. La Cour a rendu la conclusion suivante à la lumière de la preuve produite en l’absence de M. Almrei et de son procureur dans le cadre d’une séance à huis clos :

Les renseignements confidentiels, que je ne puis divulguer, étayent fortement la thèse voulant que M. Almrei soit membre d’un réseau international d’extrémistes qui appuient les idéaux islamiques extrémistes épousés par Osama ben Laden et qu’il fasse partie d’un réseau de faussaires ayant des liens internationaux qui produit de faux documents.

 

Almrei (Re), 2001 CFPI 1288; [2001] A.C.F n° 1772, au paragraphe 31 (Almrei 1).

 

  • [12] Une mesure de renvoi a été prise à l’encontre de M. Almrei le 11 février 2002 après une enquête concluant qu’il était interdit de territoire à titre de membre d’une catégorie de personnes interdites de territoire pour les motifs énoncés dans le certificat. Monsieur Almrei a déposé une requête de contrôle de sa détention devant la Cour fédérale le 23 septembre 2002 en vertu du paragraphe 84(2) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR), lequel dispose :

Sur demande de l’étranger dont la mesure de renvoi n’a pas été exécutée dans les cent vingt jours suivant la décision sur le certificat, le juge peut, aux conditions qu’il estime indiquées, le mettre en liberté sur preuve que la mesure ne sera pas exécutée dans un délai raisonnable et que la mise en liberté ne constituera pas un danger pour la sécurité nationale ou la sécurité d’autrui.

 

 

  • [13] Le 13 janvier 2003, le délégué du ministre a émis un avis en vertu de l’alinéa 115(2)(b) de la LIPR concluant que M. Almrei posait un danger pour la sécurité du Canada et qu’il serait expulsé vers la Syrie, son pays d’origine. M. Almrei a déposé une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire, ainsi qu’une requête en sursis de son renvoi jusqu’à ce que sa demande de contrôle judiciaire soit entendue et réglée. La demande de sursis du renvoi a été retirée, le ministre s’étant engagé à ne pas renvoyer M. Almrei jusqu’à ce que la demande de contrôle judiciaire eût été traitée. Le contrôle de la détention a été suspendu sur consentement dans l’attente du contrôle judiciaire. En avril 2003, le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration a consenti à la demande, reconnaissant que des erreurs graves avaient été commises dans l’avis de danger.

 

  • [14] Le 23 octobre 2003, un deuxième délégué du ministre a conclu que M. Almrei ne risquait pas d’être tortoré s’il était renvoyé en Syrie. Subsidiairement, conclut-il, si M. Almrei risquait d’être torturé à son retour en Syrie, le renvoi demeurait justifié en raison du risque qu’il représentait pour la sécurité du Canada. Monsieur Almrei a déposé une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de cette décision et a obtenu un sursis de l’exécution de la mesure de renvoi.

 

  • [15] La décision quant à la demande de libération de M. Almrei a été retardée en raison de la contestation de l’avis de danger, puis les audiences ont repris et se sont terminées en janvier 2004. La Cour n’était pas convaincue que M. Almrei satisfait au critère permettant à le soustraire d’une mesure de son renvoie du Canada dans un temps raisonnable; puis elle a conclu que le demandeur n’était également pas parvenu à se décharger du fardeau de la convaincre, selon la prépondérance des probabilités, qu’il ne poserait aucun danger pour la sécurité nationale ou de toute personne, advenant sa remise en liberté. Monsieur Almrei a intenté une procédure de contestation des dispositions de la LIPR régissant la détention au motif qu’elles contrevenaient aux articles 7 et 12 de la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, soit l’annexe B de la Canada Act, 1982 (R.-U.), 1982, ch. 11 (Charte); qui a été rejetée : Almrei c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 420, [2004] A.C.F. no 509 (Almrei 2).

 

  • [16] Cette décision a été confirmée par la Cour d’appel fédérale dans Almrei c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 54, [2005] A.C.F. no 213 (Almrei 3). La Cour d’appel a établi de nombreux principes sur l’interprétation et l’application du paragraphe 84(2) de la LIPR et a opiné en faveur de la conclusion voulant que les motifs justifiant la mise en liberté de M. Almrei n’eussent pas été établis, puisqu’il n’a pas satisfait au critère selon lequel son renvoi n’aurait pas lieu dans un délai raisonnable. La Cour d’appel n’a pas jugé nécessaire d’examiner la question à savoir si M. Almrei poserait un risque ou non pour la sécurité nationale s’il était remis en liberté. Elle a tranché que même si elle présumait que la détention de M. Almrei constituait un traitement cruel et inusité contraire aux articles 7 et 12 de la Charte, la réparation demandée, soit la remise en liberté, n’était ni appropriée ni juste, comme l’exige l’article 24 de la Charte. Il a obtenu l’autorisation d’interjeter appel de cette décision devant la Cour suprême du Canada.

 

  • [17] La décision d’octobre 2003 d’un délégué du ministre voulant que M. Almrei ne soit pas à risque s’il était renvoyé en Syrie a été infirmée à l’issue du contrôle judiciaire en 2005. La Cour a conclu que la déléguée avait commis une erreur en omettant de tenir compte de la preuve documentaire indiquant que M. Almrei risquerait la torture ou un traitement cruel et inusité ou une peine s’il était renvoyé en Syrie et en appuyant son avis voulant qu’il soit un danger pour la sécurité des éléments de preuve dont elle ne disposait pas: Almrei c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 355, [2005] A.C.F. no 437 (Almrei 4).

 

  • [18] Monsieur Almrei a déposé une nouvelle demande remise en liberté en mai 2005. Après l’audition de la preuve et le dépôt d’observations exhaustives, et appliquant les principes établis par la Cour d’appel fédérale dans Almrei 3, notre Cour a conclu que l’intéressé avait établi que son renvoi n’était pas imminent et qu’il ne surviendrait pas dans un délai raisonnable. Toutefois, à la lumière du dossier public, la Cour a conclu que M. Almrei ne s’était pas déchargé du fardeau d’établir qu’il n’était ni un danger pour la sécurité du Canada ni pour quiconque, ou que, si danger il y avait, qu’il pouvait être neutralisé par les mécanismes prévus pour s’assurer du respect des conditions. Rejetant la demande, la Cour a résumé ses conclusions au paragraphe 432 de ses motifs :

La demande de mise en liberté est présentée en vertu du paragraphe 84(2) de la LIPR et c’est à M. Almrei qu’il incombe d’établir, selon la prépondérance des probabilités, qu’il ne sera pas renvoyé dans un délai raisonnable et qu’il ne constitue pas un danger pour la sécurité nationale ou pour la sécurité d’autrui. M. Almrei a entièrement fondé sa demande sur les motifs qu’il ne sera pas renvoyé dans un délai raisonnable et qu’il ne constitue pas un tel danger. Les critères prévus par cette disposition légale sont de nature conjonctive. M. Almrei a satisfait à un critère, mais pas à l’autre. La loi exige que sa demande soit rejetée. Il est toujours loisible à M. Almrei de demander encore une fois à être mis en liberté s’il peut établir un changement substantiel de circonstances. Il est également loisible à M. Almrei, en vertu du paragraphe 84(1) de la LIPR, de demander au ministre de le mettre en liberté pour qu’il soit renvoyé vers un autre pays que la Syrie.

 

Almrei c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1645, [2005] A.C.F. no 1994 (Almrei 5).

 

  • [19] L’appel de M. Almrei interjeté à l’encontre de la Cour d’appel fédérale (Almrei 3, précitée) a été fusionné à ceux interjetés par messieurs Adil Charkaoui et Mohammed Harkat, impliquant également des certificats de sécurité. Les motifs du jugement ont été émis par la Cour suprême du Canada le 23 février 2007 dans l’arrêt Charkaoui c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CSC 9, [2007] R.C.S. 350 (Charkaoui 1). La Cour suprême du Canada a conclu dans sa décision que le régime de la LIPR visant à déterminer le caractère raisonnable des certificats de sécurité et à contrôler la détention de personnes nommées ne protégeait pas adéquatement leurs intérêts en ce qui a trait à la remise de renseignements protégés à un juge désigné de la Cour fédérale dans le cadre de procédures à huis clos.

 

  • [20] En outre, la Cour suprême a déclaré que les procédures prévues par la LIPR et régissant la confirmation judiciaire des certificats de sécurités et les contrôles de détention des personnes nommées contrevenaient à l’article 7 de la Charte et ne pouvaient se justifier en vertu de l’article 1 de celle-ci. Conséquemment, les dispositions ont été invalidées et rendues inopérantes. Afin de permettre au Parlement d’apporter les modifications législatives nécessaires, la Cour suprême a suspendu son jugement en déclaration d’invalidité de la procédure régissant les certificats de sécurité pendant une période d’un an suivant la date du jugement. Passé ce délai, les certificats visant M. Almrei et toute autre personne ayant été dits « raisonnables » perdraient ce statut. Ainsi, tout certificat délivré par la suite devra être dit raisonnable conformément à la nouvelle procédure établie par le Parlement. De même, tout contrôle d’une détention postérieur à l’expiration de cette période sera effectué en conformité avec ce nouveau processus : (Charkaoui 1 au paragraphe 140).

 

  • [21] Cependant, la Cour suprême s’est abstenue de déclarer que la détention de personnes nommées pour des périodes prolongées enfreignait, en soi, les garanties prévues par la Charte, tant et aussi longtemps qu’elle était assortie « d’un processus qui offre la possibilité de faire contrôler régulièrement la détention ». Puis, elle a établi des consignes que doivent suivre les cours de révision (Charkaoui 1, paragraphes 110-123). La Cour a déterminé que la législation, rédigée telle quelle à l’heure actuelle, refusait une audience rapide aux étrangers de façon arbitraire et ainsi, contrevenait à l’article 9 de la Charte. La Cour a bricolé une réparation immédiate en radiant le paragraphe 84(2) de la Loi et en modifiant les modalités du paragraphe 83(2) afin d’accorder les mêmes droits à des contrôles de la détention réguliers et en temps opportuns aux étrangers qu’aux résidents permanents. Cette réparation n’était pas visée par la suspension de 12 mois de la déclaration d’invalidité.

 

  • [22] Par conséquent, la troisième demande de remise en liberté de M. Almrei a été examinée par notre Cour à la lumière des principes énoncés par la Cour suprême dans Charkaoui 1, mais avant l’entrée en vigueur des modifications législatives prévues par le Parlement. Dans Almrei c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1025, [2007] A.C.F. no 1292 (Almrei 6), notre Cour a statué, au paragraphe 56 de ses motifs, que M. Almrei devrait être remis en liberté étant donné la durée de sa détention et du fait que son renvoi du Canada ne serait pas réalisé dans un délai raisonnable. Toutefois, la Cour n’était pas convaincue, selon la prépondérance des probabilités, que les modalités et les conditions proposées permettraient de contenir ou d’atténuer le risque que représente le principal intéressé. Par conséquent, la demande a été rejetée.

  • [23] La solution législative à l’arrêt Charkaoui 1 a été adoptée à l’intérieur du délai d’un an prévu par la Cour suprême. La Loi modifiant la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (certificat et avocat spécial) et une autre loi en conséquence, L. C. 2008, ch. 3 (« projet de loi C-3 ») a reçu la sanction royale le 14 février 2008 et est entrée en vigueur le 22 février 2008. Les modifications à la LIPR édictées par le projet de loi C-3 prévoyaient la nomination d’avocats spéciaux qui seraient chargés de représenter les intérêts des personnes nommées dans les procédures à huis clos en lien avec les certificats de sécurité et aux procédures révisées de contrôle de la détention établies dans la LIPR.

 

  • [24] Les ministres ont signé un nouveau certificat au nom de M. Almrei et de quatre autres personnes à la date de l’entrée en vigueur des modifications à la LIPR au motif qu’ils représentaient un risque pour la sécurité, puis ont renvoyé ces certificats devant la Cour fédérale afin qu’ils soient révisés en vertu du paragraphe 77(1) de la LIPR, tel que modifié. En vertu des modalités des dispositions de transition prévues dans le projet de loi C-3, toute personne détenue en vertu d’un certificat de sécurité délivré antérieurement devait rester en détention et la Cour devait effectuer un contrôle des motifs du maintien de la détention dans les six mois. En date du 22 février 2008, seul M. Almrei était touché, étant détenu au Centre de surveillance de l’immigration à Kingston (le CSIK). Les autres détenus avaient été remis en liberté conditionnelle.

 

  • [25] Le 26 juin 2008, la Cour suprême a rendu un arrêt connexe quant aux divulgations dans les dossiers de certificats de sécurité. Cette décision survenait dans le contexte d’une controverse entourant la politique du SCRS prévoyait la destruction des notes et des dossiers d’origine de ses enquêtes. La Cour suprême a déclaré que le SCRS était soumis à une obligation de conserver lesdits dossiers et que les ministres devaient divulguer le dossier complet détenu par celui-ci au juge désigné par respect de l’équité procédurale. Le juge déterminera ensuite les renseignements qui seront divulgués à la personne visée et à son avocat, après expurgation le cas échéant. Almrei c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CSC 38, [2008] R.C.S. no 39 (Charkaoui 2).

 

Historique des procédures

 

  • [26] Les ministres ont déposé un avis de dépôt d’un certificat ainsi qu’un rapport de renseignements de sécurité, en version publique et top secrète, au greffe des instances désignées de la Cour fédérale le 22 février 2008. Le présent dossier, ainsi que tous les autres certificats de sécurité signés ce jour, a immédiatement été attribué aux fins d’être traité comme une instance à gestion spéciale. Les ministres ont déposé un rapport du renseignement de sécurité annoté (RRS) classé ultra-secret. Un sommaire public du RSS, intitulé résumé des informations, a été signifié à M. Almrei.

 

  • [27] S’en est suivi une série de conférences communes de gestion de l’instance et de directives et d’ordonnances générales afin de s’assurer de l’utilisation efficace et économique des ressources judiciaires et des locaux de la Cour. Des questions ont été soulevées quant à la nomination de l’avocat et des avocats spéciaux, ainsi que d’éventuels conflits d’intérêts qui nécessiteraient de la médiation. L’avocat inscrit au dossier de M. Almrei s’est retiré du dossier durant cette période; M. Almrei n’a pas été représenté formellement pendant quelques semaines tandis qu’il cherchait un nouvel avocat et réglait des questions financières.

 

  • [28] Le juge en chef a nommé le soussigné comme juge de l’instance des présentes le 6 mai 2008. Des mesures ont été entreprises pour dresser un plan du déroulement de l’instance à ce moment. Toutefois, M. Almrei a déposé une requête afin d’obtenir des fonds pour les honoraires de son avocat; celle-ci devait être entendue en juillet 2008. La Cour, dans l’attente du règlement de cette requête, a réglé plusieurs questions préliminaires avec la coopération de M. Almrei et de son avocat, toujours non inscrit au dossier. Monsieur Almrei a informé la Cour, lors d’une audience par téléconférence le 3 juin 2008, qu’il souhaitait faire nommer deux avocats spéciaux en son nom. Conséquemment, dans une ordonnance datée du 5 juin 2008, messieurs Paul Copeland et Gordon Cameron ont été nommés en qualité d’avocats spéciaux dans le présent dossier en vertu de l’alinéa 83(1)(b) de la LIPR.

 

  • [29] Suivant une discussion avec l’avocat des ministres, les avocats spéciaux et l’avocat putatif de M. Almrei, comparaissant sans préjudice, car la question financière n’avait toujours pas été réglée, une ébauche de plan de déroulement de l’instance a été émise sous direction de la Cour le 6 juin 2008 (révisé le 23 juin) établissant un échéancier des rencontres des avocats spéciaux avec M. Almrei et des examens des documents protégés et fixant les dates des audiences publiques et à huis clos.

 

  • [30] La question de financement, commune aux cinq certificats de sécurité, a été réglée dans le cadre d’une séance de médiation dirigée par le juge James Hugessen en juillet 2008. C’est à ce moment que l’avocat de M. Almrei a été formellement inscrit au dossier. Le 8 juin 2008, la Cour a confirmé que l’audience de contrôle de la détention de M. Almrei débuterait par une téléconférence le 20 août 2008, puis se terminerait au cours des semaines du 15 et du 29 septembre 2008.

 

  • [31] Sur consentement des parties, le contrôle de la détention a été ajourné en raison de nombreuses questions procédurales et de fonds n’ayant toujours pas été réglées, incluant une requête constitutionnelle quant aux communications entre les avocats spéciaux et M. Almrei et son avocat ayant été déposée le 22 juillet 2008.

 

  • [32] Le dossier a été envoyé en gestion d’instance pour être attribué à un juge puisque trois des autres personnes visées par des certificats de sécurité ont souhaité se joindre à titre d’intervenants à la requête constitutionnelle et ont accepté d’être liées par le résultat. Le juge en chef a entendu la requête en septembre et en octobre et a rendu sa décision le 3 novembre 2008.

 

  • [33] La décision tranchait plusieurs questions d’interprétation des lois, mais la contestation constitutionnelle a été rejetée au motif qu’elle était prématurée vue l’absence d’un fond factuel approprié : Re Almrei 2008 CF 1216, [2008] A.C.F. no 1488. Une demande de directives a été adressée à la Cour d’appel fédérale à savoir si un avis d’appel pouvait être déposé. Le 26 novembre 2008, le greffier de la Cour d’appel a reçu pour directive d’un juge de cette même Cour de ne pas accepter d’avis d’appel et de le retourner à l’avocat au motif que la décision du 3 novembre 2008 était interlocutoire et ne comporte aucun droit d’appel en vertu de l’article 79 de la LIPR.

 

  • [34] Comme mentionné, le contrôle de la détention de M. Almrei a été entrepris par téléconférence le 20 août 2008, puis a été ajourné avant de reprendre en septembre. Les audiences publiques n’ont pas pu procéder comme prévu en septembre en raison de conflits d’horaire avec d’autres procédures et de questions procédurales toujours non réglées. La Cour a tenu des audiences à huis clos les 29 et 30 septembre afin d’entendre les témoignages verbaux privés des témoins appelés par les ministères et contre-interrogés par les avocats spéciaux. Les ministres ont déposé un index classifié des notes opérationnelles conservées le 29 septembre 2008.

 

  • [35] La preuve produite par M. Almrei et les ministres quant au contrôle de la détention a été entendue lors d’audiences publiques les 2, 3, 8, 9, 14 et 15 octobre 2008, tandis que les observations verbales des parties ont été présentées le 20 octobre 2008. Les parties ont produit des observations écrites exhaustives.

 

  • [36] Monsieur Almrei a déposé des affidavits et la preuve verbale de sept cautions potentielles ainsi que le témoignage d’opinion d’un expert reconnu par la Cour. Les ministres ont appelé deux agents représentant l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) et le SCRS.

 

  • [37] D’autres audiences à huis clos se sont déroulées le 20 octobre 2008 et le 10 novembre 2008 afin de recevoir la preuve verbale des ministres ainsi que leurs observations verbales et celles des avocats spéciaux. Les ministres ont présenté d’autres observations écrites dans un document classifié faisant référence aux sources fermées devant notre Cour.

 

  • [38] Monsieur Almrei a produit une série de requêtes. Dans un avis daté du 30 septembre 2008, il souhaitait obtenir une ordonnance contraignant (a) le SCRS à divulguer ses notes opérationnelles; (b) le SCRS à dresser la liste des notes générées dans le cadre de son enquête sur le demandeur et détruites à ce jour; (c) les ministres à examiner les notes opérationnelles restantes et à réévaluer la pertinence du certificat de sécurité; et (d) les ministres à préparer et à produire un sommaire révisé du renseignement sur M. Almrei. Un avis de requête amendée a été déposé le 31 octobre 2008 ainsi qu’une requête en ordonnance annulant le certificat de sécurité et suspendant les procédures ou suspendant le certificat jusqu’à ce que l’information et le renseignement devant être divulgués, conformément à l’ordonnance de la Cour, le soit et eurent été examinés par les ministres.

 

  • [39] La requête du 30 septembre 2008 a été réglée en partie par l’ordonnance divulgation rendue le 10 octobre 2008, enjoignant les ministres et le SCRS à produire tous informations et le renseignement à propos de M. Almrei que le SCRS en a sa possession ou qu’il détient. Les éléments restants de cette requête ainsi que la requête amendée du 31 octobre 2008 étaient communs à une requête déposée dans le dossier DES-7-08 (Mahjoub). Conséquemment, cette requête a été acheminée à un juge de gestion de l’instance. Le 28 novembre 2008, à la suite de plusieurs conférences avec l’avocat, le juge en chef a rendu une ordonnance voulant qu’il fût inopportun de fixer une audience avant d’avoir examiné les documents devant être divulgués à la suite des ordonnances rendues dans les cinq procédures de certificats ministériels à la suite de l’arrêt Charkaoui 2.

 

  • [40] À l’ouverture de l’audience publique du 2 octobre 2008, M. Paul Copeland, avocat spécial, a été autorisé, en vertu du paragraphe 85.4(2) de la LIPR à communiquer avec l’avocat de M. Almrei en lien avec deux questions portant sur la divulgation et la poursuite du contrôle de la détention. Monsieur Almrei, après avoir reçu cette communication, a décidé de ne pas poursuivre la requête en suspension intérimaire pour le moment.

 

  • [41] Monsieur Almrei a déposé un avis de question constitutionnelle et un dossier de requête le 31 octobre 2008 contestant l’applicabilité de la norme de preuve des « motifs raisonnables de croire » de l’article 33 de la LIPR aux présentes procédures. La Cour a d’abord fixé les dates du débat aux 13 et 14 novembre 2008. Cependant, puisque cette norme de preuve est transférée à la détermination du caractère raisonnable d’un certificat de sécurité en vertu de l’article 78 de la LIPR, et que la Cour n’a pas estimé qu’il était nécessaire de trancher cette question à cette étape-ci, celle-ci a été remise au débat à la conclusion des audiences sur la preuve de cette partie des procédures.

 

  • [42] Les audiences se sont tenues à huis clos les 5 et 18 décembre 2008 afin de recevoir des éléments de preuve et des observations supplémentaires concernant les requêtes déposées par les avocats spéciaux pour la divulgation des renseignements expurgés des documents déposés à la Cour et la divulgation de renseignements ne faisant pas présentement partie du dossier de la Cour. Les décisions sur ces requêtes ont été prises en délibéré. La Cour n’a pas besoin de ces renseignements pour rendre une décision quant à la question du maintien de la détention de M. Almrei.

 

  • [43] Le 23 décembre 2008, les ministres ont produit des réponses initiales classifiées aux engagements de fournir d’autres renseignements pris en leur nom par l’avocat au cours des audiences à huis clos sur la preuve. J’ai lu ces renseignements dans la préparation des présents motifs. Certains de ceux-ci pourraient être divulgués à M. Almrei, mais ceci sera décidé ultérieurement à la suite de la réception des observations des ministres et des avocats spéciaux. Je suis convaincu que ces renseignements sont pertinents en regard du caractère raisonnable du certificat de sécurité, mais ils ne sont pas déterminants pour la décision sur la détention. J’ai également lu les documents de référence classifiés à l’appui du rapport de renseignement de sécurité et j’ai conclu qu’il n’était pas nécessaire à ce stade-ci de fournir des motifs en privé quant à ceux-ci et aux témoignages entendus en privé.

 

Le cadre légal

 

  • [44] Les procédures entourant les certificats de sécurité et les contrôles de la détention sont régies par l’article 9, partie 1 de la LIPR. Je soulignerai les dispositions législatives et la jurisprudence pertinentes à la présente décision.

 

  • [45] Le critère pour la remise en liberté se trouve maintenant au paragraphe 82(5). Il prévoit :

Lors du contrôle, le juge :

(a)  ordonne le maintien en détention s’il est convaincu que la mise en liberté sous condition de la personne constituera un danger pour la sécurité nationale ou la sécurité d’autrui ou qu’elle se soustraira vraisemblablement à la procédure ou au renvoi si elle est mise en liberté sous condition;

(b)  dans les autres cas, ordonne ou confirme sa mise en liberté et assortit celle-ci des conditions qu’il estime indiquées.

---------------------------

  On review, the juge

(a) shall order the person’s detention to be continued if the judge is satisfied that the person’s release under conditions would be injurious to national security or endanger the safety of any person or that they would be unlikely to appear at a proceeding or for removal if they were released under conditions; or

(b) in any other case, shall order or confirm the person’s release from detention and set any conditions that the judge considers appropriate.

 

  • [46] Le libellé est légèrement différent de l’ancien paragraphe 83(3) lequel prévoyait que « [l]'intéressé est maintenu en détention sur preuve qu’il constitue toujours un danger pour la sécurité nationale ou la sécurité d’autrui ou qu’il se soustraira vraisemblablement à la procédure ou au renvoi ». Le libellé actuel prévoit que le juge peut ordonner le maintien de la détention s’il est convaincu que les conditions de remise en liberté ne permettraient pas de répondre aux préoccupations de fuite et de sécurité. Il se veut le reflet de l’énoncé au paragraphe 119 de l’arrêt Charkaoui 1 voulant qu’un juge doive être convaincu « que le danger s’est dissipé ou qu’il peut être neutralisé par l’imposition de conditions ». [Je souligne.]

 

  • [47] Je remarque que le mot « injurious » a remplacé le mot « danger » dans la version anglaise du nouveau texte législatif en ce qui a trait au risque à la sécurité nationale. Le libellé du texte français demeure « un danger pour la sécurité nationale ». Je ne vois aucune différence de signification dans l’utilisation du mot « injurious » dans le texte en anglais.

 

  • [48] La Cour suprême du Canada a analysé la signification de l’expression « danger pour la sécurité nationale », telle qu’elle figurait dans l’ancienne Loi dans l’arrêt Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 1, [2002] R.C.S. no 3, au paragraphe 90 comme suit :

Ces considérations nous amènent à conclure qu’une personne constitue un « danger pour la sécurité du Canada » si elle représente, directement ou indirectement, une grave menace pour la sécurité du Canada, et il ne faut pas oublier que la sécurité d’un pays est souvent tributaire de la sécurité d’autres pays. La menace doit être « grave », en ce sens qu’elle doit reposer sur des soupçons objectivement raisonnables et étayés par la preuve, et en ce sens que le danger appréhendé doit être sérieux, et non pas négligeable.

 

  • [49] Le paragraphe 83(1) exige que le juge procède sans formalisme et selon la procédure expéditive autant que le permettent les circonstances et les considérations d’équité procédurale et de justice naturelle. Il incombe aux ministres d’établir que le dossier satisfait aux critères liés à la détention énoncés à l’article 83 : Charkaoui 1, paragraphe 100. Une fois que les ministres ont présenté un dossier à première vue solide, la personne visée doit présenter une preuve ou le risque lié au maintien de la détention : Zündel (Re), 2004 CF 1295, [2004] A.C.F. no 1564 au paragraphe 23.

 

  • [50] Notre Cour peut, et sur demande des ministres, entendre des renseignements et d’autres éléments de preuve en l’absence du public et de la personne visée et de son avocat si, de l’avis du juge, leur divulgation pourrait représenter un risque pour la sécurité nationale ou pour toute personne : alinéa 83(1)(c) de la LIPR.

 

  • [51] La Cour devra s’assurer que la personne visée reçoit un résumé des renseignements et des éléments de preuve lui permettant d’être suffisamment informé du dossier du ministre, mais excluant tout élément pouvant représenter un risque pour la sécurité la nationale ou de quiconque, selon le juge, en vertu de l’alinéa 83(1)(e). Le juge peut rendre une décision fondée sur lesdits renseignements et éléments de preuve, même si la personne visée n’a pas reçu de résumé de ceux-ci : alinéa 83(1)(i).

 

  • [52] Aux fins de cette section de la Loi, le mot renseignement s’entend comme tout renseignement criminel ou relatif à la sécurité et renseignement obtenu d’une source au Canada, du gouvernement d’un État étranger ou d’un organisme international : article 76.

 

  • [53] La Cour est autorisée, en vertu de l’alinéa 83(1)(h) à recevoir en preuve tout élément qui, de l’avis du juge, est digne de foi et utile, même s’il serait autrement inadmissible devant un tribunal de droit, et peut fonder sa décision sur cet élément. Ceci permet l’admission de preuve par ouï-dire, comme celle qui pourrait avoir été fournie par un informateur confidentiel ou un service du renseignement étranger.

 

  • [54] Dans le cadre d’un contrôle de la détention en vertu de la législation révisée, la Cour doit également tenir compte du fait que la Cour suprême a statué dans Charkaoui 1 que la détention à long terme en vertu d’un certificat de sécurité ne contrevenait pas aux articles 7 et 12 de la Charte tant et aussi longtemps qu’il existe un processus de contrôle régulier qui tienne compte de tous les facteurs pertinents. La Cour suprême a fait référence aux facteurs suivants, lesquels ne sont pas exclusifs, tirés de l’article 248 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227, aux paragraphes 111 à 116, de sa décision :

  • a) Les motifs de la détention

 

  1. Les ministres peuvent signer un certificat « pour raison de sécurité ou pour atteinte aux droits humains ou internationaux, grande criminalité ou criminalité organisée » (art. 77). La détention consécutive au dépôt d’un certificat est justifiée en raison d’un danger constant pour la sécurité nationale ou la sécurité d’autrui. Bien que les critères de la mise en liberté prévus à l’art. 83 de la LIPR incluent aussi la probabilité que l’intéressé se soustraira à la procédure ou au renvoi, un danger pour la sécurité nationale ou la sécurité d’autrui constitue un facteur plus important de justification du maintien en détention. Plus le danger est grave, plus la détention sera justifiée.

 

  • b) Le temps passé en détention

 

  1. Le temps déjà passé en détention est un facteur important, tant du point de vue de l’individu que de celui de la sécurité nationale. Plus la détention se prolonge, moins l’individu sera susceptible de demeurer un danger pour la sécurité : « [d]e l’imminence d’un danger, il se peut que celui-ci décline avec le passage du temps » : Charkaoui (Re), 2005 CF 248, par. 74. Le juge Noël a conclu que M. Charkaoui pouvait être mis en liberté sans danger parce que sa longue période de détention avait interrompu les rapports qu’il avait pu entretenir avec des groupes extrémistes. De même, la juge Dawson a fondé sa décision de remettre M. Harkat en liberté en partie sur le fait que, vu sa longue période de détention, il avait « ainsi cessé de pouvoir communiquer avec des membres du réseau islamiste extrémiste » : Harkat, 2006 CF 628, par. 86.

 

  1. Une longue période de détention suppose également que le gouvernement a eu le temps de rassembler les éléments de preuve établissant la nature du danger que pose le détenu. Si le fardeau de la preuve qui incombe au gouvernement peut être assez peu exigeant lors du contrôle initial de la détention (voir par. 93 ci-dessus), il doit être plus lourd lorsque le gouvernement a eu plus de temps pour faire enquête et documenter le danger.

 

  • c) Les raisons qui retardent l’expulsion

 

  1. Les juges appelés à contrôler la détention en attente de l’expulsion vérifient si le retard était attribuable au détenu ou au gouvernement : Sahin, p. 231. Lors de l’examen de la demande de mise en liberté de M. Almrei, la Cour d’appel fédérale a affirmé que le juge chargé de l’examen peut « ne pas tenir compte, en tout ou en partie, du délai résultant d’une procédure amorcée par le demandeur qui a pour effet précis d’empêcher la Couronne d’appliquer la loi dans un délai raisonnable » : Almrei, 2005 CAF 54, par. 58; voir également Harkat, par. 30. On ne devrait pas reprocher au gouvernement ou au détenu de se prévaloir, de façon raisonnable dans les circonstances, des dispositions applicables de la LIPR, ni reprocher au détenu une contestation raisonnable fondée sur la Charte. Par contre, il sera justifié de retenir un délai inexpliqué ou un manque de diligence contre la partie qui en est responsable.

 

  • d) La durée anticipée du prolongement de la détention

 

  1. Si l’expulsion sera précédée d’une longue détention ou s’il n’est pas possible de déterminer pendant combien de temps la détention se prolongera, ce facteur jouera en faveur de la mise en liberté.

 

  • e) L’existence de solutions de rechange à la détention

 

  1. Des conditions de mise en liberté rigoureuses, comme celles imposées à M. Charkaoui et à M. Harkat, restreignent fortement la liberté individuelle. Toutefois, elles sont moins sévères que l’incarcération. Les solutions de rechange à une longue détention consécutive à un certificat, telles de sévères conditions de mise en liberté, ne doivent pas être disproportionnées par rapport à la nature du danger.

 

 

  • [55] Dans Almrei 6, précitée, au paragraphe 23, la Cour a dit que « pour savoir si les conditions de la mise en liberté réduiront le danger pour la sécurité du Canada posé par un détenu, il faut évaluer la prépondérance des probabilités ».

 

  • [56] La Cour suprême, examinant le rôle du juge désigné dans les dossiers de certificat de sécurité, a fait remarquer que le paragraphe 82(1) de la Loi, tel qu’il était rédigé, prévoyait que les ministres pouvaient décider de placer en détention en résident permanent s’ils avaient des « motifs raisonnables de croire ». Elle a conclu « [...] [qu’i]l est logique de penser [...] » que la même norme serait utilisée lors des révisions subséquentes par un juge désigné : Charkaoui 1, paragraphe 39 [je souligne].

 

  • [57] La norme des « motifs raisonnables de croire » exige davantage qu’un simple soupçon, mais reste moins stricte que la prépondérance des probabilités applicable en matière civile. La Cour doit tenir du compte de l’existence, ou non, d’un fondement objectif à la conclusion reposant sur des renseignements concluants et dignes de foi : Mugesera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC 40, [2005] R.C.S. n° 39, au paragraphe 114.

 

  • [58] M. Almrei a signifié qu’il avait l’intention de contester cette norme en regard de la Charte. Il soutient que cette norme impose un fardeau trop faible aux ministres pour justifier le caractère raisonnable d’un certificat. Toutefois, aux fins du présent contrôle de la détention, j’ai appliqué la norme des « motifs raisonnables de croire » afin de rendre ma décision à savoir si la remise en liberté sous condition de M. Almrei représentait un danger pour la sécurité nationale.

  • [59] Je remarque que la Cour suprême a mentionné la nécessité pour le juge désigné d’examiner attentivement les motifs de la détention : « [l]a LIPR n’impose pas une grande retenue au juge désigné, mais l’oblige à procéder à un examen approfondi ». De plus, « le fait que le juge désigné ait accès à plus de renseignements que les ministres n’en avaient à leur disposition pour prendre leur décision initiale de délivrer un certificat et de mettre l’intéressé en détention porte à croire que le juge est relativement bien placé pour apprécier les questions en litige et ne se contente pas d’entériner machinalement cette décision » : Charkaoui 1, aux paragraphes 39 et 41.

 

Questions préliminaires

 

  • [60] Monsieur Almrei a déposé son propre affidavit à l’appui de sa demande de remise en liberté le 22 août 2008. Dans ses observations écrites, il a demandé des ordonnances voulant que (a) il ne soit pas contre-interrogé sur des questions ne figurant pas dans on affidavit assermenté; (b) les transcriptions des procédures et des décisions antérieures de notre Cour dans celles-ci ne soient pas admissibles dans la révision; et (c) les conclusions factuelles antérieures de notre Cour quant au danger que représente présumément M. Almrei et à sa crédibilité ne contraignent pas la Cour dans l’espèce.

 

Portée du contre-interrogatoire

 

  • [61] Monsieur Almrei soutient qu’il serait injuste de permettre aux ministres de le contre-interroger sur les fondements des allégations de fond son encontre puisqu’on ne lui a pas suffisamment divulgué le dossier de celles-ci. Il soutient qu’il faudrait suivre le modèle d’enquête sur remise en liberté provisoire prévue à l’article 518 du Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C-46, lequel limite le contre-interrogatoire en regard du témoignage de l’intéressé aux questions portant sur sa détention et sa remise en liberté. Ainsi, par analogie, il ne devrait pas être contre-interrogé sur des questions portant sur sa dangerosité ou sa crédibilité, mais devrait être autorisé à produire une preuve et être contre-interrogé en regard des questions portant sur sa remise en liberté et ses cautions.

 

  • [62] Advenant que la Cour décide que la portée du contre-interrogatoire lors du contrôle de la détention peut s’étendre aux allégations elles-mêmes, M. Almrei soutient que la Cour ne devrait pas tirer de conclusion défavorable de sa réticence à témoigner dans ledit contrôle étant donné qu’il devra témoigner sous peu au cours de l’audience sur le caractère raisonnable du certificat de sécurité.

 

  • [63] Les transcriptions et les décisions des audiences antérieures devraient être exclues, selon les observations de M. Almrei, car elles ont eu lieu dans le cadre d’une procédure dite fondamentalement inéquitable par la Cour suprême dans Charkaoui 1, et dénuée des avantages des obligations de divulgations reconnues dans Charkaoui 2. Monsieur Almrei soutient qu’il a témoigné au cours des audiences antérieures dans un contexte où on lui avait divulgué que très peu de renseignements et où il ne connaissait pas le dossier à son encontre. Bien que la présence des avocats spéciaux puisse rehausser l’équité de l’audience, elle ne rendra pas le processus aussi équitable dans la mesure où il l’aurait été eut-il eu accès à toute la preuve à son encontre.

 

  • [64] Du même souffle, M. Almrei avance que les conclusions factuelles quant à sa dangerosité et à sa crédibilité de notre Cour dans ses demandes antérieures de remise en liberté ne peuvent pas être contraignantes puisqu’elles ont été rendues dans le cadre d’une procédure inconstitutionnelle. En outre, le caractère « raisonnable » du certificat de sécurité de M. Almrei a été mis de côté. Par conséquent, et jusqu’à ce que la question du caractère raisonnable eût été entendue et tranchée à nouveau à l’issue d’un processus constitutionnel, les conclusions antérieures ne devraient pas être utilisées, estime-t-il.

  • [65] À l’audience du 2 octobre 2008, l’avocat de M. Almrei a clarifié que son objection à l’utilisation des transcriptions s’étendait uniquement aux parties qui portent sur l’interrogatoire ou le contre-interrogatoire de son client.

 

  • [66] Les ministres ont soutenu qu’un contre-interrogatoire en regard d’un affidavit ne se limitait pas à son texte et que l’admission d’un dossier antérieur à une procédure n’est pas interdite à condition que le décideur actuel rende sa décision selon la preuve produite et ni n’adopte ni ne se sente contraint par les conclusions d’un tribunal antérieur. La question à savoir si M. Almrei constitue un danger pour la sécurité nationale du Canada est toujours d’actualité dans le présent contrôle de la détention. Sa crédibilité en tant que témoin est en cause et justifie un contre-interrogatoire. Il lui était loisible de ne pas témoigner et la contraignabilité n’était pas en cause, car les ministres n’avaient pas indiqué qu’ils avaient l’intention d’appeler M. Almrei à la barre des témoins.

 

  • [67] Acceptant la prétention de M. Almrei voulant qu’ils eussent le fardeau initial dans le contrôle de la détention, les ministres ont soutenu que le fardeau de preuve incombait à M. Almrei une fois qu’ils avaient produit la preuve de ses associations et ses activités antérieures et du danger qu’ils estimaient qu’il continuait à représenter. Monsieur Almrei doit alors démontrer que la preuve des ministres n’est pas crédible et qu’elle n’établit pas qu’il constitue un risque pour la sécurité nationale du Canada ou que sa détention a considérablement réduit la menace dans la mesure où il devrait être remis en liberté. Ceci, de l’avis des ministres, nécessite non seulement que M. Almrei avance la preuve, mais qu’il témoigne et soit contre-interrogé.

 

  • [68] Un contrôle de la détention n’est ni identique ni analogue à un procès criminel, estiment les ministres. Un inculpé a le droit, en vertu de l’alinéa 11(c) de la Charte, de ne pas être contraint de témoigner contre lui-même dans toute poursuite intentée contre lui pour l’infraction qu’on lui reproche. Cette garantie ne vise pas à s’appliquer aux procédures civiles : R. c. Wooten, [1983] B.C.J. no 2039, 5 D.L.R. (4th) 371 au paragraphe 6. Tout en reconnaissant les conséquences graves pour la personne visée dans une procédure de sécurité, la Cour suprême du Canada a tout de même maintenu que la détermination du caractère raisonnable d’un certificat de sécurité « se situe dans un contexte différent de celui du procès pénal ». Charkaoui 2, précité, au paragraphe 50.

 

  • [69] Gardant à l’esprit la consigne législative figurant au paragraphe 83(1)(a) de la Loi visant à procéder sans formalisme et selon la procédure expéditive lorsque les circonstances et les considérations d’équité et de justice naturelles le permettent, j’ai rendu une décision à l’audience à la fin des observations verbales, et après avoir tenu compte des observations écrites et verbales. J’ai précisé qu’elle serait ultimement retranscrite avec les références à la jurisprudence.

 

  • [70] Ma décision était, en résumé, comme suit :

    1. Monsieur Almrei pouvait choisir de s’abstenir de témoigner dans le cadre du contrôle de la détention.

    2. S’il choisissait de témoigner, il serait loisible à l’autre partie de le contre-interroger sur les questions devant notre Cour.

    3. Si son affidavit demeurait en preuve devant la Cour, il pourrait être contre-interrogé par l’avocat du gouvernement sur celui-ci et l’exercice ne serait pas limité au contenu de l’affidavit et pourrait porter sur toutes les questions devant notre Cour en lien avec le contrôle de la détention.

    4. En règle générale, les témoins ne peuvent être protégés contre des affirmations incohérentes formulées sous serment dans le cadre d’une procédure judiciaire.

    5. On ne peut interdire à une partie opposée d’utiliser les transcriptions d’un témoignage antérieur à des fins de contre-interrogatoire à moins qu’il soit démontré que ce procédé ne respecte pas l’équité procédurale ou qu’un défaut d’équité procédurale naisse de l’utilisation d’une affirmation particulière.

    6. Le principe de courtoisie judiciaire pourrait survenir dans le contexte d’un jugement sur un point de droit, mais je ne m’estime pas lié par les conclusions factuelles rendues par mes collègues dans le cadre de procédures antérieures.

    7. Si M. Almrei choisit de ne pas témoigner à l’audience sur le contrôle de la détention, je ne tirerai pas de conclusion défavorable de sa décision à ce stade-ci des procédures.

 

  • [71] L’article 83 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 prévoit le droit de contre-interroger le déposant d’un affidavit signifié avec une demande. L’article est muet quant à la portée du contre-interrogatoire permis. La jurisprudence indique que le contre-interrogatoire ne se limite pas au texte même de l’affidavit tant que les questions sont pertinentes, justes et dirigées sur un élément de la procédure ou la crédibilité du demandeur : Merck Frosst Canada Inc. c. Canada ((Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social), [1994] A.C.F. no 662, 55 C.P.R. (3d) 302 (C.A.F.), autorisation d’interjeter appel à la CSC refusée (1995), 58 C.P.R. (3d) vii (note); Zundel c. Canada (Procureur général), [1998] A.C.F. no 1365, 157 F.T.R. 59; Sawridge Band c. Canada, 2005 CF 865, [2005] A.C.F. no 1087.

 

  • [72] Le même principe s’applique généralement lorsqu’un témoin présente un témoignage verbal à une audience. Il existe des limites à ce principe, notamment dans le contexte pénal, lorsque le contre-interrogatoire minerait le droit de l’accusé à un procès équitable : R. c. Corbett, [1988] S.C.J. no 40, [1988] 1 R.C.S. 670. Cependant, advenant qu’un inculpé témoigne volontairement dans une procédure antérieure, la Couronne pourrait utiliser ce témoignage pour le contre-interroger au procès à toutes les fins : R. c. Henry, 2005 CSC 76, [2005] S.C.J. no 76. Le droit de contre-interroger en regard d’énoncés antérieurs incohérents est régi par les articles 10 et 11 de la Loi sur la preuve au Canada, L.R., 1985, ch. C-5.

 

  • [73] À mon sens, la teneur de l’équité procédurale dans le contexte des procédures de contrôle de la détention n’exige pas que la personne visée soit protégée d’un contre-interrogatoire sur des questions portant sur sa dangerosité. En outre, la dangerosité, au sens du danger pour la sécurité nationale ou la sécurité de toute personne, est au cœur même de la décision que doit rendre un juge dans le cadre d’un contrôle de la détention : alinéa 82(5)(a) de la Loi.

 

  • [74] Qui plus est, ces procédures ne sont pas analogues aux enquêtes de remise en liberté prévues par le Code criminel, dont l’équité commande que le contre-interrogatoire soit limité aux sujets que la personne visée choisit d’aborder dans son témoignage ou de déposer en preuve, comme les conditions de sa remise en liberté. Une personne faisant face à une accusation criminelle dispose du droit absolu au silence et ne peut être contrainte à produire une preuve à son encontre : Charte, alinéa 11(c). Cette garantie prévue par la Charte ne s’étend pas aux procédures en regard aux certificats de sécurité, car elle vise uniquement les personnes accusées d’une infraction. De plus, il est expressément interdit de contre-interroger un accusé en lien avec l’accusation au cours d’une enquête sur remise en liberté : alinéa 518(1)(b) du Code criminel, L.R., 1985, ch. C-46. Bien qu’il ne soit pas nécessaire de trancher cette question, car les ministres n’ont pas insisté sur celle-ci, M. Almrei pourrait, théoriquement, être contraint à témoigner : voir, par exemple, Martineau c. Canada (Ministre du Revenu national), 2004 CSC 81, [2004] 3 R.C.S. 737.

 

  • [75] Dans l’espèce, la question à savoir si M. Almrei constitue un danger pour la sécurité nationale du Canada et de sa crédibilité est toujours d’actualité dans le présent contrôle de la détention. Conséquemment, advenant qu’il témoigne ou soumette son affidavit, je conclus que les ministres ont le droit de contre-interroger M. Almrei en lien avec ces questions et en s’appuyant sur ses affirmations et ses témoignages antérieurs, sous réserve des limites de la pertinence et de l’équité.

 

  • [76] Comme l’ont soutenu les ministres, le fait que les procédures précédentes eurent été dites inéquitables par la Cour suprême dans l’arrêt Charkaoui 1 n’équivaut pas à conclure que la preuve utilisée dans celles-ci ne peut pas être utilisée dans une audience subséquente. Comme l’a indiqué le juge Rothstein (alors juge puîné) dans Sawridge Band c. Canada, 2001 CAF 338, [2001] A.C.F. no 1684 au paragraphe 5-6 dans le contexte d’un procès empreint d’une crainte raisonnable de partialité, la preuve « n’est pas annulée ». Une partie pourrait s’opposer à l’utilisation de la preuve si elle estimait qu’elle susciterait un défaut d’équité procédurale; néanmoins, elle demeure admissible en principe.

 

  • [77] Dans le contexte du droit de l’immigration, la Cour d’appel fédérale a rejeté l’argument voulant qu’un comité effectuant la réaudition d’une demande d’asile ne puisse pas lire la décision erronée antérieure du premier comité ou examiner les pièces et la preuve transmises à la première audience : Lahai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 119, [2002] A.C.F. no 444 au paragraphe 19

 

  • [78] Bien qu’il ne s’agisse pas d’une matière pénale, les considérations de justice fondamentale prévue à l’article 7 de la Charte s’appliquent à l’espèce. Dans Charkaoui 2, au paragraphe 53, la Cour a tenu les propos suivants :

L’application des garanties constitutionnelles accordées par l’art. 7 de la Charte ne dépend toutefois pas d’une distinction formelle entre les différents domaines du droit. Elle dépend plutôt de la gravité des conséquences de l’intervention de l’État sur les intérêts fondamentaux de liberté, de sécurité et parfois de droit à la vie de la personne. Par sa nature, la procédure des certificats de sécurité peut mettre gravement en péril ces droits [...]

 

  • [79] La Cour suprême a estimé qu’il était nécessaire, en raison des précédentes, de reconnaître l’obligation de divulguer la preuve dans les dossiers de certificats de sécurité d’une façon qui respecte des limites cohérentes eu égard aux intérêts légitimes de sécurité publique. À mon sens, l’équité procédurale en droit administratif ou dans la justice fondamentale prévue à l’article 7 de la Charte n’exige pas que M. Almrei soit protégé contre un contre-interrogatoire advenant qu’il choisisse de témoigner. Toutefois, M. Almrei n’a toujours pas pu se prévaloir de la divulgation prévue dans l’arrêt Charkaoui 2. En outre, l’ensemble complet des dossiers du SCRS n’a toujours pas été ni révélé à notre Cour ni « vérifié » et filtré par celle-ci, au besoin, pour protéger les intérêts de la sécurité nationale comme l’entrevoit la Cour suprême au paragraphe 62 de Charkaoui 2.

 

  • [80] Les ministres soutiennent que le défaut de témoigner de M. Almrei dans le cadre de la procédure de contrôle de la détention devrait avoir une incidence considérablement défavorable à son encontre, étant donné la réparation demandée, à l’instar de la conclusion de la Cour à la première audience sur le caractère raisonnable. En outre, elle avait conclu qu’il s’agissait d’une admission implicite des allégations à son encontre : Almrei 1, précitée.

 

  • [81] Je partage l’avis des ministres voulant que la règle générale permette aux décideurs de tenir compte du fait qu’une partie a choisi de ne pas témoigner. Par contre, la Cour suprême a conclu que la question de la pleine divulgation à M. Almrei relevait du principe justice fondamentale; or, ladite divulgation n’a pas encore eu lieu. Conséquemment, j’ai décidé que je ne tirerais pas de conclusion défavorable de son omission de témoigner et de se soumettre à un contre-interrogatoire à ce stade-ci des procédures. En termes clairs, advenant que M. Almrei refuse de témoigner et de se soumettre à un contre-interrogatoire à l’audience sur le caractère raisonnable, comme il l’a fait par le passé, il devra assumer le risque que cette décision lui soit défavorable.

 

  • [82] Le juge Ouseley de la Haute Cour de justice d’Angleterre et du Pays de Galles, dans un dossier analogue émanant du régime d’ordonnances de contrôle, est parvenu à une conclusion semblable : Secretary of State for the Home Department c. A.F, [2007] EWHC 651, révisée sur d'autres motifs SSHD c. MB and AF [2007] UKHL 45. Dans ce dossier, l’avocat de la personne touchée avait demandé une décision anticipée sur la portée du contre-interrogatoire qui serait autorisé si son client témoignait. Le juge Ouseley a refusé de limiter la portée du contre-interrogatoire, mais a tenu les propos suivants au paragraphe 61 :

[traduction]

Toutefois, si AF décidait de ne pas produire une preuve, j’ai conclu que je n’en tirerai pas de conclusion défavorable, majoritairement pour les motifs que j’ai énoncés dans Ajouaou, A and others c SSHD 29 octobre 2003 [...] en bref, la norme de preuve qui incombe au SSHD n’est pas élevée; il doit établir son dossier en regard de celle-ci avant d’invoquer quoi que ce soit qui nécessite une réponse. Il ne peut pas franchir ce seuil en s’appuyant sur le silence d’AF ou sur son refus de répondre à des questions; tout comme AF ne connaît pas l’importance des questions qui pourraient émaner de documents protégés ou viser à établir une contradiction qu’il ne peut aborder, voire savoir, à moins d’avoir eu la chance de l’anticiper. Ainsi, ses réponses risquent d’être inconsciemment incomplètes. Par ailleurs, il est évident dans l’espèce que l’essence du dossier repose sur les documents protégés; or il ne connaît pas la preuve que détient le SSHA à son encontre [...]

 

  • [83] Il s’agit de circonstances semblables à l’espèce. Les ministres ont le fardeau de preuve initial et doivent établir leur dossier avant de demander à M. Almrei d’y répondre. Il ne connaît pas l’importance des renseignements figurant dans les dossiers fermés qui le concernent, et pourrait bénéficier d’une divulgation plus approfondie à une étape ultérieure des procédures, advenant que la Cour détermine que d’autres documents devraient être rendus publics. Conséquemment, il serait prématuré de tirer quelque conclusion que ce soit de son silence.

 

Courtoisie judiciaire

 

  • [84] Comme je l’ai mentionné précédemment dans ma décision à l’audience le 2 octobre 2008, bien que le principe de courtoisie judiciaire pourrait survenir dans le contexte d’un jugement particulier sur un point de droit, je ne suis pas estimé lié par les conclusions factuelles rendues par mes collègues dans le cadre de procédures antérieures.

 

  • [85] Mon collègue, le juge François Lemieux, s’est penché sur l’application du principe de courtoisie judiciaire au contexte des certificats de sécurité dans la troisième demande de remise en liberté de M. Almrei, précitée commeAlmrei 6, aux paragraphes 61-62 de ses motifs. Il a décrit ce principe comme signifiant qu’une décision essentiellement semblable qui est rendue par un juge de notre Cour devrait être adoptée dans l’intérêt de favoriser la certitude du droit. Glaxo Group Ltd., c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social), [1995] A.C.F. no 1430, 103 F.T.R. 1; Eli Lilly and Co. c. Novopharm Ltd., [1996] A.C.F. no 576, 197 N.R. 291; Re Hansard Spruce Mills Ltd., [1954] B.C.J. no 136, [1954] 4 D.L.R. 590. Le juge Lemieux a cité les exceptions suivantes ayant été reconnues par la jurisprudence :

 

  1. Les cas où l’ensemble de faits ou les éléments de preuve ne sont pas les mêmes pour les deux causes;

  2. Les cas où la question à trancher est différente;

  3. Les cas où la décision antérieure n’a pas examiné la loi ou la jurisprudence qui auraient donné lieu à un résultat différent, c’est-à-dire lorsque la décision était manifestement erronée;

  4. Les cas où la décision suivie créerait une injustice.

 

 

  • [86] Les ministres ont vigoureusement soutenu que je devrais adopter et appliquer les conclusions de faits de mes collègues rendues dans les demandes antérieures. Plus particulièrement, ils soutiennent que la courtoisie judiciaire exige qu’un juge, qui n’a pas eu l’avantage d’entendre le témoignage directement d’une personne, adopte les conclusions sur la crédibilité rendues par les juges qui le précèdent qui, eux, ont eu l’occasion d’évaluation le témoignage de ladite personne.

 

  • [87] Les ministres soutiennent qu’il n’est pas rigoureusement exact de décrire un contrôle de la détention comme une nouvelle audience, citant la décision de la Cour d’appel du Canada dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Thanabalasingham, 2004 CAF 4, [2004] 3 F.C.R. 572. La décision Thanabalasingham portait sur un contrôle de la détention effectué par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié. La Cour d’appel a souscrit à la position du ministre voulant que bien que le décideur ne soit pas lié par les décisions antérieures reliées à la détention, il devait y avoir des motifs clairs et convaincants pour s’en détacher. Voir également Sittampalam c. Canada (Solliciteur général), 2005 CF 1352, [2005] A.C.F. no 1734 au paragraphe 19 et Charkaoui (Re), 2003 CF 882, [2004] 1 F.C.R. 528 au paragraphe 36.

 

  • [88] Monsieur Almrei soutient que la Cour n'est dans la même position quant les procédures antérieures. Elles ont été menées dans le cadre d’une procédure dite contraire à la justice fondamentale. Comme l’a statué la Cour suprême dans Charkaoui 1 au paragraphe 66, le secret exigé par l’ancien régime législatif privait la personne visée de l’occasion de connaître la preuve contre elle et, conséquemment, de contester le dossier du gouvernement. La capacité d’un juge à parvenir à une décision fondée sur tous les faits pertinents et le droit était ainsi grandement minée. Cette conclusion s’applique aux procédures de contrôle de la détention ainsi qu’aux décision quant au caractère raisonnable d’un certificat de sécurité.

 

  • [89] La jurisprudence indique que le point de vue généralement accepté est celui voulant que la Cour ne soit pas liée par une décision lorsque celle-ci, si elle était suivie, entraînerait une injustice grave ou que des décisions subséquentes ont affecté la validité du jugement contesté : Glaxo Group, précitée, au paragraphe10; Re Hansard, précitée, aux paragraphes 4-5.

 

  • [90] J’ai eu l’occasion de lire les transcriptions des procédures antérieures dans le cadre de plusieurs requêtes émanant de l’espèce. Les juges qui ont traité ces demandes ont attentivement examiné la preuve produite dans celles-ci, tant dans les audiences publiques qu’à huis clos. Leur interrogatoire méticuleux des témoins et du gouvernement et leur analyse de la preuve ont permis de circonscrire le dossier qui m’est présenté de façon considérable et nous ont facilité la tâche, aux avocats spéciaux et à moi-même. Les ministres n’ont pas souligné les éléments de preuve ou les arguments dans les procédures de ces juges qui seraient nécessaires à l’espèce.

 

  • [91] Par contre, les trois décisions antérieures ne bénéficiaient pas des changements procéduraux et de fond qui sont survenus à la suite de Charkaoui 1 et des modifications législatives. En outre, il n’y avait aucun avocat spécial pour remettre en question la qualité de la preuve confidentielle afin de rehausser l’examen attentif par les juges de la preuve devant eux. De plus, et plus important encore, la preuve devant moi est différente, y compris par l’introduction d’une preuve d’opinion d’expert pour contrer les hypothèses sous-tendant l’évaluation par le SCRS de l’environnement de la menace et des risques allégués que représente M. Almrei. Certains volets de la matrice factuelle sous-jacente n’ont pas été avancés par les ministres, contrairement aux audiences antérieures. Les ministres ont communiqué plus de renseignements à la personne visée dans l’espèce et d’autres divulgations des dossiers du SCRS ont été ordonnées.

 

  • [92] Bien que les allégations à l’encontre de M. Almrei demeurent essentiellement les mêmes, voire qu’elles fussent essentiellement figées dans le temps à la date de son arrestation, la preuve que j’ai entendu à l’appui de sa demande de remise en liberté présente une interprétation différente des faits et des événements qui sous-tendent l’évaluation que fait le gouvernement de ses actions et des intentions. Je dois examiner la preuve et parvenir à mes propres conclusions. La loi exige que je détermine s’il est justifié de maintenir sa détention. Je ne pourrais faire justice à M. Almrei si je devais simplement adopter les conclusions factuelles de mes collègues quant au risque qu’il représente pour la sécurité nationale, ou m’esquiver, plutôt que de parvenir à mes propres conclusions.

 

  • [93] Toutefois, je partage l’avis des ministres voulant que les conclusions défavorables de mes collègues quant à la crédibilité de M. Almrei soient pertinentes à l’espèce, à l’instar du fait qu’il eut caché des renseignements à la CISR, au SCRS et à CIC dans le but d’obtenir le statut de réfugié au sens de la Convention ainsi que sa résidence permanente. Le fait que M. Almrei eut menti par déni ou omission de faits, qu’il a ensuite admis, et qu’il eut été établi qu’il n’a pas été franc dans ses témoignages antérieurs devant notre Cour est directement en lien avec la question à savoir si on peut avoir confiance qu’il respecter les conditions de sa remise en liberté. Comme l’ont conclu mes collègues, ceci pourrait venir appuyer le maintien de sa détention, tandis que d’autres facteurs sont plus équilibrés.

 

La preuve

 

Témoins des ministres :

 

  • [94] Les présents motifs ne mentionneront que la preuve avancée par les ministres à l’audience publique. En plus des deux témoins dont la preuve sera décrite dans les présentes, la Cour a entendu plusieurs témoins à huis clos. La preuve documentaire et par témoignage reçue en privé a été prise en compte dans ma décision, mais je ne l’aborderai pas dans les présents motifs.

 

1. M. Marc Towaij

 

  • [95] Monsieur Towaij agit présentement en qualité de directeur intérimaire de la Division de la sécurité nationale à la Direction générale de l’exécution de la loi de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) à Ottawa. En qualité de directeur intérimaire, il est responsable de toutes les mesures de renvoi intentées en vertu des articles 34, 35 et 37 de la LIPR. Il occupe ce poste depuis trois ans, mais est à l’emploi du gouvernement fédéral depuis 1995. Il a occupé de nombreux postes, y compris celui d’agent de renvoi et d’agent d’exécution de la loi. En 2003, il a pris part au dossier de M. Almrei à titre d’agent principal de renvoi. À l’époque, on lui avait demandé d’aider à la prise des mesures de renvoi.

 

  • [96] Monsieur Towaij a décrit sa connaissance du processus de renvoi prévu au paragraphe 115(2) de la LIPR. En qualité de réfugié au sens de la Convention, M. Almrei peut uniquement être renvoyé s’il est établi qu’il pose un danger pour la sécurité du Canada. Le processus de renvoi a début avec l’envoi d’une lettre par l’ASFC à M. Almrei et à son avocat les informant de son intention d’obtenir un avis de danger du délégué du ministre de CIC. L’avocat de M. Almrei a ensuite eu l’occasion de se prononcer sur le danger que pose l’intéressé pour la sécurité du Canada et de fournir des renseignements sur les risques que devra affronter M. Almrei s’il est renvoyé.

 

  • [97] Suivant une analyse de tous les renseignements produits, y compris des observations de l’avocat et des renseignements protégés détenus par le SCRS, l’ASFC prépare un mémoire avec sa recommandation quant à la dangerosité de la personne visée. Le mémoire est ensuite examiné par un gestionnaire de la Section de l’anti-terrorisme. Ce dernier doit s’assurer que la recommandation est appuyée par la preuve et qu’aucun renseignement protégé n’a été divulgué par erreur. On peut également demander au SCRS d’examiner le mémoire avant qu’il soit imprimé. La recommandation requiert habituellement trois mois de préparation.

 

  • [98] La trousse (le mémoire ainsi que tous les documents justificatifs) est ensuite acheminée à M. Almrei et à son avocat afin qu’ils puissent soumettre leurs observations quant à la recommandation à l’intérieur d’un certain délai (habituellement d’un mois). La trousse est également remise au ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration (CIC).

 

  • [99] Le délégué du ministre à CIC rend la décision définitive quant l’avis de danger. Il doit examiner tous les documents au dossier, y compris les renseignements protégés du SCRS. Monsieur Towaij estime qu’il faut habituellement quatre mois pour obtenir une décision. Si la conclusion est que M. Almrei pose un danger pour le public, une mesure de renvoi sera émise. L’ASFC peut alors procéder avec les arrangements en vue du renvoi.

 

  • [100] Cette préparation peut prendre de deux à trois mois. Le renvoi physique d’une personne peut prendre environ de deux à trois semaines une fois que les titres de voyage ont été émis. Ainsi, il peut s’écouler 10 mois ou plus entre l’émission de l’avis de danger et l’exécution de la mesure de renvoi.

 

  • [101] Conformément à l’article 241 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, l’ASFC renverrait M. Almrei soit vers le pays duquel il est arrivé au Canada, son dernier pays de résidence permanente, le pays dont il est issu ou citoyen, ou son pays de naissance. Monsieur Almrei serait probablement renvoyé en Syrie, car c’est son pays de citoyenneté. Une demande a été formulée au gouvernement syrien afin d’obtenir u passeport ou un titre de voyage valide. Monsieur Towaij a dit qu’il a fallu quatre semaines pour obtenir le passeport de M. Almrei en 2003. Une évaluation du risque physique sera menée quant à la méthode et au mode de renvoi. Par la suite, des arrangements seraient pris avec une compagnie aérienne, des agents d’escorte lui seraient affectés (des agents de la GRC ou des membres du personnel de l’ASFC) et une autorisation d’atterrissage ou diplomatique serait obtenue.

  • [102] Monsieur Towaij a été contre-interrogé en regard de sa participation dans l’obtention des titres de voyage de M. Almrei en 2003. Une lettre, accompagnant la mesure de renvoi et d’autres documents justificatifs a été envoyée à l’ambassade syrienne, demandant un titre de voyage. La correspondance indiquait que le gouvernement du Canada avait des motifs raisonnables de croire que M. Almrei était membre d’une organisation terroriste. Une copie du passeport syrien non autorisé délivré par les Frères musulmans et saisi de M. Almrei a également été remise aux autorités syriennes.

 

  • [103] Monsieur Towaij a affirmé que la politique normale prévoyait la remise des copies des passeports. Il s’est rappel qu’il y avait peut-être eu des préoccupations en lien avec la légitimité du passeport délivré à M. Almrei. Il était conscient des allégations voulant qu’il eu été délivré par les Frères musulmans. Il ne se souvient pas d’avoir pensé à l’époque que M. Almrei pourrait être mis en danger par la transmission d’une copie de son passeport aux autorités syriennes. Il soutient qu’il a soumis avec d’autres renseignements afin d’obtenir un titre de document et d’exécuter la mesure de renvoi aussitôt que raisonnablement possible.

 

  • [104] Lorsqu’on a lui a demandé d’expliquer en quoi était nécessaire de fournir tous ces renseignements aux autorités syriennes, le témoin a indiqué qu’ils tentaient de donner autant d’information possible afin de prouver la nationalité de la personne visée. Certains pays peuvent être réticents au retour de leurs citoyens, malgré leurs obligations en vertu des conventions internationales. Bien que M. Towaij eu reconnu que le passeport délivré à M. Almrei puisse avoir été illégitime, il soutient qu’il contenait un numéro d’identification qui aurait pu être authentique et permettre aux autorités syriennes d’identifier M. Almrei comme l’un des leurs. Monsieur Towaij a admis que personne n’a demandé aux autorités syriennes d’indiquer les documents requis. Un certificat de naissance aurait pu suffire.

 

  • [105] De retour en interrogatoire, M. Towaij a indiqué que le risque que devrait affronter M. Almrei advenant un retour en Syrie a été évalué avant de demander le titre de voyage au gouvernement syrien.

 

2. « Sukhvindar »

 

  • [106] « Sukhvindar » est au service du SCRS depuis 17 ans. Les ministres ont demandé à ce qu’il soit autorisé à témoigner sous ce nom sans être identifié davantage. Aucune opposition n’a été soulevée. L’avocat n’a pas demandé à ce le nom complet du témoin soit remis à la Cour en huis clos et j’ai conclu que ce n’était pas nécessaire.

 

  • [107] Sukhvindar a des antécédents militaires et a été formé comme agent du renseignement militaire en 1990. Il est entré à l’emploi du SCRS en 1991. Depuis, il a travaillé comme analyste et enquêteur et il occupe maintenant le rôle du chef de sa direction générale, soit un poste de gestionnaire. Son groupe enquête sur les menaces à la sécurité nationale et informe le gouvernement de celles-ci. Il peut s’agir d’espionnage, de subversion, d’activités influencées par la fraude et de violence politique. Sukhvindar a enquêté sur le phénomène de l’extrémisme sunnite et a dirigé des enquêtes dans le domaine de l’extrémisme chi’ite et dans d’autres domaines de violence politique sans affiliation religieuse. Il a suivi des cours de niveau universitaire sur la compréhension du Moyen-Orient.

 

  • [108] Selon le témoin, le SCRS considère généralement l’extrémisme islamique, qu’il soit sunnite ou chi’ite, comme une forme de violence politique fondée sur des interprétations radicales de l’Islam. Ces interprétations radicales comprennent et encouragent le recours à la violence. Le Service considère que l’extrémisme sunnite, plus particulièrement le mouvement al-Qaïda, représente une menace continue contre la sécurité nationale du Canada.

 

  • [109] En outre, « al-Qaïda » signifie « la base ». Remontant jusqu’à environ 1988, cette expression faisant référence à une organisation munie d’une infrastructure physique. L’organisation était établie en Afghanistan et comprenait plusieurs camps. Les gens étaient invités à s’y rendre et à recevoir une formation militaire afin de mener des opérations en Afghanistan et dans d’autres régions. L’infrastructure physique a été déplacée en novembre 2001 et l’organisation a évolué depuis.

 

  • [110] Désormais, « al-Qaïda » fait plus référence à une idéologie ou à une philosophie et à un réseau par lequel des groupes partageant les mêmes idées peuvent s’affilier et faire avancer les objectifs et les idéologies du mouvement.

 

  • [111] Après que son infrastructure physique eut été ciblée en Afghanistan, al-Qaïda est devenue davantage une organisation-cadre qui continue à proférer des menaces. La plus récente remonte à 2007 lorsque le groupe a identifié et ciblé des pays à attaquer. Les pays qui ont été nommés par les chefs d’al-Qaïda ou par des personnes affiliées au groupe ont fait l’objet d’attaques terroristes.

 

  • [112] Sukhvindar a cité un éventail d’attaques attribuées directement ou indirectement à al-Qaïda. Par exemple, en 1998, les attaques sur les missions américaines au Kenya et en Tanzanie, le bombardement du U.S.S. Cole au Yémen en 2000, les attaques du 11 septembre et les bombardements du métro de Londres en juillet 2005.

 

  • [113] La première menace directe envers le Canada formulée par al-Qaïda a été formulée en novembre 2002 dans une bande audio attribuée à Osama ben Laden. Le Canada faisait partie des six pays nommés. D’autres pays de cette liste ont été la cible d’attaques terroristes. Par la suite, il y a eu plusieurs autres références au Canada. Le Canada figure en cinquième position sur une liste de six pays dans un manuel d’al-Qaïda, le manuel du camp d’entraînement d’Al-Battar, découvert en 2004-2005 constituant des cibles proposées. Le SCRS a depuis remarqué que des groupes affiliés à al-Qaïda, comme Al-Qaïda dans la péninsule Arabique, proféraient des menaces contre le Canada et ses exploitations pétrolières et ses gazoducs, car nous fournissons du pétrole et du gaz aux États-Unis. Au moins deux menaces ont été formulées directement à l’endroit du Canada en 2006 en raison de la présence de nous troupes en Afghanistan.

 

  • [114] Sukhvindar a témoigné qu’il croyait que M. Almrei avait été entraîné dans des camps gérés par le mouvement al-Qaïda, qu’il avait visité des régions où sévit toujours le conflit opposant les extrémistes sunnites et les autres, qu’il adhère à cette philosophie violente qui permet le recours à la force et, par conséquent, qu’il représente toujours une menace.

 

  • [115] Selon le témoin, M. Almrei a les antécédents, la formation, l’expérience, la volonté et la dévotion pour suivre l’idéologie et les objectifs d’al-Qaïda. Il a démontré qu’il avait la capacité de mener des activités correspondant aux objectifs des gens qui appuient al-Qaïda. Il a le « pedigree » d’une personne qui aiderait de gens cherchant à mener des activités terroristes au nom d’al-Qaïda ou de ses groupes affiliés.

 

  • [116] Selon le SCRS, comme l’a décrit Sukhvindar, la remise en liberté de quelqu’un qui a le pedigree de M. Almrei et ses antécédents serait perçue comme une victoire par ceux qui adhèrent à cette philosophie radicale ou qui gravitent autour d’elle. De plus, il serait perçu par les gens de ce milieu comme étant de nouveau disponible pour faire avancer les objectifs et les activités du mouvement.

 

  • [117] Sukhvindar a expliqué que l’utilisation du mot « pedigree » en regard de M. Almrei faisait référence à ses antécédents, particulièrement à ses voyages en Afghanistan pour prendre part à un camp d’entraînement; à son voyage au lieu d’hébergement à Peshawa; à son voyage au Tadjikistan pour participer à des activités militaires en compagnie de membres connus d’al-Qaïda; de sa propension à obtenir de faux documents et à en utiliser; et de ses efforts pour cacher ses activités et ses antécédents depuis son arrivée au Canada.

 

  • [118] Le SCRS ne prétend pas que M. Almrei est membre d’al-Qaïda, ou qu’il s’adonnerait à la violence au Canada, mais il soutient qu’il s’agit de quelqu’un qui appuie le réseau d’Osama ben Laden. Le fait que M. Almrei eût caché ses antécédents jusqu’à ce qu’il soit contraint de les divulguer soulève des préoccupations. En outre, ceci s’appuie sur sa première déclaration à son arrivée au Canada en 1999 formulée dans le cadre de sa demande d’asile et de ses affirmations subséquentes après son incarcération. Il n’a pas admis avoir voyagé en Afghanistan ou au Tadjikistan. Il a caché le fait qu’il détenait toujours un passeport des Émirats arabes unis, soutenant qu’il avait été détruit. Il n’a pas divulgué le pseudonyme utilisé par ses amis et ses associés; son « titre de respect », Abu Al-Hareth.

 

  • [119] De l’avis de Sukhvindar, le fait d’avoir un titre de respect est significatif, particulièrement dans le contexte de l’extrémisme sunnite, car les individus formés par al-Qaïda se font donner de tels surnoms à des fins de sécuriser leurs activités et de les rendre moins faciles à identifier. Ce nom ainsi que les renseignements au sujet de ses voyages et de ses activités avant son arrivée au Canada n’avaient pas été divulgués à la CISR lors du traitement de sa demande d’asile.

  • [120] Le titre de respect peut également tenir lieu de « nom de guerre » pour protéger l’identité d’une personne engagée dans le dzongkha. Le « dzongkha » est un mot qu’on retrouve dans le Coran. Il fait référence à une lutte, selon ce qu’en comprend le témoin. Le SCRS a des préoccupations en lien avec l’interprétation extrémiste du djihad laquelle implique la commission d’actes violents ainsi que l’avancement des objectifs ou la définition de la lutte dans un contexte de violence, particulièrement lorsqu’il est question de défendre l’Islam par la violence.

 

  • [121] En Afghanistan, le terme « djihad » a été utilisé pour attirer les gens à venir défendre les musulmans contre les forces soviétiques qui ont occupé le pays pendant dix ans. Depuis, il a servi à attirer des gens dans d’autres conflits et à prendre part aux conflits du mouvement sunnite élargi ou à d’al-Qaïda de la Tchétchénie à la Somalie. Le SCRS ne soutient que le seul fait d’avoir été présent ou d’avoir participé au conflit en Afghanistan ou de s’être entraîné pour le djihad soit le seul élément déterminant de la menace que pose une personne à la sécurité nationale.

 

  • [122] Monsieur Almrei a entretenu des liens avec Ibn al-Khattab (ci-après Khattab), une figure de proue des djihadistes sunnites, et a participé à des opérations militaires à ses côtés au Tadjikistan. Ceci témoigne, selon Sukhvindar, de la volonté de M. Almrei à prendre part à la violence et à soutenir et à faire avancer les objectifs d’une organisation qui mène un djihad violent.

 

  • [123] « Ibn al-Khattab » est un nom de guerre. L’identité exacte de cet homme demeure nébuleuse, mais il semble être d’origine saoudienne. Khattab est apparu à l’avant-scène du conflit en Afghanistan au cours de l’occupation soviétique et comme chef du djihad au Tadjikistan et plus tard, en Tchétchénie, jusqu’à son décès en 2002. Il suivait les objectifs d’al-Qaïda visant à destituer le gouvernement séculaire dominé par les Soviétiques et les forces d’occupation de ces terres islamiques.

  • [124] Khattab a mené une organisation connue plus tard comme les brigades de l’International Islamic Peacekeeping. Après son décès, cette organisation a été citée comme étant possiblement responsable des actes terroristes en Russie et en Tchétchénie.

 

  • [125] Monsieur Almrei a démontré qu’il avait la capacité et la volonté de commettre des actes correspondants aux exigences opérationnelles des groupes extrémistes sunnites, particulièrement en ce qui a trait à l’acquisition de faux documents et à l’utilisation de ceux-ci, selon Sukhvindar. S’il devait être remis en liberté aujourd’hui, le SCRS serait préoccupé par le fait qu’il soit à nouveau en position de reprendre ces activités ou de conseiller d’autres sur la façon de mener ce type d’activités.

 

  • [126] Selon Sukhvindar, les contacts que M. Almrei avaient avant sa détention pourraient toujours être viables en raison de sa réputation et de ses références. En outre, il détient des lettres de noblesse en raison de sa présence en Afghanistan et au Tadjikistan aux côtés de Khattab. Que M. Almrei eût été en mesure de rester en communication avec Khattab tandis qu’il était en Tchétchénie est particulièrement pertinent. Ceci démontre qu’il avait une certaine crédibilité auprès des membres du mouvement. Il peut continuer à s’appuyer sur ceci pendant des années, selon Sukhvindar.

 

  • [127] Le fait qu’il puisse obtenir des documents à des fins frauduleuses facilite les voyages à travers les frontières sans être repéré. Certains utilisent des faux documents pour traverser les frontières et mener des opérations terroristes (par exemple : Ahmed Ressam, surnommé le Millennium bomber et associé avec le mouvement extrémiste sunnite).

 

  • [128] Le SCRS croit que M. Almrei conserve la capacité de prendre part aux activités en regard desquelles il a déjà fait ses preuves. Par exemple : l’acquisition d’un faux passeport pour Nabil al-Marabh, un ami associé à des transferts de fonds frauduleux arrêté par la suite aux États-Unis, puis renvoyé en Syrie. Le témoin ne sait pas si M. Almrei a été inculpé pour avoir fournir un passeport à Nabil al-Marabh. Il ne sait également pas si M. Almrei aurait été interdit de territoire au Canada eut-il été condamné pour possession ou traite de faux documents.

 

  • [129] Sukhvindar croit que quelqu’un comme M. Almrei serait en position d’exploiter ses méthodes clandestines advenant sa remise en liberté. Il pourrait communiquer avec des gens par des moyens indétectables par ses cautions ou les personnes chargées de le surveiller. Monsieur Almrei connaissait bien ou utilisait ce savoir-faire avant sa détention. Il a été en mesure d’accéder à des installations sécurisées au Canada dès les premiers de mois de son arrivée au pays (il a pénétré dans une zone restreinte à l’aéroport international Pearson).

 

  • [130] Monsieur Almrei n’a pas de liens importants au Canada. Il n’a aucun membre de sa famille ici et ne fait pas partie d’une structure communautaire établie dans la même mesure que les autres hommes visés par des certificats de sécurité ayant été remis en liberté. Le SCRS croit que M. Almrei représente toujours un risque pour la sécurité nationale en raison de ses antécédents, de son pedigree, de ses activités au Canada à la suite de son arrivée et du fait qu’il soit interdit de territoire au Canada.

 

  • [131] En contre-interrogatoire, Sukhvindar a reconnu ne pas avoir travaillé personnellement au dossier de M. Almrei. Il n’a jamais rencontré M. Almrei, en entrevue ou autrement. Il ne peut pas affirmer ou infirmer si quelqu’un du SCRS a rencontré M. Almrei depuis le début de sa détention en 2001.

 

  • [132] Le témoin a reconnu que les efforts des gouvernements occidentaux depuis le 11 septembre ont interrompu et renversé l’infrastructure physique qui existait en Afghanistan. Bon nombre d’arrestations et de décès ont été rapportés parmi les dirigeants d’al-Qaïda, mais la tête se régénère toujours. Les éléments les plus importants de celle-ci sont toujours en vie et continuent de proférer des menaces (Osama ben Laden et Aayman al-Zawahiri).

 

  • [133] On estime généralement que 5 000 personnes ont fait partie d’al-Qaïda en Afghanistan et se sont entraînées dans les camps au cours des années 1990. De nombreux combattants ont été abattus à la suite de l’invasion par les membres de la Coalition (soit environ 500 sur un nombre restant de 2 000). Le témoin estimait qu’environ 1 500 combattants, qui avaient quitté les camps et les installations physiques dans les montagnes, s’étaient dispersés en Afghanistan et dans les provinces du nord-ouest du Pakistan.

 

  • [134] Les combattants impliqués dans les attentats de Londres de 2005 proviennent de la génération suivante de membres qui n’ont pas pris part au djihad en Afghanistan. Ils sont désormais encouragés, motivés et formés par les manuels d’al-Qaïda et ils s’appuient sur les renseignements accessibles en ligne pour obtenir le savoir-faire nécessaire à l’exécution d’opérations terroristes. Il s’agit d’un terrorisme dit « endogène ». Le témoin a indiqué que le Canada était menacé par des groupes endogènes, mais il n’a pas avancé davantage de renseignements sur cet élément.

 

  • [135] Le témoin a accepté la proposition voulant que bon nombre des personnes s’étant rendues en Afghanistan durant la période soviétique ne soient pas d’un grand intérêt pour le Service. Cette expérience peut être indicatrice, mais pas déterminante du risque que représente une personne ou non pour la sécurité. Il a reconnu que c’était le moment du séjour en Afghanistan et l’opposant qu’il souhaitait combattre qui étaient les facteurs déterminants. En outre, s’ils s’y étaient rendus avant 1989, on pourrait s’attendre à ce qu’ils eussent l’intention de combattre l’occupant soviétique. Au début des années 1990, ils combattaient probablement le gouvernement mis en place et soutenu par les Soviétiques et d’autres groupes d’insurgés.

 

  • [136] Il y avait un conflit pour la direction de l’Afghanistan après le retrait de l’Union soviétique. Les moudjahidins se divisaient en au moins trois factions, les Talibans, les Gulbudin Hekmatyar et l’Alliance du Nord. Les talibans ont pris le contrôle de Kaboul et du gouvernement en 1992. Les gens qui se sont joints à l’Alliance du Nord étaient moins inquiétants. À la suite de 2001, les membres de l’Alliance du Nord n’étaient ni alliés aux talibans ni amis avec Osama ben Laden ou al-Qaïda. En outre, le décès de son chef, Ahmad Shah Massoud, était probablement le fruit d’une opération menée par al-Qaïda.

 

  • [137] Monsieur Nabil al-Marabh (ou Almarabh) était disposé à utiliser des titres de voyage frauduleux. Plus tard, il a été lié aux transferts de fonds illicites par des gens qui ont témoigné à la Commission sur le 11 septembre [National Commission on Terrorist Attacks Upon The United States, 2004]. Monsieur Almrei n’a pas été relié aux attaques du 11 septembre ou à tout transfert de fonds particulier. Les agents américains de l’exécution de loi ont découvert des gens à une adresse associée avec al-Marabh détenant des documents d’immigration présumés frauduleux ainsi que des laisser-passez de sécurité d’un aéroport. Messieurs Almrei et al-Marabh étaient tous deux en Afghanistan; ils ont tous deux été liés au djihad au Tadjikistan; et ils ont tous deux été en communication à Toronto. Les deux hommes sont une source de préoccupation pour le Service. Sukhvindar ne sait pas ce qui est advenu de M. Nabil al-Marabh lorsqu’il est retourné en Syrie.

 

  • [138] Sukhvindar est conscient du fait que le gouvernement syrien a été accusé d’avoir commis des violations des droits de la personne. D’autres gouvernements l’ont également accusé de soutenir les mouvements terroristes. Il croit comprendre que M. Almrei fera l’objet d’un examen de la part des autorités lors qu’un éventuel retour en Syrie (le cas échéant). Il présume que les mouvements de M. Almrei seront restreints et qu’il fera l’objet d’une enquête. Il y a eu des discussions au SCRS sur ce qui adviendrait d’une personne renvoyée en Syrie et perçue comme une menace pour le gouvernement syrien.

 

  • [139] Le passeport délivré par l’ambassade syrienne au nom de M. Almrei en vue de son retour avorté en 2003 portait la mention « terroriste présumé ». Le gouvernement du Canada a remis au gouvernement syrien de l’ordonnance de renvoi indiquant qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que M. Almrei était membre d’une organisation terroriste, ainsi qu’une copie du faux passeport délivré par les Frères musulmans et que l’intéressé avait en sa possession.

 

  • [140] Le témoin, en contre-interrogatoire, n’était pas informé d’un mémoire divulgué durant les audiences de la Commission Arar indiquant que le SCRS craignait que les allégations contre M. Arar vienne compliquer le renvoi de M. Almrei. Toutefois, il s’attendait à ce que la Commission Arar eût des liens avec d’autres procédures en lien avec les certificats de sécurité.

 

  • [141] Quant à Khattab, Sukhvindar sait que les actes terroristes qui lui ont été attribués se sont produits ultérieurement aux contacts de M. Almrei avec lui. Cependant, il croit que Khattab a pris part un djihad violent avant 1999, notamment au Tadjikistan alors que M. Almrei était avec lui. Sukhvindar reconnaît qu’il y a des renseignements contradictoires quant à l’appartenance de Khattab à al-Qaïda. Le témoin s’est montré confiant en affirmant que Khattab s’était montré dévoué au djihad violent et qu’il avait épousé les mêmes philosophie et idéologie que les membres du réseau al-Qaïda. Il a exporté ce djihad violent de l’Afghanistan vers le Tadjikistan et la Tchétchénie.

 

  • [142] Sukhvindar est d’accord avec l’affirmation du SCRSC dans les allégations publiques contre Mohamed Harkat voulant que Khattab n’a jamais été cité ni comme appelant au djihad entre l’Islam et l’Occident ni contre les Américains ou les Juifs. Khattab luttait contre la Russie et son occupation [de terres musulmanes].

 

  • [143] Il est allégué que M. Almrei aurait pris les mesures nécessaires pour obtenir un faux document à M. al-Marabh (un passeport). Le témoin en comprend que M. Almrei a visité M. al-Marabh pendant qu’il était détenu au Canada et qu’il travaillait à l’obtention de sa remise en liberté en tentant d’amasser des fonds pour payer sa caution.

 

  • [144] Entre autres, M. Almrei a appris à utiliser un fusil AK-47, une Kalashnikov, dans le cadre de son entraînement militaire. Il a également été éclaireur et a fait partie d’une patrouille militaire. Il a appris à tirer à la Kalashnikov et a été formé à l’exécution de patrouilles de reconnaissance au Tadjikistan. Ceci nécessite une gamme complète d’activités assimilables à un soldat.

 

  • [145] Sukhvindar ne connaît pas l’étendue des compétences de M. Almrei dans la falsification de documents. Il ne sait pas si M. Almrei a véritablement fabriqué ou modifié des passeports lui-même. Aucune preuve au dossier n’indique qu’il a personnellement falsifié des passeports. Monsieur Almrei a obtenu un faux document pour lui-même afin de se rendre au Canada à partir des Émirats arabes unis. Il a mis al-Marabh en liaison avec un tiers afin de lui permettre d’obtenir un faux document. Sept ans se sont écoulés depuis et il est très peu probable que M. Almrei communique avec les mêmes personnes qu’ils avaient jointes à Montréal avant d’être détenu. Le SCRS est préoccupé par le fait que M. Almrei eut démontré qu’il détenait une capacité (l’obtention de faux documents); laquelle il estime être toujours d’actualité.

 

  • [146] Sukhvindar est d’accord que la conception et les caractéristiques de sécurité des documents d’identité ont évolué depuis sept ans, mais, soutient-il, la capacité à se rendre sur une tombe, à accéder à un dossier fiscal, à repérer un certificat de baptême ou à demander un passeport à un autre nom n’a, elle, pas changé. La capacité à obtenir de faux documents est toujours présente.

 

  • [147] Le témoin a reconnu qu’une personne impliquée dans l’obtention de documents, particulièrement au profit d’une organisation terroriste, serait particulièrement consciente des questions de sécurité. Il s’agit d’une activité très risquée. Utiliseraient-ils des [traduction] « méthodes clandestines » pour éviter d’être détectés? Le témoin soutient que ce qu’ils ne suivent pas de procédures extraordinaires; ils pourraient se rendre au domicile d’un ami pour passer un appel, par exemple. Ils prendront des mesures afin de s’assurer de ne pas être détectés.

 

  • [148] Bien que M. Almrei eu été visé par un certificat de sécurité, que son nom a été grandement médiatisé et qu’il devrait respecter des conditions rigoureuses advenant qu’il soit remis en liberté, certains pourraient néanmoins tenter de le joindre à l’aide de méthodes clandestines.

 

  • [149] Le SCRS ne craint pas que M. Almrei retourne en Afghanistan ou dans un autre pays de cette région s’il est remis en liberté; il est plutôt préoccupé par le fait qu’il a démontré la capacité d’obtenir des documents qui lui permettraient de voyager à l’étranger et à d’autres individus. À leur avis, il a la capacité de communiquer avec des entremetteurs et d’obtenir des documents qu’il pourrait ensuite utiliser pour s’esquiver ou pour aider d’autres membres du réseau al-Qaïda.

 

  • [150] Bien qu’il eût été détenu pendant les sept dernières années et qu’il serait soumis à une surveillance rigoureuse s’il était remis en liberté, le témoin n’estime pas qui lui serait difficile de réintégrer le « réseau » en raison du phénomène des djihadistes endogènes. Étant donné son pedigree et son expérience, la remise en liberté de M. Almrei lui donnerait un statut d’icône et ces gens chercheraient à le joindre. Monsieur Almrei pourrait recourir à n’importe quel moyen pour solliciter ou encourager d’autres à faire appel à ses services. Par exemple, un accès subreptice à un ordinateur lui permettant d’envoyer un message ou de publier dans un salon de clavardage. Le témoin a indiqué qu’il pouvait spéculer sans limites sur les moyens que pourrait utiliser M. Almrei pour promouvoir l’idéologie djihadiste violente.

 

  • [151] Sa détention permet de contenir le risque qu’il s’esquive. Il n’a aucun accès internet. Aucun téléphone cellulaire. Il existe une liste des communications téléphoniques autorisées. Ses visiteurs doivent être contrôlés et obtenir l’autorisation de l’ASFC. Il semble que ces conditions ont fait en sorte que M. Almrei ne représente plus une menace depuis les sept dernières années.

 

  • [152] On a demandé au témoin s’il y avait des éléments de preuve ou s’il avait eu connaissance du fait qu’une des autres personnes visées (par un certificat de sécurité) eut contrevenu aux conditions de sa remise en liberté. Il a indiqué qu’il devrait puiser à même les renseignements protégés pour répondre à cette question. Il ne croit pas que le SCRS ait la responsabilité de surveiller le respect des conditions de remise en liberté des d’autres personnes visées par un certificat de sécurité. En outre, si le SCRS avait eu des informations indiquant que l’une de ces personnes remises en liberté représentait une menace, il en ferait rapport et en informerait le gouvernement.

  • [153] Or, Sukhvindar est d’avis qu’aucun degré de supervision ne permettrait de neutraliser la menace pour la sécurité nationale qu’il estime que M. Almrei représente; et c’est là où le bât blesse lorsqu’il est question d’une remise en liberté sous conditions. Le témoin n’admet pas que la menace eut été neutralisée dans les autres cas de certificat de sécurité. Il reconnaît que la menace a été neutralisée jusqu’à un certain point; celui-ci étant acceptable pour la Cour qui a ordonné la remise en liberté. À tout événement, le témoin soutient que les autres personnes visées par des certificats de sécurité dits raisonnables ne devraient pas se trouver au Canada. Ils sont interdits de territoire.

 

  • [154] Lorsqu’on lui a demandé si M. Almrei devrait être détenu indéfiniment advenant qu’il soit impossible de le renvoyer du pays, le témoin a répondu [traduction] : « je dis simplement que M. Almrei est interdit de territoire au Canada ». Il est d’avis que M. Almrei a pris part à des activités qui constituent une menace pour la sécurité nationale et que, conséquemment, il est interdit de territoire au Canada. On lui a souligné que M. Almrei n’avait toujours pas été déclaré interdit de territoire au Canada, bien qu’il eût été détenu pendant les sept dernières années. Le témoin ne sait pas s’il est impossible de le renvoyer dans un autre pays et a suggéré qu’il devrait peut-être être renvoyé ailleurs qu’en Syrie.

 

  • [155] Le témoin a indiqué qu’aucun facteur temporel n’avait d’incidence sur la question à savoir si M. Almrei constituait une menace pour la sécurité nationale ou non. Il est d’accord que de nombreux experts ont suggérés que les longues périodes d’incarcération diminueraient le potentiel de récidive de ces gens. Il sait également que la résilience et la volonté de certains en regard de ces activités s’est consolidée au cours de leur détention et qu’ils les ont non seulement reprises malgré toute surveillance imposée, mais qu’ils ont excellé à la tâche, allant même jusqu’à diriger des organisations terroristes et entreprendre des attaques faisant de nombreuses victimes. Toutefois, il n’est pas à l’aise pour se prononcer quant à l’une ou l’autre de ces propositions.

 

  • [156] Le témoin est au courant du recours aux ordonnances de contrôle publiques (OCP) au Royaume-Uni comme alternative à la détention à durée indéterminée ou à la détention à long terme. Bien qu’ils ne connaissent pas les dossiers particuliers, il a expliqué que les OCP ne se sont pas avérées entièrement efficaces et que des personnes se sont esquivées alors qu’elles en faisaient l’objet.

 

  • [157] En réponse aux questions de la Cour, le témoin a reconnu que le SCRS ne serait pas satisfait si M. Almrei quittait simplement le Canada s’il était remis en liberté sous condition. Le Service préfère que M. Almrei soit soumis à des conditions, peu importe le pays où il se trouve. Il ne peut pas être assuré du type de mesures de surveillance qui sera appliqué ou non, ainsi que des actions qu’un autre gouvernement pourrait choisir. Néanmoins, a reconnu le témoin, le Canada ne peut maintenir un établissement de détention permanent pour les extrémistes sunnites au simple motif que nous pourrions les surveiller davantage ici qu’ailleurs. Advenant que M. Almrei quitte le Canada, ils évalueraient le risque qu’il continue de poser pour la sécurité du Canada.

 

 

Témoins de M. Almrei :

 

1. David M. Stokes

 

  • [158] Monsieur Stokes est un citoyen britannique (né en 1928) et un résident permanent canadien. Il habite présentement à Harrowsmith (Ontario). Il est membre de la Société islamique de Kingston et est musulman pratiquant depuis 1978.Il est désormais à la retraite. Le dernier emploi qu’il a occupé était au sein du programme d’aumônerie de Services correctionnels Canada (CSC) à l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC). Il a été embauché en mars 2006 afin de servir comme imam, ou conseiller spirituel, auprès de quatre détenus en vertu d’un certificat de sécurité, nommément messieurs Harkat, Jaballah, Mahjoub et Almrei. L’un de ses rôles consistait à travailler avec les détenus afin d’améliorer les conditions de détention qui affectaient leur capacité à pratiquer l’islam. Chaque semaine, il passait quatre heures avec M. Almrei. Monsieur Stokes s’est retiré de son rôle d’imam en septembre 2006 en raison de la maladie de son épouse. Monsieur Fahmy a repris son rôle d’imam. Son épouse est décédée récemment.

 

  • [159] Depuis septembre 2006, M. Stokes a eu des communications occasionnelles avec M. Almrei. Il a été ajouté à la liste des personnes que M. Almrei pouvait joindre par téléphone cette année. Auparavant, il recevait des nouvelles par l’entremise de M. Fahmy. M. Stokes a lu le sommaire public des allégations à l’encontre de M. Almrei. Il s’offre pour agir comme caution, car il a foi en M. Almrei et il croit qu’il serait injuste de le maintenir en détention. Monsieur Stokes connaît les conditions proposées pour la mise en liberté sous caution de M. Almrei et il est sûr qu’il les respectera, car il estime qu’il est un bon musulman. Monsieur Stokes croit que M. Almrei ne trahirait pas sa confiance et qu’il ne souhaiterait pas perdre le respect de son conseiller spirituel et aîné. Également, il ne voudrait pas retourner en prison.

 

  • [160] Monsieur Stokes est prêt à déposer un cautionnement en espèces de 4 000 $, ainsi que 10 000 $ en cautionnement conditionnel. Il comprend qu’il perdra le montant de la caution si M. Almrei enfreint l’une des conditions. En tant que caution, il s’assurerait que M. Almrei respecte les conditions énoncées et informerait les autorités de tout manquement. Il comprend que M. Almrei résiderait à Toronto; par conséquent, leurs communications se feraient principalement par téléphone. Monsieur Stokes s’en remettra aux autres cautions situées plus près de M. Almrei et coopérait avec eux.

 

2. M. Chris Shannon

 

  • [161] Monsieur Shannon est un citoyen canadien (né en 1978) résidant actuellement avec son épouse et sa fille à Hamilton (Ontario). Il travaille à temps plein en tant qu’éducateur adjoint a Conseil scolaire catholique Canadian Martyr’s de Hamilton.Il a d’abord appris la situation de M. Almrei en 2002 à travers le mouvement Toronto Action for Social Change, un organisme de justice sociale. Il a commencé à correspondre avec M. Almrei en août 2003. Ils se parlent au téléphone tous les deux ou trois mois. Monsieur Shannon a visité M. Almrei en personne à six reprises, quatre fois alors qu’il était au Centre de détention de la communauté urbaine de Toronto-Ouest, puis deux fois depuis son transfert au Centre de surveillance de l’immigration à Kingston. En tout, M. Shannon a cumulé environ 40 heures de communications avec M. Almrei.

 

  • [162] Monsieur Shannon a lu le sommaire public du SCRS et il connaît la nature des allégations à l’encontre de M. Almrei. Bien qu’il estime qu’il s’agit d’allégations graves, il croit que M. Almrei a présenté une explication raisonnable à chacune d’elles. Monsieur Shannon, s’appuyant sur leurs communications, estime que M. Almrei est un homme bon et il ne croit pas qu’il constitue une menace à la sécurité nationale.

 

  • [163] Il s’offre comme caution pour M. Almrei, qu’il considère comme un ami, car il croit que l’intéressé va respecter ses conditions de mise en liberté sous caution. Il est également sympathique à la cause de M. Almrei, et il estime que le processus en regard à la sécurité nationale est injuste. Il est prêt à déposer un cautionnement en espèces de 2 000 $, somme qu’il sait qu’il perdra si M. Almrei enfreignait une de ses conditions de remise en liberté. En tant que caution, il s’assurerait que M. Almrei respecte les conditions énoncées et informerait les autorités de tout manquement. En raison de la distance et des obligations familiales, M. Shannon n’est pas disposé à se rendre à Toronto plus d’une fois par mois, mais il serait disponible pour communiquer par téléphone. Il est conscient de l’existence des autres cautions.

 

3. M. Alexandre (« Sacha ») Trudeau

 

  • [164] Monsieur Trudeau est un citoyen canadien (né en 1973) résidant actuellement avec son épouse et son jeune enfant de 20 mois à Montréal (Québec). Il est producteur de films documentaires et journaliste. Il a écrit de nombreux articles sur les motifs de son opposition au processus des certificats de sécurité. Il a d’abord accepté d’agir comme caution pour M. Almrei, et a témoigné en ce sens, en 2005, puis de nouveau en 2007.

 

  • [165] Monsieur Trudeau a rencontré M. Almrei en 2005 dans un contexte professionnel. Monsieur Trudeau a rencontré les cinq détenus en vertu de certificats de sécurité en mai ou juin 2005 aux fins du film documentaire qu’il préparait sur les certificats de sécurité. Il a visité M. Almrei à cinq reprises au Centre de détention de la communauté urbaine de Toronto-Ouest pendant une période totale de 8 heures. Ils ont entretenu des contacts téléphoniques réguliers (mensuels) depuis lors.

 

  • [166] Monsieur Trudeau considère M. Almrei comme un ami et se propose comme caution par principe et car il croit que M. Almrei est un homme d’honneur et d’intégrité. Il a lu le sommaire public du SCRS et il connaît la nature des allégations à l’encontre de M. Almrei. Il avance que M. Almrei a toujours été franc à propos de tout (y compris les allégations) au cours de leurs échanges. Monsieur Trudeau croit que M. Almrei a fourni une explication raisonnable aux allégations et il soutient que celles-ci devraient être mises en contexte.

 

  • [167] Monsieur Trudeau a accepté de déposer un cautionnement en espèce de 5 000 $ et il comprend qu’il perdra cette somme si M. Almrei enfreint l’une de ces conditions de mise en liberté sous caution. En tant que caution, il demeurerait en communication régulière avec M. Almrei par téléphone afin de s’assurer qu’il respecte les conditions. Il comprend qu’il sera tenu de rapporter toute infraction aux autorités. En raison de la distance et de ses obligations familiales, il est seulement disposé à se rendre à Toronto pour visiter M. Almrei en personne tous les quelques mois. Monsieur Trudeau croit que M. Almrei respectera toutes les conditions qui lui seront imposées. Il a indiqué que M. Almrei est conscient du fait que de nombreux Canadiens le soutiennent et qu’il ne voudrait pas perdre leur respect ou mettre en péril les amitiés qu’il a formées.

 

4. M. Hassan Ahmed

 

  • [168] Monsieur Ahmed est citoyen canadien. Il vit avec son épouse et leur jeune enfant à Scarborough (Ontario). Il est propriétaire et exploitant d’une entreprise de livraison de produits maraîchers. Il a des revenus modestes (20 000 $ par année), son épouse ne travaille pas et il ne possède aucun actif.

 

  • [169] Monsieur Ahmed a été un ami intime de M. Almrei depuis l’arrivée de ce dernier au Canada en 1999. Il a témoigné aux trois derniers contrôles de sa détention. Les deux hommes étaient propriétaires et exploitants d’un petit restaurant appelé « Eat a Pita » jusqu’à l’arrestation et la détention de M. Almrei en 2001. Leur partenariat a duré un an. Ils ont maintenu des contacts téléphoniques réguliers depuis son arrestation. Monsieur Ahmed a visité M. Almrei à plusieurs reprises lorsqu’il était au Centre de détention de la communauté urbaine de Toronto-Ouest. En raison de la distance, M. Ahmed a seulement pu visiter M. Almrei à deux reprises depuis son transfert au Centre de surveillance de l’immigration à Kingston. Leurs discussions portent principalement sur son dossier et sa situation en prison. Monsieur Ahmed demeure également en communication avec le frère de M. Almrei, qui est au Royaume-Uni et qui lui a envoyé des fonds par le passé. Monsieur Ahmed sait que M. Almrei porte une dette considérable.

 

  • [170] Il a lu le sommaire public du SCRS et il connaît la nature des allégations à l’encontre de M. Almrei. Plus particulièrement, il sait que M. Almrei a obtenu un faux passeport d’un entremetteur à Montréal pour M. Nabil al-Marabh, qu’il s’est rendu au Canada avec un faux passeport, qu’il a dirigé des gens vers M. Ishak pour obtenir de faux permis de conduire et qu’il a aidé l’un de leurs anciens employés de restaurant à obtenir un faux document dans le cadre d’un mariage arrangé. Il reconnaît que la production de faux documents est illégale, mais il croit que M. Almrei a pris part à cette entreprise pour des motifs financiers et non à d’autres fins. Il ne croit pas que M. Almrei constitue une menace pour le Canada et il est convaincu que M. Almrei respectera ses conditions de remise en liberté.

 

  • [171] Monsieur Ahmed se propose d’agir comme caution pour M. Almrei, son ami, et il estime qu’il est détenu depuis trop longtemps (sept ans) sans qu’aucune accusation n’eût été déposée. Il est prêt à l’aider par tous les moyens légaux possibles. En tant que caution, il maintiendrait des communications régulières avec M. Almrei et lui rendrait visite aussi souvent que possible, selon le lieu de résidence de ce dernier. Monsieur Ahmed est conscient des conditions proposées et il comprend qu’il aura pour rôle de le surveiller et de s’assurer qu’il s’y conforme. Monsieur Ahmed comprend également qu’il devra rapporter tout manquement aux autorités. Il ne peut pas agir à titre de caution sur place en tout temps en raison de ses obligations familiales et professionnelles, mais il est disposé à déposer 2 000 $ de cautionnement conditionnel.

  • [172] Monsieur Ahmed soutient que les fonds ont été amassés au sein de la communauté musulmane par l’entremise de la mosquée Salahuddin de Scarborough afin de payer l’hébergement de M. Almrei à sa remise en liberté. Monsieur Ahmed est conscient que la Cour fédérale a conclu que M. Aly Hindy, l’imam de cette mosquée, n’était pas une caution acceptable. Monsieur Ahmed a témoigné qu’il n’était pas préoccupé par M. Hindy, mais bien par son ami Hassan.

 

5. Tracey Thomas-Falconar

 

  • [173] Tracey Thomas-Falconar est citoyenne canadienne (née en 1967) et elle réside à Toronto (Ontario) avec ses deux filles (âgées de 13 et de 2 ans). Elle est une praticienne accréditée en santé naturelle, travaille à son compte et a un horaire de travail souple.

 

  • [174] Mme Thomas-Falconar a d’abord appris l’existence du dossier de M. Almrei en 2002 au camp Naivelt de Brampton (Ontario). Matthew Behrens, un ami de longue date et sympathisant de M. Almrei, a donné une conférence sur les certificats de sécurité au camp et a présenté Mme Thomas-Falconar à M. Almrei par téléphone. Ils ont discuté pendant 30 à 45 minutes à cette occasion et ont formé une relation personnelle, selon Mme Thomas-Falconar.

 

  • [175] Depuis, ils ont passé environ 30 heures à échanger au téléphone. Elle l’a rencontré en personne en septembre 2008. Madame Thomas-Falconar connaît la nature des allégations à l’encontre de M. Almrei et ils ont discuté des conditions proposées pour sa remise en liberté. Elle croit qu’il s’agit d’allégations graves, mais elle estime que M. Almrei a fourni des explications raisonnables à chacune d’elles et qu’il pourrait y répondre lors d’une audience publique.

  • [176] Madame Thomas-Falconar se propose d’agir comme caution principale, car elle considère M. Almrei comme un ami intime de la famille et elle croit que sa remise en liberté est essentielle à l’avancement de son dossier. Elle aimerait qu’il puisse répondre aux allégations formulées à son encontre et qu’il puisse éventuellement blanchir son nom. Elle est disposée à déposer un cautionnement espèces de 2 000 $ puisé à même ses économies, ce qui représente un montant considérable pour elle. Elle comprend qu’elle perdra le montant de la caution si M. Almrei enfreint l’une des conditions. En tant que caution, elle le visiterait régulièrement, soit quotidiennement ou plusieurs fois par semaine. Le tout dépendra de la proximité de son lieu de résidence du sien. Certains éléments limitent son rôle de caution, notamment ses obligations familiales, le fait qu’elle ne possède pas de voiture et qu’elle doit travailler de son domicile.

 

6.  M. Mustapha Famhy

 

  • [177] Monsieur Famhy est citoyen canadien (né en 1929), il réside actuellement à Kingston (Ontario). Il est professeur émérite à la Faculté de génie électrique et informatique de l’Université Queen’s de Kingston. Il est également le cofondateur et ancien président de la Société islamique de Kingston. Monsieur Fahmy est l’imam de M. Almrei depuis le 1er octobre 2006. Il rencontre M. Almrei deux fois par semaine à raison de deux heures par rencontre. Leurs discussions portent principalement sur les volets spirituels de l’Islam. Toutefois, étant donné que M. Fahmy a été proposé comme caution, ils ont discuté des allégations qui pèsent contre M. Almrei ainsi que des conditions proposées pour sa remise en liberté.

 

  • [178] Il s’offre pour agir comme caution, car il a foi en M. Almrei et il croit qu’il serait injuste de le maintenir en détention. Il croit également que M. Almrei respectera les conditions qui lui seront imposées, car il est un homme intelligent qui ne voudrait pas perdre la confiance et le respect de son conseiller spirituel. Il croit également que la détention prolongée de M. Almrei a été difficile et qu’il ne voudrait pas s’exposer à un retour en prison.

 

  • [179] Monsieur Fahmy est prêt à déposer un cautionnement en espèces de 4 000 $, ainsi que 10 000 $ aux 20 000 $ en cautionnement conditionnel. Il comprend qu’il perdra son argent si M. Almrei enfreint l’une des conditions de sa remise en liberté. À titre de caution, M. Fahmy communiquerait principalement par téléphone avec M. Almrei afin de le guider et de s’assurer du respect des conditions. Il comprend qu’il devra rapporter tout manquement aux autorités. Il s’appuiera sur les autres cautions pour s’assurer du respect des conditions, car il ne pourra pas être beaucoup présent physiquement. Il connaît personnellement messieurs Stokes et Rahman.

 

7. M. Hafizur Rahman

 

  • [180] Monsieur Rahman est citoyen canadien (né en 1945), il réside actuellement à Kingston (Ontario). Il est présentement professeur associé en génie électrique et informatique au Collège militaire royal du Canada à Kingston. Il est également membre du Comité consultatif de citoyens de l’établissement Collins Bay, un pénitencier fédéral à sécurité moyenne, ainsi qu’ancien président de la Société islamique de Kingston.

 

  • [181] Monsieur Rahman a pris connaissance des circonstances de M. Almrei dans les médias après son transfert au CSIK en 2006. Il a également entendu parler de son dossier de messieurs David Stokes et Moustafa Fahmy, tous deux membres de la Société islamique de Kingston et cautions proposées, ainsi que de M. Matthew Behrens de l’organisation Toronto Action for Social Change.

  • [182] Les échanges entre messieurs Rahman et Almrei ont été minimes et relativement récents. Il a parlé à M. Almrei au téléphone à quelques reprises et l’a rencontré en personne à deux occasions. Il a lu le sommaire public du SCRS et il connaît la nature des allégations à l’encontre de M. Almrei. Il se propose comme caution, car il ne croit pas que M. Almrei risque de s’enfuir et il croit qu’il est sincèrement dévoué à respecter les conditions de sa remise en liberté. Il fait également confiance au jugement et à la foi de messieurs Stokes et Fahmy et il croit qu’il est injuste de détenir une personne pendant sept ans sans accusation et sur la base d’une preuve secrète.

 

  • [183] Monsieur Rahman est disposé à remettre un cautionnement en espèces de 2 000 $ et il sait qu’il perdra ce montant si M. Almrei enfreint l’une des conditions de sa remise en liberté. Il comprend également qu’il est tenu de rapporter tout manquement aux autorités. En tant que caution, il communiquera avec lui et s’assurera de sa conformité aux conditions par téléphone une à deux fois par semaine. En raison de la distance, il est peu probable qu’il visite souvent M. Almrei en personne. Monsieur Rahman s’appuierait ainsi sur les autres cautions.

 

8. M. Thomas Quiggin

 

  • [184] Monsieur Quiggin a été avancé par M. Almrei en guise de témoin expert amené à donner une preuve d’opinion quant à la situation actuelle du djihadisme extrémiste mondial. L’avocat des ministres a accepté que la preuve de M. Quiggin soit entendue par notre Cour, sous réserve du droit de contester ses compétences ainsi que la valeur à accorder à son témoignage après celui-ci.

 

  • [185] J’ai entendu les observations de l’avocat à savoir s’il devrait être reconnu comme expert, et sa preuve d’opinion accueillie, après le témoignage de M. Quiggin. L’avocat des ministres a soutenu que M. Quiggin n’est pas qualifié pour donner une preuve d’opinion et que celle-ci n’était pas objective.

 

  • [186] J’ai tenu compte du critère avancé dans R. c. Mohan, [1994], 2 R.C.S. 9, pour déterminer l’admissibilité de la preuve d’opinion de M. Quiggin; soit a) la pertinence; b) la nécessité d’aider le juge des faits; c) l’absence de toute règle d’exclusion; et d) la qualification suffisante de l’expert.

 

  • [187] À mon sens, la preuve de M. Quiggin est pertinente aux faits de l’espèce, particulièrement en ce qui a trait aux risques allégués par les ministres en lien avec la remise en liberté de M. Almrei dans la collectivité. De plus, l’opinion de M. Quiggin est fondée sur des faits établis et la littérature du domaine. Il était nécessaire d’admettre cette preuve pour aider la Cour à déterminer des faits et, plus particulièrement, pour examiner attentivement l’évaluation présentée par les ministres par l’entremise des témoins du SCRS, tant dans les audiences publiques qu’à huis clos. L’avocat des ministres a reconnu qu’il n’y avait aucune autre règle d’exclusion applicable permettant de refuser l’admission du témoin autre que la contestation de ses compétences.

 

  • [188] Monsieur Quiggin détient un baccalauréat ès arts en politiques et en histoire ainsi qu’une maîtrise ès arts en relations internationales. Il a commencé un doctorat au King’s College de London sur les ratés du renseignement stratégique, mais il ne l’a pas complété. Il est un ancien membre des Forces armées canadiennes et cumule plus de vingt ans d’expérience en renseignement dans une gamme de postes et de contrats avec des agences, dont le ministère de la Défense nationale, la GRC, CIC, le Secrétariat de l’évaluation du renseignement du Bureau du Conseil privé, le ministère de la Justice, l’ASFC et le Tribunal pénal international et la force de l’ONU pour l’ex-Yougoslavie.

 

  • [189] Il a travaillé au sein des Équipes intégrées de la sécurité nationale (EISN, anciennement SESN, Section des enquêtes sur la sécurité nationale) de la GRC en qualité de contractuel civil d’avril 2002 à mars 2006. Il était responsable d’une série de questions de renseignement de sources ouvertes en lien avec des enquêtes sur la sécurité nationale, sur les menaces et les risques visant le premier ministre, les ministres et les juges ainsi que sur des enjeux liés au terrorisme.

 

  • [190] En décembre 2007, M. Quiggin a témoigné devant le juge Major dans le cadre de la Commission d’enquête sur l’affaire Air India sur des questions de renseignement, de radicalisation et de financement terroriste. En 2005, il a été reconnu comme témoin expert sur le sujet du mouvement djihadiste mondial par la Cour supérieure de l’Ontario dans une enquête sur remise en liberté dans R. c. Khawaja, un dossier criminel impliquant des allégations de terrorisme. Il a également témoigné dans le cadre des procédures de la Commission sénatoriale sur le terrorisme de 1998 sous la présidence du sénateur Kelly.

 

  • [191] Monsieur Quiggin a été agrégé supérieur adjoint de juillet 2007 à avril 2008 à la S. Rajaratnam School of International Studies de Singapour ainsi qu’agrégé supérieur en résidence pendant une période d’environ 1 an et demi avant cela. Cet institut étudie les questions de sécurité reliées à la défense et au renseignement, à la sécurité nationale et à l’extrémisme islamiste. Il travaillait principalement sur les questions d’évaluation des risques et du renseignement de sécurité nationale en lien avec le terrorisme et d’autres menaces d’état dans l’Extrême-Orient.

 

  • [192] Le témoin a rédigé de nombreux chapitres de livres et documents sur des sujets reliés au terrorisme, à la sécurité et au renseignement. En 2007, il a publié son livre intitulé « Seeing the Invisible: National Security Intelligence Requirements in an Uncertain Age ». Il est coauteur d’un texte intitulé « Contemporary Terrorism and Intelligence » avec un ancien chef du MI-6, le service du renseignement britannique. Entre autres présentations, il a donné une conférence aux avocats de défense à Guantanamo Bay engagés dans les procédures des commissions militaires. En outre, sa participation au présent dossier puise sa source à cette conférence; il a été référé à l’avocat de M. Almrei par un avocat militaire agissant pour M. Omar Kadhr.

 

  • [193] Au cours du contre-interrogatoire et de ses observations verbales, l’avocat des ministres a avancé que M. Quiggin n’avait ni les connaissances ni la renommée nécessaires dans le domaine de l’extrémisme islamique mondial pour être reconnu comme expert en comparaison à d’autres auteurs plus prolifiques du milieu. Toutefois, la reconnaissance à titre d’expert ne dépend pas du fait que d’autres experts ont une renommée plus importante dans le domaine que l’expert avancé. Les lacunes dans l’expertise vont avoir une incidence sur la pondération du témoignage, et non sur l’admissibilité de celui-ci : voir par exemple, McLean (Litigation guardian of) c. Seisel, [2004] O.J. No 185 (Ont. C.A.) au paragraphe 110.

 

  • [194] Il n’existe aucun critère précis auquel doit satisfaire un expert éventuel afin d’être admis comme tel par notre Cour. La preuve d’expert doit être avancée par un témoin « dont on démontre qu’il ou elle a acquis des connaissances spéciales ou particulières grâce à des études ou à une expérience relatives aux questions visées dans son témoignage » : Mohan, précité, au paragraphe 27. « La seule condition à l’admission d’une opinion d’expert est que “le témoin expert possède des connaissances et une expérience spéciales qui dépassent celles du juge des faits” » : R. c. Marquard, [1993] 4 R.C.S. 223, au paragraphe 35 citant R. c. Beland, [1987] 2 R.C.S. 398, à la p. 415.

 

  • [195] Je suis convaincu que M. Quiggin, en raison de ses antécédents de travail et ses études, possède des connaissances et une expérience spéciales qui dépassent celles de notre Cour et que sa preuve d’opinion aidera la Cour. À quelques occasions durant son témoignage, M. Quiggin a semblé emporté par le sujet et a dû être ramené à l’espèce par l’avocat et la Cour. Or, ceci ne signifie pas que sa preuve avait un défaut d’objectivité, à mon sens, il s’agit plutôt d’un excès de zèle dans la communication de ses connaissances avec la Cour. Il n’a pas dépassé la limite au point de devenir un défenseur de la cause, comme l’ont soutenu les ministres, mais il a cherché à s’assurer que les renseignements transmis dont disposait la Cour étaient complets et exacts. Bien que sa preuve eu porté sur la question ultime, soit le risque à la sécurité nationale découlant de la remise en liberté sous condition, je suis convaincu qu’elle n’a pas été jusqu’à usurper les fonctions de la Cour en qualité de juge des faits : voir Mohan, précité aux pages 24-25.

 

  • [196] Conséquemment, j’ai déterminé que M. Quiggin était dûment qualifié pour donner une preuve d’opinion experte quant à [traduction] « la structure, l’organisation et l’évolution du mouvement djihadiste mondial » aux fins des présentes procédures. La preuve a été admise.

 

  • [197] Monsieur Quiggin, en préparation de son témoignage, avait lu le sommaire du rapport du renseignement de sécurité, les deux index de référence (aux témoignages antérieurs de 2003 et de 2005) ainsi que les transcriptions du témoignage des agents du SCRS aux audiences antérieures (2003 et 2005). Il n’a eu accès à aucun des documents protégés. Il a passé environ 5 heures avec M. Almrei plusieurs semaines avant l’audience au Centre de surveillance de l’immigration à Kingston.

 

  • [198] La majeure partie de la preuve de M. Quiggin porte sur les événements et les acteurs principaux en Afghanistan et dans la région durant les périodes pertinentes, y compris sur les personnes nommées par les ministres dans le sommaire public. Je m’abstiendrai d’examiner cette preuve dans les présents motifs, car elle porte davantage sur la question du caractère raisonnable du certificat de sécurité que sur la dangerosité alléguée de M. Almrei. J’aborderai les volets de sa preuve que j’estime pertinents dans le cadre d’un contrôle de la détention.

 

  • [199] En résumé, M. Quiggin est de l’avis que tout danger que pourrait représenter M. Almrei, présumément, aurait déjà été désamorcé par le passage du temps. Par ailleurs, il pourrait être neutralisé de façon plus que satisfaisante par l’imposition des conditions de remise en liberté appropriées. Tous liens avec al-Qaïda ou avec des individus qui partagent son idéologie, s’ils sont avérés, ont été éliminés au cours des sept dernières années étant donné les suivantes :

  • La menace d’origine posée par al-Qaïda, bien que toujours existante, a été grandement diminuée.

  • La menace actuelle d’al-Qaïda est telle que M. Almrei n’en fait plus partie.

  • Toute relation que M. Almrei aurait pu avoir par le passé a été éteinte et il serait peu probable qu’il parvienne à les raviver, même si tel fût son souhait.

  • Sans accès internet ou téléphone cellulaire, et la supervision rigoureuse dont il ferait l’objet, il lui serait quasi impossible d’entrer en communication avec des personnes de son passé.

  • Étant donné toute la médiatisation de son dossier, il est très improbable que toute personne préoccupante se risque à communiquer avec M. Almrei ou à s’associer à lui.

 

 

  • [200] Monsieur Quiggin a remis en question l’utilisation par le SCRS de l’expression « réseau de ben Laden ». Il n’a pas remarqué de définition efficace de celle-ci dans les documents des ministres. Cette expression, à son avis, est vague et non concluante. Elle n’est pas utilisée dans la littérature académique. Le SCRS et les ministres utilisent cette expression dans leurs observations comme incluant, selon M. Quiggin, le noyau d’al-Qaïda, mais également ses groupes affiliés, les « djihadistes endogènes », mais également quiconque sympathise ou démontre un intérêt à la « philosophie » d’al-Qaïda. Il s’agit d’une expression générale qui n’est pas très utile lorsqu’on tente d’évaluer une menace, à son avis.

 

  • [201] L’un des éléments importants du dossier des ministres est la prétention selon laquelle M. Almrei a épousé « la philosophie de ben Laden » ou « l’idéologie ». Le témoin a dit qu’il n’avait pas vu d’indication claire de ce que signifiait cette affirmation. Le SCRS n’a pas identifié ce qu’il entend exactement par « idéologie » ou à quel volet de l’idéologie d’al-Qaïda fait-il référence.

 

  • [202] De l’avis du témoin, l’une des questions principales dans l’espèce est la distinction entre « djihad défensif » et « djihad offensif ». Le concept du djihad défensif se retrouve dans le Coran et a été approuvé par de nombreux érudits principaux et modérés de l’Islam. En outre, si un territoire à majorité musulmane est attaqué par des non-musulmans venus de l’étranger, les musulmans ont l’obligation de défendeur cet État; il s’agit d’un droit d’autodéfense légitime. Selon lui, cette interprétation est conforme à la Charte de l’ONU et à la Charte de l’OTAN.

 

  • [203] Il importe, selon M. Quiggin, de différencier les djihads défensif et offensif, ainsi que d’établir la limite du premier et le commencement du second.La période s’écoulant de 1979 à 1992 en Afghanistan en est une de djihad défensif, car le combat se déroulait contre l’invasion soviétique ou le gouvernement fantoche qu’ont laissé les Soviétiques à leur départ.

 

  • [204] De nombreux jeunes hommes arabes se sont rendus en Afghanistan pour participer d’une façon ou d’une autre au djihad défensif. La plupart d’entre eux sont retournés à la « vie normale » par la suite. Seule une petite partie de ceux-ci se sont joints à al-Qaïda et ont mené des activités violentes. La plupart de ces djihadistes ne se sont pas joints à al-Qaïda et à sa campagne continue de djihad offensif.

 

  • [205] Il est trop simpliste, selon M. Quiggin, que de présumé que toute personne s’étant rendue en Afghanistan pour s’entraîner et prendre part au djihad défensif de 1979 à 1992 épouse également la philosophie de ben Laden voulant que le combat doive être mené contre [traduction] « l’ennemi lointain », c’est-à-dire les pays occidentaux développés. La présence de M. Almrei au Tadjikistan en 1994 est un indicateur intéressant et justifie une enquête; néanmoins, elle ne permet pas de conclure qu’il a véritablement pris part aux activités d’al-Qaïda ou qu’il a été membre de celle-ci ou de l’un de ses groupes associés.

 

  • [206] Il est plutôt ardu d’affirmer qu’une personne combattant au Tadjikistan à l’époque était membre d’al-Qaïda, ou affiliée à elle, car l’organisation ni dirigeait ni menait la plupart des opérations. Les combats au Tadjikistan sont perçus par la plupart des érudits modérés comme une forme étendue du djihad défensif qui ne fait pas partie des opérations d’al-Qaïda, selon M. Quiggin.

 

  • [207] À son avis, M. Almrei était motivé par la perspective de prendre part au djihad défensif en Afghanistan et au Tadjikistan. Monsieur Quiggin ne voit pas en quoi ceci se traduirait en une menace pour la sécurité nationale de quelque pays de résidence de M. Almrei. En outre, ben Laden s’est rendu au Soudan en 1992 et y est resté jusqu’à 1996. Certains de ses sympathisants l’y ont suivi. Rien n’indique que ce fut le cas de M. Almrei. Le cas échéant, ceci le placerait dans un tout autre contexte, car les activités de ben Laden au Soudan à l’époque étaient de nature beaucoup plus offensive. Voilà qui serait une source de préoccupations considérables.

 

  • [208] À tout événement, étant donné qu’il a été maintenu en isolation pendant 7 ans; étant donné que le noyau d’al-Qaïda a essentiellement été décidé (environ 80 % ou plus des membres au cœur d’al-Qaïda sont soit emprisonnés, décédés ou disparus); et étant donné que ses liens allégués à certaines personnes sont douteux à la base (rien ne démontre qu’il eut été lié avec ces personnes qui font la promotion d’un djihad offensif violent contre l’occident), M. Quiggin est d’avis qu’il y a peu de probabilités que M. Almrei eu quelque relation restante que ce soit qui puisse constituer un risque pour le Canada.

 

  • [209] En outre, considérant le fait que son histoire a été fortement médiatisée, M. Quiggin soutient qu’il est peu probable que quiconque étant membre, ancien ou actuel, du réseau souhaite entrer en communication avec lui. Dans ce milieu, M. Almrei sera l’objet de soupçons importants, car il a été sous l’emprise du service du renseignement de l’État. Il est possible qu’il se soit « retourné » en faveur du SCRS. D’autres seront réticents à communiquer avec M. Almrei en raison de la surveillance rigoureuse dont il fera l’objet.

 

  • [210] Monsieur Quiggin a du mal à croire que M. Almrei puisse être utile à un complot contre le Canada. Il a reçu une formation d’infanterie de base en Afghanistan. Ce type d’entraînement n’a été utilisé dans aucun complot djihadiste endogène jusqu’à maintenant. Sa formation technique en regard des ordinateurs était limitée; elle accuse de plus désormais un retard de 7 ans.Il représenterait un risque pour toute opération nécessitant la traversée d’une frontière étant donné la médiatisation de son dossier.

 

  • [211] En ce qui a trait à l’obtention de passeports pour d’autres, la capacité de M. Almrei à communiquer avec ses personnes, présumant bien entendu qu’il connaisse quelqu’un qui s’adonne encore à cette activité 7 ans plus tard. Le SCRS et l’ASFC surveilleront ses communications et ses activités. En résumé, M. Quiggin est d’avis que M. Almrei serait [traduction] « trop connu pour être utile ».

 

  • [212] Monsieur Quiggin a été interrogé sur les effets de la détention de M. Almrei en compagnie d’autre détenus visés par des certificats de sécurité. La preuve produite, nommément un rapport Rand sur les dynamiques de groupe, indiquait que le niveau de radicalisation d’individus partageant les mêmes idées et incarcérés ensemble augmentait un fil du temps plutôt que le contraire.Monsieur Quiggin a répondu que cette conclusion n’était pas valide dans le cas de M. Almrei, car il n’était pas emprisonné avec un groupe de personnes partageant les mêmes idées. Il a été maintenu en isolation pendant la majorité de sa détention. Par ailleurs, lorsqu’il a été en contact avec les autres, ils n’étaient pas de son groupe et ils ne partageaient ni la même expérience ni les mêmes antécédents. Rien n’indique qu’il s’est radicalisé davantage en raison de son expérience en prison.

 

  • [213] Le témoin n’estime pas que sa remise en liberté constituerait une victoire pour al-Qaïda, car, à son avis, M. Almrei est un « petit poisson », et il est peu probable que sa remise en liberté causera le moindre remous dans la communauté internationale. Monsieur Quiggin ne pouvait pas nommer un exemple où la remise en liberté d’une personne eut causé un mouvement de propagande ou eut été clamé comme une victoire.

 

  • [214] Le témoin a reconnu qu’il y a un certain fond à la prétention voulant que certaines personnes soient attirées à M. Almrei, particulièrement les acteurs endogènes, car il est présumément lié à al-Qaïda. Certains pourraient tenter de communiquer avec lui à sa remise en liberté. Il s’agit d’individus naïfs et influençables. Ces « terroristes en herbe » pourraient être d’abord impressionnés par le fait que M. Almrei eut fait le djihad en Afghanistan, puis qu’il eut passé 7 ans en prison en raison de ses efforts. Ils seraient déçus d’apprendre qu’il avait seulement pris part au djihad défensif. Ils s’apercevraient également qu’il est difficile de le joindre, advenant que les conditions appropriées fussent mises en place.

 

 

 

  • [215] Dans l’hypothèse que les allégations à l’encontre de M. Almrei fussent avérées, on a demandé à M. Quiggin de se prononcer sur des conditions de remise en liberté appropriées. Le plus important, a-t-il indiqué, serait de s’assurer de couper toutes les communications électroniques. Monsieur Almrei ne devrait pas voir accès à un téléphone cellulaire, à un Blackberry, à un téléavertisseur, à l’internet ou à tout appareil permettant un accès à internet.

 

  • [216] Si M. Almrei dispose d’une ligne téléphonique terrestre, alors les autorités devront être informées des personnes qu’il joint et surveiller toutes les conférences téléphoniques à trois, soutient M. Quiggin. Elles doivent être informées des gens qu’il rencontre ou qui l’accompagnent dans ses déplacements en public (avec une caution). Ses allées et venues devraient être surveillées. Il présume que l’ASFC ou le SCRS le surveillerait.

 

  • [217] Monsieur Quiggin a subi un contre-interrogatoire serré sur ses connaissances de l’extrémisme islamique et de la littérature du milieu quant à l’utilisation de faux documents. Il n’a publié aucun article à ce sujet. De son point de vue, l’utilisation de faux documents n’est pas une préoccupation majeure. Il a mis en doute une affirmation d’un article voulant que « le vol d’identité impliquant l’utilisation abusive de passeports soit intrinsèquement lié au terrorisme international ». Monsieur Quiggin a indiqué qu’il s’agissait d’une question de degré. L’utilisation abusive de documents et de faux documents sont des éléments communs à toutes les organisations clandestines. Il ne connaît aucun dossier important où des terroristes ont utilisé de faux documents pour franchir une frontière et commettre un acte terroriste. De plus, il y a eu des cas, comme le 11 septembre, où les terroristes ont voyagé à l’aide de leurs propres pièces d’identité.

 

 

 

 

 

 

Observations

 

  Le dossier en faveur du maintien de la détention :

 

  • [218] Comme mentionné précédemment, les ministres ont déposé des observations écrites et verbales à l’appui de leur position voulant que M. Almrei doive demeurer en détention, car sa remise en liberté selon les conditions proposées représenterait un danger pour la sécurité nationale du Canada et du fait qu’il risque de fuir. Une version protégée des observations écrites, faisant référence aux documents secrets, a été déposée ex parte et l’avocat des ministres a présenté des observations verbales à huis clos, auxquelles ont répondu les avocats spéciaux. Les présents motifs feront uniquement référence aux observations et aux documents publics et produits. Les documents secrets et les observations présentées à huis clos ont été pris en compte dans la présente décision.

 

  • [219] Les ministres soutiennent que le dossier devant la Cour n’appuie pas une conclusion voulant que M. Almrei puisse être remis en liberté de façon sécuritaire sous la supervision des cautions proposées. La remise en liberté proposée ne tient pas compte des antécédents et des capacités de M. Almrei, à leur avis. Les cautions proposées ne sont pas à la hauteur de la tâche de supervision et de surveillance afin de contrer la menace qu’il représente et pour garantir ses comparutions aux procédures le concernant et à son renvoi éventuel du Canada.

 

  • [220] Les ministres ne décrivent pas la menace que représente M. Almrei comme étant le fait qu’il représente un risque pour la sécurité d’une personne, l’un des motifs de maintien de la détention prévus au paragraphe 82(5) de la LIPR. Ils reconnaissent que la preuve au dossier n’appuie pas une telle conclusion.

  • [221] La plupart du rapport de renseignement de sécurité préparé par le SCRS et fondé sur les renseignements de sources non protégées, de sources humaines, d’interceptions, de la surveillance physique et des agences internes et étrangères, consiste en des références à la menace que représente Osama ben Laden et al-Qaïda en général et en lien avec le Canada. Les allégations particulières à M. Almrei peuvent se résumer dans les suivantes :

  • Monsieur Almrei appuie l’idéologie islamique extrémiste épousée par Osama ben Laden; il entretient des relations avec des gens qui partagent cette idéologie; et il a la capacité de faciliter le déplacement au Canada et à l’étranger de personnes susceptibles de commettre des actes terroristes grâce à sa participation à un réseau international de faussaires de documents.

  • Monsieur Almrei a menti aux autorités, aux tribunaux et aux cours canadiens quant à ses voyages avant son arrivée au Canada.

  • Le réseau de ben Laden repose sur le dévouement de ses membres envers leur chef et ses idéaux, rassemblés par les liens quasi familiaux. Monsieur Almrei partage ses mêmes liens et a démontré son soutien à ben Laden, à des gens associés à lui ou appuyés par lui et son idéologie.

  • Monsieur Almrei est associé à des Arabes afghans liés au réseau de ben Laden, y compris Ibn Khattab, Nabil al-Marabh, Ahmed al Kaysee et Hosem al Taha.

  • Monsieur Almrei est en mesure d’obtenir de faux documents et a les relations internationales pour ce faire. Il a obtenu un faux passeport canadien pour Nabil al-Marabh; il connaissait des gens à Montréal qui pouvaient obtenir de faux documents; il s’est rendu en Thaïlande où il a rencontré un passeur de clandestins et discuté de faux passeports avec lui; il a arrangé un mariage de convenance au Canada; il a joué l’entremetteur auprès de gens qui souhaitaient obtenir des permis de conduire canadiens et américains; et une de ses connaissances a été détenue aux États-Unis en 2001 alors qu’elle était en possession de treize trousses d’identité, incluant de passeports.

  • Monsieur Almrei a fait preuve de préoccupations quant à sa sécurité et il comprend les procédures de sécurité.

 

  • [222] Les ministres soutiennent que le défaut de crédibilité de M. Almrei, comme l’ont conclu les juges qui ont présidé les demandes de remise en liberté antérieures, est pertinent lorsqu’il s’agit de déterminer s’il représenterait un danger ou non une fois remis en liberté. Ils soutiennent que les conclusions des juges précédents, ayant entendu le témoignage de M. Almrei, alors que ce ne fut pas le cas de notre Cour, doivent être maintenues. Particulièrement les conclusions voulant qu’il eût menti aux fonctionnaires canadiens et qu’il eut seulement révélé certains renseignements et admis ses mensonges lorsqu’il ne lui était plus possible de les maintenir. Les ministres soulignent les conclusions quant aux points de vue et aux croyances de M. Almrei au sujet de l’extrémisme islamique, de son expertise en obtention de documents et de sa capacité à obtenir des moyens de communication subreptices.

 

  • [223] Monsieur Almrei a la capacité de permettre le déplacement, au Canada et à l’étranger, de personnes susceptibles de commettre des actes terroristes, soutiennent-ils. Bien que la détention de M. Almrei puisse avoir diminué la gravité du danger qu’il représente, elle ne l’a pas neutralisé. Sa remise en liberté lui permettrait de reprendre ses activités de faussaire et ses communications avec des gens qui, comme lui, souscrivent à l’idéologie extrémisme d’Osama ben Laden. Les ministres soutiennent que la détention de M. Almrei est venue troubler un service de soutien logistique important qui pourrait être rendu disponible aux extrémistes au Canada et à l’étranger.

 

  • [224] Les modalités et les conditions proposées par M. Almrei en vue de sa remise en liberté ne permettent pas d’endiguer le risque qu’il représente pour la sécurité nationale, selon les ministres. Ils soutiennent que, étant donné la preuve de mensonges précédents, M. Almrei ne respectera ni les modalités ni les conditions qui lui seront imposées. L’imposition de modalités et de conditions ou de restrictions rigoureuses ne permet pas, en soi, de neutraliser le risque. À cette fin, on doit s’assurer que le sujet se conforme aux modalités et aux conditions qui lui sont imposées, ce qui sera réalisé par la voie d’une surveillance constante. Le plan de remise en liberté proposé ne prévoit pas que M. Almrei vive avec une caution qui assurera sa supervision. Cette responsabilité ne peut pas être déléguée aux agences de sécurité.

 

  • [225] Les ministres soutiennent que, s’il est remis en liberté en vertu des conditions proposées, il est peu probable que M. Almrei comparaisse aux fins de son renvoi éventuel du Canada. Il risque de fuir la juridiction de notre Cour ou se cacher. Ils soulignent ses antécédents, sa capacité et sa volonté à obtenir de faux documents rehaussés de sa réticence à être renvoyé dans son pays d’origine.

 

  • [226] Aucune des cautions proposées ne serait en mesure de s’assurer que M. Almrei respecte les conditions et qu’il comparaisse aux fins de son renvoi, soutiennent les ministres. Cette difficulté ne peut être résolue ni en s’appuyant sur des appareils technologiques, comme les bracelets électroniques, ni en déléguant le travail de supervision aux ministres ou aux agences dont ils ont la responsabilité. En résumé, il pourrait être loin avant que les autorités soient informées de son départ par les appareils de surveillance électronique. Une supervision constante est nécessaire, et ceci n’est as possible dans le modèle proposé. Sa connaissance des canaux pour obtenir de faux documents et ses communications avec les fournisseurs de tels documents pourraient l’aider à fuir et à survivre dans la clandestinité.

 

Le dossier en faveur de la remise en liberté :

 

  • [227] Monsieur Almrei est détenu depuis 7 ans; il soutient qu’il est inconcevable de demeurer en détention plus longtemps. Il a été détenu plus longtemps que toute autre personne visée par un certificat de sécurité. Il a passé la majorité de sa détention en ségrégation. Depuis avril 2007, il est le seul détenu du CSIK à Millhaven, un établissement à sécurité maximale. Ses contacts avec le monde extérieur ont été rigoureusement restreints et limités à des appels téléphoniques et à des visites avec des gens figurant sur une liste de personnes approuvées. Les visites d’autres personnes ont été grandement réduites en raison de l’emplacement isolé du CSIK.

 

  • [228] Monsieur Almrei est un réfugié au sens de la Convention en raison du risque de persécution qui pèse contre lui de la part de son seul pays de citoyenneté, la Syrie. Il soutient qu’il sera persécuté, détenu et torturé s’il est renvoyé en Syrie. Étant donné la preuve devant la Cour quant à la situation des droits de la personne en Syrie et du fait que le gouvernement eut communiqué son statut de terroriste soupçonné au gouvernement syrien, le risque est tel qu’il ne peut probablement pas être renvoyé légalement dans ce pays. Bien qu’il eût résidé en Arabie saoudite et en Jordanie et qu’il eut détenu des visas d’entrée au Pakistan, il n’a aucun statut juridique dans ces pays.

 

  • [229] Les procédures actuelles en lien avec le caractère raisonnable du certificat de sécurité seront probablement prolongées. Il n’y a aucune perspective raisonnable de renvoi du Canada dans un avenir rapproché. Le meilleur scénario, selon le témoin du ministre, était qu’il fallait compter au moins dix mois après la décision sur le caractère raisonnable.

 

  • [230] Étant donné sa situation personnelle, M. Almrei soutient qu’il ne peut pas obtenir une caution sur place. Les responsabilités d’une caution sur place sont extrêmement demandantes. Elles exigent une supervision en tout temps dans un lieu commun et une surveillance constante. Il s’agit d’une obligation déraisonnable à imposer à quiconque autre qu’un conjoint ou un membre très rapproché de la famille. Il a effectué une proposition subsidiaire dans laquelle il serait en détention à domicile, sans accès à l’internet ou à tout autre appareil sans fil. Il serait sous surveillance constante par GSP et vidéo et par l’ASFC. Il serait de plus surveillé par des cautions, sept d’entre elles ayant été proposées à la Cour; et ses communications seraient restreintes et sujettes à examen.

 

  • [231] Monsieur Almrei soutient que les arguments soulevés par les ministres sont fondés sur des spéculations et des hypothèses quant au risque qu’il représente présumément, nommément : malgré toute preuve du contraire exprimée par les témoins en sa faveur, il demeure en faveur de l’idéologie de ben Laden; il serait prêt à risquer un retour en détention afin d’agir conformément à ces idées; il serait toujours utile au réseau de ben Laden étant donné son profil et toute personne risquant de communiquer avec lui serait probablement repérée par les agences de sécurité.

 

  • [232] En outre, selon M. Almrei, le fardeau de preuve des ministres s’accroît au fur et à mesure que sa détention se prolonge. Par conséquent, dans l’espèce, étant donné que la détention s’étire maintenant de plus plus de sept ans, les ministres doivent produire une preuve très crédible et non spéculative démontrant qu’il représente toujours un risque pour la sécurité nationale pouvant seulement être neutralisé par la détention.

 

  • [233] La preuve publique laisse entrevoir que bon nombre des conclusions que souhaitent en tirer les ministres ne sont pas défendables, selon les observations de M. Almrei. La preuve d’expert de M. Thomas Quiggin indique que les liens au djihad défensif en Afghanistan et au Tadjikistan ne viennent pas étayer la conclusion voulant que M. Almrei soit lié au réseau ben Laden. De la même façon, les liens de M. Almrei avec Sayab et Khattab sont tout aussi inconcluants. Les ministres n’ont pas, à ce jour, laissé entendre que M. Almrei représentait un danger pour quiconque. Monsieur Almrei reconnaît avoir pris part à des activités illicites lorsqu’il a obtenu de faux documents et aidé une personne à arranger un mariage de convenance. Néanmoins, une telle activité ne permet pas de conclure aujourd’hui qu’il représente un danger pour la sécurité nationale, estime-t-il.

 

  • [234] Monsieur Almrei a également soutenu que le maintien de sa détention en vertu de la LIPR est illégal et contraire à la Charte. Étant donné ma conclusion quant à sa remise en liberté, j’estime qu’il est inutile d’aborder ces observations.

 

Discussion

 

  • [235] Les ministres s’appuient sur des renseignements et des éléments de preuve produits tant dans les séances à huis clos qu’en audience publique pour demander le maintien de la détention de M. Almrei. Dans les présents motifs, je n’aborderai que les renseignements et la preuve publics, mais ma conclusion repose également sur mon analyse de la preuve et des renseignements reçus à huis clos, en l’absence de M. Almrei, de son avocat et du public. Je rappelle à nouveau que notre Cour est autorisée à accueillir en preuve tout élément qu’elle juge digne de foi et approprié, même s’il ne serait pas normalement admissible devant un tribunal, y compris des renseignements reçus d’informateurs confidentiels ou d’un service du renseignement étranger, et elle peut fonder sa décision sur ceux-ci : (alinéa 83(1)(h) et article 76 de la LIPR).

 

  • [236] Il est également important de souligner que la décision que j’ai rendue quant à la détention de M. Almrei n’empêche pas qu’une conclusion soit rendue quant au caractère raisonnable du certificat. Dans Suresh, il a été établi que la définition du caractère raisonnable d’un certificat n’est pas assimilable à la conclusion voulant que la personne visée représente un danger (au paragraphe 83). De façon similaire, une conclusion voulant que tout risque pour la sécurité nationale advenant une remise en liberté soit neutralisé par l’imposition de conditions n’équivaut pas à conclure que le certificat est déraisonnable. Les deux parties auront d’autres éléments de preuve à produire. Les renseignements supplémentaires seront ajoutés à la suite de l’ordonnance de divulgation du 10 octobre 2008. On s’attend à ce que M. Almrei témoigne et soit contre-interrogé. Tout commentaire formulé dans les présents motifs quant à la solidité du dossier de l’une ou l’autre des parties ne devrait pas être pris, par conséquent, comme une conclusion quant au caractère raisonnable du certificat.

 

  • [237] Comme l’a indiqué la Cour suprême dans Charkaoui 1, je dois tenir compte des cinq facteurs, non exclusifs, suivants dans ma décision à savoir si la remise en liberté conditionnelle de M. Almrei représenterait un danger pour la sécurité nationale ou engendrerait la probabilité qu’il s’esquive :

1. les motifs de la détention;

2. le temps passé en détention;

3. les raisons qui retardent l’expulsion;

4. la durée anticipée du prolongement de la détention; et,

5. l’existence de solutions de rechange à la détention.

 

  1. Les motifs de la détention

 

  • [238] J’estime qu’il est utile de rappeler les ministres n’allèguent pas les suivantes dans l’espèce :

    1. Que M. Almrei est membre d’al-Qaïda ou des Frères musulmans;

    2. Qu’il a participé à des actes violents au Canada, ou qu’il est susceptible de le faire;

    3. Qu’il pose un risque de tort physique à quiconque;

    4. Qu’il a lui-même contrefait des passeports ou d’autres pièces d’identité;

    5. Que la seule participation au conflit en Afghanistan ou l’entraînement en vue de participer au djihad dans cette région soit le seul indicateur d’une personne susceptible de représenter une menace pour la sécurité nationale du Canada.

 

  • [239] En somme, ils soutiennent les suivantes :

    1. Que M. Almrei soutient la philosophie islamique extrémiste épousée par ben Laden;

    2. Qu’il a des liens avec des personnes qui partagent cette philosophie et qu’il a les antécédents, l’entraînement et le passé pour attirer des gens partageant cette pensée;

    3. Qu’il a participé à un réseau international de faussaires et par conséquent, qu’il a la capacité de permettre le déplacement de personnes susceptibles de commettre des actes terroristes;

    4. Qu’il utiliserait son talent à obtenir de faux documents pour faciliter sa propre fuite.

 

  • [240] La preuve démontre que M. Almrei, à l’instar de milliers d’autres jeunes hommes arabes musulmans, a répondu à l’appel à s’engager au djihad en Afghanistan lorsque ce pays était gouverné par un régime fantoche dirigé par Moscou. En soi, ceci ne suffit pas pour établir qu’il représente une menace pour la sécurité nationale, même dans le sens large entrevu dans le critère Suresh qui comprend la sécurité d’autres nations. Le djihad contre le régime Najibullah était financièrement soutenu par les États-Unis, l’Arabie saoudite et le Pakistan, et les moudjahidins, y compris les talibans, étaient encouragés à renverser ce gouvernement afin d’éliminer l’influence soviétique dans le pays. Bien entendu, il n’était pas prévu que le pays devienne un refuge pour ben Laden et une base de laquelle il pourrait diriger des opérations terroristes à l’étranger. Ceci s’est produit plus tard lorsqu’il a été contraint de quitter le Soudan avec ses acolytes.

 

  • [241] En retournant à plusieurs reprises en Afghanistan et en se rendant au Tadjikistan avec al Kathattab pour continuer le combat contre les Soviétiques ou les Russes après que les talibans eurent pris la direction de l’Afghanistan, M. Almrei a été plus loin que la plupart des gens qui se sont entraînés comme moudjahidines. Ce faisant, il s’est distingué de la masse « d’Arabes afghans » qui s’y sont rendus pour combattre au cours de cette période, puis qui sont retournés chez eux pour reprendre leur vie. Ceci a contribué de façon significative aux soupçons qui se sont ensuite élevés à son encontre.

 

  • [242] Les liens de M. Almrei avec messieurs Abdurrab Rasul Sayyaf et Ibn Khattab sont troublants, mais selon le dossier qui m’est présenté, la preuve ne démontre pas clairement que l’un ou l’autre de ces chefs de guérilla eurent adhéré à la philosophie djihadiste mondiale de ben Laden. Bien qu’il soit manifeste qu’ils ont eu des communications avec le chef d’al-Qaïda et qu’ils aient reçu du financement de sa part, ben Laden a offert un soutien matériel à de nombreuses factions djihadistes combattant le gouvernement afghan et les Russes dans la région. Elles ne sont pas toutes considérées comme étant membres du réseau d’al-Qaïda.

 

  • [243] Fait éloquent : Sayyaf, érudit islamique et professeur avant de devenir djihadiste, a émergé après la défaite des talibans pour devenir membre du parlement afghan sous l’administration d’Hamid Karzai. Comme l’a avancé M. Quiggin, il est difficile de croire qu’il aurait pu éviter d’être arrêté et transporté à Guantanamo par les autorités américaines, ou d’être détenu par le gouvernement afghan, s’il eut été associé de prêt à ben Laden et al-Qaïda.

 

  • [244] Les origines, les actions et les allégeances d’Ibn Khattab sont obscures. Toutefois, son zèle à mener le djihad dans d’autres terres à majorité musulmane est démontré par sa présence au Tadjikistan et en Tchétchénie, lesquelles étaient sous contrôle soviétique et russe, ultérieurement.Il a probablement accepté le soutien financier de ben Laden par moments. Par contre, le dossier qui m’est présenté ne démontre pas clairement qu’il avait adopté la notion de nouveau califat et de guerre contre « l’ennemi lointain » de ben Laden, nommément Israël et les pays occidentaux, incluant le Canada. Les Russes, bien entendu, ont perçu Khattab et son organisation comme des terroristes. Toutefois, la preuve issue de sources peut-être plus objectives remet en doute cette désignation.

 

  • [245] Sukhvindar a accepté la suggestion qui lui a été présentée en contre-interrogatoire, tiré des énoncés d’une note de service préparée par le Service, voulant que Khattab n’eût jamais appelé au djihad contre l’occident. À tout événement, les contacts de M. Almrei avec Khattab et en lien avec son décès sont antérieurs à la période où l’organisation de ce dernier a été ciblée par les Russes comme ayant contribué à des actes terroristes dans ce pays.

 

  • [246] L’association de M. Almrei à certains individus au Canada est également troublante au sens qu’elle pourrait indiquer une volonté à maintenir un contact avec des personnes qui ont également participé au djihad et qui pourraient avoir des points de vue extrémistes. Au surplus, il a caché des renseignements et trompé des fonctionnaires et des tribunaux canadiens quant à sa participation au djihad, nommément quant à son séjour au lieu d’hébergement de Sayyaf et au camp d’entraînement, à ses relations arabo-afghanes et à ses voyages en Afghanistan et au Tadjikistan.

 

  • [247] Monsieur Almrei a également trompé les agents de l’immigration et la CISR à propos des titres de voyage qu’il a utilisés pour se rendre au Canada. Il a affirmé les avoir détruits, mais ils ont été retrouvés en sa possession par la suite. Il détenait un passeport non autorisé délivré par les Frères musulmans. Il a arrangé un mariage de convenance et a fourni une lettre de recommandation frauduleuse à un individu détenu par les autorités américaines en alors qu’il était en possession de 13 trousses de pièces d’identité, incluant des passeports. Il a reconnu s’être rendu en Thaïlande et avoir tissé des liens avec un passeur de clandestins.

 

  • [248] Monsieur Almrei a aidé Nabil al-Marabh à obtenir de faux documents afin d’entrer aux États-Unis. La preuve documentaire laisse entrevoir que al-Marabh avait des liens avec des blanchisseurs d’argent et les terroristes du 11 septembre. Toutefois, al-Marabh n’a jamais été inculpé d’une offense liée au terrorisme et a ultimement été renvoyé en Syrie pour avoir contrevenu aux lois américaines sur l’immigration. Selon la correspondance d’Amnistie internationale produite dans les présentes, il a ensuite été arrêté en Syrie et est toujours détenu.

  • [249] De toute évidence, M. Almrei a mené des activités illicites impliquant l’obtention de fausses pièces d’identité et de faux titres de voyages, avant et après son arrivée au Canada. Il avait des sources tant au pays qu’à l’étranger qui pouvaient lui obtenir de tels documents et il était préparé à les utiliser pour son propre bénéfice et pour celui d’autres, également impliqués dans des activités illicites. La question de savoir si ces sources seraient toujours disponibles aujourd’hui n’est pas établie, mais la Cour doit rester vigilante à la possibilité qu’il puisse reprendre ces activités, s’il en avait l’occasion.

 

  • [250] J’ai accordé peu d’importance à la preuve voulant que M. Almrei eût accès certaines zones à l’aéroport Pearson, mentionnée dans le sommaire public et dans la preuve de M. Sukhvindar. D’abord, les ministres n’ont pas avancé cette preuve dans leurs arguments en faveur du maintien de sa détention. La preuve indique M. Almrei occupait un poste de service, c.-à-d. le nettoyage et le réapprovisionnement des avions. Bien qu’il utilisât manifestement un laisser-passez de sécurité délivré au nom d’un tiers, les ministres n’ont pas, encore, produit les rapports de la GRC ou tout autre renseignement quant aux résultats de l’enquête. Les lacunes dans la sécurité des aéroports sont une préoccupation majeure. Une preuve indiquant que M. Almrei aurait délibérément cherché à obtenir cet accès pour recueillir des renseignements sur les mesures de sécurité à l’aéroport Pearson jouerait grandement en sa défaveur. Or, étant donné l’état actuel du dossier, je ne peux tirer aucune conclusion.

 

  • [251] De façon similaire, je n’accorde aucune valeur à l’étude de la société Rand quant aux effets de l’incarcération prolongée. Je reconnais qu’il existe un risque réel d’augmenter la radicalisation et l’extrémisme chez les individus motivés par une idéologie politique ou religieuse s’ils sont incarcérés ensemble pendant de longues périodes de temps avec des gens qui partagent leur pensée. Par contre, les conditions sous-jacentes à l’étude ne sont pas suffisamment comparables à celles de la détention de M. Almrei. De plus, les conclusions ne correspondent pas aux observations des cautions proposées qui ont appris à connaître M. Almrei durant sa détention.

  • [252] Les ministres soutiennent que les individus engagés dans le terrorisme mondial doivent absolument obtenir des titres de voyage et des pièces d’identité afin de se déplacer sans être repérés. Cette prétention est appuyée par la preuve de Sukhvindar ainsi que la preuve document au dossier. Monsieur Quiggin reconnaît que l’obtention de faux documents joue un rôle, mais il a mis en doute le caractère « essentiel » de cet élément dans le contexte du terrorisme mondial. En outre, il est démontré que les terroristes voyagent souvent à l’aide de leurs propres pièces d’identité, y compris les responsables du 11 septembre, ou qu’ils parviennent relativement facilement à obtenir de faux documents par leurs propres moyens. Ahmed Ressam, par exemple, surnommé le Millenium bomber, a pris le nom d’une pierre tombale d’un enfant et l’a utilisé pour obtenir des pièces d’identité officielles. On peut facilement trouver des exemples pour illustrer la prétention des ministres. La question est à savoir si le fait que des fausses pièces d’identité puissent être utilisées par des terroristes a une incidence considérable sur la nécessité de prolonger la détention de M. Almrei.

 

  • [253] Monsieur Quiggin a mis en doute la valeur actuelle des contacts et des sources de M. Almrei pour une organisation terroriste. Il l’a décrit comme étant, au mieux, un « petit poisson » qui, advenant qu’il eût même été considéré un atout pour une telle organisation ou un tel réseau, est a été compromis par son arrestation et sa détention prolongée. Sa remise en liberté attirerait plutôt les soupçons à savoir s’il aurait accepté de collaborer avec les autorités. Quiconque communiquant avec M. Almrei devrait présumer qu’il est sous surveillance et que ses communications sont écoutées. Pourquoi prendraient-ils un tel risque?

 

  • [254] Bien que l’expression « petit poisson » soit inutilement péjorative, elle illustre un volet du présent dossier qui me tracasse. Il n’y a aucune preuve indiquant que M. Almrei lui-même eut été capable de produire de faux documents. La preuve démontre qu’il avait des contacts au Canada et en Thaïlande qui pouvaient les lui fournir, et qu’il avait eu recours à leurs services à au moins une occasion. Ceci ne vient pas appuyer une conclusion voulant qu’il soit si habile à obtenir ces documents qu’il serait un membre très précieux d’un réseau illicite.

 

  • [255] La preuve de M. Quiggin n’était pas sans failles, notamment il lui arrivait d’offrir un peu trop rapidement son opinion sur des questions qui outrepassaient son expertise. Toutefois, j’ai accordé un poids considérable à son témoignage quant à la structure et à l’évolution du mouvement djihadiste mondial et en ce qui a trait à l’historique et au statut actuel de M. Almrei. La preuve de M. Quiggin remettait également en question certaines des hypothèses sous-jacentes à l’évaluation par le SCRS de M. Almrei, telles que présentées dans la preuve de Sukhvindar et le sommaire public des renseignements. Monsieur Quiggin n’a pas eu accès aux renseignements privés sur lesquels se sont appuyés les ministres; la portée de sa preuve s’en trouve limitée. Néanmoins, je l’ai trouvé utile à l’évaluation de la solidité du dossier du gouvernement.

 

  • [256] Bien que la preuve de Sukhvindar repose sur les connaissances et l’expérience qu’il a acquises au fil de plusieurs décennies de travail dans les domaines de la collecte de renseignements et de l’antiterrorisme, son évaluation du risque était considérablement spéculative. En outre, il a concédé en contre-interrogatoire qu’il pouvait spéculer sans limites sur les moyens éventuels que M. Almrei pourrait utiliser pour communiquer subrepticement avec d’autres individus qui pourraient lui fournir de faux documents ou s’engager dans le terrorisme.

 

  • [257] Je m’attends à ce que la conjecture soit un élément nécessaire de la fonction de renseignement. Les analystes doivent rassembler des bribes de renseignements disparates pour réaliser une évaluation du risque. Il se peut que certains éléments manquent au portrait final. Les sources humaines de fiabilité variable fournissent des renseignements qui peuvent être exacts, ou non. Il faut tirer des conclusions à partir des renseignements disponibles. Or, la Cour n’effectue pas une analyse semblable. Je dois conclure à l’existence de motifs raisonnables pour maintenir M. Almrei en détention; c’est-à-dire un motif objectif fondé sur des renseignements convaincants et dignes de foi : Charkaoui 1, précité, au paragraphe 39; Mugesera, précité, au paragraphe 114.

 

  • [258] Les ministres appuyés leurs observations, en partie, sur des spéculations. Par exemple, ils ont soutenu que M. Almrei représente un risque qui ne peut pas être neutralisé, car il pourrait avoir des liens avec des terroristes dont les autorités canadiennes ignorent l’existence. De plus, ils ont avancé que la surveillance pourrait être inefficace, car les agents ne sauraient pas si la personne qui se tient à côté de lui, en file à l’épicerie, est un étranger ou un ami. Bien que je reconnaisse qu’il y a des limites aux capacités de renseignement et de surveillance, j’ai trouvé qu’il s’agissait d’exemples exagérés. La décision de continuer à détenir un individu ne devrait pas reposer sur la peur de l’inconnu, mais plutôt sur des renseignements convaincants et dignes de foi indiquant que sa remise en liberté poserait une menace.

 

  • [259] Bien que le potentiel d’atteinte à la sécurité nationale soit le motif principal pour maintenir la détention, la loi prévoit que la remise en liberté peut seulement être refusée si la Cour est convaincue que l’imposition de conditions ne permettra pas d’éviter que la personne s’esquive. L’argument des ministres voulant qu’il soit peu probable que M. Almrei se présente aux procédures ou à son renvoi s’il était remis en liberté sous condition repose sur sa capacité démontrée à obtenir de faux documents et à s’en servir ainsi que sur sa réticence à être renvoyé dans son pays d’origine.

 

  • [260] Le témoin de l’ASFC, M. Towaij, a avancé en preuve que l’ambassade syrienne avait été informée en 2003 du fait que M. Almrei est un terroriste présumé par le gouvernement canadien et qu’il était en possession d’un passeport délivré par les Frères musulmans. Il est raisonnable de présumer, comme l’a reconnu Sukhvindar, que M. Almrei serait appréhendé et détenu à son retour en Syrie. Étant donné les renseignements disponibles au dossier public sur le traitement des détenus par le gouvernement syrien, la réticence de M. Almrei à être renvoyé en Syrie n’est pas un facteur digne de poids dans l’espèce.

 

  • [261] Monsieur Almrei avait les ressources et le savoir nécessaire à l’obtention de fausses pièces d’identité il y a sept ans, et il pourrait être en mesure d’y recourir à nouveau. Il s’agit d’une préoccupation valide. Je reconnais que la surveillance physique et les technologies de surveillance électronique ne soient pas infaillibles. Monsieur Almrei pourrait, s’il était déterminé à le faire, s’y soustraire. Notre Cour l’a décrit comme manifestant « [...] la patience, de la force, de la détermination, de l’endurance et de la discipline personnelle et qu’il ne se laisse pas facilement détourner de ses objectifs » (Almrei 5, précitée, au paragraphe 417), toutes des qualités qui lui seraient sans doute utiles s’il choisissait de s’esquiver. Je reconnais qu’aucune de ses cautions ne serait en mesure de prévenir cette éventualité, car aucune ne serait présente en tout temps.

 

  • [262] Monsieur Almrei a fait référence au recours au Royaume-Uni aux ordonnances de contrôle, une démarche qui limite les risques pour la sécurité nationale, tout en accordant une certaine liberté à l’individu. Ces ordonnances comprennent des restrictions sévères, semblables à la remise en liberté sous condition en vertu de la législation canadienne. Les ministres soutiennent que plusieurs personnes visées par des ordonnances de contrôle au Royaume-Uni se sont esquivées; ceci signifie qu’il ne s’agit pas d’une méthode fiable pour protéger les intérêts du public. Il s’agit d’une préoccupation, soit, mais la certitude absolue n’est pas la norme applicable. La question est à savoir s’il existe des motifs raisonnables de croire qu’il est probable que la remise en liberté sous condition mènera le sujet à s’esquiver.

 

  • [263] Dans l’espèce, il est difficile de croire que M. Almrei, advenant qu’il soit remis en liberté, souhaite quitter le Canada, car il s’exposerait au risque considérable d’être renvoyé et détenu en Syrie, s’il était appréhendé dans un autre pays. Il pourrait prendre des mesures pour quitter le Canada dès maintenant, avec l’autorisation des ministres, s’il y avait un autre pays prêt à l’accepter et où il souhaitait s’installer.

 

  • [264] Il est plus probable que M. Almrei cherche plutôt à entrer dans la clandestinité au Canada s’il était remis en liberté sous condition et qu’il risquait d’être expulsé du pays. Il ne s’agit pas d’une situation inhabituelle dans les dossiers d’immigration, comme l’a reconnu son avocat. Or, pourquoi voudrait-il courir le risque d’être à nouveau appréhendé et renvoyé en détention? Son renvoi, présumant que toutes les étapes nécessaires ont été complétées avec succès, est loin d’être imminent. Il se peut qu’il ne survienne jamais. Dans ces circonstances, je ne suis pas convaincu que les ministres ont établi un dossier à première vue solide qu’il s’esquivera.

 

  2. Le temps passé en détention

 

  • [265] La Cour suprême a reconnu qu’il s’agissait d’un facteur important, tant du point de vue du détenu que de la sécurité nationale, car plus la détention sera longue, moins il est probable que la personne visée demeure une menace à la sécurité : Charkaoui 1, précité, au paragraphe 112. Au paragraphe 113, la Cour a tenu les propos suivants :

Une longue période de détention suppose également que le gouvernement a eu le temps de rassembler les éléments de preuve établissant la nature du danger que pose le détenu. Si le fardeau de la preuve qui incombe au gouvernement peut être assez peu exigeant lors du contrôle initial de la détention [...] il doit être plus lourd lorsque le gouvernement a eu plus de temps pour faire enquête et documenter le danger.

 

  • [266] La preuve du gouvernement contre M. Almrei est demeurée majoritairement inchangée au cours des sept dernières années. Bon nombre des sources documentaires citées par les ministres dans l’espèce sont antérieures à 2001. Rien au dossier qui m’est présenté n’indique que le gouvernement a tiré profit des sept années de détention de M. Almrei pour « faire enquête et documenter le danger » que représente présumément l’intéressé afin de rehausser son dossier à son encontre.

 

  • [267] Dans Charkaoui (Re), 2005 CF 248, [2005] A.C.F. no 269 aux paragraphes 36-39, le juge Simon Noël a analysé la question à savoir si un danger pour la sécurité nationale peut exister à un moment, mais pas à un autre. Il a conclu qu’un danger peut être imminent, puis être neutralisé. Ainsi, le juge désigné doit déterminer s’il existe toujours. Au paragraphe 68 de sa décision, il a conclu que le danger que représentait M. Charkaoui avait été neutralisé en raison de sa détention préventive pendant vingt et un mois au cours desquels ses contacts « furent extrêmement limités avec le monde extérieur et ses allées et venues étaient limitées à l’institution carcérale ».

 

  • [268] Dans Jaballah c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 379, [2007] A.C.F. no 518 au paragraphe 22, la juge Carolyn Layden-Stevenson a indiqué, étant donné les cinq ans et demi passés en détention par M. Jaballah :

[...] la Cour doit pouvoir conclure en toute confiance que tout danger que M. Jaballah peut avoir constitué pour la sécurité du Canada, qui justifiait sa détention, est maintenant gérable en raison de la longue période qu’il a passée en détention, de la cessation des contacts qu’il a pu avoir dans le passé et du fait qu’il a été publiquement révélé [...]

 

  • [269] De façon similaire, dans Harkat c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 628, [2006] A.C.F. n° 770, au paragraphe 86, la juge Eleanor Dawson a fondé sa décision de remettre M. Harkat en liberté en partie sur le fait que, vu sa longue période de détention, il avait « ainsi cessé de pouvoir communiquer avec des membres du réseau islamiste extrémiste ».

 

  • [270] Monsieur Almrei est détenu depuis plus de sept ans. Il est difficile de trouver des dossiers comparables dans des pays de common law où une personne a été détenue aussi longtemps en vertu de motifs portant sur la sécurité nationale. Bien que ce facteur n’ait pas préséance sur les autres éléments, il doit peser lourd en faveur de sa remise en liberté.

 

  3. Les raisons qui retardent l’expulsion

 

  • [271] La Cour suprême statué qu’on ne devrait pas reprocher au gouvernement ou au détenu de se prévaloir, de façon raisonnable dans les circonstances, des dispositions applicables de la LIPR, ni reprocher au détenu une contestation raisonnable fondée sur la Charte. Par contre, il sera justifié d’opposer un délai inexpliqué ou un manque de diligence contre la partie qui en est responsable. (Charkaoui 1 au paragraphe 114.

 

  • [272] Monsieur Almrei soutient que les ministres sont responsables du délai en ne répondant pas assez rapidement aux directives de divulgation énoncées dans Charkaoui 2. Les ministres rétorquent qu’il appartenait à la Cour d’établir la divulgation nécessaire. Ils soutiennent que M. Almrei a été dilatoire en ne demandant pas un contrôle de sa détention dans les soixante jours suivant l’entrée en vigueur de la loi modificatrice (projet de loi C-3).

 

  • [273] À mon sens, étant donné toutes les circonstances du présent dossier, ce facteur devrait être considéré comme neutre. Je n’estime pas que M. Almrei a réagi lentement en regard de son droit à un contrôle de la détention rapide alors qu’il y avait des incertitudes quant à sa représentation juridique ainsi que de nombreuses questions préliminaires à trancher. De façon similaire, la portée et l’effet de la décision de la Cour suprême dans Charkaoui 2, rendue en juin 2008, demeure nébuleuse dans l’esprit de toutes les parties et de la Cour jusqu’à ce les observations soient présentées et examinées au cours de l’automne.

 

 

4. La durée anticipée du prolongement de la détention

 

  • [274] Ce facteur s’appliquera en faveur d’une remise en liberté si « l’expulsion sera précédée d’une longue détention ou s’il n’est pas possible de déterminer pendant combien de temps la détention se prolongera » : (Charkaoui 1 au paragraphe 115.

 

  • [275] Il est impossible de déroger à cette conclusion à la lumière de la preuve voulant qu’on ne puisse pas prévoir la durée de la détention à venir de M. Almrei advenant qu’il ne soit pas remis en liberté sous condition. Les ministres reconnaissent qu’ils ne peuvent pas avancer une date certaine pour le renvoi de M. Almrei. Monsieur Towaij s’est montré candide et réaliste à ce sujet dans son témoignage. Étant donné les préoccupations quant au traitement des détenus en Syrie, il est peu probable que M. Almrei puisse y être renvoyé dans un avenir prévisible. Étant donné qu’il a été désigné comme un sympathisant de ben Laden par le gouvernement canadien, il est également peu probable qu’un autre pays soit disposé à l’accueillir.

 

5. L’existence de solutions de rechange à la détention

 

  • [276] C’est sur ce point que la dernière demande de remise en liberté de M. Almrei a échoué. Le juge Lemieux a conclu que, selon son appréciation et la pondération de tous les facteurs, M. Almrei devrait être remis en liberté, sauf que « les conditions proposées pour sa mise en liberté ne neutralisent pas ou ne diminuent pas, d’après la prépondérance des probabilités, le risque qu’il représente » : Almrei 6, précitée, au paragraphe 56. Je suis parvenu à une conclusion partiellement à la lumière du dossier qui m’a été présenté, qui est, je le répète, différent de celui qu’avait le juge Lemieux. J’ai attribué moins de poids au risque que M. Almrei représente présumément et j’ai appliqué la norme des motifs raisonnables de croire.

 

  • [277] La difficulté principale de M. Almrei jusqu’à maintenant a été le fait qu’il n’a aucune famille au Canada et donc, il n’a pas pu proposer des cautions semblables à ceux qu’ont pu avancer les autres personnes visées par des certificats de sécurité pour leur remise en liberté sous condition. J’ai rapidement encouragé l’avocat de M. Almrei à chercher des solutions d’hébergement où son client pourrait vivre dans un environnement structuré entouré d’adultes responsables qui pourraient jouer le rôle des membres de la famille qui lui manquent. Une preuve par affidavit a été produite à la Cour indiquant que les recherches se sont avérées infructueuses. Néanmoins, il bénéficie d’un soutien dans la communauté, y compris des cautions proposées qui lui ont témoigné leur confiance et ont mis leurs fonds en jeu afin de s’assurer qu’il respectera les conditions et qu’il comparaîtra à toute procédure, voire, si nécessaire, à son expulsion.

 

  • [278] Ayant attentivement analysé le dossier, et avec de sérieuses réserves, j’ai conclu que la présence d’une caution chargée de la supervision dans la même résidence n’était pas un élément essentiel à un plan de remise en liberté sous condition. Que cet élément eu joué un rôle important dans les plans de remise en liberté sous condition des autres détenus est un facteur pertinent et important. Je remarque que la question du danger à la sécurité nationale a été écartée dans plusieurs de ces décisions afin de se consacrer directement sur la question à savoir si le risque pourrait être neutralisé par l’imposition de conditions : voir Jaballah, précitée, au paragraphe 2; Harkat, précitée, au paragraphe 68; et Mahjoub c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 171, [2007] A.C.F. no 206 au paragraphe 115-117.Ainsi, le rôle de la caution résidant sur place était d’une plus grande importance et a pu être un facteur déterminant dans la décision de remise en liberté : voir, par exemple, Re Charkaoui (2005 CF 248) aux paragraphes68-77.

 

  • [279] Tout en reconnaissant la valeur d’une caution résidant sur place, je crois que les ministres ont exagéré le degré de confiance de la Cour envers ces cautions. Dans Jaballah, précitée, par exemple, la juge Layden-Stevenson a mentionné à plusieurs reprises (paragraphes 61, 64 et 67) qu’elle n’avait pas pleinement confiance en la caution principale, ou que celle-ci avait été gravement compromise. Au paragraphe 69 de ses motifs, elle a conclu :

Compte tenu des facteurs qui jouent en faveur de la mise en liberté ainsi que de la faillibilité de la principale caution chargée de la surveillance, la solution consiste, à mon avis, à mettre M. Jaballah en liberté, à des conditions restrictives. Des conditions rigoureuses contribueront largement à compenser les faiblesses de la surveillance.

 

 

  • [280] Je suis convaincue que, en l’absence de conditions restrictives, M. Jaballah pourrait communiquer et entretenir des liens avec des individus ou des organisations ayant des convictions et des objectifs terroristes et qu’il le ferait éventuellement. Je ne partage pas l’avis des ministres voulant que ceci constitue, d’une certaine façon, une délégation inappropriée de la responsabilité de supervision au gouvernement. Il s’agit d’une responsabilité qui puise sa source dans le régime législatif de la même façon qu’il incombe à l’État d’assurer la supervision d’un délinquant sur probation ou en libération conditionnelle. Ce sont les ministres qui cherchent à restreindre la liberté de M. Almrei et qui sont prêts à accepter la responsabilité de sa détention. Ainsi, ils doivent également accepter la responsabilité de sa remise en liberté sous condition.

 

 

  • [281] Dans l’espèce, il n’y a aucune allégation voulant que M. Almrei représente un danger pour quiconque. Le danger qu’il représenterait pour la sécurité nationale n’est pas reconnu; il est activement contesté; puis le risque de fuite n’est pas convaincant. De plus, notre Cour a reçu la preuve d’option d’experts quant aux types de conditions qui seraient efficaces pour neutraliser tout risque que M. Almrei communique avec d’anciens associés et reprennent ses activités frauduleuses d’obtention de faux documents.

 

  • [282] La Cour suprême a reconnu que l’imposition de conditions de remise en liberté très strictes peut sérieusement entraver la liberté individuelle; elles ne doivent pas être disproportionnées à la menace : Charkaoui 1, précité, au paragraphe 116. Je crois qu’on y reconnaît implicitement la nécessité d’adapter les conditions imposées aux circonstances de la personne. Dans l’espèce, M. Almrei n’a ni membre de la famille ni ami qui pourrait agir à titre de caution sur place. Les cautions proposées par M. Almrei ne sont pas idéales, mais je conclus qu’elles suffiront au dossier, à une exception près. Je suis convaincu que les cautions, rehaussées des capacités de surveillance et de contrôle du gouvernement, permettront d’atténuer tout risque de danger pour la sécurité nationale ou de fuite de M. Almrei lors de sa remise en liberté dans l’attente des procédures sur son certificat de sécurité.

 

  • [283] La seule caution qui n’est pas acceptable pour la Cour est M. Hassan Ahmed, pour des motifs qui ne seront pas énoncés dans les présentes. Les autres cautions seraient acceptables pour la Cour une fois qu’elles auront conclu les engagements personnels préparés par les ministres et déposé à la Cour les fonds qu’elles ont accepté d’avancer.

 

 

Conclusion

 

  • [284] Les renseignements fournis à la Cour par les ministres dans le cadre de témoignages verbaux et de références documentaires appuient leur position voulant qu’al-Qaïda et d’autres sympathisants aux croyances extrémistes inspirés d’Osama ben Laden soient dévoués à recourir à la violence pour atteindre leurs objectifs politiques et qu’ils continuent d’être une menace importante pour la sécurité du Canada. Certains sont affiliés à al-Qaïda. D’autres peuvent être des unités autonomes ou des individus sans aucun lien direct avec ben Laden. Ils peuvent recourir à de fausses pièces d’identité pour passer inaperçus et permettre des opérations terroristes. Je n’ai aucune difficulté à accepter la preuve des témoins des ministres, tant dans à l’audience publique qu’à l’audience à huis clos, quant à ces questions et aux autres éléments portant sur leur évaluation générale du risque.

 

  • [285] Néanmoins, le dossier présenté par les ministres ne me convainc pas de l’existence de motifs raisonnables de croire qu’il soit nécessaire de maintenir M. Almrei en détention pour le moment; c’est-à-dire qu’il existe un fond objectif formé de renseignements convaincants et dignes de foi voulant que sa remise en liberté sous condition représente un danger pour la sécurité nationale ou qu’il est peu probable qu’il comparaisse à une procédure ou pour son expulsion. Je suis plutôt convaincu que tout risque qu’il puisse représenter pour la sécurité nationale ou de s’esquiver peut être neutralisé par les conditions. J’ai également tenu compte du passage du temps dans ma conclusion, lequel a diminué le risque de représente M. Almrei, et du fait que son expulsion du pays n’aura pas lieu dans un délai raisonnable.

 

  • [286] Par conséquent, conformément à l’alinéa 82(5)(b) de la Loi, je suis tenu d’ordonner la remise en liberté de M. Almrei et d’établir les conditions que j’estime appropriées.

  • [287] Monsieur Almrei a proposé les conditions suivantes, que j’estime appropriées à inclure à une ordonnance de remise en liberté :

a) L’ASFC assure la surveillance en tout temps de son lieu de résidence;

b) L’installation de caméra de sécurité à toutes les entrées de son lieu de résidence;

c) L’obligation d’informer l’ASFC, à l’avance, de tout visiteur à son lieu de résidence;

d) S’assurer qu’il n’aura accès ni à un téléphone cellulaire ou à ordinateur, ni à tout autre appareil électronique qui lui permettrait d’avoir accès à l’internet, p. ex. téléavertisseur, Blackberry personnel, iPod muni d’un accès internet, etc.

e) Autoriser l’installation d’un visiophone à sa résidence pour communiquer avec l’ASFC, au besoin;

f) Permettre à l’ASFC d’écouter toutes les lignes téléphoniques à sa résidence en tout temps;

g) Autoriser l’ASFC à se rendre sur place en tout temps, sans préavis;

h) Accepter qu’il ne pourra quitter sa résidence sans être accompagné des cautions approuvées et de son avocat;

i) Accepter d’aviser l’ASFC de son intention de quitter la résidence avant son départ, de la destination envisagée ainsi que de la durée de son absence de la résidence;

j) Accepter de porter un bracelet de surveillance électronique afin que ses déplacements puissent être suivis en tout temps;

k) Accepter de limiter ses déplacements à un rayon de 50 km de sa résidence, à moins d’obtenir l’approbation préalable de l’ASFC; et

l) Accepter de demeurer à l’extérieur des gares et des aéroports.

 

  • [288] Durant l’audience, M. Almrei a également indiqué qu’il était disposé à accepter de s’abstenir d’entrer sur des lieux où la surveillance serait impossible, comme une mosquée, et de parler en arabe avec quiconque lorsqu’il est en présence d’une caution qui ne parle pas cette langue. Il pourrait y avoir d’autres conditions que la Cour a oubliées. Les ministres n’ont avancé aucune condition durant les audiences. Or, il se peut qu’ils aient des conditions à proposer qu’ils estiment appropriées et qui ne figurent pas dans les présents.

 

  • [289] Par conséquent, la Cour permettra aux parties de proposer d’autres modalités et conditions avant d’émettre son ordonnance formelle afin de mettre en œuvre les présents motifs. Les ministres doivent être consultés quant au caractère approprié de tout lieu de résidence envisagé par M. Almrei. La Cour n’approuvera pas un lieu qui ne permet pas la surveillance physique et électronique. L’échéance pour le dépôt des observations quant aux conditions sera fixée en conférence avec les avocats.

 

  • [290] Je suis conscient du fait que la plupart des cautions ne résident pas près de M. Almrei et que la responsabilité de superviser ses sorties reposera de façon disproportionnée sur Mme Thomas-Falconar. La Cour examinera la candidature d’autres cautions suggérées par M. Almrei et les ministres pourront présenter leurs observations quant à celles-ci. La Cour examinera également d’autres modifications aux conditions qui pourraient être nécessaires dans l’attente de la décision quant au caractère raisonnable du certificat de sécurité.

 

 

 

« Richard G. Mosley »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :    DES-3-08

 

INTITULÉ :  AFFAIRE INTÉRESSANT un certificat signé en application du paragraphe 77(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la LIPR);

 

ET le dépôt de ce

certificat à la Cour fédérale en application du paragraphe

77(1) de la LIPR;

 

ET Hassan Almrei

 

LIEU DE L’AUDIENCE :  Ottawa et Toronto

 

DATES DES AUDIENCES PUBLIQUES 

ET À HUIS CLOS  Le 20 août 2008

Les 29 et 30 septembre 2008

Les 1er, 2, 3, 7, 8, 9, 14, 15, 20 et 28 octobre 2008

Le 10 novembre 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT  JUGE MOSLEY

 

DATE DU JUGEMENT :  Le 2 janvier 2009

 

COMPARUTIONS :

 

Mme Marianne Zoric  pour le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration

Mme Alexis Singer  et le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile

M. Gordon Lee 

M. Bernard Assan

M. Toby Hoffmann

Mme Florence Clancy

M. Marcel Larouche

 

M. Lorne Waldman  pour Hassan Almrei

Mme Karin Baqi

 

M. Paul Copeland  Avocats spéciaux

M. Gordon Cameron 

 

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

John H. Sims, Q.C.  pour le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration

Sous-procureur général du Canada  et le ministre de la Sécurité publique et de la Protection

civile

 

 

Waldman and Associates  pour Hassan Almrei

Toronto (Ontario)

 

 

Copeland, Duncan  Avocats spéciaux

Toronto (Ontario)

 

Blake, Cassels & Graydon LLP

Ottawa (Ontario)

 

 

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